La Via Francigena saison 4 démarre de Rome pour finir à Santa Maria de Leuca dans la province de Lecce, dans le Sud de l’Italie. Presque 1000 kilomètres, un complet bonheur.
Du 25 septembre au 5 novembre 2023
6 semaines
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"La dolce vita" de Federico Fellini, "Vacances romaines" de William Wyler, "Habemus Papam" de Nanni Moretti, "Le voleur de bicyclette" de Vitorio de Sica, "Rome ville ouverte" de Roberto Rossellini, "Une journée particulière" d''Ettore Scola, "Mamma Roma" de Pier Paolo Pasolini, vous l'aurez compris le point commun c'est Rome à travers ces films emblématiques, son histoire, sa splendeur et ses périodes complexes. Nous reprendrons le chemin le 26 septembre où nous l'avons laissé l'année dernière chez les frères de la communauté de St Jacques de Compostelle. Quel rapport avec la Francigena et son émissaire l'abbé Sigéric qui fit le chemin de Canterbury à Rome vers 990 ? Et bien aucun. Cette communauté située en plein centre de la belle Rome accueille des pèlerins toute l'année, nous avons même droit à un lavement de pieds à notre arrivée fait par un des frères comme à l'époque de Sigéric. Un bel accueil, non ? Mes pieds je les ai bichonnés, pas uniquement pour la cérémonie du bain des petons mais pour les mille kilomètres à parcourir à soixante treize pour cent sur bitume et vingt-sept pour cent sur chemin.

Encore quelques mots d'histoire. L'abbé Sigéric devenu archevêque va à Rome pour recevoir le pallium, symbole de son autorité archiépiscopale directement des mains du pape Jean XV. L'itinéraire de son voyage de retour, en quatre-vingt étapes d'une vingtaine de kilomètres chacune via la vallée d'Aoste et le col du Grand-Saint-Bernard jusqu'à la Manche, est préservé dans un manuscrit du milieu du XIe siècle, qui comprend également une liste des églises de Rome visitées par le religieux. Pourquoi le chemin du retour à Canterbury est-il devenu plus célèbre que le chemin aller ? Va savoir ?

J'ai relevé un proverbe tibétain qui dit : "le voyage est un retour vers l'essentiel". Ces quelques mots éclairent presque parfaitement le concept de ce périple de Rome à Santa Maria de Leuca. Dans cette simple phrase tout est dit : le voyage, le retour et le mot principal : essentiel. En effet, nous allons faire un beau voyage grâce à nos mollets peu entrainés, notre souffle ralenti mais avec une volonté d'arriver jusqu’au bout en transportant avec nous tout au long du parcours cette joie d'avoir accompli quelque chose d’essentiel pour nous. Si la tristesse est lourde à porter, la joie légère comme une plume nous protègera tout au long du chemin. Et bien sûr, il y aura le retour après plus de quarante étapes dans un décor digne des grands tableaux des maîtres italiens, nous aurons probablement perdu du poids mais nous aurons gagné en vie.

Comme à chaque fois je me pose la question pourquoi ce parcours et pas un autre? Pourquoi marcher étape après étape sans même se soucier du lendemain ? Pourquoi faire une quarantaine d'étapes puis revenir au point de départ ? Peut-être nous le découvrirons ensemble chemin faisant.

Il était une fois la Francigena, ça commence maintenant.

Nous croisons les doigts (de pieds bien sûr). 
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Top départ ce lundi 25 septembre 2023, il est sept heures du matin, lever rapide malgré les jambes engourdies par un long trajet la veille en voiture.

Depuis l'année 2019, nous imaginons cet ultime périple de la Francigena, cette partie un peu délaissée des pèlerins. Partir du col grand Saint Bernard pour arriver à Rome, ça a de la classe. Mais partir de Rome pour aller à Santa Maria de Leuca, ça en jette moins. Personne ne connaît ce finistère italien perdu au bout de la botte des Pouilles.

Ce qui compte, c'est le chemin, cette vérité prend ton son sens en ce jour de départ.

Avant d'user nos sandales sur le bitume surchauffé ou les sentiers séculaires, nous voyagerons sur les voies ferrées italiennes avec son lot de changements de gare et de cappucinos saupoudrés de cacao à chaque pause.

Presque douze heures pour aller de Saint-André de la Roche proche de Nice, mon village presque natal jusqu'à Rome. Le titre de ce blog n'est pas choisi au hasard : prendre le temps de perdre le temps. Et le temps nous l'occupons en lecture du guide italien, en multilples rangements de sac pour optimiser l'utilisation de nos affaires, en petite visite au marché de Vintimille en guise de ravitaillement en fruits et soccas, en remplissage de mots fléchés pour maintenir en éveil le cerveau ralenti par le farniente, en siestes improvisées lorsque la torpeur et le roulis du train prend le dessus.

Malgré cela, nous avons le sentiment de faire une bonne action. Et puis il faut se réhabituer à ralentir, à ressentir, à goûter chaque instant de ces quarante jours de marche. L'approche au point de départ du périple doit donc être douce et apaisante.

Ce soir, notre hébergement sera le même que celui de l'année dernière à l'arrivée sur Rome sauf que l'échange de mails de ces derniers jours avec notre hôte risque de tourner à la négociation. En effet, Pino le gérant de l'hébergement nous contraint de sonner à leur porte avant vingt heures. Or, notre train arrive à Rome à vingt heures six, s'il n'a pas de retard ce qui serait un miracle et évidemment, nous avons en plus trois kilomètres à parcourir à pied depuis la gare. Je compte sur sa bienveillance et son sens de l'hospitalité pour nous accueillir, ça serait bien la première fois que nous restions piquer dehors sans hébergement. Bien sûr à Rome ce ne sont pas les hôtels ou autres Rbnb qui manquent, mais les prix frisent l'absurde. On verra bien.

Il est vingt heures presque trente, le train stoppe net dans la gare de Roma Termini, aucune annonce d'arrivée nous forçons la porte pour sortir de ce compartiment assez bondé.

Un peu plus de trois kilomètres nous séparent de l'hébergement, d'un bon pas, nous refaisons presque le même chemin, mais à l'inverse de celui emprunté l'année dernière. Ce même jour, le vingt-cinq septembre deux mille vingt-deux, nous étions à Rome pour le retour sur Nice. Finalement, la négociation n'a pas eu lieu.

L'accueil y est toujours aussi chaleureux et bienveillant et c'est toujours le même frère qui nous enregistre, nous remet le drap et la taie. Le lieu toujours aussi paisible nous protège du bruit et des lumières de la ville.

Demain ce sera le grand jour, la Francigena nous sera ouverte, elle nous attendais et nous l'attendions aussi.

Prendre le temps de perdre le temps telle sera notre devise à partir de demain.

Rome la nuit.
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Date : 26 septembre 2023

Heure de départ : 8h45

Heure d'arrivée : 16h30

Durée : 7h45

Distance : 26 km


Première nuit à Rome, la nuit presque un peu fraîche fût réparatrice malgré la promiscuité des pèlerins fatigués par leur périple final et les ronflements désormais coutumiers.

Petit-déjeuner dans la grande salle de ce couvent qui n'en est pas un. Nous retrouvons d'autres pèlerins français qui achèvent leur pèlerinage à Rome depuis Briançon et entre deux tartines beurre confiture les échanges restent malgré tout très orientés sur la marche et la provenance de chacun et chacune.

Petit inconvénient de ce donativo le petit-déjeuner se prend à huit heures pétantes. C'est, une heure tardive pour nous, surtout en cette saison automnale aux airs d'été indien. Nous le paierons plus tard, sur la Via Appia vers quatorze heures lorsque l'astre chauffant sera au zénith et nous, presque totalement azimutés par ses rayons piquants.

Top départ

Sortir de Rome tel sera notre premier défi. Un des pèlerins français me conseille de suivre un parcours qui shunte la partie bruyante et inintéressante de cette première étape. Il est huit heures quarante-cinq la circulation romaine bat son plein, nous, nous n'avons qu'une hâte de sortir de ce brouhaha citadin.

Nous traversons le Tibre pour plonger sur une longue esplanade longeant le Circo Maximo, lieu mythique de courses de chars, de combats de gladiateurs ou autres spectacles sanguinolents tels que les aimaient les Romains car totalement privé de télévision ou de smartphone dernier cri.

On peut dire qu'ils savaient s'occuper à cette époque et les croque-morts ne chômaient pas non plus.

Variante de la Via Appia

Nous cheminons sur le début de la Via Appia avec un certain frétillement de nos sens. Redécouverte il y a quelques décennies par des mordus de vieilles pierres et de ceux qui n'ont pas peur de se charrier des guirlandes d'ampoules aux petons. Je fais mon savant, mais en fait, je lis un livre dont le titre est Appia de Paolo Rumiz, cadeau d'anniversaire de ma petite famille qui connaît mes goûts et mes passe-temps.

Vieille de vingt-trois siècles, longue de 612 km, la Via Appia relie Rome à la Méditerranée. L'auteur a participé au dépoussièrage de cette route antique totalement oubliée et dont l'incurie l'avait ensevelie, Paolo Rumiz a entrepris de la parcourir. Dans un récit passionnant, le grand écrivain voyageur dessine, pas après pas, une cartographie de cette voie légendaire dont il nous révèle l'histoire et les merveilles cachées. Autant vous dire, j'étais totalement dans mon jus.

La variante et la Via Appia

Marcher sur les pas de milliers de Romains où toutes les classes sociales ont traîné leur galigae sur ces pierres lisses comme le crâne du Pape et en quinconce comme les dentiers des esclaves ou les plébéiens (nom de la classe laborieuse) m'oblige quelque part à respecter ce lieu, ces pierres, ces monuments flanqués de part et d'autre de la voie.

Des milliers d'années après sa construction, la Via Appia, même un peu amochée, s'ouvre devant nous avec une parfaite rectitude. En effet, nous traversons une ligne droite parfaite de quinze kilomètres au milieu d'un décor digne du film "Gladiator" du réalisateur Ridley Scott où Russell Crowe (gladiateur) péri crucifié sur un pieu bancal planté tels les pins parasol le long de la voie. A l'époque, ils n'étaient pas dérangés par les décollages et atterrissages incessants de ces oiseaux au squelette de fer dont le ballet stupide nous fait tourner la tête et engourdir nos oreilles.

Je n'aime plus les avions.

Appia quand tu nous tiens.

De temps en temps, j'en profite pour glisser une petite vision personnelle de notre société qui part en....

Mais ici tout est beau même si la chaleur devient vraiment prenante. Seule une petite brise vient trop rarement sécher les gouttes de sueur ruisselant le long des tempes surchauffées. Je ne vais pas me plaindre, je suis consentant et de plus la beauté du décor rend l'instant moins pénible même si les jambes paraissent lourdes et encore un peu fébriles.

Lentement, nous progressons sur ces dalles grises et surchauffées par le soleil de plomb. Nous croisons de nombreux cyclistes ne manifestant aucune compassion pour nous, pèlerins à l'allure encore respectable et aux fringues bien repassées. Certains accompagnés par des guides laissent leur "bike" sur le côté de la chaussée pierreuse pour dessiner un cercle autour du sachant et ouvrir grand les oreilles pour un discours historique maintes fois répété. Respect quand même, ils ont fait l'effort de venir jusque-là.

Lac Albano

L'étape de vingt-six kilomètres monte lentement d'une pente positive d'un dénivelé total de quatre cents cinquante mètres. Mine de rien, ça commence à faire beaucoup pour une première étape.

Nous sortons de la Via Appia après la ville de Santa Maria delle Mole. Il est de coutume de croire que le nom vient de la découverte, à l'origine, d'une petite statue représentant la Madonna et une paire de moles. Le problème de cette croyance est le mot "moles" dont je n'ai pas trouvé la définition ou la signification sur Internet. Il y a aussi le mot "paire", mais je n'ose pas l'associer au mot "moles".

Je continue mon histoire quand même, nous sortons de Santa Maria delle Mole , je ne sais toujours pas ce que veut dire ce mot, mais ce que je sais, c'est que nous avons casse-croûté dans un bar, bienvenu, près de la gare ferroviaire de Santa Maria machin.

Il nous reste trois kilomètres avec une belle montée. Il ne s'emmerde pas les papes pour leurs vacances, ils choisissent la plus belle région du coin, ils se font construire une résidence aussi cossue que le faste déployé pour la venue de Charles 2+1 et sa patronne la semaine dernière et nous, nous en bavons comme pas possible pour se hisser jusqu'à Castel Gandolfo.

Putain que c'est beau !

Y a pas à dire les papes ont du goût et de la classe.

Sous nos pieds, le lac Albano comme les chanteurs des années quatre-vingt "Albano et Romina Power", une pure merveille, le lac bien sûr.

Notre hôte nous attend, l'appartement est presque aussi cossu que celui de François l'homme en blanc, en tout cas, il nous convient parfaitement. Vue sur le lac, nous sommes comme des coqs en pape, non en pâte.

Notre résidence papale.
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Date : 26 septembre 2023

Heure de départ : 6h50

Heure d'arrivée : 15h15

Temps de marche : 8h40

Distance : 2.6 + 24 kilomètres

Malgré la voie de chemin de fer léchant le flanc de la maison, la nuit fut calme et reposante. Réveil à cinq heures, je tournicote avec mon téléphone pour patienter jusqu'à six heures, heure de réveil décidée hier au soir.

Petit-déjeuner avec une machine expresso accompagné de biscuits industriels remplis de chimie romaine, rien ne vaut un bon capuccino bien crémeux avec des croissants mêmes italiens. Je rappelle pour ceux qui ne savent pas les Italiens mélangent des ingrédients souvent gras et très sucrés dans toutes les pâtisseries. Crèmes, confitures, nappage de chocolat ou de sucre glace couvrent la partie cuite en dégoulinant souvent sur nos doigts ou notre pantalon à chaque bouchée.

Le petit-déjeuner fut donc vite fait. Il est six heures cinquante, nous démarrons par la côte descendue hier, mais avec des muscles reposés et l'envie chaque jour renouvelee de s'attaquer à une nouvelle étape. Aujourd'hui, nous irons à Velletri en passant par Nemi, ville capitale des fraises et des fleurs.

Nous optons pour la route traversante de Castel Gandolfo pour voir à quoi ressemble une ville où les papes se dorent la pilule l'été ou entre deux urbi et orbi.

En face la résidence papale

Sur le parcours, avant d'entrer dans la ville papale, un panneau me laisse perplexe.

Ben pourquoi pas !

Castel Gandolfo, jumelée avec la ville de Chateauneuf-du-Pape s'affiche en grand sur notre passage. A votre avis pourquoi Chateauneuf-du-Pape ? Pour le mot Pape ? Ça pourrait être cela, mais le choix me paraît un peu trop facile et naïf. Pour Chateauneuf qui rappelle Castel en italien ? Ça pourrait être cela, mais le choix me paraît trop simple et naïf encore une fois. Évidemment, c'est pour le pinard ! Le vin de messe ? Vous rigolez, c'est pour leur propre consommation, ils ont la bonne excuse de faire un petit détour par cette région réputée. Pourquoi s'en priver ? Je n'ai pas fait d'enquête auprès des habitants de Chateauneuf-du-Pape mais, sans vouloir trop m'avancer, les autochtones n'ont jamais vu une soutane blanche ou une papamobile dans les rues de la ville.

Trêve de balivernes, Castel Gandolfo, c'est petit et pas très animé le matin. A la sortie du bled papal, nous faisons le plein de fruits pour notre déjeuner : brugnons, bananes pas trop mûres (moins sucrées), poires, et même des figues de Barbarie. Au pied de Castel s'étale la ville de Albano Laziale, sans grand intérêt surtout qu'en plus du bruit et de la pollution, on se tape une belle montée jusqu'au cimetière.

Après Albano Laziale

Nous atteignons le sommet de la colline avec au pied Albano Laziale et sur l'autre versant une splendide vue sur Castel Gandolfo dont les pieds de la ville sont mouillés par le lac Albano. Nous empruntons un chemin plutôt plat et très ombragé serpentant sur le pourtour du lac. Cette grande étendue lisse comme une mer d'huile est en fait issue des eaux paisibles du bouchon volcanique formé il y a des milliers ou des millions d'années.

Contrairement à hier, la forêt nous protège du soleil même si celui-ci n'est pas encore à son zénith.

Chemin faisant, nous découvrons une tente où émerge une jeune fille française qui nous répond après un "hello" qu'elles font "un peu" la Francigena. Curieux cet "un peu", de plus, il est autour de dix heures et elles pointent seulement le bout de leur nez hors de la tente. Chacun son rythme, chacun son idéal, nous, on trace vers Nemi.

Lac de Nemi

Quelques kilomètres avant la capitale de la fraise et des fleurs, nous croisons quatre marcheurs italiens très bavards et enthousiastes. Ils font une virée appelée San Bernardino, pour la journée. Comme nous avons des têtes sympathiques et une allure convenable ils nous proposent des gâteaux "Bruti ma buoni" littéralement "moches mais bons". Effectivement côté moche il y a pire mais ils sont très bons. Et comme ils nous trouvent vraiment sympa, nous avons droit aux prunes et aux photos du parcours. C'est ça la Francigena, gentillesse et bienveillance. Nous les remercions avec beaucoup de grazie mille et nous poursuivons notre camino.

Petite pause à Nemi

Il est presque midi, une pause s'impose et surtout un cappucino car nos fruits patientent dans nos sacs depuis ce matin.

En face de notre coin café, une boulangerie met en évidence des pâtisseries. Elles sont à quoi ces pâtisseries ? A la fraise, bien sûr. Juste à côté, une charcuterie spécialisée dans le sanglier et une rôtisserie grillant une flopée de saucisses bien grasses dont le fumet parvient jusqu'à nous. On ne se laisse pas tenter.

Il nous faut déguerpir avant de craquer totalement sur cette abondance pas diététique du tout.

Nemi

Allez, encore deux montées un peu raides, en plein cagnard et ensuite viendra de la descente vers Velletri. Il nous faut arriver après quinze heures car la gérante bosse. Nous sommes pile dans le temps prévu. L'idée, c'est d'arriver assez tôt pour se reposer et prendre nos douches, mais sans cramer nos batteries internes en marchant trop vite. Il faut donc constamment jongler entre la marche, les arrêts pause et les visites des spots ou autres curiosités du parcours. L'habitude permet de faire l'exercice sans tracasseries.

Nous avons passé une grande partie de la journée à l'ombre, dans une forêt sauvage, à l'abri des bruits de la circulation automobile. Entourés de collines plutôt verdoyantes, nos yeux pétillaient de plaisir de voir une nature encore presque vierge avec le gazouillis des oiseaux en guise de fond sonore.

Descente vers Velletri

La grande descente de plus de cinq cents mètres de dénivelé vers Velletri laisse entrevoir une large plaine à perte de vue sur la campagne romaine. Au loin, on devine la mer Tyrrhénienne et dans quelques semaines nous longerons la mer Adriatique, entre les deux nous aurons traversés l'Italie en travers et à notre arrivée à Santa Maria de Leuca nous aurons traversés l'Italie du nord au sud. Top !


Sur le chemin

Il y a des randonneurs vraiment romantiques. Dans la descente, j'aperçois écrit à l'arrière d'un panneau de signalisation : "Sei la piccola stela che porto nei momenti in cui non ho luce" avec un cœur dessiné. Traduction : tu es l'étoile que je porte en moi dans les instants sans lumière. Ce n'est pas mignon ça.

Je suis honnête avec vous, perso, je n'aurais jamais pensé écrire cela sur un panneau pendant une randonnée, encore moins dans un coin plutôt quelconque, voire pourrave. Mais il y en a qui le font. En plus, se balader avec un marqueur noir en poche, c'est le bouquet.

Bon, je m'égare, ce qui n'est pas super pour un randonneur.

Velletri enfin. Bof ! Ça ne peut pas être toujours super, mais au moins, il y a de quoi se restaurer et Francesca notre hôte est au petits soins avec nous.

L'appartement est super, pas loin de la Francigena. Quoi demander de plus ?

Petite balade dans la ville, visite de la cathédrale San Clemente en pleine messe, ravitaillement en fruits, pizzas végétariennes au restaurant dont l'entrée regorge de cotes de bœuf, de steaks sanguinolents, de porchetta bien grasse et autres tripailles alléchantes bien exposées dans de grands frigos transparents. On n'a pas craqué. Demain, sera un autre jour.

Cathédrale San Clemente
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Date : 28 septembre 2023

Heure de départ : 6h45

Heure d'arrivée : 12h55

Temps de marche : 6h10

Distance : 20.7 km

Étape à Cori (Latium)

Au bar Artemisio, ouvert à six heures trente, le gérant sert déjà les premiers cappucinos aux clients matinaux. Francesca, notre hôte, nous a réservé un petit-déjeuner dans ce minuscule lieu où se mêlent tables, chaises, décorations douteuses et viennoiseries tartinées de sucre glace ou autres parfums très spéciaux. Nous optons pour des croissants nature avec un peu de sucre caramélisé sur le dessus, avec cela, nous tiendrons le choc de l'étape du jour, car elle ne fait qu'une vingtaine de kilomètres.

Velletri campe sur une corniche rocheuse au dessus de la plaine du latinuim, il nous faut donc descendre pour rejoindre une plaine constellée d'oliviers chargés de fruits encore verts mais déjà prometteurs pour la production d'huile.

Le matin, à la fraîche, la marche permet de redonner du tonus à nos muscles un peu endoloris par le manque d'entraînement flagrant des derniers mois avant le grand saut vers Santa Maria de Leuca.

En général, les descentes se déroulent sans encombre. Dans l'étape du jour, à la sortie de la ville, nous longeons une petite départementale peu fréquentée mais relativement étroite. Nous devons donc redoubler de vigilance et zigzaguer de part et d'autre de la route en fonction des courbes et de l'absence de trottoirs.

Petite parenthèse au sujet des trottoirs de Velletri. Je veux bien rencontrer le "sindaco", le maire en italien ou son adjoint de l'urbanisme car dans son bled perché il y a un big problème : les trottoirs, lorsqu'ils existent, sont réservés aux voitures, aux motos et autres engins polluants. Il faut donc marcher sur la rue en faisant bien attention pour ne pas se faire aplatir, ou bien, ne pas se tordre une cheville, car le parterre clairsemé de pavés volcaniques est aussi déchaussé que les dents de Quasimodo, c'est peu dire.

Merci monsieur le Maire de faire quelque chose pour les pèlerins pénibles comme moi.

L'avantage de marcher sur la route, c'est qu'on trace à vive allure malgré une attention permanente.

Une heure trente après le départ et quelques kilomètres plus loin enfin un sentier. Un beau sentier au milieu d'un paysage insolite car presque totalement désert. En fait, le paysage a été littéralement avalé par des troupeaux de moutons. Il n'y a plus que la poussière et les ronces sur plusieurs lieues à la ronde.

Les odeurs y sont fortes à en juger des excréments laissés par les futurs méchouis ou pulls en laine.

A la sortie de ce décor désertique un lac, le lac de Giulianello. Étendue au milieu d'un paysage superbe, coloré et certainement dessiné par les habitants depuis des décennies par un façonnage artistique des collines et des plaines qui l'entourent.

Le voici ci-dessus peint par Matthew Dubourg, peintre anglais du début du dix-neuvième siècle et, le voici maintenant en photo. Ok, c'est pas aussi classe, mais on s'y croirait.

Le lac de Giulianello

Nous restons un long moment à contempler cet espace hors du temps, l'air encore frais, nous maintient alerte. Nous profitons de cet instant paisible tout en gardant nos distances avec des oies peu commodes. Normal nous empiétons sur leur territoire. A regret, nous laissons ce tableau romantique derrière nous, car l'étape n'est pas terminée.

Après le lac

Prochaine ville, Giulianello au bout d'une route très fréquentée, sans protection latérale sur plus de deux kilomètres. Autant vous dire, malgré un soleil de plomb, il ne faut pas faire un écart sinon couic, finie la Francigena, les courses à Super U à Montluel, la cueillette des cerises à Saint-Désirat. Tu peux finir aplati sur la chaussée comme les pauvres hérissons qui traversent en sifflotant et sans attention, les routes, où même, avec un racloir, on n'arrivera pas à te décoller du bitume surchauffé. Autre image. Un peu comme la première crêpe lorsque tu te lances dans la soirée traditionnelle du mardi gras.

Enfin Giulianello, direction un bar situé sur la partie haute du village. Grâce à la force de conviction de Guylaine, nous nous laissons emporter jusqu'au sommet de ce village à moitié perché. Nous ne sommes pas déçus, car un bel accueil nous attend. Un groupe de mamies nous félicitent pour notre démarche et notre marche aussi, en insistant bien sur notre courage. Je leur rétorque que c'est seulement l'envie de faire ce périple qui nous anime, le courage intervient peu dans l'affaire.

Giulianello et la sortie

Au bar, nous prenons notre temps pour savourer fruits et cappuccinos, il est dix heures et il nous reste moins de huit kilomètres à parcourir, mais plus de deux cent cinquante mètres de dénivelé positif à cramponner, en plein moment où l'astre solaire fait cuire ses pancakes.

Encore une route, moins fréquentée, mais une route tout de même. Elle serpente à flanc de collines au milieu des oliviers dont les branches penchent dangereusement à cause des olives grosses comme des bigarreaux.

Il fait chaud, le camel-back descend à vive allure à chaque kilomètre parcouru. Les gorgées d'eau citronnée rafraîchissent nos gosiers asséchés. Nous buvons sans retenue tout en ayant un œil sur la circulation automobile incessante et l'autre sur le paysage grandiose devant nous.

Allez, encore deux kilomètres, Cori apparaît au loin, nous y serons pour treize heures. Le village fait partie de ces cités perchées à flanc de collines bourrées d'oliviers. Malgré la chaleur, le panneau Cori apparaît. On peut dire qu'il a fait chaud sur la fin.

Cori

Assis sur un banc au pied de notre logement, nous attendons Laura notre hôtesse. L'accueil comme à l'accoutumé nous fait chaud au cœur. La maison, un grand immeuble dans le Cori historique, près du temple d'Hercule, avec d'innombrables niveaux, pièces, escaliers droits et en colimaçon dans un décor d'un autre temps. Une terrasse, au sommet de l'immeuble historique, avec vue incroyable sert d'étendoir pour notre première grande lessive. Tranquillisez-vous, je vais mettre des photos et vous pourrez en juger par vous-même.

Nous pouvons profiter de la cuisine, de la machine à laver, et même de son chat noir comme nos pieds, après vingt kilomètres de marche sur les chemins de la Francigena.

La maison de Laura et le temple d'Hercule

Petite balade dans Cori, vue sur la plaine latine devant nous et la mer au loin. La petite ville semble bien animée en cette fin d'après-midi. Les mamies, habillées de noir assises sur les bancs près de leur porte d'entrée nous saluent tout en nous dévisageant de la tête au pied. Les coriiens (habitants de Cori) échangent facilement lors de notre passage, toujours avec une pointe d'humour et beaucoup de gentillesse.

Laura, notre hôtesse, partage sa cuisine avec nous. Évidemment, nous lui lançons une invitation pour le dîner qu'elle accepte sans sourciller. Tarchoun prépare une omelette aux girolles avec beaucoup de saveur, Guylaine une salade rafraîchissante et moi, des pasta avec une sauce tomates basilic de chez Carrefour Market, mais quand même bio. On se console comme on peut.

La soirée fut mémorable en compagnie de Laura, très calée en histoire, c'est une femme très humaine avec le sens de l'accueil au top.

Soirée avec Laura
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Date : 29 septembre 2023

Heure de départ : 6h45

Heure d'arrivée : 14h00

Temps de marche : 7h15

Distance : 21.2 kilomètres

Il est six heures trente, j'entends Laura, notre hôtesse, s'agiter dans la cuisine. Le petit-déjeuner devrait être au même niveau que sa gentillesse. Jambon cru, yaourts crémeux, pains, confitures maison, tartelettes faites la veille, jus de fruits, café, thé. Laura nous propose aussi des œufs au plat que nous déclinons. L'étape n'a que dix-neuf kilomètres, il ne faut pas abuser.

Six heures quarante-cinq, nous quittons cette belle bâtisse remplie de meubles anciens, de bibelots précieux en tout genre, de draperies exotiques, de tableaux paysagers peints à l'huile, une vraie caverne d'Ali Baba mais à l'italienne.

Cori

Nous descendons la vieille ville en nous perdant de multiples fois dans ces ruelles étroites construites, il y a plusieurs centaines d'années où le GPS rechigne à faire son job. Il nous faut rejoindre le bas de la roche monumentale sur laquelle campe la cité remplie d'histoires guerrières et de villageois des temps modernes encore endormis.

Nous voilà au bas de l'éperon rocheux, il nous reste plus qu'à remonter en face par une route blanche, c'est-à-dire bétonnée où seul un petit véhicule type Topolino (Fiat 500, mais les anciennes) peut se frayer un passage.

Les premières gouttes de sueur font leur apparition sous nos sahariennes, le soleil pile en face de nous. Le but sera d'atteindre le flanc de la colline que nous longerons ensuite tout en surplombant la vallée du Latinium.

Rude montée avec Cori en face

Une route asphaltée peu fréquentée s'ouvre à nous. A gauche les Lepini (monts Lépins), petite chaîne de montagnes où le point culminant se nomme Monte Semprevisa (1536 m d'altitude), à droite la plaine du Latinuim rendue vivable en 1930 environ par un certain Mussolini. En effet, la plaine était ravagée par la malaria et donc totalement inhabitable, ce qui a conduit à abandonner complètement la Via Appia qui la traversait. Les pèlerins de l'époque traversaient ces marécages infestés de zanzare (moustiques) quand ils ne se faisaient pas attaquer par les brigands locaux. Choper la malaria ou paludisme et se faire détrousser par des canailles, je peux l'affirmer : vraiment pas de bol ! Croyait-il encore en Dieu après cela ? Même s'il pensait que la vie ne pouvait que lui vouloir du bien, il fallait vraiment qu'il s'accroche aux pages de la Bible pour poursuivre son pèlerinage jusqu'à Jérusalem sans sourciller. Chapeau, pèlerins et pèlerines d'antan !

Sur cette route quasi-plate mais sinueuse le soleil n'a pas encore fait son apparition ce qui n'empêche pas de boire fréquemment de l'eau non citronnée de nos camel-back.

Norma

Il est dix heures trente, la ville de Norma s'anime bruyamment, le marché s'étend le long de la rue principale. Notre cappucino quotidien nous attend dans un petit bar bondé de villageois assoupis, leurs sacs à provision remplis de fruits et légumes de saison.

Comme eux, nous faisons nos emplettes. Nous nous contenterons de quelques fruits, car le petit-déjeuner de Laura reste très présent dans nos estomacs alourdis.

Il doit y avoir plein de choses à raconter sur cette ville perchée au sommet de la colline, mais aucun site, même en italien, ne mentionne quelques sordides lignes d'histoires, ni de fêtes religieuses où la Santa Madona est portée par quelques fervents piliers d'église de part en part de la cité médiévale.

Finalement en cherchant mieux, je trouve un petit quelque chose à vous mettre sous la dent. Norma fut construite sur l'ancienne ville de Norba. L'ancienne Norba a pris fin en 81 avant J.-C. ses habitants ont mis le feu à la ville afin de ne pas tomber prisonnière des ennemis, la détruisant complètement. C'est vraiment rare que tout le monde soit d'accord sur une décision pareille. Celui qui les a convaincu était vraiment fortiche. Bon, je continue. L'ancienne Norba a été reconstruite vers l'an 1000, l'actuelle Norma est née sur la falaise voisine et est restée la possession des familles riches et puissantes de l'époque, en se développant comme un village médiéval peinard avec des maisons entassées et des ruelles étroites et escarpées. Et croyez-moi, on s'y perd facilement.

