Date : 29 septembre 2023
Heure de départ : 6h45
Heure d'arrivée : 14h00
Temps de marche : 7h15
Distance : 21.2 kilomètres
Il est six heures trente, j'entends Laura, notre hôtesse, s'agiter dans la cuisine. Le petit-déjeuner devrait être au même niveau que sa gentillesse. Jambon cru, yaourts crémeux, pains, confitures maison, tartelettes faites la veille, jus de fruits, café, thé. Laura nous propose aussi des œufs au plat que nous déclinons. L'étape n'a que dix-neuf kilomètres, il ne faut pas abuser.
Six heures quarante-cinq, nous quittons cette belle bâtisse remplie de meubles anciens, de bibelots précieux en tout genre, de draperies exotiques, de tableaux paysagers peints à l'huile, une vraie caverne d'Ali Baba mais à l'italienne.
Nous descendons la vieille ville en nous perdant de multiples fois dans ces ruelles étroites construites, il y a plusieurs centaines d'années où le GPS rechigne à faire son job. Il nous faut rejoindre le bas de la roche monumentale sur laquelle campe la cité remplie d'histoires guerrières et de villageois des temps modernes encore endormis.
Nous voilà au bas de l'éperon rocheux, il nous reste plus qu'à remonter en face par une route blanche, c'est-à-dire bétonnée où seul un petit véhicule type Topolino (Fiat 500, mais les anciennes) peut se frayer un passage.
Les premières gouttes de sueur font leur apparition sous nos sahariennes, le soleil pile en face de nous. Le but sera d'atteindre le flanc de la colline que nous longerons ensuite tout en surplombant la vallée du Latinium.
Une route asphaltée peu fréquentée s'ouvre à nous. A gauche les Lepini (monts Lépins), petite chaîne de montagnes où le point culminant se nomme Monte Semprevisa (1536 m d'altitude), à droite la plaine du Latinuim rendue vivable en 1930 environ par un certain Mussolini. En effet, la plaine était ravagée par la malaria et donc totalement inhabitable, ce qui a conduit à abandonner complètement la Via Appia qui la traversait. Les pèlerins de l'époque traversaient ces marécages infestés de zanzare (moustiques) quand ils ne se faisaient pas attaquer par les brigands locaux. Choper la malaria ou paludisme et se faire détrousser par des canailles, je peux l'affirmer : vraiment pas de bol ! Croyait-il encore en Dieu après cela ? Même s'il pensait que la vie ne pouvait que lui vouloir du bien, il fallait vraiment qu'il s'accroche aux pages de la Bible pour poursuivre son pèlerinage jusqu'à Jérusalem sans sourciller. Chapeau, pèlerins et pèlerines d'antan !
Sur cette route quasi-plate mais sinueuse le soleil n'a pas encore fait son apparition ce qui n'empêche pas de boire fréquemment de l'eau non citronnée de nos camel-back.
Il est dix heures trente, la ville de Norma s'anime bruyamment, le marché s'étend le long de la rue principale. Notre cappucino quotidien nous attend dans un petit bar bondé de villageois assoupis, leurs sacs à provision remplis de fruits et légumes de saison.
Comme eux, nous faisons nos emplettes. Nous nous contenterons de quelques fruits, car le petit-déjeuner de Laura reste très présent dans nos estomacs alourdis.
Il doit y avoir plein de choses à raconter sur cette ville perchée au sommet de la colline, mais aucun site, même en italien, ne mentionne quelques sordides lignes d'histoires, ni de fêtes religieuses où la Santa Madona est portée par quelques fervents piliers d'église de part en part de la cité médiévale.
Finalement en cherchant mieux, je trouve un petit quelque chose à vous mettre sous la dent. Norma fut construite sur l'ancienne ville de Norba. L'ancienne Norba a pris fin en 81 avant J.-C. ses habitants ont mis le feu à la ville afin de ne pas tomber prisonnière des ennemis, la détruisant complètement. C'est vraiment rare que tout le monde soit d'accord sur une décision pareille. Celui qui les a convaincu était vraiment fortiche. Bon, je continue. L'ancienne Norba a été reconstruite vers l'an 1000, l'actuelle Norma est née sur la falaise voisine et est restée la possession des familles riches et puissantes de l'époque, en se développant comme un village médiéval peinard avec des maisons entassées et des ruelles étroites et escarpées. Et croyez-moi, on s'y perd facilement.