La descente après Norma

A la sortie du village de Norma, un sentier rocailleux se faufile au milieu d'innombrables figuiers de Barbarie dont les fruits très mûrs n'attendent que nos mains pour les cueillir. Mais aujourd'hui, perso c'est diète, je limite un peu les fruits car trop sucrés. Petite recommandation médicale : attention à ne pas consommer la figue de Barbarie en trop grandes quantités, car ses graines peuvent provoquer des perturbations digestives, et notamment des occlusions intestinales. Ça serait ballot de mourir en se piffant de figues en plus de Barbarie. D'ici Santa Maria de Leuca nous aurons l'occasion d'en consommer avec modération bien sûr. On n'est jamais trop prudent. (rires)

Nous sommes enfin en bas dans la vallée près des anciens marécages réaménagés en système d'irrigation par Benito M. Je l'appelle par son prénom, mais ce n'est pas mon copain. C'est peut-être la seule chose qu'il a fait de bien dans sa vie celui-là.

Au pied de la colline remplie de figuiers de Barbarie se situe l'abbaye de Valvisciolo que nous voudrions bien visiter. Il nous reste un kilomètre cinq cents mètres avant l'arrivée et toujours pas d'abbaye. En fait, pour y accéder, il faut rajouter deux kilomètres deux cent donc le double de distance pour aller voir cette bâtisse monumentale. Après concertation et comme nous avons un coup de mou, tant pis pour l'abbaye. Nous nous lançons pour la dernière montée du jour de deux cent cinquante mètres de dénivelé. Enfin, on pensait que c'était la dernière.

Belle grimpette mi-soleil mi-ombre à droite la plaine Latinium comme d'habitude, de l'autre, la colline où campe Sermoneta notre village étape du jour. Ok, c'est toujours un peu pareil tous les jours, mais bientôt, il y aura en plus la mer.

Quatorze heures, assis au bar, non, nous ne sommes pas des pochetrons, mais des assoiffés d'eau gazeuse ou de jus de fruits, un marcheur passant devant notre table ombragée nous apostrophe : "vous faites la Francigena, il y a une petite assemblée de marcheurs internationaux à la mairie de Sermoneta, vous pouvez y aller, vous serez les bienvenus".

Allez, nous prenons nos sacs en bandoulière et notre courage, non notre envie, à deux mains pour rejoindre cette petite réception.

En effet, hollandais, italiens, français, coréens, taïwanais, australiens, et même une Belge piaillaient devant un parvis en attendant la pose pour une photo de groupe.

Nous nous insérons au milieu de cette assemblée où nous sommes finalement acceptés.

Clic-clac, la photo de groupe est immortalisée. C'est un groupe international de marcheurs formés sur Face de bouc qui fait quelques étapes de la Francigena, tous vêtus d'un tee-shirt orange marqué "CaminiAmo Francigena". C'est un jeu de mots. Caminiamo veut dire "nous marchons" et si tu sépares "camini" et "amo" dans le mot caminiamo, cela peut se traduire "tu marches" et "j'aime". Donc l'autre interprétation serait "tu marches et tu aimes la Francigena". Vous suivez ?

Et je vous le donne en mille, qu'est ce qui a étonné les randonneurs en orange : nos sandales. Car bien sûr, ils étaient équipés comme s'ils allaient gravir l'Everest. Il y a même une randonneuse qui a pris mes pieds et mes chaussures en photo. Si en plus, elle poste ce cliché sur Face de truc, mes pieds vont devenir célèbres. Et dire qu'il y des types qui traversent des océans à la nage ou bien font des exploits pas possibles pour devenir célèbre. Moi, juste quelques secondes pour exposer mes pieds sales : célébrité assurée.


Où sommes nous ?

Il est temps de nous rendre à notre hébergement du jour chez Giorgio Coniglio, Georges Lapin pour les ignares en italien.

Sacrée montée pour rejoindre sa tanière. Non je ne moque pas de ce monsieur c'est vraiment le nom de l'agritorismo : la tana del coniglio (la tanière du lapin). Quand on porte un nom pas forcément facile, autant y aller à fond.

Sermoneta au loin

Du centre de Sermoneta, c'est à un kilomètre six cents, la montée est raide, mais la vue est exceptionnelle, le village de Sermoneta domine la vallée baignée par les derniers rayons de soleil. C'est top la Francigena !

Giorgio nous attend avec sa femme Annalisa et leurs trois clébards minuscules et fatigués, aboyant comme des dératés et totalement inoffensifs.

Aujourd'hui, nous passons d'une maison de maître à Cori à un espace sauvage où vaches, moutons, poules et autres bestiaux domestiques vivent en parfaite harmonie au milieu des oliviers et des huttes en bois réalisées par Monsieur Coniglio.

C'est top de chez top.

Ma cabane au latinium

Nos hôtes, comme à l'accoutumé sont adorables. Ce soir, nous dînerons dans cet agriturismo dont le carnet, laissé dans notre petite chambre mentionne que des "complimenti".

Ici, seules les cloches des vaches bercent nos oreilles, un petit air tiède assèche gentiment nos corps douchés, l'herbe sèche de la campagne assoiffée fleure bon. On entend les mouches voler et les moustiques prêts à se suicider pour se lancer sur nos peaux rougies par tant de lumière.

Après un repas copieux, Annalise, Giogio et leur fils viennent nous tenir compagnie, nous montrer toutes les photos prises des pèlerins en nous racontant leurs déboires avec l'administration italienne pour l'ouverture de leur agriturismo. Quelle soirée agréable, Annelise adore parler aux pèlerins et Giorgio son truc, c'est construire. Il a tout fait lui-même. Chapeau !

La famille Coniglio et nous. 
7

Date : 30 septembre 2023

Heure de départ : 8h15

Heure d'arrivée : 11h15

Temps : 3 heures

Distance : 10 kilomètres

Monsieur Coniglio, pouvez-vous améliorer un petit peu le matelas et le sommier ? Pour le reste rien à redire. Le décor naturel du lieu me fait penser au village gaulois, mais il manque Asterix et Obélix. Pour Idéfix, un des trois roquets pourrait bien faire l'affaire.

Annalisa, ponctuelle, se pointe avec quelques pains au chocolat, du café très serré, du beurre, de la confiote pas trop artisanale. Je comprends que pour eux la vie doit être rude et qu'ils ne vivent pas sur l'or. En effet, Giorgio travaille à vingt minutes en voiture comme responsable de la maintenance des machines de production de bouteilles de gaz ou d'oxygène en plus de la ferme, du camping, des tanières de lapins (nos cabanes en bois), des olives, des vaches, des poules, du jardin. Cet homme semble être partout et constamment affairé. Annalisa assure toute l'intendance, les garçons (trois fils), le beau-père et la belle-mère. Sacrée famille.

La tana del coniglio

Huit heures quinze, nous quittons avec un petit pincement au cœur cette femme charmante qui aime les gens et sa vie, même si elle reconnaît la dureté du quotidien. Cette année, ils ont eu une cinquantaine de pèlerins, pas suffisant pour vivre à trois. Les deux garçons, les plus âgés, font des études d'ingénierie et bossent en même temps. Le travail, c'est sacré comme la famille, nous l'avons ressenti toute la soirée pendant nos échanges enrichissants.

La descente vers Sezze

De la Tana del coniglio jusqu'à Sezze, étape du jour, seuls neuf kilomètres de marche. Nous avons conservé cette courte étape pour préparer nos jambes aux longues distances à parcourir dans quelques semaines.

Une route goudronnée en montée et sans circulation et pour cause, elle aboutit sur un chemin superbe flanqué à mi hauteur d'une colline boisée de pins parasols majestueux, d'oliviers épars, de broussailles séchées et de quelques vaches broutant en toute liberté. Nous marchons encore aujourd'hui sur les contreforts des monts Lépins que nous allons laisser bientôt pour d'autres chaînes semi montagneuses dans les jours à venir.

Nous traversons une garrigue dont les parfums rappellent la Provence, la caillasse d'origine calcaire servant de chemin n'est plus qu'un vaste charivari de mottes de terre et de petits rochers chamboulés par les fortes pluies torrentielles de l'année. Les vaches se frayent un chemin dans ce chaos naturel en nous dévisageant sans sourciller à notre passage. Nous maintenons cependant notre vigilance, car les petits veaux fuient à notre approche, il ne faudrait pas que maman vache nous prenne pour des toréadors. C'est le seul moment où nous avons consenti à accélérer notre rythme pour ne pas finir entre des cornes bien aiguisées.

Boutique locale

Quel plaisir de marcher au milieu de cette nature sauvage, certes, un peu sèche, odorante et musicale. Les grillons frottent leurs pattes pour nous jouer une symphonie pastorale désordonnée, mais ô combien entraînante.

Surprise : une paire de pompes de running et un sweat-shirt rose marqué "girl" bien exposé dans une vitrine naturelle. Quelle énergumène a pu abandonner des affaires dans cette campagne digne des paysages de Giono ? Je suis indigné par tant d'incivisme et de manque de respect de la nature. Ce n'est qu'un peu plus tard, après avoir marché plusieurs centaines de mètres que je me dis que j'aurais pu les récupérer et les jeter dans une benne à ordures à Sezze. J'ai manqué de spontanéité submergé par ma colère intérieure.

D'un autre côté, lorsque nous marchons le long des routes fréquentées par les voitures, nous constatons souvent tous les trois des tas de déchets jetés sciemment par les automobilistes. Des sacs à ordures pleins à craquer jonchent les routes ou les bas-côtés, il est difficile de détourner les yeux d'un tel désastre écologique. Dame Nature, un jour aura sa revanche, ce n'est qu'une question de temps.

Allez, je positive. Ces quelques moments ne sont que passagés, heureusement, car ils n'enlèvent rien au spectacle que nous offrent ces paysages grandioses en parfaite harmonie pour nous autres humains.

Sezze apparaît devant nous et comme d'habitude le village domine la vallée latine.

Juste avant la dernière montée du jour, nous conduisant au final de l'étape, un vieux monsieur nous fait un "Ciao". Caché par un devant de cabane en forme de paillote, il broie quelque chose avec un moulin électrique. Je lui fais signe et aussitôt, il me rend le signe en me priant d'approcher.

C'est Aldo, il mixe des mélanges de piments mexicains avec des piments italiens et un mélange d'huile et de vinaigre pour en faire des bocaux.

La conversation démarre sans qu'on ne mette une pièce dans le juke-box. Maçon retraité, il cultive son superbe jardin à côté de sa paillote qui elle-même se situe à côté de sa maison qu'il a construit tout seul pendant trois années, tout en travaillant à Rome. En effet, sa maison paraît énorme. De fait, il la loue en partie à ses petits-enfants et à sa fille.

Personnage très joyeux qui n'a pas sa langue dans sa poche, il nous offre à boire : bière et jus de fruits. A mon avis, c'est le prétexte pour s'enfiler une bière de plus, car il nous confie que pour la seule journée d'hier, pas moins de vingt canettes de bière ont traversé son gosier. "Ça fait cinquante ans que je suis saoul, je ne vais pas m'arrêter aujourd'hui". Ça se tient ! Enfin façon de parler car, à mon avis, il ne tenait plus debout en fin de journée. Pour information, il n'était que dix heures trente du matin.

Aldo et les 3 pèlerins

Il en profite pour nous montrer une partie de sa production et des variétés de produits qu'il confectionne et qu'il vend aux épiceries du coin.

La Francigena, c'est les rencontres, la spontanéité, les échanges impromptus, l'envie de partager. Que la vie pourrait être simple !

Arrivés à Sezze, nous nous dirigeons au point zéro de l'étape, situé évidemment à l'église principale. D'après le guide la spécialité du lieu, c'est l'artichaut, hors à part les quelques pièces plantées par Aldo, le maçon amateur de bières, pas de trace d'artichauts dans la ville ou les alentours. Il y a quand même la fête de l'artichaut célébrée le dimanche avant le vingt-cinq avril de chaque année. Ici, l'artichaut est protégé par une appellation : l'artichaut Romanesco de Lazio. Pendant la fête de l'Artichaut, des plats à base d'artichauts uniquement comme le ragoût d'artichauts, les artichauts juifs romains, les artichauts frits, les artichauts farcis sont servis dans les restaurants de la ville. A défaut d'avoir un cœur d'artichaut, les sezzéains doivent avoir les reins bien drainés vu les quantités qu'ils ingurgitent en une seule année.

D'après la légende, le fondateur mythique de la ville serait Hercule après sa victoire contre les Lestrigones, géants cannibales vivant dans le sud du Latium. Évidemment pas de trace d'Hercule, ni de Lestrigones pour l'instant, mais je ne désespère pas.

Sezze pas top.
8

Date : 1er octobre 2023

Heure de départ : 6h35

Heure d'arrivée : 12h40

Temps de marche : 6h05

Distance : 22.21 kilomètres

L’abbaye de Fossanova est passée dans l’histoire comme étant le lieu où mourut saint Thomas d'Aquin, le 7 mars 1274. Bien que malade, le saint dominicain quitta son couvent de Naples pour se rendre à Lyon où le pape Grégoire X avait convoqué un important concile. Son état empirant, saint Thomas, interrompit quelques jours son voyage chez des parents, dans la région d’Aquino. Sentant la mort approcher, il demanda qu’on le conduise dans un couvent, car il désirait mourir dans une maison religieuse. La plus proche étant l’abbaye de Fossanova que nous ne manquerons pas de nous présenter pour avoir notre "timbro" quotidien. Timbro : tampon sur la crédenciale, preuve de notre passage.

Six heures trente-cinq, nous sommes prêts pour cette étape de distance moyenne dont le tracé quitte progressivement les monts Lépins.

Le bourg de Sezze s'étale sur toute une colline surplombant la vallée de Latina. Nous traversons la ville par le haut en cheminant sur le bas-côté de la chaussée. Rafraîchis par une brise matinale venant du fond de la plaine, un premier sentier longe le versant déjà un peu ensoleillé, la journée sera chaude. Comme sur les premiers chemins empruntés, la nature y est sèche et piquante. Je prends garde à mes pieds bien ancrés dans les sandales pour ne pas me frotter avec les épineux, c'est le prix à payer lorsqu'on a les pieds à l'air.

Au loin Sezze

Le sentier, encombré de cailloux et de terre suit une pente douce encombrée rendant la descente difficile, un œil au paysage naissant sous le soleil, un œil au sentier chaotique, nous progressons lentement. Il est bon de marcher à la fraîche sans se soucier de rien, juste marcher, suivre les nombreuses indications du chemin, découvrir à chaque tournant un nouveau paysage, une nouvelle lumière, des senteurs plus ou moins fortes.

Nous voilà sur la partie plate de l'étape, un chemin de gravillons serpente entre les terrains agricoles et les bâtisses de ferme, les monts Lépins disparaissent peu à peu derrière nous, d'autres, sont déjà devant nous, mais dont le nom nous est, pour l'instant, inconnu.

A l'horizon le village de Priverno perché sur une colline moins haute que celles que nous avons gravis ces derniers jours. Dans l'Antiquité, Privernum était une ville des Volsques, dont on connaît l'un des rois légendaires, Métabus, allié de Turnus contre Énée, dans l'Énéide de Virgile. Je vois que je suis totalement ignare en histoire sur l'Italie, sur Virgile et compagnie.

C'est dimanche, nous devons nous ravitailler pour ce soir. Il est onze heures, une supérette, ouverte à l'entrée du village fera l'affaire. Les courses, expédiées en deux-deux, il nous faut maintenant notre cappucino addictif. Il ne manque pas de bars dans la rue principale de ce bourg médiéval. Installés sur la terrasse, nous dégustons notre nectar religieusement alors que les clients semblent presque étonnés par notre présence.

Priverno

Plus que sept kilomètres de plaine harassante à cause des rayons du soleil, présents tous les jours depuis notre départ il y a presque une semaine. Nous suivons une rivière à la couleur douteuse, c'est le fiume Amaseno, l'eau y est stagnante, mais il y en a tout de même. Les collines alentours, peintes en jaune laissent apparaître l'absence de pluie depuis des mois. Ici, les récoltes ne sont pas arrosées dans la journée, l'eau devient un bien précieux. Nous croisons une famille en plein préparatif d'un pique-nique au bord de l'eau, tout y est, même les cannes à pêche. Je ne me risquerais pas à manger le poisson barbotant de cette eau saumâtre.

Pas d'ombre, de la ligne droite, une petite brise venue de la mer, nous traçons vers l'abbaye de Fossanova, étape du jour.

Chaud, chaud, chaud

Encore trois kilomètres avant l'abbaye. Entre nos silences presque religieux et nos bavardages en duo ou en trio, le temps passe vite et, malgré la chaleur, nous filons à vive allure.

La classe ! Cette abbaye, toute blanche, épurée, majestueuse au milieu de la plaine.

Nous entrons dans l'église. Damned un mariage ! Pas de bol, pour nous, évidemment. La célébration n'en est qu'au début. Visite du cloître, de la chapelle de Saint Thomas d'Aquin, vraiment top l'édifice. Il a fait un bon choix pour trépasser le saint Thomas.

L'abbaye de Fossanova

Déjeuner rapide sur le bord du muret de l'abbaye. Notre visite sera écourtée, car il est difficile de visiter l'église en pleine cérémonie.Notre hébergement n'est qu'à deux kilomètres, même sous la chaleur nous préférons le repos d'une sieste dans notre cinq étoiles du jour.Pas de timbro aujourd'hui, ni à l'abbaye ni chez notre hôte. Il y a des jours sans.

Et pourquoi pas ?
9

Date : 2 octobre 2023

Heure de départ : 6h 45

Heure d'arrivée : 11h45

Temps de marche : 5h00

Distance : 21.6 kilomètres

Césaire de Terracina est le premier martyr chrétien de la ville. D'autres suivront... Le portique de la cathédrale actuelle conserve une cuve dans laquelle plusieurs fidèles auraient été noyés. C'est pour cette raison que nous choisissons d'aller à San Felice Circeo et si vous me croyez sur parole alors je vais vous raconter la journée de cette étape, je peux le dire sans détour carrément chia*te.

Nous laissons notre cinq étoiles dans une luminosité entre chien et loup ; un air frisquet annonce ce matin que l'automne s'installe même si dans la journée les températures crament nos têtes protégées et nos bras en mouvement.

D'après le tracé, le parcours sera quasi totalement en lignes droites. Sur notre droite, la plaine de la Via Appia, totalement recouverte de bitume et sur notre gauche des SP, strada provinciale, peu carrossées, car étroites et mal entretenues.

L'avantage de ce type de parcours, c'est qu'il est roulant, peu fatigant, on peut parler sans trop se préoccuper des passages de véhicules ou bien bâiller aux corneilles si on n'a pas l'âme bavarde ou si on ressent un besoin de solitude passagère.

Platitude, c'est le mot du jour et dans tous les sens du terme. Zéro dénivelé et zéro intérêt. Pour le dénivelé, je ne vais pas me plaindre, ça fait du bien d'économiser son énergie, de temps à autre, tout en faisant une activité sportive. Côté intérêt, l'ennui peut vite prendre le dessus et là : bâillements sur bâillements pendant que votre esprit cherche quelque chose à se mettre sous la dent. Un mot qui revient sans cesse à votre mental, une image qui défile dans votre ciboulot, une scène qui vous a marqué, bref, vous n'êtes plus dans l'instant présent. Une voiture qui débaroule ou un bruit plus fort que les autres vous ramène à vous-même. Petit coup d'œil à la montre GPS, quelques kilomètres ont été parcouru sans s'en apercevoir.

Nous marchons d'un bon pas sur cette ligne droite sans intérêt lorsque nous sommes interpellés par une mamie assise sur le bas-côté de la petite chaussée en compagnie de son mari et deux autres dames.

"Tutto aposto", tout va bien, nous demande la mamie qui nous propose café, petit biscuits et une quelconque aide ? Bien sûr, nous engageons la conversation.

Ramasseurs d'asperges 

Et les échanges s'engagent. Aux habituels, d'où venez-vous, s'ajoute, bien sûr, où allez-vous et autres questions sur la nationalité.

Comme nous sommes français, la mamie nous raconte que son fils travaille chez Giorgio Armani à Manhattan, mais qu'il a bossé à Milan et à Paris pendant un an.

Ces quatre-là prenaient leur colazione assis sur des cageots, après le ramassage d'asperges. Travail harassant, car le dos courbé, il faut couper les tiges bien longues.

Je ne suis pas certain que nous aurions eu le même accueil en France. Presque tous les jours, un automobiliste, un cycliste, une mamie ou un papi à la fenêtre ou dans le jardin prend le temps de nous dire bonjour, de nous demander si tout va bien, si on a besoin d'une aide. Il y en a même qui donne une orange alors qu'ils étaient en voiture. En voyant Guylaine, un couple en voiture s'arrête, tape la conversation, lui propose de l'amener jusqu'à un bar (puisque Guylaine voulait boire quelque chose de frais) et finalement lui offre une orange.

Même les "carabinieri", dans leur Alfa Roméo impeccable ont salué Guylaine alors qu'elle marchait, un peu isolée derrière nous. Faut-il encore d'autres démonstrations pour dire qu'ils sont vraiment au top ces italiens.

Culture de bof ?

Parlons un peu du pseudo-chemin même s'il n'y a rien à dire ou à voir. D'un côté, à gauche, une grande colline où des rochers ne cessent de se décrocher, conséquence, la voie ferrée longeant la colline a été entièrement abandonnée malgré des protections grillagées de fortune. A droite, la plaine du Latium à perte de vue avec une multitude d'exploitations agricoles : courgettes, aubergines, des bidules qui ressemblent à des concombres, de la vigne et bien d'autres "verde" comme ils disent.

Le seul chemin du jour

Plus que trois kilomètres avant Terracina et comme d'habitude, je sors mon "telefonino" pour repérer l'hébergement.

Surprise, notre Rbnb du jour se situe à quinze kilomètres de Terracina, et même pas du bon côté. Il nous faut aller à San Felice Circeo, trente minutes en bus, trois heures à pied. Bon, je ne vous fais pas un dessin, ça sera le bus. Chance, il y en a un dans quarante-cinq minutes et juste devant la gare ferroviaire où nous sommes arrivés.

L'accueil dans le Rbnb fut vite expédié par l'hôtesse pomponnée comme si elle allait à une cérémonie religieuse.

Nous pourrons reprendre un bus demain matin à six heures à l'arrêt situé à cent cinquante mètres de notre maison privative.

Quoi de beau à voir à San Felice Circeo ? Mise à part la découverte de la grotte Guattari sur un versant du Mont Circé qui donna le nom à la ville, contenant les restes de dix Néandertaliens, des os de rhinocéros, des fragments de hyènes, des trompes d'éléphant et des ours même pas en peluche, il n'y a que des plages privées, des palaces fermés et personne dans les rues. Vive les coins rustres et sauvages loin de ce trou à touristes.

Plage de San Felice Circeo
10

Date : 3 octobre 2023

Heure de départ : 6h00 puis 6h45

Heure d'arrivée : 13h45

Temps de marche : 7h00

Distance : 20.3 kilomètres

Lever à cinq heures quinze, mon erreur de lieu d'hébergement nous oblige à reprendre le bus pour Terracina aux aurores. Pile à six heures, le chauffeur démarre l'engin avec quelques lycéennes et lycéens matinaux à bord et trois pèlerins fins prêts pour l'étape du jour.

Il est six heures trente et une, la gare ferroviaire de Terracina éclairée par les lampadaires se dresse devant nous. Déjà, au dopolavoro de la gare, des cheminots bavards sirotent leur café bien serré assis la clope au bec tout en jargonnant dans un dialecte incompréhensible.

Hier, le repas fut vite expédié, car aucun restaurant n'était ouvert dans ce nid à touristes à conseiller pour les pèlerins. Nous nous sommes contentés de parts de calzone aux anchois, olives et épinards, très bon, mais trop salées pour nous.

Terracina s'éveille lentement, aucun bar n'est ouvert, ni même une petite boutique pour grignoter une viennoiserie même industrielle. Niente.

Bon, pour le petit-déjeuner, on repassera.

Petite visite de la place centrale historique où les bars n'affichent aucune lumière ou signe d'ouverture. Pour le petit-déjeuner, c'est mort et vraiment mort pour aujourd'hui.

Grimpette au plus haut de la cité, en effet la Francigena traverse la ville de part en part, mais par la partie haute. La pente est rude, l'air déjà très chaud, toutes les conditions sont réunies pour une étape difficile.

Au sommet de la colline, la route devient un sentier large, c'est, en fait la Via Appia, car nous marchons de temps à autre sur les pavés gris parfaitement posés par les esclaves romains il y a plusieurs siècles. Que deviendront nos autoroutes dans mille ou deux mille ans ? Je n'ai pas de réponse, mais elles n'auront pas cette belle allure. Ces dalles pierreuses, parfaitement ajustées au centimètre près sur de centaines de kilomètres rivalisent, avec notre goudron qui au moindre soleil devient une véritable une chique molle.

La Via Appia nous rend la marche plus facile. Sur notre droite et derrière nous, Terracina disparaît derrière la colline que nous avons gravie non sans difficulté. Nous plongeons dans une autre vallée très large, constellée de serres agricoles et un lac très découpé en forme de feuille de chêne. Le soleil écrase par ses rayons ardents toute la vallée fruitière où citronniers, orangers et pamplemoussiers prospèrent certainement depuis des siècles.

Comme pour toutes les descentes, nous avons l'impression de bien avancer. En fait, pas trop. La première montée fut raide et maintenant, au bout de cette descente au paysage splendide nous attend une autre montée de trois cents mètres. Je peux dire que nous passons du chemin des dieux au chemin de l'enfer.

Pente très raide, caillasses mouvantes, épineux bien trop près de nous, végétation abondante et sèche. Il est neuf heures trente, en plein cagnard, nous devons crapahuter ce flanc de colline et probablement contourner par le haut une ancienne carrière désaffectée qui pour l'instant me semble très loin de nous.

Nous n'avons pas le choix, la Francigena, c'est du bonheur. Lentement, l'ascension serpente sur le versant ensoleillé de cette colline sèche. Les cailloux roulent sous nos pieds pendant que les gouttes de sueur glissent sur nos tempes surchauffées. Gorgées après gorgées tirées de nos camel-back, nous nous hissons lentement au-dessus cette nouvelle plaine, le lac paisible à nos pieds. Quelques passages nous obligent à nous servir de nos mains pour les franchir, les bâtons de marche deviennent des obstacles, il faut donc redoubler de vigilance pour ne pas se prendre les pieds dans l'un d'eux et culbuter dans les broussailles aux épines bien sympathiques.

Lago di Fondi

Petites pauses tous les cinquante mètres à cause de la pente très prononcée et d'une stabilité incertaine. Nous atteignons la partie la plus haute juste au-dessus de la carrière désaffectée. De grands grillages barrent le côté droit du chemin sur plusieurs centaines de mètres afin de protéger les marcheurs et les animaux sauvages d'un possible vol plané si quelqu'un venait à dévier de la trace par inadvertance.

Bon, maintenant, il reste la descente. Pas top, non plus. Escarpée, glissante à souhait, à cause des feuilles mortes qui tapissent le sentier, il ne faut surtout pas glisser sous peine d’atterrissage forcé dans les taillis piquants prêts à vous écorcher à vif sadiquement comme à l'époque romaine lors des combats de gladiateurs dans les arènes impériales.

Monte San Biagio

Elle n'en finissait plus cette descente mais nous voilà au bout sur une route provinciale. Alors que nous avons affronté pas mal de difficultés dans cette caillasse sous un soleil omniprésent, voilà qu'il faut à présent être vigilant à la circulation. Nous avons rejoins une SP, strada provinciale, bien fréquentée et sans protection latérale. Au bout de deux kilomètres, nous prenons une voie agricole fréquentée par quelques tracteurs inoffensifs.

Monte San Biagio, cité encore historique se dresse devant nous au sommet d'une belle colline. Nous n'aurons pas à la traverser par le haut mais par le bas.

Il est onze heures, toujours rien dans le ventre, je repère un bar et un supermarché à deux cents mètres hors du chemin. Ventre affamé n'a pas peur de marcher, même en plein sauna solaire.

Bienvenue ce bar malgré une musique trop bruyante. Partout dans les bars où nous étanchons notre soif et reposons nos gambettes fatiguées, des flots de musiques et de chansons fracassantes dépassent les niveaux sonores des clients bavards. Pas des chansons douces et apaisantes comme souhaiterait tout bon pèlerin qui se respecte. Pas du tout, ils ne chantent pas, ils éructent de longs refrains, ils vocifèrent à n'en plus finir. Dommage, on serait bien restés plus longtemps, mais nos oreilles devenues sensibles nous supplient de quitter les lieux tout de go.

Presque au monastère

Quatre kilomètres nous séparent du bonheur, le monastère de San Magno. Petit coup de fil à l'hôtesse comme convenu une heure avant notre arrivée. Tout est ok. Nous voilà devant l'entrée de ce monastère majestueux, encore quelques mètres et l'étape du jour sera finalement bouclée.

Petite histoire du lieu. En 847, lors du sac de la ville de Fondi, très proche du monastère, le capitaine Plato de Veroli pille les reliques de San Magnus, probablement mise quelque part dans ce bel édifice, et les a déménagées dans une église de Sant'Andrea à Veroli. Enfin, déménagées, n'est pas le mot approprié. Il les a carrément chouravées au monastère pour les planquer dans un autre édifice religieux de sa ville.

Monastère San Magno

Alors que le saint Magnus pensait être bien pépère dans sa tombe dans un coin tranquille du monastère après une vie bien remplie de foi et de prières, le voilà qu'il voyage malgré lui et peut-être même pas tout entier. Sacré capitaine Plato de Veroli. Visite du monastère, où ce soir, nous serons les seuls pèlerins et résidents du lieu saint.Francesco, le laïque, maçon et Saint homme nous montre l'édifice au moment de sa réhabilitation il y a 15 années, il y a participé très activement, peut-être même, était-il l'instigateur ? Un travail colossal en voyant les ruines de ce magnifique lieu de prières et de retraites religieuses et spirituelles.

Monastero San Magnus
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Date : 4 octobre 2023

Heure de départ : 6h45

Heure d'arrivée : 13h15

Temps de marche : 7h15

Distance : 20.66 km

En arrivant à Itri, je suis étonné de lire sur une affiche, Itri musée des brigands. Après renseignement, en effet, un célèbre mafieux nommé François Spirito (1900-1967) naquit en ce lieu historique. Les personnages du film Borsalino, tiré du livre "Bandits à Marseille" d'Eugène Saccomano, avec Alain Delon et Jean-Paul Belmondo dans les rôles principaux, sont inspirés de l'histoire de Carbone et Spirito.

Mais avant d'arriver dans ce coin mafioso, je vous raconte notre petit périple du jour.

Nous quittons le monastère avec tristesse, nous y serions bien restés un jour de plus, mais nous devons respecter un planning, les réservations des hébergements étant faites.

Nous rejoignons Fondi, gros bourg à cinq kilomètres de notre havre de paix par une route très fréquentée. C'est l'heure des allées venues des voitures pour l'école ou le boulot. Oui, pendant que certains marchent d'autres bossent.

Fondi

Arrivés sur la spacieuse place principale, notre regard se porte sur les beaux édifices médiévaux de la ville. Visite rapide de l'église Saint Honorato puis, sans transition, direction notre dose de cappucinos et viennoiseries dans un grand café flanqué au pied du mur de fortification de la ville. Assis en terrasse, la vue sur ces vieilles bâtisses nous ramènent à cette période riche en histoire et évènements.

L'étape du jour n'est que de vingt kilomètres environ avec une montée qui sera la Via Appia et comme les romains ont bien fait les choses, je sais qu'elle sera agréable et optimisée quant à son dénivelé.

Autour de nous, ce sont les monts Aurunci, groupe de petites montagnes proches de la frontière avec la Campanie, elles sont situées entre la vallée du Rio Ausente et le fleuve Garigliano. D'apparence sèches et peu arborées, elles dominent la vallée où serpente la Via Appia que nous prenons avec un plaisir toujours renouvelé.

Aujourd'hui, notre sujet de discussion fut, pour quelques instants, le dépouillement et la simplicité de vie pendant un périple de plusieurs semaines. Six kilos sur le dos, c'est tout ce dont nous avons besoin pour nos trajets et notre vie quotidienne. Ne rien posséder ou n'avoir que l'essentiel avec nous permet de se détacher des choses matérielles, et ainsi d'accéder à une certaine liberté pour se déplacer, mais aussi libérer l'esprit des pensées envahissantes et répétitives.

En philosophie, il est dit que l'avoir épuise l'être et les possessions finissent par nous posséder. Si vous êtes randonneur ou pèlerin, c'est une évidence. Un long périple à pied vous permet une fois revenu de remettre en question votre quotidien.

A ce propos, on raconte que Diogène, à la vue d’un enfant qui buvait avec sa main, jeta son écuelle de colère. Même lui n'avait pas pensé qu'une écuelle, c'était de trop.

Bon, je m'égare, revenons à notre étape.

Comme hier nous en avons bavé des ronds de chapeau et aujourd'hui, c'est du pipi de chatons. Trop facile. Il a fallu ralentir pour ne pas arriver trop tôt à l'hébergement. Ne pensez pas que les jambes sont faites, il faudra encore une semaine ou deux de marche et une ou deux centaines de kilomètres à parcourir, mais c'est en bonne voie.

La Via Appia

Après Fondi, légère montée au milieu des oliviers et des cultures potagères. Près de nous, la route provinciale à une centaine de mètres, gêne notre soif de calme et de contemplation des monts Aurunci avoisinants. Il nous faudra encore quelques semaines avant de pouvoir s'imprégner sans embarras du paysage exposé aux tourments et aux frénésies de la vie dite moderne.

Nous multiplions les pauses casse-croûte de figues : des blanches, des jaunes, des noires, des molles, des bien sucrées. On ne sait pas s'arrêter de manger. Il suffit de tendre le bras sur notre passage pour s'en mettre plein la panse. A ce rythme-là, on n'est pas près pour perdre des kilos.

Descente sur Itri, ville médiévale supplantée d'une forteresse impressionnante dominant la ville, longue rue bordée de magasins et de bâtisses anciennes aux portes en bois quelquefois bien sculptées.

Sur une petite place, au cœur de la ville des brigands, nous finissons notre gamelle de pâtes aux champignons, tomates et épices d'hier soir. Avant notre pique-nique improvisé, un monsieur, ancien militaire et aujourd'hui architecte nous interpelle sur notre destination. Amoureux de l'art cistercien, il compte faire Compostelle l'année prochaine. Toujours ces rencontres, comme cela, à l'improviste.

Alors que nous finissions de manger notre pastasciutta, un groupe d'adolescents sortant d'un gymnase proche, passe devant nous en donnant quelques œillades, un peu gênés, dans notre direction. Peut-être que pour eux l'incarnation du dépouillement, c'était nous.

Itri
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Date : 5 octobre 2023

Heure de départ : 6h45

Heure d'arrivée : 14h30

Temps de marche : 7h45

Distance : 24 kilomètres avec détour à Gaeta

Cicéron fut assassiné à Formia, il est l'héritier d'une triple tradition : sceptique, stoïcienne et platonicienne. Comme les premiers, il récuse une quelconque certitude concernant le divin, défendant au contraire l'idée d'une « religion dans les limites de la simple raison » (De natura deorum) et combattant la superstition. A l'entrée de Formia, sur le panneau de la ville, l'inscription "Formia, cité de Cicéron" y est inscrite en gros caractères. La ville où il fut trucidé en fait sa publicité. Itri, c'étaient les brigands, Formia, c'est l'assassinat de Cicéron, homme d'État romain et brillant orateur.

Mais je vais vous conter comment nous y sommes arrivés depuis Itri.

A quelques centaines de mètres de notre hébergement, un bar très animé nous tend la main pour les cappucinos et les croissants saupoudrés de sucre glace. Il est sept heures, nous crapahutons par une route fréquentée, nous tirons des bords à chaque tournant pour ne pas finir comme les hérissons moins chanceux que nous. Nous devons marcher avec vigilance jusqu'à une autre route goudronnée, mais sans circulation.

Autour de nous, des collines séchées avec peu d'arbustes, des zones brûlées se dessinent ça et là, témoignage d'un début d'incendie maîtrisé par les vigili del fuoco. Les chiens aboient et la petite caravane de pèlerins passent sans détourner la tête. Pas de rencontre pour l'instant, l'Italie paraît trop affairée ce matin. Trois cents mètres de montée seront notre maximum pour cette étape nous menant à la mer. Vers dix heures, nous sommes à Gaeta, cité historique et haut lieu touristique, car on y trouve des cartes postales du coin, c'est vous dire !

Gaeta

Nous avons le temps de faire un détour par le centre historique à un kilomètre et demi de notre tracé. Nous longeons lungo mare jusqu'à l'église San Francesco d'Assisi, superbe édifice juché sur un promontoire dominant la mer bleue, bien colorée aujourd'hui.

Nous prenons notre courage à deux pieds pour gravir les centaines de marche menant jusqu'à cette immense bâtisse, en passant dans des ruelles étroites et ombragées. Marche après marche, nous voilà presque devant ce saint lieu dont la façade rose coupe le fronton en deux parties. Saint François d'Assise vécu à Gaeta en 1222, cette église qui lui est dédiée, en est le plus grand témoignage, construction achevée vers le XIVième siècle.

Sur le chemin de la montée, un vieux prêtre avec une canne, marche lentement en venant vers nous. Lorsqu'il se trouve à notre hauteur, je lui demande si on peut la visiter : "elle n'ouvre que le dimanche" me répond-il sans marquer d'arrêt, de peur, sans doute, de ne plus pouvoir redémarrer malgré une descente bien prononcée.

Nous remballons notre courage pour faire demi-tour vers la ville où une deuxième église surmonte tous les immeubles alentour. Chuiso, closed, fermée elle aussi.

Même le bon Dieu fuit la basse saison touristique, nous reprenons notre camino. Tant pis pour Gaeta, en route pour Formia.

Ciaò Don Camillo !

Nous longeons le bord de mer bordé à gauche de boutiques bourrées d'articles de plage et à droite des chantiers navals et des clubs de pêche qui s'enfilent les uns derrière les autres à perte de vue. Finalement, entre Gaeta et Formia, il n'y a pas de séparation évidente entre les deux cités, nous avons l'impression de ne pas avoir quitté Gaeta.

Entre Gaeta et Formia 

Aujourd'hui, pas de sujet philosophique ni religieux ni de bien-être personnel entre nous, nous marchons, c'est tout. Peut-être que le paysage ne s'y prête pas. Il est certain que le bord de mer est en soi pas très apaisant sur la côte italienne. Des véhicules y circulent sans interruption, les chantiers navals apportent leur lot de tapages métalliques, les Vespa bourdonnent telles de grosses guêpes mécaniques. Nos oreilles, sollicitées de toute part, n'aspirent qu'au silence et à la douceur de l'instant. Qu'il est déjà loin le monastère de San Magno ! Allons-nous retrouver un lieu aussi hospitalier et harmonieux que ce monastère sur le reste de notre camino ?

Demain sera notre dernière étape en bord de mer jusqu'à Minturno puis nous couperons l'Italie en deux dans le sens ouest-est avec une légèreté inclinaison vers le sud. Nous retrouverons, je l'espère, l'harmonie des paysages sauvages et magnifiques de l'intérieur des terres ancestrales où la quiétude et le silence y règnent depuis des siècles. Nous passerons tels des pèlerins soucieux et respectueux des lieux séculaires, en chuchotant nos paroles et en faisant taire nos esprits de plus en plus libérés.

Entrée de Formia 
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Date : 6 octobre 2023

Heure de départ : 7h00

Heure arrivée : 12h45

Temps de marche : 5h45

Distance : 20 kilomètres

Le rituel du rangement du sac semble rodé, chaque chose à sa place dans un sac de couleur. Trois sacs étanches à fermeture rapide, un pour les habits et le couchage (sac à viande en soie de 150 grammes), un sac pour les médicaments de base, un sac pour l'électronique (câbles, prise électrique italienne, écouteurs et autres petits accessoires). Une petite boîte étanche pour les restes de bouffe, le guide en italien, un livre, une frontale, en cas de marche de nuit, des tongs, un camel-back, bref à peine cinq kilos, sac à dos compris.

Je laisse les clés de notre logement au gardien de l'école de navigation où nous avait reçu Laeticia hier en arrivant à Formia.

Le chemin, ou plutôt la route, suit le bord de mer pendant pratiquement toute l'étape. Qui dit route, dit circulation. Dix kilomètres à bouffer des particules de dioxyde de carbone, de klaxons stridents, des croisements de rues sans feux tricolores. C'est bien ce que je me disais hier, pas terrible l'étape d'aujourd'hui.

Pour rattraper un peu cette première partie sonore de notre étape, le soleil apparaît à l'horizon telle une boule de feu orangée virant au rouge vif renvoyant une image carte postale du lieu.

En principe, les bords de mer devraient dessiner dans nos esprits une image d'éden ou de havre de paix. Tout faux. Voitures, camions, Vespa, vélos électriques gros comme des motos, des motos aussi, bien sûr, le tout à touche-touche. Nous sommes vendredi, les italiens bossent tôt et les vacances paraissent déjà bien loin.

Comme le camino n'a aucun dénivelé, notre allure entre Formia et Minturno sera constante. C'est à peu près le seul avantage de ce type d'étape.

Dix kilomètres après notre départ, la Francigena s'écarte d'un chouïa de la route trop fréquentée. Le paysage ne casse pas trois pattes à un canard, mais au moins, je peux dire que le calme règne sur ce passage à l'écart du flux des automobiles. La petite rue serpente entre des jardins potagers, des petites résidences et un bout de forêt planté sur une petite colline sur laquelle une tour joue à cache-cache avec la nature. C'est pas terrible, mais au moins, on peut marcher peinards.

Mes oreilles encore bourdonnantes n'arrêtent pas de me remercier pour avoir pris cette portion du camino. Je leur rétorque que je n'y suis pour rien, la Francigena est ainsi.

Ménage sur la plage.

Presque douze kilomètres que l'on marche d'un bon pas, il est temps de dégotter un bar ou n'importe quoi d'autre qui sert des cappucinos. Guylaine interpelle deux carabiniers sur notre passage avant qu'ils ne s'engouffrent dans leur Alfa Roméo noire à l'allure bien sportive. "A cinquante mètres, il y en a un.". "Grazie, on y va".

Avant d'arriver au bar en bord de plage, mon regard se fixe sur une scène étrange, juste sous mes yeux. La plage presque vide, est occupée par un monsieur avec un parasol et deux chaises de plage. Si vous étiez dans la même situation, que feriez-vous vous à onze heures du matin avec votre attirail de futur plagiste. Sans doute de la lecture ou de l'observation des alentours assis sur une chaise de plage dernier cri ou quelque chose comme cela. Lui, pas du tout. J'avais oublié volontairement de vous dire qu'il avait amené entre autres attirails : une balayette.

Que peut-on faire d'une balayette sur une plage, et bien ? Balayer. Et balayer quoi ? Et bien, le sable. Je vous jure, il balaye le sable autour de lui. Pour faire propre peut-être ou bien, il ne supporte pas les minies dunes de sable autour de son espace occupé par son parasol et ses deux chaises. Dire que, peut-être, il a un grain serait osé, mais je ne suis pas loin de le penser. Donc, pour les prochaines vacances à la plage, prenez votre balayette ou carrément un balai si vous ne voulez pas vous baisser. Pas l'aspirateur, il risque de rendre l'âme en deux-deux.

Moi qui pensais m'ennuyer sur ce tronçon, j'étais servi.

Pendant notre pause, petit coup d'œil sur le trajet. Nous avons intérêt à aller directement à notre hébergement à quatre kilomètres du bar où nous sommes.

Aller au bout de l'étape, nous obligerait à faire quatre kilomètres de plus et à refaire ces quatre kilomètres en plus pour demain. Donc, on bifurque.

Passage par la poste et une banque pour les pépètes qui fondent comme neige au soleil. Et du soleil, il y en a, mais pas de la neige.

Une petite parenthèse, si vous devez aller à la poste en Italie, prenez un jour de congé. Mais comme vous êtes en congé, prévoyez un jour de plus pour vos vacances. De plus, si vous demandez un timbre pour la France, voici la réponse de la guichetière : "Ici, personne n'envoie des cartes postales à l'étranger". Donc, n'envoyer pas de cartes postales de votre lieu de villégiature, mais prévoyez une balayette tout de même.

Plus que quatre kilomètres avant notre Rbnb du jour. Pour cela, un peu de montée s'impose jusqu'au village de Minturno. Ce diable de village se perche au sommet de la colline au-dessus de la ville de Scauri en bord de mer.

Sacrée montée, ça nous change de ce matin, mais au moins, on voit quelque chose du paysage que venons de traverser. Douze heures quarante-cinq, nous voilà arrivés, reçus par Lia, au petit soin pour nous. Notre petit trio suit sagement Lia dans son appartement. Elle vit au rez-de-chaussée et les chambres sont à l'étage. Pour y accéder, nous devons passer par une salle à manger. Et là, c'est du très lourd. Comment dire, nous changeons de monde ou de planète ou tout simplement d'atmosphère. Du jamais-vu ! Mais où a t'elle pu acheter ses meubles de salon salle à manger. Un mystère ? Déjà, il faut en avoir l'idée et ensuite le goût et enfin se poser la question : n'est-ce pas un peu too much ? Cela, ne va-t-il pas se démoder trop vite ?

Guylaine dans la bonbonnière

Une vraie bonbonnière et vous n'en voyez qu'une petite partie. Tout l'appartement est ainsi décoré. Tasses, sous-tasses, bibelots, cafetières, théières, petits oiseaux de décoration, des trucs que je n'imaginais même pas que ça puisse exister. Tout est dans ses armoires vitrées. Un vrai musée du kitsch. Désolé, je suis un peu moqueur, mais ça n'enlève rien au bel accueil et à la gentillesse de Lia.

Assis sur la place de Rome de Minturno, nous attendons avec impatience le coucher du soleil. Il est dix-huit heures vingt, la boule en feu d'un rouge presque couleur sang glisse délicatement derrière l'horizon. D'habitude, le soleil a rendez-vous avec la lune d'après Charles Trenet, ce soir, il avait rencard avec l'épaule de la montagne.

Depuis la place de Rome à Minturno
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Date : 7 octobre 2023

Heure de départ : 7h00

Heure d'arrivée : 14h30

Temps : 7h30

Distance parcourue : 25.6 kilomètres

Nous quittons la bonbonnière un peu avant sept heures, la nuit touche à sa fin, le ciel à l'est resplendit d'une belle couleur rouge, Minturno s'éveille lentement et nous aussi.

Nous devons rejoindre le camino. En effet, la bonbonnière esquive de quelques kilomètres le tracé officiel. Avec Garmin Connect, nous avons pu créer un tracé optimum pour rejoindre la Francigena à San Damiano au fond de la vallée.

Minturno

Le chemin de rattrapage démarre par un chemin de terre après quelques centaines de mètres sur le bitume. Des oliviers, des oliviers et encore des oliviers nous ouvrent le passage, tous chargés du fruit divin bientôt transformé en liquide tout aussi divin. Quelques tirs répétés de chasseurs se mêlent aux aboiements rauques et pathétiques des chiens gardiens du territoire des maîtres. Le chien, pour le randonneur portant bâton demeure le pire ennemi. Il y a ceux qui aboient, mais qui s'échappent tout en aboyant, ceux qui aboient et qui voudraient bien se faire un mollet bien musclé d'un "pellegrino" poussiéreux et, enfin, ceux qui n'aboient pas mais qui montrent leurs dents et toute leur animosité à notre égard. Les pires sont ceux des bergers, les patous, mais pour l'instant nous n'en croisons pas. Par contre cela défendent leur territoire et le troupeau d'un éventuel prédateur. Sauf que pour lui, humain inoffensif ou bestiaux à quatre pattes, c'est du pareil au même.

Nous rejoignons la Francigena comme prévu après cinq kilomètres et huit cents mètres de détour sous un soleil bien présent. Ce bout de chemin ne rallonge pas l'étape du jour de vingt-cinq kilomètres.

Des odeurs de vaches en pâture viennent me chatouiller le nez devenu, comme à chaque fois après plusieurs jours de marche, plus sensible aux émanations environnantes qu'elles soient plaisantes ou carrément repoussantes. Ces effluves bovines représentent pour moi ma madeleine de Proust et me plongent maintenant plus d'un demi-siècle en arrière lorsque j'allais garder les vaches chez mon oncle en Italie.

San Damiano, bourgade sans chic, étalée sans vergogne le long de la route principale sur plusieurs kilomètres, n'en finit plus de s'étirer. Nous profitons de ce lieu commerçant et animé pour satisfaire notre manie des cappucinos matinaux, nous remplissons aussi nos sacs à dos de quelques fruits, du pain et de quoi tenir jusqu'à notre arrivée du jour.

Nous sommes dans la vallée d'une nouvelle région que nous traverserons pendant quelques jours : la Campanie.

La Campanie s'étend à l'ouest de la chaîne des Apennins, depuis le Garigliano (fleuve), au Nord, jusqu'au golfe de Policastro, au sud. Ses terres fertiles entourent le Golfe de Naples. Les cultures de tabac et de céréales alternent avec les vignobles déjà vendangés, les oliviers fournis, les orangers vert de jalousie et les citronniers d'un jaune en devenir. La grande ville de Campanie, c'est Naples, nous en sommes assez proche sans toutefois y passer.

Le camino italien emprunte sur quelques centaines de mètres une route fréquentée pour replonger ensuite dans les prairies bourrées d'oliviers chargés d'olives déjà noires et de quelques figuiers tardifs toujours les bienvenus pour nos ventres en recherche de saveurs exotiques.

Ce matin tôt, nous avons eu de la descente sur un sentier poussiéreux, puis du plat bitumeux. Il nous reste treize kilomètres, ça sera de la montée avec des montagnes russes pour bien nous fatiguer à l'arrivée. Nos pieds à l'air dans nos sandales super aérées disparaissent sous l'épaisseur de poussières soulevées par notre cadence pédestre régulière. De vrais pieds de pèlerins. Mais au lieu de chausser des caligae romaines comme nos ancêtres nous foulons le chemin historique avec nos chaussures très techniques et presque inusables. Il y a quelquefois de choses bien faites dans la soit-disant modernité.

Onze heures trente, Lauro, petit village au début de la montée est notre halte déjeuner avec café expresso pour nous tenir éveillés. Comme dans tous les villages traversés depuis presque quinze jours, les villageois causent bruyamment autour d'un café, à la sortie d'un magasin ou simplement assis sur un banc. Ça me fait presque bizarre de voir et d'entendre les gens se parler aussi aisément et de façon aussi décontractée, il faut pour cela que l'aménagement des lieux s'y prêtent : bancs en enfilade, murets bien exposés, nombreux cafés avec terrasse, multiples églises ouvertes, jardins verdoyants, ombres à volonté.

Curieusement, la marche, quelquefois endort, ce n'est pas par ennui, c'est, je pense, le bercement lent de notre cadence ou bien le rythme régulier de nos pas, le corps veut se reposer, les bâillements nous surprennent, l'envie de dormir nous prend sans prévenir. Je me souviens sur Compostelle, du nombre important de pèlerins se prélassant sur le bas-côté du camino. Perso, ça m'est arrivé qu'une seule fois sur le chemin d'Assise, dans un bled perdu dans le Morvan, je me suis allongé là, sans me poser des questions. Un troupeau de vaches venait de temps à autre me voir allongé sur le muret près de leur prairie, la tête posée sur le sac à dos qui me servait d'oreiller.

Nous montons par paliers, heureusement presque tous à l'ombre des chênes centenaires. Nous approchons de notre étape du jour, le sac plus léger, presque un litre et demi d'eau en moins.

C'est Doris qui nous accueille aujourd'hui, grande femme filiforme plus âgée que nous, je pense, elle habite dans un endroit perdu dans la brousse à un kilomètre de Sessa Arunca.

Elle se soigne elle-même avec des herbes et semble fière de me dire qu'elle s'est guérie de deux cancers rien qu'en se concoctant des mixtures avec les herbes de son jardin et des alentours.

Que dire après cela ? Il y en a qui n'ont pas cette chance ou ce destin.

La soirée fut mémorable en présence de nos hôtes Doris, Umberto et leurs amis de Naples. Il y aurait beaucoup à raconter, car Umberto, le mari de Doris, est un puits d'histoire sur l'Italie du Sud et un écologiste high-level. Merci à eux pour ce beau moment.

Chez Doris et Umberto avec leurs amis et un pèlerin. 
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Date : 8 octobre 2023

Heure de départ : 6h32

Heure d'arrivée : 11h45

Temps de marche : 5h17

Distance : 18.29 kilomètres

Teanum, ville antique aujourd'hui Teano, était la capitale de la tribu osque du peuple Sidicin pré-romain. La cité fut intégrée à Rome au IIIe siècle avant notre ère. Alors devenue Teanum Sidicinum, une importante ville romaine sur la Via Latina menant à la Campanie.

Mais avant d'être sur notre final, je reviens sur notre soirée d'hier.

Tout au long du repas, nous sommes entourés de nos hôtes, d'un couple d'amis napolitain et d'un pellegrino italien, les sujets de discussion ont porté sur la nourriture et l'histoire de l'Italie. Il fallait bien cette soirée pour amener quelques révisions à mes préjugés des jours précédents, ainsi qu'à la version de l'histoire officielle de la création de l'Italie et bien d'autres évènements impliquant les piémontais, les bourbons, les brigands, la Ndrangheta (mafia calabraise), la camorra (mafia napolitaine) et Garibaldi. Pour tout vous dire, la soirée fut chargée. Tout un pan de valeurs et d'idées reçues que j'avais sur les piémontais s'est effondré en une seule soirée. Et sur Garibaldi, moi qui pensais qu'il était un héros, ce n'était juste qu'un profiteur de situation, un député général corrompu au profit d'autres encore plus corrompus.

Pour la faire courte, parce que c'est dimanche et puis j'ai un peu oublié aussi, en voici les grandes lignes.

Je commence par les brigands. En fait, c'est tout le contraire des hommes qui se livrent au brigandage. Le brigand dans le coin est un résistant. Résistant à quoi ? A l'unification de l'Italie, officiellement le 17 mars 1861. En fait, le sud de l'Italie était très riche, très cultivée au sens large du terme. Composée de trois régions : Campanie, les Pouilles et la Calabre, sans oublier la Sicile. Ce n'est pas pour rien que Napoléon fut roi du royaume de Naples. Le sud de l'Italie, c'était la baraka, à la pointe dans tous les domaines. Et c'est là qu'interviennent les piémontais et ce cher Garibaldi (niçois et piémontais lui aussi). Les piémontais ont lorgné sur les richesses de l'Italie du Sud. Dans leurs petites têtes, ils se sont dit : on chasse les bourbons qui occupent cette partie de l'Italie à coup de pied au cul, on fricote avec les mafiosos du coin pour faire nos petites affaires tranquillement. Fricoter, à cette époque voulait dire : on oublie vos petits écarts (rackets, vols, assassinats, vengeance, escroqueries et autres dérives), bref on vous pardonne tout, vous devenez blanc comme neige et en contrepartie, on réunifie l'Italie. Les mafiosos ont dit : top là, c'est OK pour nous. Garibaldi a unifié l'Italie, il a déménagé les richesses du sud pour les amener dans le nord du pays. Ni vu, ni connu, je t'embrouille. Les nouveaux italiens du sud se sont retrouvés à poil et, depuis, ils sont traités de "Terroni" par les Italiens du nord. "Terroni", les travailleurs de la terre, est évidemment un terme péjoratif. Et c'est là que les brigands interviennent à leur tour, ils voulaient résister à ce pillage de l'Italie du Sud par ceux du nord. Près de dix millions d'italiens du sud ont quitté leurs terres pour d’autres pays comme la France, les États-Unis, le Canada, etc. Pour ceux qui n'ont pas suivi se reporter aux nouveaux historiens italiens qui veulent rétablir la vérité et faire cesser la diffusion d'une histoire italienne vantant une réunification italienne souhaitée par eux-mêmes. La réalité paraît souvent éloignée de l'histoire officielle, un peu comme nous avec l'Algérie.

Autant vous dire, Umberto, je ne pouvais plus l'arrêter, sa femme Doris, avait même quitter la table pour s'affairer en cuisine. Les piémontais dans cette histoire, pas jojo les gars. Et dire qu'avant le repas, dans nos échanges de bienvenus, je lui ai dit que j'étais d'origine piémontaise. J'aurai mieux fait de fermer ma grande bouche. Quelle soirée ! Petite matinée fraîche, le jour éclaire, le paysage verdoyant autour de notre hébergement. Direction la ville à un kilomètre de là. Petit-déjeuner dans un bar près d'un vieux barbu avec sac à dos dont l'ongle du pouce de la main gauche mesure au moins quatre centimètres. Il nous fixe. Il doit bouillir d'impatience d'engager la tchatche.

C'est lui qui démarre. Son parler, avec un fort accent, m'oblige à vraiment tendre l'oreille pour le comprendre. En grignotant des mots par-ci par-là j'y arrive toute de même. Il souhaite que nous voyons absolument le duomo. Je lui propose de nous accompagner. Nous voilà partis tous les quatre dans les rues étroites de Sessa Aurunca.

Ça vaut vraiment le détour. Bel édifice religieux, immense flanqué d'une magnifique façade.

Sessa Aurunca

Ciao, nous le quittons pour notre cammino décrit comme le plus pittoresque de la Via del Sud par notre guide en italien.

Par un chemin bordé de verdures très humides, nous descendons au fond du vallon. Sessa Aurunca s'étale sur une crête, d'autres Apennins l'entoure comme une ville de montagne même si nous sommes encore assez proches de la mer.

Nous traversons un pont de pierres romain pour attaquer une montée vers un flan de la colline boisée.

Dans le vallon avec un petit pont de pierres

La végétation, sans y prendre garde, prend une autre allure. Tout ici est verdoyant, les oliviers ont laissé la place aux châtaigniers, quelques immenses eucalyptus répandent leur agréable parfum dans cet espace dense et suintant. Les tirs de fusil des chasseurs du dimanche dérangent les oiseaux nichés dans leurs repères et par la même occasion nous dérangent aussi.

Sessa Aurunca au loin

De beaux sentiers au milieu des oliviers témoignent qu'ils sont toujours bien présents même dans cette région déjà un peu montagneuse. Plusieurs villages balisent notre cammino du jour, Marzuli, Corbara, Gusti, Cappelle, Fontanelle, Casamostra, petites bourgades aux maisons plutôt pauvres, quelques-unes un peu éboulées. Nous sommes loin des richesses affichées du bord de mer ou de la proche banlieue de Rome. Nous traversons l'authenticité ou plutôt l'authentique comme scandait Daniel Auteuil dans le film "Manon des sources". J'aime ces endroits, ils nous ressemblent, nous autres pèlerins.

Nous allons d'un chemin à un autre, encore plus sauvage, plus réservé, plus nature, car ici, je ne vois pas de trace de la main de l'homme hormis celle réalisée par les pieds (le chemin).

Il avait raison le guide, c'est vraiment pittoresque, coloré, vivant. Si j'avais mon attirail de peinture, j'y ferais une belle pause pour jeter quelques couleurs sur une toile vierge tel un "pittore". Tout me plaît dans cet endroit. Quel plaisir cette Francigena !

Tableau pittoresque

Au détour du sentier, une grande falaise à l'ombre, longe le chemin. Des arbres y poussent et leurs racines débordent dans le vide. Curieux endroit. Un beau tableau à réaliser

La falaise et les arbres enracinés

Nous approchons de Teano, ce petite village qui fête aujourd'hui le chocolat alors qu'il y a des châtaigniers partout. Va comprendre quelque chose.

Un vieux chêne et la Via Adriana

L'arrivée emprunte la Via Adriana, probablement empierrée par un certain empereur Adrien. Accueil toujours aussi chaleureux, notre hôte nous laisse prendre notre déjeuner vers treize heures. Douches, blog, lecture, préparation des hébergements à venir, une partie de l'après-midi est occupée aux tâches répétitives et obligatoires.

Promenade à la fête du chocolat dans la ville de Teano à une poignée de mètres de notre lieu de repos. Les rues bondées, les familles déambulent le long des stands de vente de chocolat au prix moyen de cinq euros les cent grammes. Une bande de musiciens aux instruments curieux, font glisser de haut en bas puis de bas en haut leurs deux mains le long d'un bâton lui-même relié à la peau d'un tambour en forme de tonneau tout en exécutant une chanson devant une foule ébahie. A chaque va-et-vient des mains, un son de percussion retentit du tonneau tambour en phase avec deux chanteurs hurlant dans leur micro.

La journée fut bien remplie. Nous n'avons même pas dégusté le chocolat, roi de la fête, mais nous avons fait griller des châtaignes. Nous sommes vraiment en phase avec la saison.

Mais que font-ils ?
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Date : 9 octobre 2023

Heure de depart : 6h50

Heure d'arrivée : 14h45

Temps : 8h00

Distance parcourue : 28.06 kilomètres

(Reste à parcourir : 650.2 kilomètres)

Se lever à six heures tous les jours n'est pas véritablement un problème lorsqu'on sait que l'on va marcher sur des chemins dignes des reportages sur Arte. Mais aujourd'hui, bitume, bitume et encore bitume.

Nous laissons Teano presque encore éteint, la fête du chocolat a laissé quelques traces indélébiles au sol. Dans les rues, seuls les gérants de magasins de fruits et légumes s'agitent au rangement des cagettes bourrées et multicolores en nous saluant d'un "Salve" et souvent d'un petit signe discret, pas de pitié, j'espère.

Teano loge sur une colline, nous devons donc la descendre pour traverser une zone industrielle avec une voie grande circulation. Pas top. Les bas-côtés mesurent entre zéro et dix centimètres. Autant dire, rien.

Huit kilomètres périlleux, avant de retrouver une strada provinciale débouchant sur un premier bourg tout en longueur, Riardo.

Cimetière de pierres et Teano

Bourgade sans intérêt hormis un pont romain caché par les ronces, les broussailles, l'abandon ou le désintérêt des indigènes, il paraît à l'aise dans son coin. Combien verra-t-il encore de pèlerins enthousiastes ou désespérés passer près de lui avant que la dernière pierre ne s'écroule. Il est du premier siècle avant J.C., il a encore de beaux jours à patienter.

Certains villages savent mettre en valeur leur patrimoine, ici, un panneau annonciateur presque aussi caché que le pont et basta !

Nous faisons l'effort de nous échapper du chemin pour se farcir quelques centaines d'escaliers grimpants jusqu'au castello de la cité historique, point culminant du village. Rues étroites et désertes, même pas les chiens pour nous aboyer dessus. C'est vous dire que c'est désert. Forteresse bâtie au plus haut, les soldats pouvaient voir approcher les mécréants rejetés, les mendiants ou lépreux en guenille, les pèlerins poussiéreux, les marchands ambulants et autres personnes en char ou à cheval. Aujourd'hui, je n'y vois que pas-grand-chose. Ce n'est plus ce que c'était.

Notre parcours frise les monti Tribulani, comme la plupart des montagnes du centre et du sud de l'Italie, la flore est caractérisée par des forêts de feuillus. Dans les zones inférieures en dessous de 900 m on trouve le chêne turc (Quercus cerris), le chêne vert (Quercus ilex), l'acacia (Robinia pseudoacacia), aussi appelé gaggia, des forêts mixtes : Frêne (Ligustrum vulgare) avec de nombreuses variétés, l'arbre bruyère (Erica arborea), le charme blanc (Carpinus betulus), l'arbousier (Arbutus unedo) et le laurier (Laurus nobilis). La flore du bord de mer a totalement disparu, plus de figuiers chargés, peu de vignes, pas d'eucalyptus, plus d'osiers à la chevelure fournie. Le paysage s'est coloré de vert et s'est tapissé de feuilles encore bien accrochées aux branches. L'automne tarde à venir dans ces contrées.

Parmi les grands animaux, nous n'avons croisé aucun sanglier ni renard pourtant très présents dans les collines aux formes sinueuses et aux sommets arrondis. Tandis que, parmi les petits mammifères, comme le hérisson, très commun en Italie, la belette, le blaireau et le porc-épic rôdent quelque part sans se montrer. Parmi les oiseaux, il en existe une grande variété, en particulier, les passereaux comme le merle, la grive et le rossignol. Mais aujourd'hui, la circulation automobile nous a chanté une autre mélodie moins bucolique.

Prochain bourg Pietramelara, autre cité médiévale à quelques portées de jambes de Riardo.

Pause cappucinos, je profite de la proximité de la mairie pour tenter un timbro. Premier bureau, une première secrétaire m'indique un second bureau à l'extérieur, de l'autre côté de la cour intérieure de l'édifice communal. D'un pas décidé, je m'exécute, enfin, j'y vais. Là, un secrétaire à la confiance en lui-même plutôt incertaine m'indique que c'est le bureau sur ma gauche. J'y go et lui aussi. Je lis dans son regard un questionnement soit existentiel soit simplement "Ai-je le droit de tamponner les crédenciales à ce pèlerin à la barbe blanche ?". Il me demande de patienter, il va en toucher deux mots au "commandante". Le "e" se prononce é.

Le voilà parti à l'étage supérieur et en revient après quelques minutes en me disant "il commandante arriva".

Trop d'honneur pour un simple pèlerin, un "commandante" pour tamponner trois crédenciales alors que le tampon était juste devant moi. Le petit secrétaire regarde avec fierté son "commandante" appuyer le tampon pour bien marquer notre passe-partout. "Grazie mille" d'usage et je repars rejoindre mes deux pèlerins attablés qui devaient se demander où j'étais passé. Derrière moi, j'entends le "commandante" dire au jeune secrétaire : "le tampon, c'est celui-ci, tu peux le faire la prochaine fois". Grâce à mon passage, le jeune secrétaire aura ajouté une corde supplémentaire à son arc et par la même occasion complété son CV d'une compétence supplémentaire.

Encore presque une lieue de marche pour arriver à Roccaromana, dernier bled avant le grand moment de transpiration de la journée. Trois cent cinquante mètres de dénivelé pour atteindre une tour toujours médiévale plantée au sommet d'une colline heureusement boisée.

Un sentier, le seul de la journée, serpente, raide sur cette colline de chênes et de hêtres bienvenus. Malgré l'ombre, le tee-shirt, même en Mérinos ressemble à une éponge à vaisselle imbibée d'eau, sans le savon bien sûr.La Torre Normanna di Roccaromana se dresse au sommet de la colline, sans doute la plus haute du coin, c'est le Monte Castillo. Située au sommet du Monte Castello, à 450 mètres d'altitude, dans le hameau de Statigliano, la tour fut construite par les Normans sur les vestiges d'une tour vers 1100, à des fins stratégiques et défensives.

Vue de la tour

Une fois au sommet, il nous reste à redescendre à Statigliano, hameau et notre étape du jour. Avant dernière journée pour Tarchoun, ce n'était pas la meilleure.

La place principale de Statigliano.
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Date : 10 octobre 2023

Heure de départ : 7h20

Heure d'arrivée : 9h50 puis 13h30

Temps : 5h30 dont 3h00 de farniente

Distance : 13 kilomètres et 10 kilomètres en train

L'oignon d'Alife porte le nom de la commune du même nom, au cœur de la plaine fertile d'alifana, à Casertano.

Sa culture est très ancienne. Selon une légende, il aurait même commencé pendant la période de domination romaine : on dit que les gladiateurs avaient l'habitude de frotter leur corps avec des oignons pour raffermir les muscles avant de combattre d'autres gladiateurs sans oignon. Nous avons évité de pratiquer ce genre de coutume même légendaire. Sentir la pissaladière sur des centaines de kilomètres n'est peut-être pas recommandé pour favoriser les contacts avec les autochtones.

Petit décalage horaire ce matin, car notre étape sera une des plus courtes. En effet, en lisant plus attentivement le guide de la Francigena del Sud, de Dragoni, à huit kilomètres de notre hébergement jusqu'à Alife, final de l'étape, le parcours est décrit comme très dangereux. Le guide conseille avec insistance de prendre le train.

Nous partons de notre hébergement pour huit kilomètres sur la SP 67, empruntée partiellement hier pour monter à la tour Normanna. Premier jour où un léger brouillard voile le paysage humide et bien vert lui conférant une atmosphère singulière et fantastique.

Descente vers Dragoni

Nous dévalons la route étroite et sinueuse, fréquentée par quelques automobilistes pressés d'arriver au boulot. Je ressens de plus en plus la fraîcheur de l'automne au petit matin sans pour autant vêtir au démarrage un sweat-shirt Mérinos ou la polaire. Je la réserve pour l'étape à plus de mille mètres d'altitude dans les jours à venir.

Neuf heures quinze, nous prenons nos tickets auprès du chef de gare de Dragoni qui fait guichetier et aussi tamponneur de "timbro".

Neuf minutes de train nous évite une galère sur une route dangereuse, un bon investissement. Je me dis que c'est notre jour de repos, quinze jours de marche sans arrêt mérite une pause de quelques heures. Demain, nous ferons deux étapes en une, trente-deux kilomètres. Repos mérité.

Visite d'Alife en commençant par la cathédrale puis le centre, il y a mieux comme bourgade. Pas d'oignons en vue hormis ceux bien rangés chez les marchands de fruits et légumes.

Aujourd'hui, c'est jour de marché, chance pour nous sinon je pense qu'Alife serait désert.

Alife

Assis devant la cathédrale, nous dégustons des spécialités d'un traiteur tout proche de l'édifice religieux. La journée semble plate, pas d'événements particuliers. Aujourd'hui, c'est ainsi, mais la journée n'est pas terminée.

Petite marche sous un soleil aussi pesant que deux enclumes, il cogne nos têtes déjà transpirées sur plus de deux kilomètres et cent mètres, jusqu'à Masseria Sansone, ferme Sansone située à l'opposé de notre cammino de l'étape suivante. Demain, le gérant nous conduira au petit matin jusqu'au départ de l'étape au centre d'Alife, c'est inclus dans leur prestation.

Masseria Sansone, grande bâtisse peinte en blanc aux contours des fenêtres d'un marron clair, trône sur une campagne où plus de trois cents cinquante oliviers captent les rayons de l'astre surchauffé. La façade de l'entrée de la dite ferme présente trois minis balcons munis d'une chaise pour ceux auraient des envies de viser l'horizon d'une plaine écrasée par une chaleur intense. Au pied de la façade, un petit "giardino" parsemé de tables de pique-nique à l'abri d'un néflier en bourgeon, d'un mûrier noir au tronc élancé, d'un laurier sauce aux senteurs de lapin mijoté, d'un troène du Japon à la fière allure, d'un citronnier avec un seul citron bien jaune, d'un figuier en fin de saison, de yuccas géants. Les senteurs se mélangent pour donner une atmosphère subtile aux fragrances délicates.

La ville d'Alife au pied de cette campagne apaisée semble s'être endormie en cette fin d'après-midi d'automne ressemblant plutôt à un été tardif. La ville dans la plaine, grignote un pied de montagnes à l'est, suffisamment éloignée, elle n'envoie pas son brouhaha mécanique jusqu'ici. A l'ouest de la large plaine, c'est delà que nous venons, je peux deviner les collines que nous avons traversées hier et les jours précédents. Si l'Italie ne supporte pas le silence, ici le silence est supportable, et même bénéfique. J'arrive même à entendre le petit bourdonnement dans le fond de mes oreilles, ce qui était totalement impossible à Gaeta ou à Formia, en bord de mer. Si marcher régénère le corps et l'esprit, le silence ajoute un ingrédient supplémentaire au bien-être. C'est comme en cuisine, une simple pincée d'une épice et toutes les saveurs s'illuminent pour sublimer la sauce mijotée avec passion. Un simple rehaut en peinture, pas plus épais qu'une simple retouche photo, fera ressortir les volumes et accentuer les couleurs donnant au tableau l'allure de chef d'œuvre.

La masseria, le troène et la plaine

Les montagnes au centre de l'Italie s'étendent du nord au sud, notre cammino va d'ouest en est, nous serons donc obligés de traverser les Apennins ou plus sûrement les gravir comme Sigerico, notre évêque marcheur de l'an neuf cents qui les avait franchi avec un équipement moins technique et avec sa robe de bure léchant la poussière d'une terre asséchée ou les basoli (pierres servant de revêtement de la Via Appia) surchauffés.

Soirée autour du repas de pèlerin, servi par Vincenzo, le maître des lieux. Assiette d'aubergines au vinaigre, tortillas, oignons d'Alife doux sur canapé, fromages locaux, charcuteries, tourte d'épinards et "peperoni" farcis (poivrons) pour démarrer, pâtes à la sauce aubergines et "pomodorine" (tomates cerise confites) saupoudrée de "formaggio", pommes très fraîches, vin de sa production, servi un peu trop glacé et au final amaretto et cerises, petite liqueur douce aux noisettes et à la cerise. Les trente-deux kilomètres de demain devraient être du gâteau.

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Date : 11 octobre 2023

Heure de départ : 7h30

Heure d'arrivée : 16h30

Temps de marche : 9h00

Distance : 32.62 kilomètres

Vincenzo nous sert copieusement le petit-déjeuner, gâteaux, jus de poire le tout fait maison, sans oublier le café américano, du thé et les pommes d'hier soir laissées au souper.

Évidemment, nous avalons ces bonnes pâtisseries sans nous douter que nous allions le regretter toute la matinée. Nous n'avons pas l'habitude de prendre le petit-déjeuner avec des aliments trop sucrés et moyennement digestes surtout si l'on fait un effort physique intense et long.

Nous devons nous organiser pour avoir du pain, un peu de confitures, un fruit et basta.

Comme convenu, Vincenzo nous conduit au départ de l'étape qui en fait en seront deux. Pour être dans le planning, nous devons faire deux étapes en une soit trente-deux kilomètres aujourd'hui.

Nous quittons Tarchoun sur une aire de parking, Vincenzo l'amènera à la gare alors que nous poursuivrons notre périple italien.

Ça fait toujours quelque chose de laisser un ami repartir, mais c'est ainsi. Peut-être le retrouverons-nous sur le cammino dans quelques semaines.

Hier soir et ce matin

Nous longeons une voie bien fréquentée en prenant nos précautions d'usage. En peu de temps, une voie secondaire nous permet de relâcher notre attention, j'espère que ça ne sera pas ainsi sur trente-deux kilomètres.

Matinée très humide avec des nuages laiteux, pas d'air, pas top pour marcher, mais au moins, nous n'avons pas de soleil.

Nous suivons la plaine du côté est en nous élevant lentement sur les collines approchantes. Plaine fertile, les fermiers ont déjà labouré les terres pour la prochaine saison.

Les deux étapes du jour prennent un malin plaisir à alterner montées et descentes en changeant successivement de vallées. Cela vérifie bien le fait que nous traversons les Apennins italiens, pas sur les parties les plus hautes. Heureusement pour nous.

Auduni, premier village coincé dans la colline entre la plaine et des falaises rocheuses. Ce sera notre première pause cappucinos dans un bar avec un fond sonore assourdissant, la radio qui braille, les clients qui hurlent juste pour parler normalement. Je vous dis les Italiens n'aiment pas le silence. Le barman, au moment de payer, s'intéresse à notre sort en nous informant sur la raide montée qui nous attend. Il avait raison. Raide et ensoleillée, parfait pour mouiller le tee-shirt, la casquette et le reste, mais la vue est belle malgré un voile de chaleur laissant deviner un paysage escarpé et finalement assez vert.

Deuxième village Gioia Sannitica toujours entre la vallée et le flanc de la montagne. C'est la première fois depuis plus de quinze jours que nous nous lançons sur une étape aussi longue. Il nous faut donc économiser nos mouvements, nos pas, notre énergie, mais pas notre eau. Sous cette chaleur, il faut boire et boire beaucoup. Nous ferons un deuxième plein de nos camel-back à huit kilomètres de l'arrivée. En tout, nous aurons bu presque trois litres chacun. En faisant bêtement une comparaison avec un moteur de voiture, nous consommons plus de neuf litres au cent kilomètres. Grosse cylindrée que nous sommes.

Faicchio, fin de la première partie. Village désert tout en longueur avec une forteresse au centre du village. Petit arrêt dans une épicerie, le seul magasin ouvert : "mortadella" et baguette. Comme les gâteaux de ce matin, nous regrettons notre sandwich trop gras. C'est promis fini la charcuterie, les gâteaux, il faut revenir aux bases énergétiques saines.

En sortant de Faicchio après un déjeuner lourd de conséquences, un panneau nous intrigue "guerre sannitiche", guerres samnites.

Les guerres samnites mettent aux prises avec deux puissances montantes de l'Italie, la République romaine, maîtresse du Latium puis de la Campanie, et les montagnards de la confédération samnite, diverses tribus du Samnium. Il a dû se passer quelques échauffourées. A voir sur le panneau, elles ont duré seize années, ils se sont carrément tapés dessus et pile à cet endroit. Bel endroit pour se massacrer. Je ne vous explique même pas le nombre de peuples massacrés par les Romains dans la région. Et nous, nous nous balladons, peinards et heureux d'être ici. Finalement, heureusement qu'on ne sait pas tout des histoires ou de l'Histoire sur notre passage pèlerin, car sinon nous serions déprimés, outrés ou tristes de tous ces événements passés. Ou peut-être a-t-il fallu tout cela pour en arriver à la paix actuelle ?

Montée rude après avoir laissé une route asphaltée exposée au soleil. Juste au début de cette route bitumée nous traversons un pont romain témoin des guerres samnites. Respect, pour lui, il fait encore son job après plus de deux mille trois cents années de construction.

Donc rude montée tout de même à l'ombre, le paysage se dévoile, pas après pas. A l'horizon, des éoliennes brassent à peine l'air, sur notre gauche, les Apennins massifs plongent leurs dernières crêtes dans la vallée habitée et parsemée de villages avec leur tour ou leur forteresse imposante. A notre droite, le passage que nous empruntons qui poursuit sa montée pour nous faire suer jusqu'à la dernière goutte.

Nous atteignons notre point culminant du jour, il nous reste moins de cinq kilomètres. Après avoir franchi un pont sous lequel une voie grande circulation jaillit des véhicules à toute berzingue, nous quittons une voie agricole pour un sentier très agréable, légèrement en montée qui contourne une colline boisée de chênes et d'arbustes variés. Ce dernier chemin nous conduit à Telese Terme point final du jour.

Après les douches, petite pause, nous arpentons les rues de la ville pour trouver une pizzeria. Ville thermale aux multiples magasins de fringues, une pizzeria ouverte proche de la rue attire notre petite faim. Finalement, nous faisons emballer nos pizzas dans les cartons pour la déguster dans notre big appartement.

Côté écologie dans cette minuscule pizzeria, en guise de couverts : couteau, fourchette, verre, le tout en plastique, ainsi que la bouteille d'eau.

Dans chaque appartement côté cuisine, des poubelles nombreuses sont proposées : une pour les papiers, une pour le plastique, une pour le verre, une pour n'importe quoi et une pour les déchets de cuisine. Il faut bien qu'elles servent à quelque chose. C'est la catastrophe !

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Date : 12 octobre 2023

Heure de départ : 6h52

Heure d'arrivée : 13h17

Temps : 6h40

Distance : 18 2 kilomètres

Je me faisais des idées de ville superbe et éclatante sur Telese Terme, probablement à cause du mot thermes, en fait, à part des bains très chicos, le reste ne vaut pas la peine qu'on s'est donnée pour y arriver. On y est, on y reste, surtout pour dormir. D'habitude l'arrivée de l'étape alterne entre un "duomo" ou la mairie, pour Telese Terme l'arrivée c'est près de rien, dans une rue, comme ça. On a beau chercher la raison de ce final autour de nous, je n'ai pas réussi à identifier quelque chose ayant même un minimum d'intérêt.

Ce matin, nous laissons notre appartement pour rejoindre le cammino de l'étape du jour. Nous n'allons pas au point de départ parce qu'il n'y a toujours rien de spécial à voir, mais un peu plus loin en m'aidant de Google Maps pour retrouver le tracé le plus court pour rejoindre la Francigena.

A peine sortis de la ville, un café ouvert, cappucinos et cornetti, croissants, avec des trucs dedans. C'est vraiment une manie de fourguer des trucs hyper sucrés dans ces croissants pourtant appétissants.

Le tracé débute par un peu de route, assez rapidement nous la quittons pour un chemin blanc, c'est-à-dire avec des gravillons blancs, évidemment.

Le lac de Telese et le fiume Calore

Le chemin, plutôt plat, chemine au milieu de pieds de vignes plus ou moins bien entretenus. Il paraît que la région est connue pour son AOC, ici appelé DOC. Hier soir à la pizzeria, on s'est tapé deux "frizzante", ils n'avaient pas de vins AOC, par contre ils avaient des couverts en plastique.

Petit moment de panique près d'une ferme délabrée, un molosse tout noir nous approche dangereusement tout en aboyant et en montrant ses dents, pas trop blanches mais bien pointues. Je ne vous dis pas comme je maudis ces bestiaux en liberté prêts à avaler un pèlerin et une pèlerine comme vous croqueriez deux chips. En tapant sur nos bâtons entre eux et en psalmodiant des Ave Maria, nous avons échappé au carnage, pour cette fois. Il y a des moments, je pense que c'est nous qui avons une vie de chien.

Après ce moment d'émotion maîtrisé, le chemin démarre véritablement son ascension vers le village de Solopaca, aussi appelé "petite Naples", ce qui n'est pas forcément flatteur. Devant l'église principale, nous croisons deux pèlerins suisses. Échanges d'informations entre-nous, ils repartent à grandes enjambées pour des étapes quotidiennes de trente-cinq kilomètres. Pour une fois, qu'ils se bougent.

Autre caractéristique de ce village, les voitures qui amènent les petits marmots à l'école. Sur une vingtaine de véhicules, au moins, quatre-vingt dix pour cent trimballent leurs moutards sans ceinture à l'avant du véhicule, quel que soit l'âge. Si j'étais un "carabinieri", en me pointant un matin, un peu avant l'école, en une seule matinée je pourrais remplir les caisses de l'état italien en verbalisant à tout-va. La sécurité, ce n'est pas leur truc. On avait déjà remarqué cela dans d'autres villages, ici, c'est flagrant. Peut-être qu'ils n'aiment pas leurs grosses, va savoir.

Solopaca

Autre truc dingue dans cette "petite Naples", les cerisiers sont en fleurs, voir la photo, réalisée sans trucage. Il y a vraiment quelque chose qui cloche dans les saisons, même en Italie.

Hier, c'était la longueur de l'étape qui nous bousculait dans nos habitudes, aujourd'hui, c'est le dénivelé positif, neuf cent cinquante mètres sur moins de dix kilomètres. Par moment, le chemin prend des allures de raidillons qui vous donnent des envies de faire demi-tour. Mais comme nous sommes des pèlerins sans peur et sans reproche, pour l'instant, nous grimpons d'un pas lent et assuré.

Le temps du jour, très brumeux, du coup, on ne voit rien à l'horizon. Par contre aucun bruit, que de la nature sauvage, humide, déjà un peu dépouillée de ses feuilles, le ciel laiteux, les lézards qui fuient sur notre passage et des épines de porc-épic éparses sur le cammino. Cela nous change des autres jours. Comme ça monte raide presque tout le temps, il nous faut vraiment gérer notre carburant : l'énergie stockée depuis hier soir. Boire beaucoup et faire des pauses fréquentes pour faire tomber le rythme du palpitant. Tout un travail de dosage, mais nous y prenons plaisir, car nous filons d'un bon train à la vitesse des escargots pressés.

La montée et les traces de la montée

Douze heures pile, nous voilà au col à huit cents vingt-cinq mètres. Les 950 mètres de dénivelé positif, c'est la somme des montées sur le parcours et quelquefois, il descend de beaucoup pour remonter de plus belle ensuite, ce qui explique les écarts.

Pique-nique mérité au col, nous sommes passés encore dans une autre vallée très ensoleillée, très brumeuse avec de belles montagnes autour comme le monte Taburno. Reste de pizzas, reste de fromages, reste de pains, des bananes, nous mangeons que du rab, nous repartons pour les trois derniers kilomètres en descente par un sentier aménagé pour les randonneurs locaux, le paysage sec est de retour.

Le col

Nous voyons le village de Vitulano à nos pieds, endormi sur le flanc du versant que nous descendons. Nous y arriverons tôt et c'est top pour reposer nos pieds plus sollicités que nos jambes. Région plutôt montagneuse et couverte de feuillus, les massifs forment des ensembles rocailleux où l'on peut apercevoir des cavités calcaires ouvertes en façade. Apparemment, des hommes préhistoriques y vivaient à l'abri des éboulements de rochers visibles sur notre passage.

Descente sur Vitulano

Tu m'étonnes que tout le village se déplace en voiture. Entre le point le plus haut du village et le point le plus bas, il doit y avoir au moins deux cents mètres de dénivelé. Ici, la sélection naturelle se réalise au quotidien pour celui qui n'a pas de moyen de transport. Les paroissiens ont eu tout de même la bonne idée de placer l'église au milieu de la côte, pas de jaloux, tout le monde à la même enseigne ou la même croix.

L'église et la fontaine royale
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Date : 13 octobre 2023

Heure de départ : 7h00

Heure d'arrivée : 11h30

Temps : 4.5 heures

Distance : 18 kilomètres

On dit qu'un noyer légendaire qui se dressait sur les rives de la rivière Sabato à Benevento servait de point de rassemblement aux sorcières de toute l'Europe, des Romains puis des Lombards, qui y auraient pratiqué des rituels païens inspirés par la déesse égyptienne Isis. Doit-on vraiment aller dans cette ville pour notre étape du jour ?

Toujours est-il, nous prenons notre coutumière marche à sept heures après un cappucino et un cornetto engloutis au restaurant de la veille.

Nous descendons à travers les rues du bourg de Vitulano encore endormie malgré le zèle d'un cantonnier occupé à rassembler les feuilles des platanes couchées à terre avec un souffleur motorisé sur le dos. Les Italiens n'ont jamais la paix, même les oiseaux nichés à l'intérieur d'un platane piaillent à l'unisson auquel s'ajoute le tintamarre de l'engin. Fuyons Vitulano.

Le cammino zigzague entre les vignobles aux couleurs d'automne tirant sur un rouge prononcé. Quelques-uns ne sont pas encore vendangés, ils ne tarderont pas être mis en bouteille dans les jours à venir.

Vers Benevento

Quelques figuiers tardifs nous tendent leurs branches pour ramasser et déguster les derniers fruits bien mûris. On voit bien que l'automne glisse lentement sous le manteau épais et bruni des feuilles éparses, le ciel laiteux masque un soleil paresseux, la température agréable nous aide bien pour progresser dans un paysage que l'on découvre à une belle allure. En descente, ça va beaucoup mieux même si je préfère et de loin les montées. Nous n'en aurons qu'une aujourd'hui, pas longue, une centaine de mètres, mais bien raide au milieu d'un hameau paraissant abandonné. Seul un chien semble être encore le gardien de ces lieux inhabités.

La plaine de Benevento démarre par une piste cyclable juste après être passés sous un pont impressionnant par ses structures en ferraille démesurées. Nous prenons la piste cyclable déserte longeant une grande rivière nommée Calore Irpino, lieu de vie et de reproduction de nombreuses espèces d'oiseaux, hérons, martin-pêcheur, hiboux y vivent en harmonie loin du vacarme des cités voisines. Umbert et Hildegard, deux pèlerins allemands croisent notre chemin sur la piste cyclable. Partis vers neuf heures de Benevento, ils remontent la Francigena qu'ils avaient effectuée jusqu'à Jérusalem il y a quelques années. Belle rencontre, échanges sur nos expériences, Umbert, plutôt grand et baraqué propose un selfy. Il y a des gens avec qui le courant passe immédiatement et puis d'autres, c'est la panne sèche. Allons-y pour un selfy.

Umbert dit Umberto et Hildegard

Cette rencontre a servi aussi de pause du matin, il nous reste cinq kilomètres et nous en avons déjà avalé treize depuis ce matin.

Fin de la piste cyclable, début de Benevento, le cammino passe au milieu d'édifices industriels en pleine activité générant un boucan du diable. Comme nous allons au pays des sorcières, nous sommes déjà dans l'ambiance.Un monsieur d'un âge avancé nous arrête en s'excusant, car une question lui brûle les lèvres. Vous venez d'où ? Vous allez où ? Vous êtes français ? Vous dormez où ? Vous marchez même s'il pleut ? Un vrai bombardement d'interrogations totalement intéressées.

Encore une occasion d'explication du comment et du pourquoi, cela nous plaît bien. J'ai oublié, ce matin au milieu de la campagne près d'une maison, une dame d'une cinquantaine nous arrête encore en s'excusant et nous dit : "j'habite ici depuis longtemps et je vois toujours passer des gens comme vous. Mais pourquoi vous marchez et pour aller où ?". Nous prenons le temps de lui sortir toute notre litanie pèlerine au grand étonnement de la dame.

Benevento

Notre piaule du jour, une chambre sans décoration, ni lampe de chevet, une chaise, une table où trône la télé et c'est tout. Salle de bain, cuisine en commun mais pour l'instant nous sommes seuls. Visite de la ville, musée archéologique, cathédrale Sainte Sofia, Benevento présente vraiment un bel intérêt culturel et historique. La plus belle traversée depuis notre départ en septembre.

Sainte Sofia, le musée, le cloître
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Date : 14 octobre 2023

Heure de départ : 6h05

Heure d'arrivée : 13h30

Temps : 7h25

Distance : 24.31 kilomètres

Benevento dort paisiblement ce samedi matin, ce qui n'était pas tout à fait notre cas cette nuit. Changer de literie tous les jours est une vraie épreuve pour le dos et la nuque malgré cela, nous n'avons aucun signe de fatigue ou de manque de motivation, bien au contraire.

Six heures 10, nous repassons devant l'arc de triomphe de Trajan éclairé d'un vert pistache douteux.

Nous n'échappons pas au capuccino et cornetti dans un bar juste au bas de Benevento où les éboueurs discutent du match de la veille dans un dialecte presque incompréhensible.

Après Benevento 

La sortie de Benevento se passe assez rapidement. Hors de la ville et presque pendant cinq kilomètres, nous zigzaguons d'une usine à une autre, au milieu des camions stationnés sur les parkings, ses fumées des cheminées crachant leur venin chimique et des rond-point dégradés et interminables.Finalement, la vraie campagne réapparaît avec un beau tas d'ordures déversées là au milieu d'un paysage superbe. Ça fait mal au cœur de voir cela, mais bon, continuons, la journée sera belle.

Fin des usines, fin du plat, le cammino reprend son inclinaison très raide au départ sur deux kilomètres pour enfin se maintenir sur la crête d'une colline d'oliviers et de vignes rougies par un automne paresseux.

Autour de nous, aussi loin que nous puissions voir, des collines labourées, aux couleurs apaisantes et aux formes harmonieuses dessinées par des dizaines de paysans amoureux de leur terre et de leur région se réchauffent au soleil matinal. Le ciel légèrement nuageux cache encore par moment le soleil et c'est bien ainsi. Paduli, premier village accroché au sommet d'une colline juste en face de nous, la flemme et la longue étape du jour fera que l'on laissera cette cité sur sa colline.

Four à pains allumé et séchage du tabac

Nous poursuivons notre ascension à un rythme finalement bien soutenu, pas de signe de fatigue ni de blessures, nous profitons de cela pour avaler les kilomètres sans perdre une miette de ce paysage attachant dont la vie au quotidien doit être rude. Les quelques visages que nous croisons ont le regard renfermé. Je lis dans leurs yeux l'incompréhension de notre passage à pied. S'ils savaient comme nous nous sentons bien ici et maintenant dans ce décor digne des films des frères Taviani comme "Padre padrone", film de 1977 où l'écrivain Ledda raconte l'histoire de sa vie. Dans la Sardaigne profonde des années 1940, à l'âge de cinq ans, le petit Gavino est contraint d'abandonner l'école après deux mois seulement, car il doit dorénavant aider son père à garder les animaux. Il grandit ainsi dans l'isolement, loin de la société humaine. C'est grâce au service militaire à l'âge de 21 ans qu'il peut échapper à l'emprise de son père. Ici, ce n'est pas la Sardaigne, mais nous y voyons de belles similitudes, du moins, dans les paysages.

Ce sont des plantations de tabac aux feuilles très vertes montées sur des tiges hautes que nous apercevons en contrebas du chemin, un homme les arrache pour les ranger soigneusement dans des cagettes en plastique. Il faut bien vivre de quelque chose au détriment de la vie des autres malheureusement.

Du tabac et des oliviers

Toujours sur notre crête montante, un paysan en tracteur s'arrête, coupe le moteur de son engin bruyant, ouvre la porte et nous demande : "Et s'il pleut, vous marchez quand même ? Et pour dormir vous faites comment ? Vous venez de loin ?, etc.". Nos réponses ne le rassurent qu'à moitié. Ciao, il referme sa porte, redémarre son outil de labeur et s'en va poursuivre son chemin. Je le sentais inquiet pour nous. "Faites vraiment bien attention", nous dit-il en repartant. Autre rencontre.

Non loin de là, en passant devant un petit hangar, nous voyons quatre jeunes gens travailler. L'un d'eux transporte une caisse pleine de curieux objets : des céramiques en forme de citron. J'en profite pour engager la conversation. Le jeune homme nous invite à visiter son gagne-pain, ce sont Federico et Elisa les gérants avec deux autres jeunes travailleurs de céramique. Citrons, boules de Noël, petits animaux, bibelots en tout genre sortent de l'unique four de cette petite affaire familiale. Curieux, ils nous questionnent sur notre périple, notre métier, notre provenance, s'inquiètent si nous avons besoin d'eau. Évidemment, nous leur avons posé mille questions sur leur activité.

Le monsieur au tracteur et la petite entreprise

J'imagine un monde sans voiture, comme avant. Les gens se parleraient beaucoup plus, ils s'intéresseraient aux uns aux autres. Notre expérience pèlerine en est la preuve flagrante. Tout cela nous donne une sacrée patate pour poursuivre notre étape du jour et celles à venir.

Sec, on peut dire que c'est vraiment sec, mais j'aime cette simplicité, cette rudesse, même la chaleur n'arrive pas à nous décourager. Tout est beau dans un décor d'une simplicité absolue. On ne peut le ressentir que si l'on marche avec conscience, en ayant tous ses sens en alerte pour savourer le moindre détail d'une forme originale d'un olivier chargé de fruits, d'une petite brise séchant la goutte de sueur du front, de l'odeur de la terre fraîchement labourée. Il suffit d'accepter tout cela. Nous l'acceptons avec plaisir.

Dernière montée avant Buonalbergo, étape du jour. C'est Fernanda et sa fille qui nous accueillent. Cela fait treize années qu'elles reçoivent des pèlerins dans leurs différentes maisons éparpillées dans le village. Nous aurons pour nous tout seul, celle de la grand-mère qui y a vécu plus de quatre-vingt dix ans. Ce soir, nous mangeons avec Fernande et son mari Antonio dans la salle à manger du rez-de-chaussée et aussi avec Anna, une pèlerine canadienne et Johanna une pèlerine anglaise partie de Canterbury, près de Londres. Sacré pudding !

Soirée comme on aimerait en avoir chaque soir. Fernanda et Antonio sont des gens rares de bienveillance et de simplicité. Ils mangent tous les soirs avec les cheminots. Demain sera un autre jour.

Antonio, Fernanda, Johanna et Anna
22

Date : 15 octobre 2023

Heure de départ : 6h10

Heure d'arrivée : 15h30

Temps : 9h20

Distance : 30.15 kilomètres

Réveil à cinq heures quarante-cinq comme d'habitude sauf que l'étape du jour ne ressemble pas à celles que nous avons déjà parcourues, beaucoup plus difficile.

Trente kilomètres, pratiquement que de la montée avec neuf cent cinquante mètres de dénivelé, point culminant de l'étape à neuf cent cinquante-cinq mètres. Autant vous dire, il va falloir ménager nos efforts et nos réserves. Nous décidons d'une pause casse-croûte tous les dix kilomètres, sandwichs au jambon, bananes et des restes de biscuits à la pomme.

Ce sera l'étape la plus "impegnativa" comme ils disent dans le guide de la Francigena.

Il fait nuit, l'éclairage de la rue est pour l'instant suffisant, le jour se lève vite en ce milieu du mois d'octobre.

Premier village, Casalbore, sans charme particulier, pas de bar ouvert. Pour les cappucinos aujourd'hui on repassera. Dommage, ils auraient été les bienvenus spécialement aujourd'hui.

Casalbore

Il nous faut redescendre jusqu'à un cours d'eau totalement asséché par un chemin qui pourrait ne pas être praticable en cas de pluie. En fait, le chemin suit une vague trace laissée par les pèlerins, le sol a gardé les traces des vaches venues patauger dans la boue lorsque le sol était très humide. Nous devons être vigilants, ne pas se tordre une cheville dans ces mottes de terre asséchées, deviner le chemin, merci le GPS, et éviter de glisser sur l'herbe écrasée par les pas des marcheurs. Nous n'avons plus l'impression de fouler la Francigena, mais un désert d'herbes et de terre au milieu de nulle part.

Arrivés au bas de cette pente longue de cinq cents mètres environ, c'est la rivière que nous devons traverser : pas de pont. En fait, il y en a un mais il date de deux mille ans et il en reste qu'un vestige isolé. Heureusement pour nous, pas d'eau dans le ruisseau, juste une minuscule flaque en aval de notre passage.

Le passage de la rivière assèchée

Nous avons parcouru que quelques kilomètres et déjà la montée reprend après la rivière. Il nous faut nous hisser sur les plateaux déserts, pour certains labourés par les engins spéciaux, car ici, les pentes sont abruptes, un tracteur classique ne pourrait pas convenir : trop dangereux car son centre de gravité est trop élevé. Paysage de vastes plaines jaunes par l'herbe sèche et noires des labours Elles s'étendent à perte de vue donnant une sensation d'infini. Des centaines d'éoliennes piquées en ligne agitent leurs hélices bruyantes. Toutes les crêtes en sont couvertes. Ici, il y a deux cultures : le blé et les éoliennes. Un vent fort et presque frais souffle depuis que nous avons atteint ces plaines désertiques ravinées par les engins mécaniques et les chantiers des éoliennes. Les nuages gris masquent une partie de l'horizon vers le nord. Éviterons-nous la pluie ? Il le faut absolument,car ce tracé est recommandé s'il n'y a pas de pluie ou de neige. Dans le cas contraire, il faudrait rebrousser chemin et prendre la variante. Je ne vous explique même pas la situation du nombre de kilomètres en plus. Mais il n'y aura pas de pluie pour nous. Nous sommes bénis !

Vastes plaines labourées et ventées. 

Première pause, nous avons déjà dix kilomètres dans les pattes et trois cents mètres de dénivelé à notre actif. Ça paraît rien trois cents mètres s'ils s'étalent sur la longueur. Sauf qu'ici, pas du tout, les trois cents mètres, c'est du raidillon plus-plus avec en extra, un chemin totalement trituré par les labours des derniers jours. Il nous faut donc marcher entre les mottes : deux fois plus difficiles, beaucoup d'énergie et d'attention.

Nous sommes à peine partis de cette pause que nous rêvons déjà à la suivante, mais pour cela, il faudra marcher trois heures de plus.

Marcher dans le vent ça va bien un moment, mais toute la journée, c'est carrément une véritable épreuve. Se coltiner des éoliennes pratiquement toute la journée avec leur bruit infernal : pas top non plus.

Cette étape est vraiment "impegnativa" !

On n'arrête pas de monter sans en voir le bout. Nous contournons une crête pour en voir une autre. Nous laissons un ensemble d'éoliennes pour en retrouver un autre. Ce matin, nous pouvions admirer ce paysage, mais nous étions loin. Une fois sur place, le décor n'a plus la même allure. A chaque retournement, nous avons toujours cette sensation d'avoir traversé une grande partie de ce vaste espace. Casalbore n'est plus qu'un point dans cette immensité désertique et isolée. Vivement l'arrivée cet après-midi.

Pluie ou pas pluie ?

Les jambes deviennent de plus en plus lourdes, nous buvons notre eau, mais elle n'étanche plus la soif, trop de souffle de Monsieur Eole, trop de bruit des ventilateurs géants, trop de tout. Deuxième pause, dans un endroit moche, mais un peu à l'abri du dieu Eole. Pas question de faire un mètre de plus nous y trouverions aucun espace pour s'abriter ou même pour s'asseoir.

Allez, plus que dix kilomètres, dont trois en descente. Ça va le faire, mais au prix d'un mal de crâne pour Guylaine. Le vent, c'est terrible pour les migraineux. Cette dernière partie moins raide et sur une route pas fréquentée du tout, nous repose un peu des montées abruptes de ce matin.

Le point culminant du jour et du périple apparaît enfin. Quelques mètres et nous y sommes. Sacrée étape. Nous découvrons l'autre côté de l'Appenin traversé, une profusion d'éoliennes au travail, des plaines jaunes couleur d'herbes sèches s'étendent au-delà de notre vision.

Le sommet, enfin ! 

Un selfy au sommet, nous avons encore quelques réserves dans nos jambes pour rejoindre le village de Celle di San Vito malgré une fatigue installée depuis quelques heures.

Nous traversons le village mignon et désert pour rejoindre notre B&B du jour. C'est un restaurant qui accueille aussi les pèlerins. Pour couronner le tout, nous débarquons les traits tirés, la mine fatiguée dans notre accoutrement pèlerin en plein anniversaire de mariage. Musique à mille décibels, l'animateur ajoutant d'autres décibels à ceux de la chanson, des enfants jouant à hurler, les serveurs en agitation maximum. Dans le décor désertique de cette journée, j'avais presque oublié que j'étais en Italie.

Il est dix-neuf heures trente, les convives reprennent le chemin du retour à la casa. Enfin tous les deux, au calme avec nos lasagnes, rôti de porc et de légumes fris. Virginia, la patronne, s'agite autour de nous avec gentillesse. Retour au calme. Ouf !

23

Date : 16 octobre 2023

Heure de départ : 8h10

Heure d'arrivée : 12h30

Temps : 4h20

Distance : 17.87 kilomètres

Ce matin nous nous permettons de nous lever plus tard, l'étape du jour redevient raisonnable et nous ne voulons pas rater le petit-déjeuner inclus dans le B&B.

Le petit-déjeuner italien n'est vraiment pas fait pour les français. Un cappucino ça passe bien mais avec un beignet au chocolat ça passe moyen.

Lorsqu'on aura à nouveau une cuisine, nous nous régalerons avec des bonnes tartines beurrées, du bon miel ou de la bonne marmelata.

Nous retraversons le village endormi dont les maisons sont décorées avec des guirlandes de Noël. Des drapeaux italiens et français flottent au dessus de la rue principale, ce qui me laisse interrogatif. Nous apprendrons dans la matinée la raison de la présence du drapeau français.

Une montée, il y en aura que deux aujourd'hui, torchée en un rien de temps. Il faut dire qu'hier nous avons eu notre entraînement commando. Aujourd'hui c'est poupouille, si je puis m'exprimer ainsi. Nous sommes dans les Pouilles pour ceux qui ne suivent pas.

Celle di San Vito

Nous atteignons le point culminant du jour à neuf cents mètres d'altitude en un rien de temps, la descente peut commencer nous sommes en forme.

Une voiture s'arrête, un couple d'un âge moyen nous interpelle avec les habituelles questions. Voyant qu'il paraissait être du coin, je lui demande pourquoi tous ces drapeaux français. En fait Celle di San Vito et la commune voisine de Faeto, ce sont toutes deux une enclave de langue francoprovençale où est parlé le faetar ou faetano, héritage d'un mouvement de population remontant au xive siècle. C'était suite à l'intervention d'un roi Charles quelque chose qui en mille trois cents et quelque chose annexa les deux communes pour combattre la papauté. Depuis, les habitants ont conservé la traduction de la langue d'oïl et non pas la langue d'Oc.

Incroyable non ?

Nous quittons ce couple en voiture avec la patate et les jambes surexcitées.

La descente se poursuit sur une route avec des lacets, peu de voiture mais un crachin qui se transforme en petite pluie. Pour la première fois en trois semaines que nous déballons nos affaires de pluie, on ne les aura pas portées pour rien.

Notre regard se porte devant un paysage de désolation, d'éoliennes et des champs à perte de vue certains labourés, d'autres le brûlis y est pratiqué.

Une autre voiture s'arrête cette fois-ci c'est un belge qui parle italien. Échanges habituels, il nous explique que nous allons nous croiser, il amène sa voiture à Troia, notre final et remonte à pied à Celle di San Vito. Rien compris au micmac de ce brave homme. Je tente de comprendre en lui demandant pourquoi il fait cela. Son ami ne se sent pas bien donc il fait une navette. Pas mieux compris. Comme nous sommes à douze kilomètres de notre point final nous devrions le croiser dans une heure trente maximum. Et bien, nous n'avons croisé personne. Toujours pas compris.

Je peux dire qu'aujourd'hui nous sommes sur les chemins noirs, tout est noir, la terre, les brûlis, le ciel mais pas notre moral. Lui, il est au beau fixe malgré une pluie un peu moins crachin et des chiens qui voudraient bien se farcir deux pèlerins trempés et de plus en plus musclés des jambes.

Pour les chiens maintenant j'ai la phrase magique que je connaissais mais je ne savais pas que les chiens pouilleux ( qui ont des poux et qui sont de la région des Pouilles, rires) avaient appris le piémontais. "Païssa via", fiche le camp en le répétant deux fois au moins. Hier j'avais déjà utilisé deux fois l'expression. Le premier chien d'hier alors qu'il était vraiment hargneux, dès qu'il a entendu le "Païssa via", c'est arrêter net d'aboyer tout en repartant en sens inverse. Le deuxième d'hier, itou et ce matin re itou deux fois. Je crois que je tiens le bouclier absolu pour me défendre des chiens peu coopérants. Faut faire gaffe quand même si jamais il y en a un qui n'aime pas les piémontais.

N'empêche qu'à chaque fois, la chair de poule (mouillée car il pleut) apparaît sur mes bras.

Nous quittons la route au bas de la descente, il nous reste huit kilomètres de plat sur une piste carrossable.

Mais là, un big problème survient. La piste n'est pas pierrée ou gravillonnée, c'est de la terre voire de la poussière mouillée, idem celle des labours.

Tous les dix mètres nous devons nous décrotter, deux ou trois kilos de cette terre noire, collante et bien lourde qui s'accroche à nos sandales. Quelle galère ! Notre rythme de dingue de ce matin, nous devons totalement le réduire car en plus c'est glissant. Nous marchons ainsi presque cinq kilomètres, les pieds plus lourds que nos sacs. Mais c'est avec un fou rire que nous faisons des pauses de décrottages obligatoires. On ne va traverser le village de Troia dans cet état. D'autant plus, que nos pantalons ressemblent à deux serpillières baignées dans un bain de boue. Petite étape pleine de surprises.

Ce soir nous serons à l'Ospedale del Cammino, accueilli par Antonio qui gère aussi un petit musée des objets d'antan utilisés pour le blé, la vigne et l'olive. Il prend beaucoup de plaisir à partager son histoire et nous à l'écouter.

En faisant nos achats de fruits et sandwichs pour demain, une mamie nous arrête pour nous demander si nous avions visité la cathédrale. Elle nous demande de l'accompagner jusqu'à son église pour la prière, en chemin elle délivre, sans retenue, presque toute sa vie, son mari décédé, ses enfants, ses sept petits-enfants, son voyage en Allemagne et son envie de faire comme nous faisons actuellement : la Francigena. Mais ses jambes ne la portent plus assez, elle poursuivra ses aller-retours quotidiens de chez elle jusqu'à son église. Belle étape aujourd'hui.

24

Date : 17 octobre 2023

Heure de départ : 7h06

Heure d'arrivée : 14h00

Temps : 7h00

Distance : 24.4 kilomètres

Désolé mais hier à Troia la connexion internet fonctionnait avec des sautes d'humeur, je n'ai pas pu me relire et ni publier les photos souhaitées. J'ai apporté les corrections et les ajouts aujourd'hui. Les villages que nous traversons sont vraiment paumés dans la campagne des Pouilles au milieu de vastes plaines de terres noires et d'éoliennes en action. Nous voyons en traversant les Pouilles qu'elles sont le grenier de l'Italie.

Départ ce matin sous une pluie fine presque un gros crachin, les sacs chargés de petites victuailles car sur l'étape du jour il n'y aura rien sur notre passage, même pas de l'eau sauf celle qui nous arrose. Petit-déjeuner dans le village dans un minuscule bar déjà bruyant et plein de trioiains cigarettes au bec et café dans la main.

Petite descente sur une piste bétonnée un peu glissante puis une route vers un paysage plat, gris, pluvieux, humide, triste, sans relief dont les odeurs de brûlis nous prennent déjà le nez. Cela fait trois jours que nous flairons cette odeur de cramé en permanence. Notre nez, nos poumons, nos habits, nos affaires empestent ces relents d'incendies permanents.

Troia et le cammino

Notre allure soutenue nous permet d'enfiler les kilomètres, il faut dire que c'est plat de chez plat, de longues lignes droites interminables. On pourrait presque s'endormir, se mettre en pilotage automatique et marcher, marcher, marcher, sans même trop regarder car en fait, il n'y a rien à voir d'intéressant.

Seuls quelques chiens en liberté nous rattrapent pour tenter de nous boulotter les mollets. Phrase magique "Païssa via", ils stoppent net leur approche et nous observent assis sur leur derrière.

Des éoliennes, des panneaux solaires, re éoliennes, re panneaux solaires pathétiques car il n'y a pas de soleil aujourd'hui. Que des nuages bas, une toute petite brise venant du nord, pas top pour les éoliennes et des flaques par-ci par-là dans les trous de la chaussée défoncée et abandonnée de toute circulation.

Je pense qu'au printemps le paysage doit avoir une toute autre allure avec les mêmes champs couverts de blé balayés par les vents venant des Apennins. Comme il pleut autant que ça soit dans un paysage sans trop d'intérêt.

Vue sur Castelluccio dei Sauri

Il est onze trente nous devons faire une pause casse-croûte obligatoire. La pluie, le vent, l'humidité et la fatigue qui pointe son nez nous donne l'envie de nous arrêter là au milieu de rien, pas de chiens aux alentours, la pluie fait une pause, elle aussi. Même pas de quoi s'asseoir. Sur le chemin, nous déballons notre pain, jambon et bananes. Il y a une heure, à un croisement, une petite épicerie bar nous tendait la main. Pensant qu'il y avait un petit hameau juste à quelques kilomètres après ce petit magasin planté là au milieu de rien, nous nous y arrêtons pas. Grave erreur. Pas de hameau nommé Giardinetto, seules des maisons ressemblantes à des maisons des passages à niveau, totalement abandonnées, jalonnent ce cammino monotone.

Castellucio dei Sauri juste en face de nous s'étale copieusement sur la colline, nous improvisons un déjeuner frugal sans pouvoir s'asseoir, même sur une pierre. Plus que quatre kilomètres d'efforts alors que le village se dresse au bout de ces champs labourés. Le cammino fait un détour pour faire durer le plaisir.

Dernière montée bien raide mais courte, dernière frayeur à cause de deux chiens heureusement bien attachés au milieu d'une carrière. Oui, nous traversons une carrière de graviers où deux molosses très énervés tirent sur leurs chaînes tant qu'ils peuvent. Si une des laisses lâchent, nous sommes cuits de chez cuits. Le patron des molosses intrigué sort d'une guérite pour les calmer. Nous le remercions en le saluant. Nous sommes deux humains recouverts d'une chair de poule (sèche, il ne pleut plus).

Treize heures, timbro à la mairie du village, petit café au bar près du "commune", nous nous dirigeons vers notre hébergement du jour à la sortie du village désert. Grand luxe aujourd'hui, ça change d'hier de l'Ospedale del Cammino en presque donativo.

Peu de photos sur cette étape, Castellucio dei Sauri y a vraiment rien à voir. Demain nous serons à la moitié des kilomètres restant à parcourir.

25

Date : 18 octobre 2022

Heure de départ : 7h45

Heure d'arrivée : 12h30

Temps : 4h45

Distance : 20 kilomètres

Le petit-déjeuner de ce matin dans le B&B hôtel restaurant obtient le pire classement dans le hit-parade des colazione. Cappucinos sans lait crémeux, biscottes émiettées, Nutella pas top, un verre d'eau et un cornetto sorti certainement d'un congelo sont les composants de ce petit-déj de Castellucio dei Sauri. J'ai bien tenté de réclamer quelques tranches de pain, même de la veille avec du beurre mais "Mi spiace" (désolé), la serveuse n'en avait pas.

Depuis une semaine nous sommes contraints d'aller au restaurant ou de prendre le petit-déjeuner inclus dans B&B car pas de cuisine à disposition, nous préférons, de loin, faire notre petite cuisine saine et variée mais c'est ainsi.

Hier soir, moment mémorable pendant le dîner. Il est vingt heures, comme convenu avec la gérante nous nous pointons dans le restaurant transformé en surprise party pour un anniversaire d'un enfant d'environ six ou sept ans. Pendant plus d'une heure les animatrices vocifèrent dans leur micro avec en fond des musiques brésiliennes approchant les cent cinquante décibels, les enfants, au moins une vingtaine, tournoient dans la salle de restaurant autour des tables en se criant dessus. Une scène digne d'un film de Federico Fellini ou de Ettore Escola. Comme nous sommes devenus très zen, rien ne nous désole sauf que nous devons hurler nous aussi pour échanger nos impressions du jour, assis à notre table la marmaille et les animatrices excitees comme des puces à quelques enjambéesde nous. A cela s'ajoute le défilé d'une serveuse puis d'une autre serveuse, puis du grand-père, puis du père, puis du fils, puis de la fille ou la belle-fille pour s'inquiéter de notre sort et prendre notre commande. "Tutto va bene". Et bien sûr que tutto va bene même si l'on doit s'appareiller d'un système auditif dès notre arrivée à Pizay pour cause de tympans crevés.

Donc, soirée pizza avec cent cinquante décibels dans les olives de la pizza. Essayez de manger une pizza dans un tintamarre assourdissant, cela n'enlève rien à l'envie de l'engloutir avec appétit.

Démarrage ce matin avec ciel un peu nuageux sans risque de pluie, une couverture nuageuse d'un rouge éclatant nous donne le pep's suffisant pour cette étape courte de vingt kilomètres.

Ce matin, le feu dans le ciel

Le chemin longe le restaurant-hôtel de cette nuit pour ensuite contourner le village au pied de la colline. Sur notre gauche Castellucio couché sur la crête, sur notre droite toujours les terres noires des labours humides et légèrement fumant comme si la terre respirait ou émettait un dernier souffle matutinal pour démarrer cette nouvelle journée qu'on espère ensoleillée.

Nous, les cyclistes et la route

Le cammino aujourd'hui nous surprend par quelques montées légères qui nous permettent, une fois le sommet franchi, de découvrir une autre vallée toute aussi identique à celle que nous venons de fouler. Cela fait plus de trois jours que le paysage demeure identique à lui-même, sans surprise, sans couleurs vives, avec un relief aplani et un ciel mi-figue mi-raisin que nous ne consommons plus au fil de notre périple. Je parle des figues et du raison bien sûr.

Nous quittons le sentier pour reprendre une route fréquentée. Sur le sentier, les tirs des chasseurs cassaient l'ambiance tranquille de la campagne malgré les éoliennes immobiles dans le lointain de l'horizon un peu voilé et l'humidité ambiante. Deux kilomètres de route puis à nouveau un chemin blanc. Nous faisons une pause poire gruyère bien trop gras.

Un camion s'arrête à notre hauteur, le chauffeur nous demande si tout va bien. En fait il souhaitait savoir ce que l'on faisait, où on allait, etc. Discussions sur la France, l'agriculture, le travail, la Francigena, Lyon, notre marche à pied qui les étonne de plus en plus, des difficultés de la vie, plein de trucs comme ça juste pour parler. Une envie de causer sans barrière, juste le plaisir de se connaître un peu. On a même su les dates de naissance de ses parents, du coup je lui ai donné celles des miens, en lui donnant des détails sur leur migration en France à cause de la famine dans leur région natale et tutti quanti.

Va trouver un français qui s'arrêterait devant des étrangers à l'allure chelou pour parler de la vie et de la famille. Impossible.

Passage de rivière

Le chemin serpente entre les champs en lignes droites sur des kilomètres. Les terres, toujours aussi noires m'inspirent d'un paysage d'antan où les coulées de lave avaient très certainement inondé la région voire une grande partie du pays. Le village de Castellucio dei Sauri où nous étions ce matin, il y a quelques années a subi un important séisme détruisant une grande partie du patrimoine historique et les habitations de ces pauvres gens. Ici, les maisons s'élèvent au maximum sur deux étages, le plus souvent un seul, avec un toit plat servant de terrasse pour faire sécher le linge. Les quelques constructions nouvelles sur notre passage ne me paraissent pas construites selon les normes anti-sysmiques car la plupart s'élèvent avec des murs en briques rouges maintenus par des piliers bétons plutôt fluets.

Nous sommes le premier jour de la quatrième semaine, les jambes, le corps supportent amplement vingt kilomètres par jour sans signe de fatigue à l'arrivée même si notre esprit nous envoie un signe de plaisir pour chaque final. Ce qui veut dire que nous n'avons pas rencontré de difficultés, pas de chiens teigneux, pas de chevrotines sur notre passage, pas d'incident sur les routes traversées, pas d'agression d'aucune sorte. On peut dire que nous gagnons en esprit tranquille avec un rythme bien rodé et son lot de belles surprises quotidiennes.

Ordona apparaît déjà alors qu'il nous reste presque cinq kilomètres à gambader à travers une campagne un peu plus verte, un tout petit peu plus verte.

Sur la place de la mairie encore ouverte, il est douze heures trente, nous nous précipitons vers le bâtiment communal pour le saint tampon. Un employé de mairie nous demande de patienter. Nous patientons dans le hall. Madame la mairesse veut nous voir. Ok, allons voir madame la mairesse. Nous sommes reçu dans son bureau, elle nous annonce que c'est chez elle, dans un des ses logements que nous serons accueillis. Adalgisa La Torre élue mairesse en 2020 nous fait monter dans sa voiture pour nous conduire à notre logement. Bien sûr, elle n'attache pas sa ceinture et bien sûr elle téléphone d'une main en maintenant le volant de l'autre. Elle est pressée, elle doit récupérer sa fille à l'école à Foggia, trente minutes en voiture puis elle revient vers nous pour le timbro, pour les documenti et pour les cinquante euros de la nuit.

Nous visitons les quelques rues de Ordono, j'en baptise une "rue de la déprime", zone piétonne sans piétons.

Ordona, un jour mais pas plus.

26

Date : 19 octobre 2023

Heure de départ : 7h35

Heure d'arrivée : 12h50

Temps : 5h20

Distance : 21 kilomètres

Hier soir nous avons pu cuisiner en toute tranquillité en prenant notre temps pour choisir notre menu, pour le plaisir de cuisiner et pour être un peu comme chez nous dans cet appartement immense en plein centre de Ordona.

Petit-déjeuner à la française pris dans la cuisine, nous avons évité la salle à manger immense et presque totalement vide de meubles. Rangement rapide de nos affaires, nous laissons notre hébergement sans nous retourner

Le cammino suit une route où deux voitures se croisent à peine, de chaque côté de l'asphalte, des champs labourés au peigne fin et des éoliennes en action prêtes à délivrer leur jus électrique à toute l'Italie. C'est notre paysage quotidien, il faut dire que l'on n'arrive pas à s'y habituer.

Des lignes droites à l'infini dans un décor toujours aussi plat malgré quelques petites montées modérées sur plusieurs centaines de mètres et des descentes douces toutes aussi longues. Nous avons de longs moments de silence, l'un derrière l'autre, chacun prenant la tête de file en fonction des arrêts pipi ou des clic-clac d'une prise de vue photographique. Parfois un détail mérite un cliché, d'autres fois c'est plutôt le panorama ou une perspective inhabituelle que l'on veut mettre dans notre blog. L'idée est de recueillir des images en lien le plus étroit avec notre périple et notre désir de partager.

Les champs de blés ont laissé la place aux champs de légumes, persil plat, persil frisé, aubergines, brocolis, fenouils et sans doute d'autres variétés de légumes tapissent, aussi loin que notre vue le peut, ces espaces dont les sillons sont tirés au cordeau. Des milliers de tonnes de légumes présents à nos pieds seront demain dans les marchés, chez les industriels ou autres circuits dont l'Italie a le secret.

Quelle soupe !

L'étape reste malgré tout très plate, un peu moins monotone que les autres jours. Au fur et à mesure de notre avancée nous composons notre minestrone symboliquement avec les légumes en pleine croissance que nous croisons sur notre passage. Les odeurs aussi sont caractéristiques lorsque nous approchons d'un immense champ de persil plat ou de persil frisé. Je n'avais jamais vu une aussi si importante quantité de prezzemolo d'un vert très vif avec des senteurs aussi fortes. Par contre, aucune odeur du côté des aubergines grosses comme des courges, quatre ou cinq unités accrochées au même pied. Le brocoli que l'on peut sentir très facilement de loin même s'il est déjà partiellement ramassé, le brocoli n'est plus mais il reste la plante feuillue qui parfume l'espace, légèrement venté ce matin.

Une meute de petits chiens et de chiens de bonne taille nous poursuivent la rage aux dents. Ils accourent de la seule maison au milieu de rien. Phrase magique et quelques menaces de bâtons m'a permis de les garder à distance. Une vraie plaie ces clébards.

Stornarella

L'avantage du cammino plat, sans trop me répéter, c'est les kilomètres parcourus sans beaucoup d'efforts même si le paysage reste malgré tout monotone sauf quelques coups de chaud avec les enragés à quatre pattes.

Déjà quinze kilomètres avalés sur une vingtaine que compte l'étape. C'est Stornarella, petit village au milieu des champs de futurs minestrone et d'éoliennes agitant leurs pales bruyantes.

Arrêt cappucinos dans un bar près de la mairie. J'en profite pour quémander le timbro du jour car pas sûr de l'avoir à Stornara notre étape du jour. La mairie ouverte, je m' engouffre en me dirigeant vers l'accueil. "È chiuso", c'est fermé. Une voix de femme en train de téléphoner stoppe net mon élan. J'explique avec mon baratin habituel. "Connais pas" me dit-elle "et puis c'est fermé". Soit, je retourne au bar pour savourer le cappucino et deux beignets tomates mozzarella absolument délicieux, déçu de n'avoir rien pu obtenir.

C'est là qu'un monsieur s'approche de nous et nous demande en s'excusant car il ne voulait pas nous importuner : "Êtes-vous allés à la mairie pour le timbro, vous êtes des pèlerins, n'est-ce pas ?". J'explique mon échec de tout à l'heure. Nous commençons à échanger sur son rêve de parcourir le chemin de Compostelle avec sa femme tout en nous expliquant qu'il fallait qu'il attende que sa belle-mère de quatre-vingt dix ans trépasse pour pouvoir le réaliser. Je pense qu'il avait deux rêves en tête, c'est juste une supposition. Un deuxième monsieur s'ajoute au premier et reste coi sur le fait que nous sommes venus à pied de si loin. Pendant qu'on échange avec le second monsieur, le premier pénétre dans la mairie et revient accompagné de Brigitta, une secrétaire de la commune toute heureuse de bien vouloir nous tamponner notre passaporto comme ils disent. Je retourne à la mairie, un autre secrétaire sort l'attirail du tampon municipal et appuie sur nos deux crédenciales avec une grande satisfaction du devoir accompli. Brigitta tellement heureuse qu'elle me demande si on peut faire un selfy avec elle devant la mairie. Allons-y pour la photo devant une plaque boulonnée sur le mur de l'édifice en mémoire des juges Falcone et Borsellino massacrés par la mafia en 1992. Toute la municipalité lutte contre toutes les mafias, c'est ce qui est écrit aussi sur cette stèle commémorative.

Nous disons au revoir à nos rencontres du jour à la fois le cœur gai par nos discussions mais aussi triste par ces événements horribles qui gangrènent l'Italie.

Plus que cinq kilomètres, une ligne droite sur une piste cyclable pour arriver à Stornara, ville des murales (fresques murales) et du festival du rap.

Le soleil a repris du service, les cinq kilomètres nous assomment un peu par la chaleur. Les deux villes sont reliées par cette ligne routière parfaitement droite sans ombre.

Petits paninis, boisson frizzante et petites coupes de gelato avant d'aller rejoindre notre hébergement. Assis à notre table de la terrasse du café, deux mamies curieuses nous questionnent. Nos réponses sont presque automatiques et leur étonnement tout autant lorsque nous leur expliquons d'où nous sommes partis, de notre destination finale à Santa Maria de Leuca et tout cela à pied.

Les murales de Stornara

Petite passegiata dans la ville au milieu des murs tapissés des peintures d'artistes locaux, les rues désertes cet après-midi foisonnent de papys attablés, de mamies en promenade, de gamins qui jouent au foot devant la mairie, de chiens qui aboient. Nous sommes attablés devant ce spectacle humain en pleine agitation et comme dit Guylaine nous retiendrons plus facilement les échanges avec ces inconnus rencontrés au hasard pendant notre périple que les paysages traversés aussi magnifiques soient-ils.

27

Date : 20 octobre 2023

Heure de départ : 8h14

Heure d'arrivée : 12h 50

Temps : 4h40

Distance : 20 kilomètres

Premier petit-déjeuner italien presque complet avec jus de fruits, viennoiseries en plus du traditionnel cappucino et la bouteille d'eau, alors que l'hébergement était très moyen au niveau des prestations pour un tarif plutôt élevé. C'est un bon début alors que nous approchons de la fin. Rassurez-vous il reste encore deux semaines, je n'ai pas encore fini de râler sur les toutous qui me donnent la chair de poule.

La sortie de Stornara se fait par une route longiligne peu fréquentée sur deux kilomètres pour prendre ensuite un chemin comme je les aime. Des petits gravillons à terre, des oliviers pesants d'olives dont pour certaines commencent à virer au noir, des vignes super bien entretenues, quelques arbres fruitiers sans fruits, les oiseaux qui chantent, presque pas d'éoliennes, le top. Même si le cammino se dessine en longue lignes droites qui délimite les propriétés, le sentier nous rend la vie facile, nous avons la pêche, nous pouvons parler sans prêter attention à l'environnement ou àla circulation. Nous sommes heureux de retrouver du paysage vert, du beau chemin bien large, des petites montées pour s'endurcir les mollets, des tracteurs presque pas bruyants qui raclent les terres pour les aérer. Tout ceci contribue à faire monter notre plaisir intérieur, à rendre notre esprit encore plus réceptif à notre environnement, à imaginer d'autres périples fantastiques, à poursuivre celui-ci avec délectation.

L'étape du jour ne dépasse pas les vingt kilomètres mais je trouve le moyen de rater une bifurcation, cinq cents mètres de plus, soit un kilomètre de rabe. Les indications quelquefois se cachent dans des endroits pas possibles. Pour ce croisement il n'y en avait pas et comme il y a énormément de croisements, il faudrait constamment regarder la montre, ce que je ne fais systématiquement car parfois emporté par mon élan et mon envie de marcher je rentre dans ma bulle intérieure pour écouter ce qu'il s'y passe.

Au moins une douzaine de clébards courent en aboyant vers nous depuis une ferme totalement ouverte, des petits mais surtout des gros et bien méchants en plus. Chance, nous devons tourner à droite pour prendre un autre sentier. Damned, deux autres chiens encore plus énormes que les plus gros de la meute. Un énorme camion prend le même chemin que nous. La meute court toujours vers nous, les deux autres aussi. Bref, nous allons être encerclé par ces bestiaux qui doivent se dire : c'est bien notre chance aujourd'hui, nous allons nous faire un couple bien musclé et encore un peu grassouillet. Je fais signe au conducteur du camion pour lui demander si l'on peut monter avec lui car une bande de corniauds aux canines bien pointues et aux pattes bien velues nous ont choisi comme petit-déjeuner à la place des croquettes habituelles. "Non fanno niente". Ils ne sont pas méchants qu'il nous dit le planqué dans sa cabine à deux mètres du sol. Nous nous mettons derrière le camion qui avance à pas de loup ( heureusement qu'il n'y en a pas) et on le suit. Ma phrase magique dans ces cas-là tu l'oublies, la première chose qui te viens à l'esprit: est-ce que notre assurance va fonctionner s'il me reste encore un bras ou une main pour téléphoner au pronto soccorso, aux urgences en français. Toujours derrière le camion, la meute ne semble pas nous suivre, peut-être que les gazs d'échappement ont dispersé notre odeur dans la nature. Et pour les deux autres clébards, totalement disparus de la circulation, plutôt du sentier. On s'en sort encore une fois. Dire que c'est la providence ou que la vie nous veut du bien, qu'on a la baraka, ou bien parce que l'on visite tellement d'églises ou de cathédrales que le grand Ordonnateur nous fait une faveur. Va savoir.

Nous reprenons le chemin et nos esprits un peu secoués par ce petit intermède canin.

Le chemin lui n'a pas changé, toujours aussi agréable et même avec un peu d'ombre. Car oui, le soleil revient titiller nos bras nus et nos jambes découvertes. Chapeaux et lunettes de soleil obligatoires même dans ce paysage attachant, rempli de poésie verte et de sonorités presque printanières.

Avez-vous déjà vu ou goutté l'olive verte de Cerignola ? Ce n'est pas une olive, c'est un bigarreau, grosse comme une patate ratte, un mastodonte d'olive, tu mets trois olives de Cerignola sur ta pizza, tu ne vois plus ta pizza. Si, si, j'ai essayé. C'est une espèce spéciale et autour de nous il n'y a que cela. J'en ai choppé trois que je fourgue dans ma poche. Je les planterai dans un pot. Ok, il n'y a aucune chance qu'elles poussent mais avec la baraka qu'on a, je peux toujours essayer. Ça mange pas de pain comme on dit.

La culture de cette variété d'olives, répandue dans la région de Tavoliere di Capitanata, remonte au XVe siècle, à la suite de l'introduction, par les Aragonais, de variétés locales d'Espagne, mais selon d'autres sources, elle a une origine plus ancienne et est une variété indigène dérivé de l'Olive Orchites cultivé par les Romains. Va falloir la goûter cette olive géante.

Cerignola est la troisième ville d'Italie la plus étendue sur son territoire après Rome et Ravenna, c'est vous dire qu'il y a des choses à voir.

Après-midi de prospection dans la ville, nous commençons par le fameux timbro, nous allons d'un bon pas vers le "comune" de la ville. Nous sommes reçus par un supérieur de la police municipale qui se met en quatre à coup d'appels téléphoniques pour nous dégotter le timbro. Pas moins de trente minutes plus tard una signora vicesindaco, adjointe au maire, qui nous explique que la municipalité ne peut pas nous tamponner notre crédenciale parce que c'est un sceau officiel et qu'elle n'a pas ce pouvoir. Tutto va bene. Par contre, elle nous pose mille questions sur notre périple. Pour le dire autrement elle ne connaissait absolument pas la Via Francigena ou bien elle s'y était intéressée de très loin.

Nous repartons errer dans la ville pour tenter le timbro à la cathédrale qui ouvre en principe à 17h45.

Dix-sept heures cinquante cinq, porte close. Damned, peut-être pas de timbro aujourd'hui. Dommage, on a failli se faire bouffer par la meute pour rien. Je plaisante bien sûr.

Je tente un appel au diocèse sis à l'adresse de la cathédrale. Là, quelqu'un décroche, j'explique ma litanie. "Arrivo subito". Le secrétaire de l'évêque de Cerignola en personne ouvre l'immense portail du diocèse et rapplique en costume de secrétaire impeccable, jeune, svelte et content de nous voir. Il nous invite dans sa garçonnière, j'abuse un peu, pour nous proposer le timbro, du café, des biscuits, de l'aqua frizzante. On choisit le tout, avec tous les sous que j'ai donné à la quête pendant les messes, je peux bien en profiter un peu. En abusant de sa bienveillance hospitalière nous lui demandons si l'on peut visiter la cathédrale encore fermée. "Certo", bien sûr. Sur ce, nous lui emboîtons le pas pour pénétrer dans la cathédrale par le passage VIP. Le secrétaire se transforme en guide expert de chaque Madone, Jesù, San Paolo, San Giovanni et autres San Frusquin. Il passe en revue toute la vie de Jésus de Nazareth devant chaque vitrail, en détaillant scrupuleusement la sainte scène. Nous n'en perdons pas une miette. Il parle un Italien facile à comprendre alors que les scènes bibliques le sont beaucoup moins pour moi. En fait, c'est passionnant car le jeune saint homme y met tout son cœur et sa science, euh sa religion. Presque quarante-cinq minutes plus tard nous le quittons, on peut dire à regret, tant il était mouillé par sa foi et nous presque trempés de sueur tant il faisait chaud.

Nous finissons notre soirée par la visite de Piano delle fosse granarie, place des fosses à grains où était stocké le blé, les fèves, l'orge, les pois chiches et autres légumineuses à haut potentiel flatulent. Sur 25000 mètres carré plus de mille deux cent trous délimités par un petit muret en pierre permettait d'y déverser et conserver les céréales pour une ou plusieurs saisons. Vraiment ingénieux ces italiens.

Avec tout ça, je n'ai pas goûté la belle olive de Cerignola. Damned.

Piano delle fosse granarie
28

Date : 21 octobre 2023

Heure de départ : 7h20

Heure d'arrivée : 11h30

Temps : 4h30

Distance : 18 kilomètres

Nous quittons ce superbe appartement à sept heures vingt après un petit-déjeuner à la française avec une machine expresso top.

Le cammino n'est qu'à une centaine de mètres de l'hébergement, nous sortons de la ville en moins de dix minutes de marche pour longer une route morne et longiligne.

Ciel mi-figue mi-raisin, la pluie annoncée par la météo n'a pas encore déversé ses bassines d'eau sur nos têtes. Nous devons aller plus vite que le mauvais temps afin de profiter au maximum des nos vêtements bien propres lavés en totalité hier dans le logement de Cerignola.

A peine quelques kilomètres sur cet asphalte que déjà une meute de chiens apparaît. Phrase du vade rétro satanas en italien, ils n'approchent pas mais attendent patiemment une erreur de notre part. J'ai le temps de prendre une photo mal cadrée d'une partie de la troupe canine. Désolé de ne pas avoir pris le temps de bien cadrer et de leur demander de faire les beaux.

Ne vous fiez pas à la photo.

Aujourd'hui je n'ai pas de positivité en moi, j'ai rajouté une photo des détritus qui jonchent le chemin devenu route poubelle. Il y en a partout, c'est un peu déprimant de marcher des dizaines pour ne pas dire des centaines de kilomètres avec ces immondices lâchées depuis les voitures ou les camions le long de ces routes ou carrément dans les chemins près des oliviers et des arbres fruitiers.

J'ai eu mon quart d'heure négatif, je reviens au côté positif. Déjà, il ne pleut pas, plus d'éoliennes, un chemin agricole orné d'arbres fruitiers en version automne, voilà notre décor du jour. Par contre, il fait chaud et humide, y a mieux pour marcher.

Les petites villages du coin ont tous subi plus ou moins des tremblements de terre. C'est ce que me disait il y a quelques jours une mamie assise à la terrasse d'un bar et qui voulait causer :

"Toute la ville est un centre historique exceptionnel mais tout a disparu à cause des tremblements de terre.". Je ne pouvais que compatir à ce constat désolant. Mais si par chance, il reste encore quelques vestiges ou édifices tout pimpant on peut aussi affirmer que les pierres ne disent rien s'il n'y a personne pour vous les raconter. Et effectivement, il y a peu de monde pour nous compter de belles histoires de ces cailloux bien posés qui donnent une belle allure aux villes que nous traversons.

Nous sommes sur une grande ligne droite d'un chemin large et parsemé de gravillons. Que vois-je à l'horizon, deux chiens au milieu de la route. Nous venons juste de réchapper à deux mâtins pas trop méchants, en voila deux autres à quelques centaines de mètres de nous.

Détour possible par un autre sentier au milieu des oliviers pour rejoindre une SP bien fréquentée. Il faut choisir le moindre mal, j'opte pour le détour qui finalement ne nous rallonge pas.

Pas de chiens dans ce secteur et après un kilomètre et demi de marche nous voilà sur cette route fréquentée mais très large : moins de danger. Il nous faut marcher deux kilomètres pour rattraper la Francigena qui a elle aussi rejoint cette SP.

Juste avant de quitter cette voie à haute fréquentation, je suis intrigué par la présence d'une femme avec un petit sac au bord de la route comme si elle attendait un bus. Nous passons notre chemin. Un kilomètre plus loin, sous un pont d'autoroute une autre femme tapotant son téléphone assise sur un fauteuil et près d'elle un canapé. L'endroit est glauque, les voitures et les camions se suivent à une vitesse folle. Cette fois pas de doute, ce sont des prostituées en attente d'un client déposées là comme un vulgaire paquet. La première n'avait même pas de quoi s'asseoir. Pas de fourgonnette aux alentours. Scène horrible que ces femmes livrées en pâture dans des conditions inhumaines et inqualifiables. Nous passons notre chemin en silence.

Plus que quatre kilomètres, nous passons un pont romain pour prendre ensuite une voie de l'empereur Trajan au pied de Canosa di Puglie. Village un peu perché avec un quartier historique qui sera notre final du jour.

Le pont romain

Onze heures quarante-cinq, nous voici devant l'église qui sera notre hébergement du jour chez Don Carmine mais il célèbre la messe d'une cérémonie de mariage. Il nous faut attendre la fin de cette union religieuse. Cappucinos, Crodino, petites olives et chips, nous font patienter dans un bar de l'autre côté de l'église.

Une heure trente plus tard, nous sommes en face de Don Carmine, dans son bureau, il a lâché sa soutane pour un tee-shirt décontracté, dehors il pleut des cordes, il nous accueille avec gentillesse dans un petit appartement proche de la sacristie. Douche froide au propre du terme mais sa bienveillance nous réchauffé le cœur.

Le bureau de Don Carmine

En cette fin d'après-midi c'est avec Riccardo que nous passons un super moment. Riccardo est le frère de la responsable de l'association de la Francigena à Canosa di Puglia. Sa sœur l'a mandaté pour nous accueillir et nous faire visiter une partie de la ville. Canosa a été une des plus importantes villes commerciales et d'autonomie de gestion de l'époque romaine. Cypion l' Africain y vécut, San Sabino y naquit et y mourrut. Il y a plus de vestiges sous la ville de Canosa que dans une grande partie de la région de l'Italie du Sud. Il m'est impossible de vous conter tous les événements décrits avec passion par Riccardo, trop nombreux et de temps en temps je lâchais l'affaire. Sans doute un peu de fatigue ou un coup de mou. Oui, aujourd'hui nous avons eu un coup de mou, pas forcément de fatigue, peut-être une envie de se poser. Il faut dire que cela fait quatre semaines que l'on marche sans jour de repos, tous ces détritus, ces chiens nous ont un peu sapé le moral mais pas les jambes. Vivement mardi à Bari pour un jour de farniente. Ces quelques heures avec Riccardo nous ont donné l'énergie de la reprise au moins jusqu'à Bari.

Un jour nous retournerons dans cette région et nous retrouverons Riccardo, nous lui avons promis.

Déjeuner, ménage et visite de la ville avec Riccardo
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Date : 22 octobre 2023

Heure de départ : 7h30

Heure d'arrivée : 13h15

Temps : 5h45

Distance : 25.03 kilomètres

Cette nuit j'ai dormi sur le pire du pire des lits, en y incluant ceux de Compostelle, le GR5 et d'autres randonnées à travers le monde. Par contre aucune douleur au dos, ni ailleurs, c'est un miracle, un de plus à rajouter aux nombreux miracles survenus à Canosa di Puglia. Hier Riccardo nous racontait qu'en des temps révolus alors que les récoltes venaient à manquer et que la pluie faisait grève depuis des mois, les habitants de Canosa se sont réunis pour prier devant une statue de Jésus sise dans la cathédrale San Sabino au centre de la ville. Et là, miracle, la face de Jésus qui a l'accoutumé regardait les mouches voler toujours dans la même direction, s'est retournée vers les paysans et paysannes en pleine prière implorant une clémence ou un effort de la météo pour leurs récoltes. Riccardo dit que c'est un miracle parce que cela a été attesté officiellement par le notaire de la ville qui ce jour-là priait pour ce faire pardonner de ses péchés et qui a été témoin du mouvement de la face du Sauveur vers ces pauvres gens. Vous y croyez, vous ? Moi, je crois surtout qu'ils ont abusé d'une quelconque gnôle siphonnée dans les jarres bien au frais dans leur cave pour combattre leur désespoir et oublier leur misère.

Finalement nous démarrons à sept heures trente avec cappucinos et tutti quanti, re passage devant la cathédrale où il s'est passé plein de choses il fut un temps, nous remontons la ville pour la dominer après dix minutes de marche tranquille.

Petite route goudronnée au milieu des oliviers et des vignes aux feuillages un peu colorés, la montée se poursuit en laissant derrière nous Canosa di Puglia, la ville des miracles qui tombent à pic.

Canosa di Puglia

Nous croisons de nombreux marcheurs et cyclistes venus faire leur footing ou leur marche rapide de bon matin àla fraîche.

Nous n'empruntons aucune grande route aujourd'hui, nous en croiserons une à mi-parcours et c'est à peu près tout. Même les chiens nous foutent la paix ce matin. Soit, ils s'excitent derrière une clôture en aboyant, ce qui est le minimum syndical dans le job du toutou, soit ceux qui traînent leur misère près de notre passage, nous regardent silencieux, presque contents de nous voir passer, même pas un aboiement. Ou bien, ils se disent, c'est dimanche, c'est relâche, demain on reprend le petit jeu bien amusant, surtout pour eux.

Nous maintenons une bonne allure pour cette étape de vingt-quatre kilomètres et trois cent cinquante mètres de dénivelé, les jambes vont bien, le moral a retrouvé des couleurs, tutto va bene.

Finalement, sans les chiens tout devient un peu trop facile, il reste encore pas mal de détritus mais moins nombreux que ces derniers jours.

Dernière petite montée, nous voyons Andria devant nous au loin. Sur notre gauche à l'horizon après les forêts d'oliviers c'est Barletta, ville du bord de mer Adriatique. C'est la première fois depuis que nous avons quitté la mer Tyrrhénienne que nous apercevons l'autre côté de l'Italie. Dans deux jours nous serons à Bari, les pieds dans l'eau, nous longerons la côte Adriatique jusqu'aufinal du périple.

En cours d'étape

Il est autour de treize heures nous traversons la ville de Andria où presque la totalité des magasins affichent porte close pour cause de repos dominical. Quelques familles super bien sapées semblent sortir de quelques part, plutôt chic, vu les tenues que les dames ou les jeunes filles portent en grande majorité, jupes courtes et longues bottes noires couvrant presque les genoux. Nous dénotons un peu pour ne pas dire carrément au milieu de ces hordes familiales chicos. Un monsieur passe devant nous et nous lance : "Guten morgen" alors que nous attendons patiemment message du proprio de l'hébergement. Il nous prend pour des allemands avec nos sandales crasseuses alors que nous sommes piqués devant la porte d'entrée à attendre le sésame.

Petit tour en ville visiter, des églises et cathédrale évidemment, le reste tout est fermé. Timbro par un responsable religieux de la cathédrale qui nous transmet les coordonnées de la responsable de l'association de la Francigena dans le coin. Ça peut toujours servir.

La cathédrale et la pizza géante
30

Date : 23 octobre 2023

Heure de départ : 7h15

Heure d'arrivée : 14h00

Temps : 6h40 plus une pause d'une heure à Corato

Distance : 28 kilomètres

Le périple commence à tirer sur sa fin, comme nous devons gagner quatre jours par rapport aux étapes du guide, nous cumulons deux étapes en une aujourd'hui. Nous ferons que passer à Corato en y glissant tout de même une pause avec un minimum de visite.

Lever six heures quinze, sept heures, prêts, cappucinos et cornetti dégustés à sept heures quinze, nous démarrons la première étape du jour de Andria à Corato, treize kilomètres d'une montée très légère, presque de la routine.

Nous zigzaguons dans les ruelles de Andria, le cammino prend un malin plaisir de passer dans des rues étroites sans commerce avec un balisage plutôt bien réalisé.

En moins de quinze minutes nous rencontrons déjà des champs d'oliviers à perte de vue en empruntant un chemin agricole agréable. Seuls le cri de perruches vertes et jaunes, elles sont nombreuses dans le secteur, vient rompre un silence apaisant au milieu de ces oliviers toujours chargés en fruits prêts à être cueillis dans les semaines à venir.

En sortant de Andria

Pour l'instant, pas de chiens errants. Seule une meute à la sortie de Andria, dans la zone industrielle, se prélassent sous des oliviers en nous scrutant d'un regard intense, sans nous lâcher de leur champ de vision. Ils ne bougent pas, c'est l'essentiel. Nous filons doux.

Des oliviers, des oliviers et encore des oliviers autour de nous à trois cent soixante degrés, nous sommes gavés de la vue des oliviers. De temps à autres des vignobles. Nous en avons repéré deux sortes. Ceux sans protection destinés aux vendanges, déjà vendangés en grande majorité et ceux protégés par une bâche plastique avec un filet au-dessus. Ceux-là sont destinés au commerce, les fameux globes de raisin italien. Nous croisons deux grands vignobles où des agriculteurs, nombreux, ramassent les grappes pendantes pour les ranger soigneusement dans des caisses en carton avec la publicité du propriétaire inscrite bien visiblement sur les côtés.

De grosses grappes aux fruits bien globuleux, plutôt blanc, pendent aux branches bien chargées. De qualité inégale, le fruit manque souvent de sucre surtout lorsqu'on le compare au raisin muscat. Mais ce n'est pas le même prix non plus.

Corato

En trois heures de marche, nous arrivons à Corato, petite ville sympathique aux maisons à un étage, plutôt blanches, où les églises comme à l'accoutumé sont aussi nombreuses que les pizzerias, c'est vous dire.

Visite de la cathédrale Santa Maria Maggiore où il parrocho nous tamponne notre crédenciale d'un joli cachet très stylisé.

Une partie de nos crédenciales

L'image du dessus donne un aperçu de nos crédenciales tamponnées, il faut multiplier par deux les pages ci-dessus pour vous donner une idée du nombre de tampons que cela représente sur sur les mille six cents kilomètres que nous avons accomplis depuis 2019.

Petite pause dans un bar près du duomo avec cappucinos et toasts, avec beaucoup trop de mayonnaise. Visite d'une autre église et du sanctuaire de Santa Maria Greco, jeune femme qui paraît-il, aurait guéri de la peste la totalité de la ville de Corato en 1656. Personnellement, je trouve qu'il y a vraiment beaucoup de miracles dans cette Italie profonde surtout dans ces périodes très anciennes. L'histoire ne dit pas s'il y avait un notaire pour certifier tout cela comme à Canosa di Puglia. Je me permets de douter de ce miracle. Mais si ça arrange les italiens d'y croire, alors je ne dis plus rien.

Après une longue pause, nous reprenons la seconde étape. Juste après notre pause au bar, Giuseppe gratte sur sa guitare en chantant de belles chansons napolitaines. Nous lui avions déjà donné une pièce en arrivant dans la ville, comme nous repassons devant lui, je me dirige vers l'homme à la guitare pour lui demander l'origine de ses chansons. Napolitaines, siciliennes, des Pouilles et d'autres régions qu'il me dit. Il nous salue gentiment et nous encourage pour notre périple. Ciao, ciao, nous reprenons notre route, une belle chanson triste parvient à nos oreilles, nous le quittons tout guilleret d'avoir parlé avec ce canzoniere à la voix douce et triste à la fois.

Deuxième étape

Il est plus de onze heures, le soleil devient vraiment chaud malgré les ombres des oliviers de chaque côté du chemin. Au détour du chemin, dans un croisement, parmi les détritus cinq ou six paquets de pâtes non entamés jonchent le bas côté. C'est encore mieux que le drive de Super U, ici les pâtes, on vous les livre directement sur le chemin, il n'y a qu'à se baisser pour faire ses courses et en plus c'est gratos. Sacrés italiens, toujours en avance sur leur temps.

Voilà Ruvo di Puglia devant nous, l'étape nous a paru courte alors qu'elle ne fait qu'un kilomètre de moins que la précédente. Arrivée directement à la cathédrale, absolument magnifique de simplicité, de blancheur, une vraie merveille. Quelques photos et en route directe vers notre logement du jour, un B&B à un kilomètre à l'extérieur de la ville mais sur le cammino.

Cathédrale Ipogeo

Depuis hier soir, j'étais en contact avec Adèle, présidente de l'association de la Francigena du Sud et des hébergements de la région Ruvo-Andria-Barletta par WhatsApp. Elle souhaite nous rencontrer à Ruvo mais il me semble qu'elle nous a posé un lapin. De Adèle nulle nouvelle, nous terminerons tout de même le périple sans l'avoir rencontrée.

Dans cet hébergement situé pile sur la Via Francigena en aval du départ nous pouvons cuisiner nos pâtes avec une sauce maison faite de tomates, courgettes, champignons et un peu de viande hachée. En route pour la spesa (les courses) avec en premier lieu le tour des monuments de la ville.

Nous passons près des Torrioni, tours de défense de la ville puis en prenant la Via Veneto puis la Via Cattedrale nous sommes une deuxième fois émerveillé par la Cathédrale Ipogeo, façade blanche avec des incrustations tout autour de la porte principale, petit tour par la chiesa dell'Annunziata pour se diriger ensuite directement à la piazza G. Matteotti où le Castello du Palazzo Mélodie cotoie la Chiesa Dell SS. Rendendore, une façade harmonieuse aux couleurs pastels, bâtiments tout en longueur devant une place grandiose. Une vraie beauté la ville de Ruvo di Puglia. La Torre dell'Orologio et le Mausoleo Caputi seront les derniers édifices que nous admirons presque religieusement. Il y a bien d'autres monuments à admirer mais nous devons aussi faire nos courses pour le repas du soir.

Le tour des monuments

Demain longue étape de quarante kilomètres pour compacter notre périple et gagner les quatre jours pour pouvoir être le cinq novembre au finistère de l'Italie. De la descente, rien que de la descente, aucune difficulté, des lignes droites pour passer de l'altitude deux cent cinquante à zéro. Bari, grande ville sera notre chute de demain et notre pause pour deux jours.

31

Date : 24 octobre 2023

Heure de départ : 6h00

Heure d'arrivée : 17h00

Temps : 11h00

Distance : 43 kilomètres

Départ à cinq heures cinquante, nuit totale, le cammino colle à l'hébergement, c'est la route, déjà fréquentée par les travailleurs matinaux.

A moins d'un kilomètre du départ, la voie Trajan démarre par une ligne droite que nous devinons à peine tant la nuit épaisse brouille notre vue.

Malgré nos frontales, nous éclairons à peine nos pieds afin d'éviter les nombreux nids de poule remplis d'une eau sombre et parfois puante. Nous zigzaguons de nid en nid en prenant toutes nos précautions pour ne pas glisser ou fourguer un pied ou deux dans cette bouillasse immonde.

Six heures quarante-cinq, le jour pointe son nez à l'est, mais timidement, des nuages de brume maquillent l'horizon, l'air plutôt frais et humide pénétre nos Mérinos, gèle un peu nos mains. La marche n'est pas très agréable pour l'instant.

La Via Triania

Ce matin tôt nous avons démarré la première des deux étapes du jour. Celle-ci nous mènera jusqu'à Bitonto distante de dix-huit kilomètres pratiquement toute sur la Via Trajan, large, gravillonnée, rectiligne, bordée d'oliviers et de temps à autre d'arbustes type maquis. Les chiens hurlent sur notre passage derrière leur clôture, on leur fait un pied de nez. Enfin des gens qui respectent les pèlerins en enfermant leurs toutous.

Comme en Provence

Nous modérons notre vitesse car l'étape dépassera les quarante kilomètres jusqu'à Bari, il ne s'agit pas de brûler les cartouches sur les premiers kilomètres et se retrouver à sec à quelques encablures de la cathédrale Saint Nicolas de Bari, point d'arrivée du jour.

Il est à peine plus de dix heures, nous traversons Bitonto pour aller à la cathédrale point final de cette première partie. Édifice superbe planté sur une place déserte, top pour les photos.


Le centre de Bitonto

Nous reprenons un petit-déjeuner non loin de la cathédrale pour remonter la mécanique intérieure et absorber les vingt-quatre kilomètres restants.

La Via Trajan fut agréable, sans aucune difficulté, il suffisait de marcher et se laisser emporter par l'histoire de cette voie, aucun clébard, pas de circulation, des oliviers et des broussailles dispersées.

La deuxième partie depuis Bitonto n'a pas fonctionné de la même manière.

Après deux ou trois kilomètres, un cycliste s'arrête pour savoir ce que nous faisons sur cette portion de petite voie agricole. On lui sort notre baratin bien rodé. Il nous explique qu'il adore faire du vélo et tous les jours il enfourche la petite reine pour quarante ou cinquante kilomètres dans le coin. Il envie de faire notre périple et espère bien le réaliser un jour prochain. Les quelques instants avec ce cycliste fraîchement retraité furent les meilleurs moments de la journée hormis l'arrivée au final de Bari, bien sûr.

Le cammino depuis la rencontre avec le cycliste n'est qu'une succession de routes aux paysages pas franchement sympathiques, des zones industrielles à n'en plus finir, des détours pour pouvoir éviter les voies de chemin de fer, des tronçons routiers bruyants et pollués par les gazs d'échappement pour lesquels nous sommes devenus plus sensibles. Un cammino pénible, pas forcément fatiguant car il n'y a pas de difficulté particulière mail il est ennuyeux et surtout interminable.

La mer Adriatique approche à grands pas, un dernier effort de marche dans une zone totalement glauque pour arriver vers un petit port où nous pouvons enfin tremper une main dans cette mer si attendue depuis quatre semaines de marche.

La mer enfin!

Lungomare, nous marchons le long du bord de mer, à gauche une mer calme, à droite des immeubles sans aucun standing, des espaces vides, des chantiers en cours, des immeubles laissés à l'abandon. Je ne peux pas dire qu'ils exploitent à fond le bord de mer. Ce n'est ni beau, ni moche.

Il nous reste encore cinq kilomètres à marcher le long du bord de mer. En observant mieux le parcours, je vois que nous pouvons couper une petite partie. Taillons dans le cammino, il n'avait qu'à être plus sexy dans ce coin.

Le raccourci ne vaut pas mieux, grande artère pénétrante dans Bari, très circulée, des bâtiments industriels ou des commerces de gros. Rien de folichon.

Après le raccourci nous revoilà sur le cammino, il reste un kilomètre à faire pour pénétrer dans la cathédrale Saint Nicolas, une merveille parait-il.

Nous arrivons sur la place de ce bel édifice tout blanc après avoir sinués dans les petites ruelles en piétinant derrière des hordes de touristes espagnols.

Des chefs et des cheffes de cuisine plein la place, la cathédrale bourrée de cuistos en toque blanche, les médailles pendantes au cou, des photographes, des journalistes, la télé, des gens en costard. Il ne fallait pas vous déranger autant pour nous, un simple curé pour nous tamponner la crédenciale aurait suffi. Même un évêque et un cardinal sont présents. Guylaine a même failli percuter le cardinal ou bien le cardinal a failli percuter Guylaine, on ne saura pas mais ça a failli d'un poil.

Toques en stock

Ceci me fait dire qu'en Italie la cuisine c'est aussi une religion.

Quarante-trois kilomètres dans les pattes, nous prenons un bus pour rejoindre notre logement pour deux nuits à Bari.

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Ce jour de riposo nous le consacrons à la visite de la ville historique, ses musées, la librairie Feltrinelli, l'équivalent de la Fnac et en se perdant dans les petites ruelles étroites et sombres pleines d'authenticité même avec les nombreux touristes dont les habits diffèrent vraiment des nôtres.

Et, exceptionnellement aujourd'hui je vais faire très court en écrit mais avec de nombreuses photos prises toutes au long de cette grande passegiata barienne. Vous pourrez découvrir la Pinacoteca Corrado Giaquinto et les œuvres majeures du peintre Antonio Piccini né en 1846 à Trani et mort à Rome en 1920, peintre et sculpteur, d'une beauté incroyables, d'une précision encore plus incroyable. La visite idéale, seuls, le musée a une taille humaine, nous avons déambulé sereinement en passant d'une œuvre à l'autre dans une quiétude à faire pâlir le Dalaï-lama.

Petit tour au teatro Margherita où la mostra des photographes internationaux se déroulait. Ici, par contre, si vous ressortez avec le moral dans les étoiles de la Pinacoteca avec Piccini et ses acolytes, en ressortant de Margherita, le moral retombe dans les chaussettes et comme nous n'en portions pas, le moral fut carrément sous les pieds. Vous verrez sur les photos. Courte visite à la cathédrale San Nicolao où des hordes de russes se prennent en photo, il sont aussi ridicules que les chinois lorsqu'ils sont en touristes.

Un dernier truc, aujourd'hui nous avions tous les deux la sensation d'avoir été parachuté à Bari comme ça. Comme si nous avions rien fait auparavant, aux oubliettes la Francigena, un mois de marche et aujourd'hui plus que dalle. Bizarre sensation tout à fait désagréable. J'avais eu un peu la même sur le chemin de Compostelle lors de mes rares pauses. Si je pige bien, il ne faudrait jamais s'arrêter de marcher pour ne pas ressentir cette état d'atterrissage particulièr et zapper totalement les instants superbes passés.

Bon, demain, on reprend le cammino et c'est très bien ainsi. A vous de parler, les photos. Et celui qui trouve le nom de chaque lieu et de chaque tableau ou dessin du peintre Piccini et de ses copains gagne une pizza géante. J'arrête là.

N'oubliez pas la pizza géante !
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Date : le 26 octobre 2023

Heure de départ : 7h03

Heure d'arrivée : 12h30

Temps : 5h30

Distance : 21.6 kilomètres

Parcourue : 645.7 kilomètres

Cela fait exactement un mois que nous marchons à travers cette Francigena del Sud riche en paysages variés et bienveillante en contact avec les passants et les curieux. Nous avons démarré le 26 septembre à huit heures trente du côté ouest de l'Italie, un mois plus tard nous voilà côté est après avoir traversé le plat Latium, la Campania vallonnée et une grande partie des Pouilles montagneuses. Ces dernières étapes dévoileront pour nous et peut-être pour vous aussi, la part maritime des Pouilles avec ses oliviers séculaires, ses habitations appelés trulli que nous avons déjà partiellement découverts et bien d'autres richesses de cette belle région italienne.

Nous prenons notre petit-déjeuner au café voisin de celui que nous avions choisi hier, notre jour de repos. Celui d'hier était super mais je pense qu'il nous a pris pour des américanos. Depuis le logement, vraiment pas super, nous rejoignons le cammino qui longe le bord de mer. Il est un peu plus de sept heures, le soleil ouvre un œil dans notre direction pour notre plus grand plaisir. Longer le bord de mer à la fraîche avec un petit soleil pour pour vous réchauffer les guiboles et le reste c'est carrément top.

A la sortie de Bari

Les oliviers, les vignes et même les chiens errants ont cédé leurs places aux palmiers élancés, aux pontons avançant sur une mer bleu turquoise, aux petits bungalows un peu délaissés en cette saison, aux odeurs marines riches en iode, aux nombreuses poissonneries le long du bord de mer, aux senteurs de poissons fraîchement péchés, aux mouettes posées sur les barques amarrées dans les petits ports déserts, aux pêcheurs isolés sur leurs petits pointus au large d'une mer calme se confondant presque avec l'horizon. Le revers de la médaille ce sont les voitures, nombreuses non loin du lungomare. On ne peut pas tout avoir.

Première pause cappucinos à Torre a Mare, petit village de pêcheurs entre Bari et Mola di Bari. Après avoir pris un deuxième petit-déjeuner, on ne refuse rien, un monsieur d'allure sportive vient vers nous pour échanger, mais surtout par curiosité. Il courait lungomare lorsqu'il nous a aperçu. Il aime beaucoup marcher dans sa région mais pas un aussi long périple, huit à dix jours maximum. Comme beaucoup d'autres il est stupéfait d'apprendre que nous sommes partis de Rome. Nous reprenons notre chemin marin avec sérénité. Il ne se passe pas un jour sans qu'on nous interpelle et à chaque fois nous sommes heureux de révéler ce que nous sommes sur le point de réaliser.

Après Torre a Mare, le cammino repart pour s'enfoncer vers les terres délaissant la route bruyante et polluée. Nous retrouvons nos oliviers, nos vignes, les légumes cultivés sur de grandes étendues et pas de chiens errants. Je dis nos oliviers, nos vignes car nous faisons un peu partie du décor même si dans un peu plus d'une semaine nous le quitterons avec un pincement au cœur.

C'est un chemin agricole droit, parallèle au bord de mer que nous suivons à une encablure de cette mer d'unbleu intense. Les tracteurs circulent lentement sur cette route terreuse, les paysans nous saluent d'un petit geste presque timide, nous leur rendons en leur criant des "ciao" ou des "salve" accompagnés d'un geste de salut bien visible pour les remercier d'avoir pris attention à notre présence.

Depuis Bari, les indications classiques de la Via Francigena ont laissé la place à l'image d'un poisson rouge, plus ou moins bien réussi, assez visible sur les poteaux ou les murets le long du parcours, c'est assez amusant de suivre ces peintures murales. Il fallait y penser.

Entre Torre a Mare et Mola di Bari, des champs, des oliviers, de la vigne, du beau temps, du plat et du vrai sentier. Que demander de plus ?

Les premièrs immeubles de Mola di Bari apparaissent. Déjà des inscriptions informent le pèlerin, le cycliste voire même l'automobiliste que la ville lutte contre la Mafia. Toute une façade peinte reprend une phrase du juge Falcone avec une fresque à sa mémoire. Toujours cette affreuse réalité mais nous sentons que le peuple en a marre de cette situation qui mine l'Italie et le reste du monde.

Le juge Falcone.

"La mafia n'est pas du tout invincible, c'est un fait humain et comme tous les faits humains elle a un début et aura une fin". Juge Falcone. Vous remarquerez qu'il n'y a aucun tag ou graffiti sur les murs. Quel courage !

Un peu avant cette fresque de l'espoir écrit sur un autre mur, nous pouvons lire "Buon cammino" écrit en rouge, bien lisible, au-dessus de gribouillis insignifiants comme pour dire dans ce monde de brute et d'incohérences je vous souhaite de faire un bon chemin. Cette simple phrase devient presque une parabole, du moins c'est ainsi que je l'interprète.

Mola di Bari

Il est douze heures trente sept, assis sur banc de la place principale de la petite ville nous tentons de manger les quelques fruits, pas assez mûrs, achetés à un petit commerçant ambulant dont le monsieur semblait s'intéresser à notre aventure.

Malgré deux kilomètres de marche lungomare, notre recherche de plage à fait chou blanc, déception, nous aurions aimé faire trempette. Ça sera possible dans une autre ville de la côte Adriatique, il reste encore plus de deux cents kilomètres à parcourir.

Le port de Mola di Bari
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Date : 27 octobre 2023

Heure de départ : 6h30

Heure d'arrivée : 14h15

Temps : 7h50

Distance : 27.3 kilomètres

Enfin une bonne nuit, la nuit fut calme, le lit de très bonne qualité et la chambre coquette et bien décorée située dans une rue bruyante en début de soirée. Le calme est revenu rapidement. Ici, on ne sait jamais s'ils se disputent comme des chiffonniers ou bien s'ils causent simplement des affaires courantes en élevant la voix sans plus y prêter attention.

Départ à six heures trente pile, de vrais horloges suisses, tout est rangé, petit-déjeuner pris, pas de bobos en vue. On décolle.

Petite variante, nous suivons la route du bord de mer même s'il y a un peu de circulation. Retrouver les oliviers, la vigne, les chiens, les tracteurs, les tronçonneuses, les fenouils et tout le sanfrusquin (ce n'est pas le même que l'autre San Frusquin dont la fête tombe où elle peut), va nous faire abominer la campagne, c'est l'overdose et ça on ne le veut pas.

Donc, en route sur la route, droite, plate, à gauche la mer, à droite quelques voitures mais rien d'alarmant, plus loin la campagne que nous aurions dû traverser.

Le ciel vire au rouge, bleu, rose, toutes les couleurs y passent, nous on vire à l'émerveillement d'une nature sans cesse en création, changeante et étonnante pour notre plus grand bonheur.

Pour être droite, elle est droite cette route. L'air venant de la mer réchauffe nos corps, la température clémente nous aide dans notre progression d'un pas assuré.

En moins d'une heure nous retrouvons le balisage du petit poisson rouge juste après avoir quitté notre variante marine, une économie d'environ deux kilomètres sur notre parcours du jour, toujours ça en moins.

Le cammino se dirige maintenant franchement vers la mer pour suivre d'abord une petite route goudronnée pas fréquentée qui longe l'Adriatique puis carrément un chemin côtier avec quelques cailloux mais très praticable. C'est la première fois que nous prenons un sentier côtier dans un lieu sauvage, sans détritus avec quelques maisons très banales construites près de la mer. Je ne peux pas dire qu'ils exploitent à fond le bord de mer, d'un autre côté, laisser des immeubles inachevés depuis des années ou des bâtiments en ruine n'est pas non plus d'une grande esthétique. La Riviera italienne, côté Vintimille, Sanremo ou Bordighiera bétonne dans une totale démesure, ce qui n'est pas non plus d'une grande esthétique. Comment trouver le juste milieu ?

Nous approchons de l'abbaye San Vito, on dirait bien qu'elle est plus ou moins abandonnée. En fait, elle est fermée, c'est privé. Curieux. Près de cet édifice grandiose, petit bar avec cappucinos en guise de remontant avec une inflation galopante et même pas le sourire du patron. Déflation du sourire. Tout se perd.

Abbaye de San Vito

Nous reprenons la route, pour ce qui concerne le sentier, il y aura un autre tronçon plus long mais avant cela il faut se farcir un peu de route bruyante avec une protection pour piétons sur le bas côté et quelques joggeuses essoufflées.

Polignano a Mare, c'est le nom de la ville où nous décidons de faire un peu les touristes et nous ne sommes pas les seuls. Visite du centre historique, des ruelles étroites, ici on ne parle plus italien, ce sont les autres langues qui sont devenues majoritaires. On ne se sent plus chez nous.

Polignano a Mare

Ville natale de Domenico Modugno, dit Mimmo, né le 9 janvier 1928 à Polignano a Mare et mort le 6 août 1994 à Lampedusa, chanteur, compositeur et acteur italien  qui a fait connaître ses mélodies à la fin des années 1950, dont la fameuse "Nel blu dipinto di blu" (plus connue sous le titre de sa reprise en anglais, Volare). Sa statue sur la place de la ville est aussi horrible que celle de Jacques Brel à Bruxelles. Il faut vraiment éviter les statues, il vaut mieux chanter ses chansons, volare, oh, oh, volare...

Petit bain de pieds dans la mer à la sortie de la ville au chanteur célèbre. Ça n'a pas été facile de trouver un endroit pour se poser. Vous me croirez ou pas mais il y a peu de criques ou de "cala" comme il les appellent ici qui soient baignables. Sur une grande roche plate versant dans le mer, nous dégustons notre sandwich de 28 cm acheté chez un restaurant de la ville de Modugno quelques instants avant et bien sûr les pieds dans l'eau. Nous avons fait causette avec le patron du restaurant le temps que les 56 cm de sandwich se fabriquent. Il nous a presque embrassés en nous quittant, heureux d'avoir pu rompre sa routine professionnelle.

Nous reprenons un sentier côtier vraiment tranquille, superbe, l'eau à quelques mètres de nous, un petit vent pas trop chaud juste ce qu'il faut pour marcher dans de bonnes conditions.

Nature sauvage, propre ou quasiment propre, nous nous sentons en liberté totale dans ce lieu magique et authentique. Nous passons d'une cale à une autre toutes aussi superbes les unes que les autres. Certaines cales ont été transformées en carrière pour les besoins de construction. On aperçoit très nettement les découpes faites dans la roche. Certaines faces de rochers ressemblent à des flans de pyramides égyptiennes. Les découpes des roches calcaires, précises transforment le paysage en décor surnaturel. Nous passons d'un tableau de nature sauvage à un tableau digne d'une toile de Magritte, totalement surréaliste. Je me plais dans ce décor, ce n'est pas tous les jours que l'on peut marcher avec aisance et bonheur dans une œuvre picturale réelle. Étonnante Italie.

Nous faisons beaucoup d'arrêts pour des photos, pour admirer, pour ressentir ce bon air marin loin des turbulences routières et des hordes de touristes de la ville du chanteur aux multilples tubes, perso j'en connais qu'un "Volare".

Malgré nos fréquents arrêts notre allure ne nous fera pas arriver trop tard à Monopoli, ville étape du jour. Brusquement je ressens comme un relâchement dans ma sandale gauche. La couture vient de lâcher, pas totalement mais la sangle de l'avant pied ne tient plus que par un fil. One more problem à régler en arrivant à l'hébergement. Ma sandale doit tenir au moins trois kilomètres avant l'arrivée. Je profite de ce temps qu'il nous reste pour scruter autour de moi et trouver quelque chose qui pourrait convenir pour une réparation de fortune. Je n'ai pas eu besoin de chercher longtemps, avec les détritus autour de nous, pour trouver du feuillard et un morceau de fil de fer

Ça devrait faire l'affaire, j'aimerais bien qu'elles tiennent jusqu'à Santa Maria di Leuca, deux cent cinquante kilomètres plus loin. Je croise les doigts.

Courte visite de la ville de Monopoli, c'est notre jeu quotidien, pas le Monopoli mais le fait de visiter le lieu d'étape pour se faire "tamponner". Chance, à la cathédrale, immense, toute de marbre revêtue, des peintures partout, un plafond incroyable, un étage au dessus de l'autel (du jamais vu), un orgue monumental, un jeune sacristain nous timbre notre précieux passeport et nous remet une dizaine de figurines de la Madona col Bambino. Tout ici est surdimensionné. Monopoli, Monos-polis, ville unique, aux multiples facettes, nous penserons à toi lorsque nous jouerons au jeu.

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Date : 28 octobre 2023

Heure de départ : 6h30

Heure d'arrivée : 12h30

Temps : 6h00

Distance : 24.03 kilomètres

Reste à parcourir : 225 km

Parcourus : 705 km

La place principale de Monopoli semble animée par des anciens assis sur les bancs, au langage fort. Il est six heures trente, l'air tiède nous dorlote encore un peu. Malgré nos huit à neuf heures de "coucher", je dis bien de "coucher" et pas de sommeil, nous ne parvenons pas à avoir une nuit complète plongée dans un sommeil profond. Nous ne ressentons pas non plus de fatigue, notre corps et notre mental se sont accomodés de l'effort prolongé quotidien. Le système interne prépare l'ensemble pour faire l'étape du jour et jusqu'à présent il le fait à merveille.

Le castello de Monopoli s'éclaire par les premiers rayons de soleil qui en profitent pour peindre un décor propice à la naissance du jour. On ne peut que s'émerveiller de toutes ces couleurs vives et chaudes à la fois et cette quiétude absolue qui se transmet dans notre esprit conscient de tant de beauté.

Monopoli derrière nous

Dès la sortie de Monopoli, le cammino bifurque à gauche pour s'enfoncer dans un sentier côtier prometteur. Nous sommes à quelques mètres de la mer, le sentier prend des allures de chemin des dieux, le beau s'installe partout autour de nous même si le chemin quelquefois nous fait des misères, le balisage donne des signes d'insuffisance évidente. Cela ne nous empêche pas de jouir de ces instants précieux au milieu d'un paysage digne des films péplum où l'image crève l'écran. De crique en crique, nous montons puis descendons les rejoindre, toutes les unes plus sublimes que les autres. Des petits paradis que nous traversons l'œil et l'esprit remplis d'une belle émotion heureuse, conscients du bonheur de l'instant.

Le sentier des dieux

Nous allons quitter ces tableaux marins pour reprendre un bout de route qui longe la côte mais avec des propriétés entre la route et le bord de mer. Cette portion n'est pas la Francigena, c'est un raccourci. Le vrai chemin passe plutôt vers les terres qui d'après le guide ne présente pas d'intérêt. Cela nous économise quelques kilomètres fastidieux, de plus la route que nous prenons semble vraiment pas très fréquentée.

Nous rejoignons la Francigena au bout de trois kilomètres et demi de route, pile à proximité d'un bar. Je ne vous dis pas ce que nous avons bu.

Encore deux ou trois kilomètres et cette étape du guide sera achevée. Aujourd'hui nous cumulons deux étapes du guide. La première de Monopoli jusqu'à Savelletri et la seconde de Savelletri à Torre Canne. Nous ne passerons pas à Savelletri car il cammino nous aurait fait parcourir deux fois une distance de presque deux kilomètres par le même chemin. Nous shuntons ce village pittoresque.

Petite pause avant d'attaquer la deuxième étape du guide sur un muret au bord de la route où non loin de nous des hommes et des femmes se baissent pour remplir leurs cagettes de céleris au milieu d'un immense champ cultivé. À quelques centaines de mètres de là, des hommes et des femmes se baissent ou peut-être même pas, pour ramasser leur balles de golf et les appliquer religieusement sur les tees plantés sur un gazon parfait. Certains se baissent pour bosser d'autres pour leur seul plaisir. Je ne m'étendrai pas plus sur le détournement d'eau que le golf a réalisé pour que les fêlés du swing et du club puissent se prendre quelques instants pour Tiger Woods.

Après ce passage qui m'a carrément affecté et comme nous sommes pour l'instant toujours bénis, le golf et les champs de céleris ont cédé la place aux oliviers séculaires. Des champs immenses d'oliviers dont les formes étranges et surtout leurs dimensions extraordinaires déclenchent dans mon esprit toutes sortes d'images fantastiques. Ici un lion qui rugit, là un homme allongé, encore là une bête du Gévaudan sortant de sa tanière, les rides d'une sorcière, les doigts d'un géant trapu, le dos d'un animal préhistorique et mille autres facettes possibles. Tous présentent un tronc contortionné de mille bosses ou boursouflures craquelées, vrillé dans le sens de la rotation de la terre comme s'ils dansaient une tarantelle imaginaire, ils restent figés pour notre plus grand bonheur. Certains troncs dépassent les trois mètres de diamètre, avec des creux énormes creusés dans leur chair boisée. Ce sont des titans robustes, des géants majestueux, des monstres sympathiques, des dragons difformes, des phénomènes de la mère nature, des barbares sauvages, des chimères aux pieds enracinés dans une terre rouge sang, riche et nourricière.

Un florilège de centenaires

Sur le cammino les oliviers s'étendent dans la vallée de Fasano. La lumière du jour, claire et chaude transperce le feuillage encore chargés de fruits presque mûrs, le vent qui court dans les arbres, l’ombre tortueuse des troncs noirs s’abîme sur l’or des herbes sèches. Tout ceci, révèle le sacré. Dans un champ près de nous l’arbre solitaire et fascinant se courbe sous les rayons cuisants du soleil. La lumière inonde l’étendue des oliviers géants et fiers, elle tourbillonne légèrement à travers le feuillage d'un vert grisâtre des arbres séculaires et révèle la tension palpable de chaque tronc noir et creusé d’une tortueuse limpidité.

Torre Canne

 Le nom "Torre Canne" dérive d'une ancienne tour de garde pour protéger la côte des invasions sarrasines. A Torre Canne, il y a évidemment une tour qui a été appelée canne puisqu'elle est située près d'un grand massif de roseaux alimenté par la Grande Rivière et la Petite Rivière. Ce sont précisément ces sources qui ont été considérées comme curatives pour être appelées "Acque di Cristo" pour leur action thérapeutique. Pour passer le temps, petite trempette de pieds, non pas dans les eaux du Christ, mais sur la plage de sable à deux pas de notre hébergement. Pas de miracle, nous avons bien eu les pieds trempés.

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Date : 29 octobre 2023

Heure de départ : 6h30

Heure d'arrivée : 14h 15

Temps : 7h45

Distance : 28.7 kilomètres

Damned, il fait jour alors que d'habitude à six heures trente il fait nuit. Ah ce sacré changement d'heure, il nous a fait raté le lever de soleil. Dommage, c'était chouette les montées de l'astre encore tiède à l'horizon. Il va falloir se lever encore plus tôt pour assister au cache-cache du soleil, de la mer et des éventuels nuages.

Nous décidons de prendre le bord de mer, aucun chemin nous dit le guide, il suffit de suivre l'eau. Aucun problème les deux premiers kilomètres, le sable tient sous nos pas chargés par notre sac à dos. Arrive une propriété qui empiète carrément le bord de mer, les pieds vont devoir faire trempette, trop d'algues à moitié pourries. Nous rebroussons chemin sur cent mètre pour prendre une de ces petites traces qui mènent à la mer depuis la route.

Nous verrons plus loin pour reprendre le bord se mer.

Nous marchons deux ou trois kilomètres sur la route.

Deuxième tentative, nous sommes à deux cents mètres du bord de mer. On y va par cette trace empruntée probablement par les baigneurs. J'aperçois le bord, même pas en rêve, impossible de longer la plage inexistante, pire, des gros cailloux frappés par les vagues légères, heureusement.

Nous rebroussons chemin pour reprendre la route.

Marche sur trois à quatre kilomètres sur une route certes déserte mais une route quand même. C'est ballot, la mer à une centaine de mètres, nous sommes obligés de se coltiner l'asphalte.

Nous décidons de rejoindre la variante qui passe par les terres. Ma montre Garmin me trace un itinéraire, six kilomètres cinq cents pour rejoindre le cammino. Pas le choix, il faut se farcir les six kilomètres et des brouettes.

Je scrute le parcours sur ma montre et le téléphone tout en marchant. Nous pouvons tenter une troisième fois mais il faut traverser une SP séparée par une séparation des voies très hautes et la route est particulièrement fréquentée ce matin.

Guylaine aperçoit un passage souterrain pour les trop pleins d'eau les jours d'orage sévère. On s'y engouffre en baissant la tête. Nous rejoignons le bord de mer, pas très praticable, il y a des dunes, le chemin inexistant et de plus il faut passer une espèce de rivière à gué. Le fond rempli de sable, on s'enfonce mais on passe quand même. Une fois passé, le bord de mer, trop mou, je m'enfonce. Grosse perte d'énergie et nous n'avons fait que sept kilomètres. Tirons nous de là. Il nous faut rejoindre la trace qui se reconnectera au cammino des terres. A nouveau nous devons retrouver un passage souterrain pour traverser la SP toujours aussi fréquentée et toujours avec ce mur séparateur trop haut.

Nous nous faufilons à nouveau dans un de ces tunnels sous la route provinciale, heureusement, pas d'eau.

Nous voilà sur le tracé qui rejoindra le cammino classique, quatre kilomètres de route, pas intéressants du tout. Pas le choix

Torre Canne ce matin

Encore quelques mètres et nous voilà sur la Francigena version la terre. Il nous reste seize kilomètres à parcourir jusqu'à l'arrivée du jour. Finalement, malgré nos déboires nous n'avons pas perdu trop de temps. Par contre nous avons cramé quelques cartouches, les guiboles donnent quelques signes de ralentissement.

Nous trouvons un petit muret sympathique sur le chemin près d'un centre équestre. Va pour les bananes, petits biscuits et du pain sec.

Le cammino de la terre

Bon tant pis pour le bord de mer, nous le retrouverons sur les six derniers kilomètres du parcours en espérant qu'il soit moins problématique que celui de ce matin.

C'est un sentier à l'écart des routes principales, tranquille, plat et de temps à autres même ombragé. Quelques oliviers centenaires nous font l'honneur de nous saluer avec leurs branches agitées par un petit vent bienvenu.

Toujours aussi majestueux, ils se contortionnent depuis plusieurs siècles en prenant des positions et des formes totalement improbables.

Encore quelques mètres nous rejoignons le bord de mer. Cette fois, une piste mi rocher mi sable suit le lungomare. Il est douze heures trente, la pause s'impose. Pâtes, saucisses et courgettes d'hier soir feront l'affaire. Nous les dégustons les pieds dans l'eau. Nous rechargeons nos cartouches grillées ce matin avec ce bazar de chemin qui n'en est pas un.

Damned, la deuxième sandale est train de lâcher elle aussi. Heureusement, j'ai suffisamment de feuillard pour faire une réparation de fortune dès notre arrivée à l'hébergement. Elle tiendra bien cinq kilomètres encore.

La piste suit des petites criques où les baigneurs pataugent, les dames se bronzent, les enfants jouent et les chiens aboient. Grrrrrrr....

Quatorze heures et quelques nous voilà arrivés, contents malgré tout. Il y a eu la mer, les centenaires, une belle piste et quelques petits soucis de parcours. Rien de grave, nous sommes arrivés.

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Date : 30 octobre 2023

Heure de départ : 6h00

Heure d'arrivée : 15h00

Temps : 9h00

Distance : 34 kilomètres

Point périple : 765 / 164 km

Longue étape ce matin, lever tôt, départ six heures, nous entamons la dernière semaine. Arrivée à Santa Maria di Leuca en principe dimanche en milieu d'après-midi. En attendant, il faut se coltiner les trente-deux kilomètres de l'étape Torre Santa Sabina jusqu'à Brindisi, ville portuaire où la colonne de Trajan se dresse face à la mer juchée au bout d'un escalier monumental.

Nous rejoignons le départ situé à un kilomètre de notre hébergement. La traversée de Torre Santa Sabina ressemble à un désert, no body, pas de bar ouvert, seuls deux fumeurs tapent la conversation assis devant une terrasse de restaurant fermé.

Le sentier rejoint la plage par une piste assez praticable, ce qui est bien mieux pour mes deux sandales à l'agonie.

Torre Santa Sabina

Le sentier longe la côte quelques instants pour se décaler légèrement vers les terres, nous entendons les vagues s'échouer sur la plage mais nous ne les apercevons plus. Le chemin serpente dans des taillis verts, quelques eucalyptus un peu secs et de la broussailles épineuses. Le chemin par endroit défoncé, nous oblige à faire des écarts. Les jambes nues, nous prenons garde de ne pas les griffer à cause des herbes sèches et épineuses qui encombrent la sente.

Il nous faut quitter cette verdure pas très sympathique mais verdure quand même pour suivre une route nationale, en empruntant une soi-disant piste cyclable. Presque sept kilomètres de bruit et de pollution. Nous devons prendre garde que quelqu'un ne jette une bouteille ou un sac de détritus par dessus bord, nous sommes en contrebas de la route, un automobiliste ne peut nous voir.

La longue route asphaltée

C'est long, c'est ennuyeux, c'est bruyant, nous ne comprenons pas pourquoi la Francigena ne passe pas par le bord de mer d'autant plus que le parc national de Torre Guaceto longe ce bord. Il nous faut marcher sur cette piste cyclable qui a sans doute vu le dernier cycliste à l'époque de l'empereur Trajan. Seul un groupe de femmes courbées sur un champ immense d'artichauts nous saluent, nous faisons de même. Ce sera le seul contact sympathique du jour.

Nous quittons la piste cyclable qui longe cette route nationale pour rejoindre le bord de mer. En fait, c'est une autre route, moins fréquentée certes mais finalement pas très proche du bord marin. C'est rageant d'être près d'un endroit superbe sans pouvoir le voir complètement et nous ne sommes qu'à mi-chemin. Même pas de quoi s'asseoir, ni d'ombre, rien. Les quelques constructions affichent un désert total, que des restaurants ou bars fermés pour cause de morte saison.

Le bord de mer et le déambulateur

Un objet insolite attire mon attention sur cette morne plaine rectiligne. Je m'approche, je vois, posé contre un pylône, un déambulateur plié soigneusement prêt à servir. Ils pensent vraiment à tout ces italiens pour les pèlerins qui seraient foudroyés par un coup de vieux. J'observe l'objet et passe mon chemin. Ce n'est pas pour aujourd'hui, ni demain, il peut bien rester là pour quelqu'un d'autre.

En plus des chaussures éventrées, mon pied gauche donne des signes de faiblesse, douleur dans l'articulation, rien de grave pour l'instant. Peut-être que mes sandales tiendront plus le coup que moi. Je croise les doigts.

Nous apercevons Brindisi au loin mais d'abord il nous faut suivre la piste de l'aéroport avec les avions low-cost qui nous passent juste au dessus de nos têtes surchauffées. Une piste d'atterrissage c'est long, nous en avons l'expérience aujourd'hui, pas d'autres possibilités, aucun raccourci possible.

Brindisi, nous passons le panneau, cracra et tordu mais cela veut dire que nous arrivons au bout des trente kilomètres. Mon pied tient bon, Guylaine n'a plus de bobos, un petit fond de mal de tête mais rien d'alarmant pour l'instant.

Nous contournons le monument grandiose en mémoire de tous les morts de toutes les guerres. Il est immense mais je pense qu'il faudrait y rajouter quelques centaines de mètres de plus si on fait vraiment le décompte des morts de toutes les guerres.

Nous embarquons sur la motobarca, petite navette marine reliant les quais du port de Brindisi, l'arrivée se situe sur la jetée en face. Nous sortons de la motobarca une station avant pour vraiment finir à pied. On est pèlerin ou bien, on ne l'est pas.

La colonne de Trajan devant nous marque la fin de notre étape du jour mais aussi celle de la Via Appia.

La cathédrale, la colonne et nous.
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Date : 31 octobre

Heure de départ : 6h30

Heure d'arrivée : 13h30

Temps : 7h00

Distance : 25.38 kilomètres

Point : 140 / 790 kilomètres

Nous avons peu profité de Brindisi, notre arrivée tardive, la recherche du tamponneur de timbro, deux ou trois petites courses, le temps s'est échappé, les visites furent écourtées.

J'ai oublié l'achat d'une colle pour maintenir le feuillard entre les deux semelles. J'ai pris mon temps pour tout bien ajuster, de badigeonner de colle les deux sandales et de les coincer sous les pieds du lit de notre chambre, toute la nuit. Comme neuves. Ça a fonctionné super.

Autre point positif, mon pied gauche va beaucoup mieux, entre la bande anti-inflammatoire, plus de la pommade Voltarene, plus un cachet anti-inflammatoire et beaucoup d'eau bue hier soir, cette nuit et ce matin. Plus de douleur, pour l'instant.

La sortie de ville de Brindisi se fait par un quartier populaire où les maîtres et maîtresses se font traîner par les toutous pas très dociles.

Nous nous écartons de la route principale en moins d'une demi-heure pour prendre une voie très secondaire fréquentée par les agriculteurs de la plaine qui s'ouvre devant nous.

Morne plaine

Morne plaine couverte d'agriculture intensive sur des étendues infinies. Du brocoli, du choux, des melons jaunes et d'autres variétés de légumes peignent la platitude balayée par un vent terrible, face à nous. Nous luttons à chaque pas pour contrecarrer le souffle violent de monsieur Eole ce qui nous fait consommer beaucoup d'énergie et dessécher nos gosiers. Le vent soulève une poussière fine qui nous pique les yeux. Alors qu'il n'y a pas de soleil nous portons nos lunettes pour nous protéger. Les plaines c'est pas mon truc mais si en plus il y a du vent c'est carrément pénible. Le seul avantage, pas de grande route à proximité, la piste est rectiligne sur des kilomètres.

Le bois de Cerato

L'étape du jour de vingt-cinq kilomètres s'annonce ventée de bout en bout. A mi-chemin, une petite dépression du terrain nous amène dans une jolie combe boisée avec des vignes bien fanées, de jeunes oliviers bien alignés et un maquis sauvage tout autour. De longues cannes marquent une arrivée d'eau, soit une rivière soit un canal. C'est un canal qui coupe ce petit coin insolite au milieu de ces grandes étendues cultivées. La combe étant en contrebas, pas de vent ou très peu, nous pouvons à nouveau entendre les oiseaux piailler ce qui rend la traversée encore plus sympathique.

Nous longeons le canal où manifestement le sentier a disparu sous l'épaisse couche de cannes coupées que nous piétinons avec attention pour ne pas se blesser les orteils.

Le canal asséché

Après ce passage dangereux pour nos pieds, nous retrouvons un beau sentier dans une forêt épaisse, sombre qui nous mène à nouveau à la morne plaine.

C'était une belle parenthèse sauvage, colorée, musicale avec les oiseaux. C'était trop court.

Nous voilà à nouveau sur le plateau mais la culture intensive à céder la place à un cimetière d'oliviers séculaires. Depuis 2013, la « Xylella fastidiosa » ravage le Salento, la pointe sud des Pouilles. Cette bactérie, qui tue les oliviers en les asséchant, a déjà détruit près de vingt millions d'arbres et remonte vers le nord de la région. Une vraie tragédie pour les petits agriculteurs, une aubaine pour d'autres qui les remplacent par des panneaux solaires.

Nous traversons en silence ces espaces morts, les oliviers ne sont plus que des branches asséchées, totalement nus qui laissent apparaître leurs formes tourmentées, le noir des troncs semble encore plus sombre. Même le vent n'arrive plus à agiter les branches tellement la mort les a saisis dans leur sève maintenant totalement disparue.

Triste paysage

Dans ce décor triste, des milliers d'oiseaux forment un nuage céleste sans cesse renouvelé. Ils vont et viennent dans tous les sens suivant une logique qui nous échappe. Il y a un meneur et les milliers d'autres suivent celui qui mène la danse. Une autre nuée décolle quand une autre se pose, un vrai feu d'artifice d'oiseaux, de la vie dans un champ de mort.

Il est un peu plus de treize heures, nous avons rendez-vous avec Rosanna responsable de la paroisse de Torchiarolo, elle nous accueille avec son mari. En 2013, ils ont perdu deux cent soixante-dix oliviers. Son mari me confie qu'il ne peut plus aller dans les champs pour les voir. C'est trop difficile pour lui que cette vision de nature figée dans la mort.

L'Europe, ils s'en tapent des petits agriculteurs, ils n'ont pas eu un centime. Il m'avoue que ça lui coûterait beaucoup trop cher de replanter et si c'est pour replanter des oliviers espagnols, pas question. Ils espèrent un miracle de la nature.

Nous avons de la peine pour eux. Ils nous ont préparé un pique-nique pour demain et le petit-déjeuner c'est compris dans notre donativo. Nous pourrons aller au bar à quelques mètres de notre hébergement demain matin, il suffira qu'on demande, il n'y a rien à payer. C'est quand les hommes ont peu qu'ils donnent le plus.

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Date : 1er novembre 2023

Heure de départ : 6h30

Heure d'arrivée : 12h00

Temps : 5h30

Distance : 23.03 kilomètres

Point : 117 / 842.58 kilomètres

Avant de démarrer l'étape, petit tutoriel pour réparer les sandales Keen fracassées par plus de trois mille kilomètres de marche superbe. Le point de fragilité : l'extérieur avant de la chaussure, celui lorsque le terrain est en pente, le pied glisse en peu et butte contre le cuir. Ce point est celui aussi qui est le plus sollicité lorsque le talon remonte pendant la marche, c'est principalement à cet endroit qu'une pliure se forme. Le cuir sollicité après plus de cinq millions de pas lâche sans prévenir. Les deux sandales se sont mises d'accord pour lâcher ensemble. Basse conspiration. De là à dire qu'il y a une obsolescence programmée il n'y a qu'un pas, enfin, cinq millions quand-même.

Ce type de sandales possède deux semelles, un extérieure, bien solide et une intérieure relativement épaisse, très confortable. La bonne aubaine, on peut y glisser une sangle ou du feuillard. Pour le feuillard, comme je l'avais dit, je n'ai pas cherché longtemps, j'en ai récupéré sur un portail quelques temps après avoir l'intention d'en trouver.

La sangle avant avec scratch de la sandale présente une petite découpe revêtue d'un tissu de protection intérieur, avec mon Opinel j'ai fait une entaille de la largeur du feuillard de un centimètre. J'ai glissé mon feuillard prédécoupé et plié dans cette encoche et je l'ai fourgué entre les deux semelles afin qu'il traverse complètement la plante du pied. Beaucoup de colle multi-usage dans ce montage. Je n'y suis pas allé par le dos de la petite cuillère, j'ai carrément bourré le tout de colle avec la même quantité pour chaque chaussure. Pas de jalousie possible ou d'une quelconque envie de me lâcher à nouveau. Chaque pompe maintenue toute une nuit par le pied du lit, aucune n'a crié. Elles ont accepté de faire encore un bout de chemin avec moi. C'est tellement bien fait que l'on voit à peine le montage. Pour le feuillard ce n'est pas prêt de me fausser compagnie, c'est du costaud.

Cordonnerie

Départ six heures trente après cappucinos et cornetti au bar près de notre hébergement, rien à payer, c'est compris dans le donativo. Top non ?

Torchiarolo c'est petit donc en deux deux nous voilà sur un sentier top. L'air frais nous réveille totalement, la rosée nous relave les pieds et les chasseurs nous cassent les oreilles. Ça tire de partout. Heureusement le sentier est un petit bijou et je ne retiendrai que cela.

Le départ

Un peu avant de sortir de Torchiarolo une statue de Jésus nous intrigue. Ils ont étouffé le Sauveur avec des plastiques, ils pensaient peut-être qu'il n'était pas suffisamment mort sur la croix.

Entre deux salves des chasseurs nous progressons vraiment très bien. Pas de bobos, les chaussures refaites à neuf. Tout baigne.

Le sentier agricole traverse des champs cimetières parsemés d'oliviers centenaires transformés en fantômes. Seuls quelques trulli, ces cabanes en pierres sèches redonnent un peu de légèreté à la situation. Elles sont toujours là, bien solides et majestueuses.

Les trullis

Comme cela devait être beau avant ce désastre. Les fermes abandonnées sont légion, les panneaux solaires poussent au fil du temps les plantations mortes. Triste.

L'abbaye de Santa Maria Cerrate, bellissima, en plein milieu d'un immense pré vert découvre toute sa splendeur. Tout est fermé. A travers le grille, je hâle un monsieur pour lui demander s'il peut faire une toute petite exception pour deux pèlerins vraiment motivés. Il m'envoie balader, au propre comme au figuré. Deux photos à travers la grille et on se casse, penauds et un peu vexés.

Abbaye pas visitable

Nous poursuivons notre chemin, les tirs ne cessent pas, je me demande bien ce qu'ils chassent. A part des lézards, des fourmis, des scarabées et trois moineaux, il n'y a rien. Tuer le jour de la Toussaint, c'est le comble !

Nous sortons malheureusement de cette belle partie du chemin pour reprendre une morne plaine piquée par des éoliennes en action. Elles ne nous avaient pas manqué celles-là.

Surbo, petite ville avant Lecce, un seul bar ouvert. Un petit cappucino, une banane et nous repartons pour les derniers kilomètres du jour.

Avant Surbo et Surbo

Lecce, la grande ville n'échappe pas à des faubourgs glauques. Nous avons connu pire car ce passage n'est finalement pas très long.

Direction, la piazza del Duomo avec sa cathédrale monumentale, bellissima, impressionnante où nous sommes refoulés sans ménagement car nous n'avons pas de tickets. Décidément aujourd'hui c'est pas notre chance. Pas grave, nous y repasserons la semaine prochaine pendant notre voyage retour. Petites insalatone avec de la polenta frite,un délice, dégustés près du Duomo. Il n'est que midi, nous avons du temps devant nous. Notre hébergement se situe carrément en banlieue de Lecce, nous prendrons un bus, nous serons récupérés par Don Gerardo s'il veut bien écourté sa sieste. Ce qui n'est pas gagné. En Italie, la sieste c'est dans la Constitution.

Petit snack et notre hébergement

Le lieu de l'accoglienza que nous réserve Don Gerardo occupe deux étages. En bas la cuisine avec tout le nécessaire pour nourrir la moitié de Lecce avec les denrées stockées et à l'étage notre chambre et il bagno pour la toilette et le reste. Grand espace, grand luxe et tout cela gratis. Pour Don Gerardo un pèlerin c'est sacré donc il ne paie rien.

Le quartier, le vitrail de l'église.
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Date : 2 novembre 2023

Heure de départ : 7h06

Heure d'arrivée : 15h30

Temps : 8h44

Distance : 33.69 kilomètres

Point : 87 / 876.27 kilomètres

Il est six heures cinquante trois le bus s'arrête avec moins d'une minute de retard. Nous prenons le bus pour rejoindre le duomo de Lecce car notre hébergement se situe à plus de quatre kilomètres du départ de l'étape, en pleine banlieue de la grande ville.

Sept heures deux, top départ pour plus de trente kilomètres, longue étape, plate avec quelques villages sur notre passage.

La sortie de la ville de Lecce semble plus agréable que son entrée, subie hier.

Nous passons devant l'amphithéâtre romain superbe que nous visiterons lundi lors de notre retour.

La Francigena suit de belles rues de la ville aux murs taillés d'ornements en pierre témoins d'une richesse et d'une culture passées évidentes. C'est une belle ville comme les italiens savent les faire, les entretenir et les mettre en valeur.

En trente minutes nous voilà sortis de la cité romaine par une route peu fréquentée, relativement large. Le paysage présente peu d'intérêt. Je préfère retrouver nos oliviers même à l'agonie que de voir défiler des panneaux publicitaires ou des magasins de vente en gros.

De bon matin!

Six kilomètres après notre départ nous traversons Merine, petit bourg perdu au milieu de champs d'oliviers fantômes, c'est l'occasion d'une première pause. Ce matin dans la paroisse de Don Gerardo, le petit-déjeuner fut succinct et je dois l'avouer peu appétissant.

Prochain village à six kilomètres de celui-ci Acaya, bourg plus petit que Merine mais avec une arrivée monumentale. Un rempart immense, un donjon remarquable barrent la vue de la petite bourgade située juste derrière. Nous profitons de cette étape pour refaire une pause. En effet, l'eau puisée ce matin dans la cuisine de la paroisse présente un goût vraiment étrange et je dois dire ragoûtant. Depuis ce matin je n'en ai bu qu'une gorgée mais c'est déjà de trop. Écœurante.

Un petit bar sur la place fera l'affaire. Nous prenons à nouveau un cappucino, deux frizzante et faisons remplir nos camel-back par le tenancier du bistrot tout heureux de nous tamponner nos crédenciales.

Acaya

Prochain bourg Vernole à six kilomètres et demi de Acaya. Entre les deux bourgs, une route parsemée de part et d'autre de champs d'oliviers morts, découpés, déchiquetés, entassés comme des squelettes désarticulés. Nous en voyons de plus en plus, le sud de l'Italie est devenu le cimetière des oliviers.

Arrêt à Vernole pour refaire le plein de fruits dans un supermarché un peu à l'extérieur de la cité, petit détour de notre trajet, nous reprenons le cammino après notre déjeuner pris dans un jardinet avec banc en plein soleil. Le soleil cogne fort malgré une petite brise salvatrice. Allez encore au moins douze kilomètres, j'espère que le paysage sera plus agréable que ces routes oubliées par les automobilistes mais routes quand même.

Mon voeu vient d'être exhaussé, la route se rétrécie pour devenir un sentier ombragé garni de chaque côté d'un mur en pierres sèches certainement centenaires comme les oliviers plus loin. Enfin du beau chemin, frais, plat, facile à marcher et en plus propre. Ici les voitures ne peuvent pas y venir. Ceci explique cela.

Trulli, trulli, trulli

Quel plaisir de retrouver un beau cammino, bordé de chênes, même nos jambes profitent du moment pour nous porter sans effort ni trop de fatigue! Je prends conscience que pour les étapes supérieures à trente kilomètres, l'ennui vient quelquefois titiller notre esprit, ce n'est pas une question de fatigue ou de lassitude, c'est juste une envie d'arrêter de marcher. En marchant plus de huit heures le défilement du paysage devient une routine; conserver son émerveillement en alerte autant de temps puise beaucoup de ressources dans notre capital interne.

Comme nous avons hâte d'arriver à Martano, Guylaine accélère la cadence alors qu'une petite montée se présente à nous. Cela fait plus de huit heures que nous marchons, pauses incluses bien sûr, les jambes ne présentent pas de signes de faiblesse. Elles aussi ont très envie d'arriver.

Quinze heures trente, Martano sera l'étape à deux temps. Une première partie asphaltée avec un décor frisant l'ennui et une deuxième partie un chemin digne de la Francigena, un chemin qui nous fait aimer le sud de l'Italie.

Bello cammino

Martano se targue d'être l'aloa vera city avec une production de cette plante aux vertus bienfaitrices reconnue dans le monde entier. En fouillant un peu sur internet, en fait c'est surtout l'histoire d'une famille implantée à Martano, les Scorderi. La culture biologique de l'aloe vera a lieu dans le domaine appartenant à Naturalis Azienda Agricola de la famille Sorderi, dans le Salento et à Martano en particulier. D'autres plantes y sont également cultivées comme la lavande, le romarin, la sauge, les grenades, le myrte, le thym, la menthe, le blé orange, etc., ils doivent être bien cachés car nous avons rien vu de tout cela.

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Date : 3 novembre 2023

Heure de départ : 6h00

Heure d'arrivée : 13h20

Temps : 7h45

Distance : 28.36 kilomètres

Point : 56.1 / 904.63 km

Aujourd'hui nous retrouvons la mer à Otranto, petite ville touristique du Sud des Pouilles où il se passa des trucs pas top pour la population en 1480.

En effet, le 28 juillet 1480, une flotte turque de cent navires commandée par Kedük Ahmed Pacha se présente devant Otrante, ville tranquille et prospère. La ville prise d'assaut le 11 août de la même année, ils ont tout de même poireauté quatorze jours sur les barques avant de foncer sur ce peuple tranquille. Sur les vingt-deux mille habitants douze mille sont impitoyablement massacrés sans sourciller. Ceux dont on espérait une forte rançon, ou qui pouvaient se vendre avantageusement, furent réduits en esclavage répartis sur la centaine de vaisseaux. Et ce n'est pas tout, l'archevêque, les prêtres et le commandant d'Otrante furent sciés en deux. Pas sympa les turcs.

Du coup, faire étape dans la ville touristique alors que je n'aime pas ce type de lieu va certainement adoucir ma position tranchée. Je n'aurais pas utilisé ce mot mais c'est le seul qui me vient.

Départ à six heures car c'est une longue étape de trente kilomètres que l'on va un peu couper par un raccourci à mi-chemin.

Six heures, il fait presque jour, le vent nous déséquilibre même dans les rues de Martano, alors lorsqu'on sera sur la plaine il va falloir s'accrocher. Où ? Je n'en sais rien.

Comme la ville ne s'étend pas en surface nous voilà dans la campagne sur une route où personne n'a eu l'idée de l'emprunter pour l'instant.

A quatre kilomètres, premier village, Carpignano Salentino, un bar, les cappucinos et des pasticciotti, petits gâteaux en pâte sablée fourrés de crème pâtissière, cuits au four. C'est bon mais c'est lourd. Le barman toujours aussi étonné que nous venions de Rome à pied. Ils sont toujours inquiets de l'endroit où nous allons dormir et manger et du poids du sac à dos.

Prochain village à quatre kilomètres Serrano où nous ne faisons que passer. Pas un chat dehors sauf nous. Entre les deux villages comme d'hab, des oliviers morts, des taillis et toujours autant de vent.

A partir de ce village, un raccourci possible pour rejoindre le suivant normalement situé à environ neuf kilomètres mais une route communale rejoint ce bourg avec moins de cinq kilomètres. Il faut ménager nos montures pour les derniers jours et puis ce vent nous fait vaciller trop souvent. Allez, on taille.

Nous voilà à Cannole, petit bled, désert lui aussi mais il y a un petit supermarché pour y acheter quelques fruits et des yaourts, c'est bon pour le transit intestinal. Dans le village, près de la mairie, le banc un peu sale fera l'affaire pour nous asseoir et prendre notre déjeuner, il est onze heures trente cinq, ça peut le faire d'autant plus qu' on est levé depuis cinq heures et quart.

De là, il nous reste moins de douze kilomètres pour finir l'étape, nous avons retrouver le cammino qui prend enfin une tournure de sentier. Ok, le paysage reste le même mais c'est un sentier quand-même.

Le cammino final

Derniers villages Palmariggi et Giurdignano, proches l'un de l'autre, toujours aussi déserts. Est-ce le vent ? Est-ce différent ici ? Peu de monde dehors aujourd'hui.

Les derniers kilomètres se déroulent en campagne sur un vrai sentier avec des cannes en bordure d'un canal où l'eau s'écoule avec un rythme lent, des petits champs d'oliviers fraîchement plantés, témoins d'un nouvel élan de l'agriculture, des petits jardins aux sillons bien alignés pour nourrir la famiglia ou arrondir les fins de mois sur des marchés improvisés, des rochers calcaires polis par le vent, le souffle de la terre comme ils disent ici, par la pluie bien trop absente et par les hommes de la campagne.

Les derniers kilomètres

Après-midi relax, nous flanons dans les rues étroites et blanches du centre historique. Les boutiques d'objets inutiles et de vêtements hors saison s'illuminent déjà vers dix-sept heures, la nuit avale le jour sans que l'on s'en rende compte.

Otranto, la cathédrale et le Castello
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Date : 4 novembre 2023

Heure de départ : 6h54

Heure d'arrivée : 14h19

Temps : 7h32

Distance : 26.68 kilomètres

Point : 32 / 931.31 kilomètres

Depuis trois heures du matin j'entends le cliquetis de la pluie sur les pavés de la rue de notre hébergement et les bourrasques de vent s'engouffrer par une des fenêtres ouvertes de notre chambre. Probablement un ancien atelier tout en pierres de taille, notre chambre ressemble à un autel d'église avec en face de notre lit des arcades et un autel massif en pierres blanches minutieusement ajustées. Le plafond semble être celui d'une cave voûtée d'une finition parfaite.

Nous démarrons un peu avant sept heures, en descendant vers le port par un dédale de ruelles étroites bordées de boutiques fermées. Le sol humide paraît glissant à cause des pierres lisses usées par les hordes de touristes en été et probablement par les turcs qui ont perpétré ce massacre en 1480. D'après les panneaux historiques lus en flânant dans les rues, cette date reste un traumatisme pour les habitants de cette belle petite ville aujourd'hui tranquille fière de sa renommée.

Hier en fin d'après-midi nous avons profité du festival du cinéma sur les relations humaines organisé par la ville. Le film projetté traite sur les violences faites aux femmes et les féminicides en Italie, documentaire de Silvio Soldini qui fait partie de la nouvelle génération de réalisateurs s'inscrivant dans le renouveau du cinéma italien des années 1990 et présent sur scène. La projection eut lieu dans la cour du castello, nous étions donc entourés de remparts colossaux. Sujet terrible traité superbement par le réalisateur, en italien, évidemment. Au bout d' une heure quinze de projection la pluie stoppe nette le festival. Nous profitons de cette averse pour nous éclipser, il est presque vingt heures nous devons penser à notre avant dernière étape.

Otranto

Passé le port, un chemin côtier serpente le long du bord de mer . Nous entendons le ressac des vagues, le cri des mouettes curieuses et le sifflement du vent dans notre dos.

Passé la Torre dell'Orte, le chemin se brouille en indication, impossible de suivre la trace, elle mène dans une propriété privée et fermée. Nous entamons un détour d'un kilomètre sur la route pour reprendre le chemin au début d'une ancienne carrière de bauxite totalement abandonnée.

Le chemin frôle la carrière, la boue colle aux sandales, Guylaine glisse, sans blessure mais un peu plus colorée qu'au départ. En effet, le parterre d'un rouge vif, glissant, collant mais de toute beauté ralentit notre allure. Doubler notre attention, voilà ce que nous devons avoir en tête. Un lac aux eaux turquoises dort au fond de cette carrière profonde. Cela fait penser à un volcan de couleur rouge rubicond rempli d'eau où la végétation aurait envahi les pentes très raides.

Le cammino se poursuit dans un paysage qui met en mémoire les images de Poldark, la série événement, adaptée des romans historiques de Winston Graham qui se déroule en Cornouailles au 18ème siècle et qui a été principalement tournée dans le comté de l’extrême Ouest de l’Angleterre. Nous avons l'impression d'être en Cornouailles, d'autant plus que la pluie s'invite subitement. Notre rêve de Cornouailles s'éclipse totalement car nous devons enfiler nos vêtements de protection.

Même sous la pluie le paysage prend des allures de films cinémascopes avec une vue panoramique sublime grâce aux nuages tourmentés par le vent, au coup de tonnerre comme fond sonore, le bruit du souffle des bourrasques violentes. Nous sommes plongés dans le 18ème siècle anglais comme deux pèlerins perdus dans cette immensité bouleversée par les éléments déchaînés. Une émotion supplémentaire à ajouter aux nombreuses émotions ressenties depuis plus de quarante jours.

On s'y croirait

Premier village après presque treize kilomètres depuis le départ, Uggiano la Chiesa, avec pause cappucinos et double part de viennoiseries. Nous allions démarrer lorsque nous voyons arriver les deux pèlerines françaises croisées hier à Otranto. Cécile parcourt le cammino depuis Rome, Isabelle l'a rejointe depuis peu, nous poursuivons nos échanges interrompus hier car nous devions rejoindre notre hébergement.

A cinq kilomètres de là, Cocumola, une autre bourgade, fera l'affaire pour acheter et prendre notre déjeuner assis sur un banc juste en face du petit supermarché sous les regards parfois curieux parfois amusés des passants ou des clients.

Plus que sept kilomètres avant l'arrivée, encore du chemin, des petites routes agricoles et une montée, courte. Nous n'en avions plus eu depuis plusieurs dizaines de kilomètres.

Uggiano la Chiesa et Cuco

Un dernier village sans intérêt, Vitigliano nous mène par une petite route bordée de champs cultivés et blocs de calcaires usés par le temps au village de Vignacastrisi puis à l'hébergement près du centre.

Vignacastrisi

Ce soir nous dînerons avec Cécile, Isabelle et un sud africain travaillant en Californie dans leur hébergement non loin du notre. Une belle belle soirée en perspective avant notre arrivée finale demain.

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Date : 5 novembre 2023

Heure de départ : 5h00

Heure d'arrivée : 13h36

Temps : 8h36

Distance : 35.42 kilomètres

Point : 0 / 966.73 kilomètres

Hier en fin d'après-midi les deux pèlerines françaises nous ont invités à dîner dans l'agritourismo où elles sont hébergées. Rendez-vous à dix-neuf heures trente. C'est à l'autre bout du village, nous ne sommes plus à quelques centaines de mètres près.

La salle de restaurant de l'agritourismo, spacieuse, chaude, un feu de cheminée crépite en accompagnant un air de blues diffusé doucement dans cet espace au décor incroyable. Des dizaines de photos, de cadres, de posters ornent les murs, un seule thème, le blues. Freddie King, Muddy Waters, Robert Johnson, Stevie Ray Vaughan, John Lee Hooker, Éric Clapton, BB King et bien d'autres s'affichent en noir et blanc sur les quatre murs de la pièce spacieuse. Cécile, Isabelle et Michael nous y attendent. Michael, moine d'origine sud-africaine pratique le dépouillement, la solitude, la prière dans un monastère aux États-Unis, à Santa Cruz et dans les pélerinages en Europe.

La soirée fut riche en échange sur nos expériences, en étonnement sur nos vécus exceptionnels avec des moments de rire intenses.

Michael, Cécile, Chouchou,,Isabelle et moi

Réveil à quatre heures trente, départ cinq heures, aujourd'hui dernier jour de marche, plus de trente kilomètres et pleins de trucs à vivre. Nous nous levons très tôt, la nuit nous suit quelques quarts d'heures et vers six heures quinze, le jour pointe son nez à l'horizon.

Cripta della Madonna dell'Attarico

Le cammino prend tout de suite des allures de chemin comme nous les aimons. Pas après pas nous nous rapprochons de la mer par un sentier digne du sentier des Dieux, suffisamment élevé pour avoir une vue panoramique sublime et juste ce qu'il faut pour entendre le ressac des vagues. Probablement le plus beau parcours depuis plus de quarante jours.

Un vent fort venant de la mer rend le spectacle encore plus saisissant de beauté, instant précieux que nous vivons pour cette dernière étape. Alors que nous bavardions avant ce passage, nous restons muets devant ce paysage grandiose, généreux, tourmenté. Nos pieds ne touchent plus le sol, nous marchons dans le ciel.

Tricase

Marittima, Tricase, Tiggiano, Corsano, Gagliano del Capo, nous les traversons en nous disant qu'ils seront les derniers bourgs avant Santa Maria de Leuca dans quelques heures.

Gagliano del Capo

A Gagliano del Capo nous faisons une courte pause déjeuner pas très diététique. Sur notre passage une affiche géante m'oblige à l'immortaliser dans mon téléphone. Un hamburger à la mortadella géant vante la boutique du King of Mortadella, dommage que ça ne rentre pas dans mon sac à dos et ni dans mon ventre d'ailleurs, j'aurais bien fait un tour dans cette salumeria de Gagliano.

Les derniers kilomètres traversent des champs d'oliviers certains toujours agonisants d'autres renouvelés, un paysage que nous avons maintenant l'habitude de partager et de commenter lors de nos échanges réguliers.

Le dernier kilomètre sonne comme un final certes attendu mais nous laisse songeur. Nous n'avons pas le sentiment que cela va s'arrêter alors que le kilomètre zéro approche à grands pas. Déjà nous apercevons le phare, très haut, tout blanc, voilé par les embruns que le vent dispense sur toute la ville. Nous le ressentons sur nos lèvres salées et desséchées par les rafales successives. Plus que cinq cents mètres, le phare prend de plus en plus de place dans notre espace et dans nos esprits, le final est bien là, devant nous, encore quelques centaines de pas et tout va s'arrêter, pas le monde, non, notre monde, celui que nous avons parcouru depuis plus de quarante et un jours.

Une marche et nous voilà sur le parvis du sanctuaire de Santa Maria de Leuca, grande bâtisse formant un angle à quatre-vingt dix degré, aux pierres presque dorées, ornées de sculptures religieuses tarabiscotées, indéchiffrable pour moi. Seuls, nous sommes seuls, comme si ce lieu nous avait été réservé. Luxe incroyable, tout cela, c'est pour nous. Nous sommes abasourdis par cet arrêt presque brutal, nous nous embrassons en nous serrant bien fort, la gorge serrée pour moi, quelques larmes pour Guylaine. C'est la fin d'une belle parenthèse et ça s'appelait 2023, Francigena saison 4.

Ce n'est pas le dernier blog, demain nous tenterons d'approfondir toutes ces sensations, toutes ces émotions car aujourd'hui les mots me manquent. Troppo emozionante !

Santa Maria di Leuca!
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Quarante jours de marche, un jour de repos, je ne peux pas résumer la Francigena del Sud à ce simple décompte des jours où nous marchions enjoués par de magnifiques images. Je ne peux non plus réduire ce périple aux neuf cent soixante six kilomètres et des grosses poussières traversés jour après jour souvent sous un soleil brûlant, rarement sous la pluie, réduite à trois passages presque salutaires, ni aux hordes de chiens nerveux ou pacifiques venus renifler de près nos mollets durs comme les pierres des Pouilles servant aux constructions des trulli. Ni aux panoramas infinis aux multiples couleurs, aux ombres qui s'allongent, au soleil qui sort de son lit, à la lumière du jour prête à diminuer son intensité pour laisser la place à la nuit réparatrice ; ni aux perspectives longilignes, monumentales, élevées, massives, romaines, baroques, rococos des édifices millénaires témoins d'une intense ferveur religieuse ou d'un besoin de se protéger du sarrasin, du bourbon, du piémontais, du français venus, le temps d'une croisade souvent meurtrière, copier, massacrer, s'approprier les richesses au nom d'un dieu sauveur. Et je pourrais ainsi énumérer bien d'autres angles de vision de ce que pourrait être la Francigena.

Une autre éclairage dont je veux parler ici est celui du sentiment d'accomplissement que vous ressentez au moment de l'arrivée et les quelques instants qui précédent. Le jour de la dernière étape n'est pourtant pas comme les autres car vous savez que c'est le dernier mais à la fois c'est une étape de plus avec un début et une fin. Arrivé aux tout derniers kilomètres vous voulez à la fois accélérer et prendre votre temps car dans le quart d'heure qui va suivre, tout cela va s'arrêter, d'un coup, presque sans prévenir, ça tombe comme un couperet. Et lorsque le dernier pas sera l'ultime car vous avez atteint votre objectif, une bouffée de plaisir qui peut être partagé, de satisfaction complète, de joie complice et quelquefois des larmes de joie viennent séparément ou tout en vrac vous secouer voire vous abasourdir quelques instants. A ce moment là les muscles tendus se relâchent, le souffle ralentit, l'esprit reprend le dessus sur votre corps qui a tant donné pendant de longues journées ou des nuits agitées.

La joie vous envahit. Combien d'heures de méditation faudrait il que je consacre pour atteindre l'équivalent de cet état si particulier qu'est l'arrivée d'un long périple ? Partir pour plusieurs mois révèle en vous d'autres sensations, je pense, que vous ne soupsonniez pas.

Votre corps chargé d'adrénaline, est en quelque sorte « shooté » par ses propres hormones et à ce moment là vous ne marchez plus, vous volez, vous êtes un "arpenteur du ciel", au dessous de vous, le paysage, la mer, les villes, les campagnes et les maudits chiens.

Les rencontres inopinées tout au long du cammino sont comme des spectacles d'improvisation où personne n'a le rôle principal, seule la rencontre désintéressée compte.

Ce matin, en prenant le train à Gagliano pour aller à Lecce, en débarquant sur le quai, nous tombons sur Michael, le moine sud-africain bossant en Californie. Grandes embrassades, il nous explique que sa douleur au pied le fait souffrir et qu'il a fait une petite partie de l'étape en prenant le train. Les six derniers il les fera à pied. Nous sommes heureux de le revoir,nous nous embrassons une dernière fois en nous promettant d'échanger avec lui à l'avenir.

Enfin, je remercie du fond du cœur celles et ceux qui ont suivi ce périple de près ou de loin. C'était un super moment pour Guylaine et moi amplifié par vos écrits et vos encouragements.

Un grand merci à toutes et à tous. Beau chemin n'est jamais long quand il se construit en marchant.

Premier et dernier timbro - Testimonium

Le mot de la fin par Guylaine.

Après avoir cheminé parmi des milliers d oliviers,des centaines de figuiers,d arbres fruitiers,de vignes,de chênes, de châtaigniers et plein d autres encore dont j ignore le nom, après avoir traversé des bois tapissés de cyclamens mauves, avoir arpenté des sentiers,des chemins,des petites et grandes routes, visité un grand nombre d églises,de villages et de villes nous voilà au bout de ce voyage.

Cette  première expérience