A la sortie du village de Norma, un sentier rocailleux se faufile au milieu d'innombrables figuiers de Barbarie dont les fruits très mûrs n'attendent que nos mains pour les cueillir. Mais aujourd'hui, perso c'est diète, je limite un peu les fruits car trop sucrés. Petite recommandation médicale : attention à ne pas consommer la figue de Barbarie en trop grandes quantités, car ses graines peuvent provoquer des perturbations digestives, et notamment des occlusions intestinales. Ça serait ballot de mourir en se piffant de figues en plus de Barbarie. D'ici Santa Maria de Leuca nous aurons l'occasion d'en consommer avec modération bien sûr. On n'est jamais trop prudent. (rires)
Nous sommes enfin en bas dans la vallée près des anciens marécages réaménagés en système d'irrigation par Benito M. Je l'appelle par son prénom, mais ce n'est pas mon copain. C'est peut-être la seule chose qu'il a fait de bien dans sa vie celui-là.
Au pied de la colline remplie de figuiers de Barbarie se situe l'abbaye de Valvisciolo que nous voudrions bien visiter. Il nous reste un kilomètre cinq cents mètres avant l'arrivée et toujours pas d'abbaye. En fait, pour y accéder, il faut rajouter deux kilomètres deux cent donc le double de distance pour aller voir cette bâtisse monumentale. Après concertation et comme nous avons un coup de mou, tant pis pour l'abbaye. Nous nous lançons pour la dernière montée du jour de deux cent cinquante mètres de dénivelé. Enfin, on pensait que c'était la dernière.
Belle grimpette mi-soleil mi-ombre à droite la plaine Latinium comme d'habitude, de l'autre, la colline où campe Sermoneta notre village étape du jour. Ok, c'est toujours un peu pareil tous les jours, mais bientôt, il y aura en plus la mer.
Quatorze heures, assis au bar, non, nous ne sommes pas des pochetrons, mais des assoiffés d'eau gazeuse ou de jus de fruits, un marcheur passant devant notre table ombragée nous apostrophe : "vous faites la Francigena, il y a une petite assemblée de marcheurs internationaux à la mairie de Sermoneta, vous pouvez y aller, vous serez les bienvenus".
Allez, nous prenons nos sacs en bandoulière et notre courage, non notre envie, à deux mains pour rejoindre cette petite réception.
En effet, hollandais, italiens, français, coréens, taïwanais, australiens, et même une Belge piaillaient devant un parvis en attendant la pose pour une photo de groupe.
Nous nous insérons au milieu de cette assemblée où nous sommes finalement acceptés.
Clic-clac, la photo de groupe est immortalisée. C'est un groupe international de marcheurs formés sur Face de bouc qui fait quelques étapes de la Francigena, tous vêtus d'un tee-shirt orange marqué "CaminiAmo Francigena". C'est un jeu de mots. Caminiamo veut dire "nous marchons" et si tu sépares "camini" et "amo" dans le mot caminiamo, cela peut se traduire "tu marches" et "j'aime". Donc l'autre interprétation serait "tu marches et tu aimes la Francigena". Vous suivez ?
Et je vous le donne en mille, qu'est ce qui a étonné les randonneurs en orange : nos sandales. Car bien sûr, ils étaient équipés comme s'ils allaient gravir l'Everest. Il y a même une randonneuse qui a pris mes pieds et mes chaussures en photo. Si en plus, elle poste ce cliché sur Face de truc, mes pieds vont devenir célèbres. Et dire qu'il y des types qui traversent des océans à la nage ou bien font des exploits pas possibles pour devenir célèbre. Moi, juste quelques secondes pour exposer mes pieds sales : célébrité assurée.
Il est temps de nous rendre à notre hébergement du jour chez Giorgio Coniglio, Georges Lapin pour les ignares en italien.
Sacrée montée pour rejoindre sa tanière. Non je ne moque pas de ce monsieur c'est vraiment le nom de l'agritorismo : la tana del coniglio (la tanière du lapin). Quand on porte un nom pas forcément facile, autant y aller à fond.
Du centre de Sermoneta, c'est à un kilomètre six cents, la montée est raide, mais la vue est exceptionnelle, le village de Sermoneta domine la vallée baignée par les derniers rayons de soleil. C'est top la Francigena !
Giorgio nous attend avec sa femme Annalisa et leurs trois clébards minuscules et fatigués, aboyant comme des dératés et totalement inoffensifs.
Aujourd'hui, nous passons d'une maison de maître à Cori à un espace sauvage où vaches, moutons, poules et autres bestiaux domestiques vivent en parfaite harmonie au milieu des oliviers et des huttes en bois réalisées par Monsieur Coniglio.
C'est top de chez top.
Nos hôtes, comme à l'accoutumé sont adorables. Ce soir, nous dînerons dans cet agriturismo dont le carnet, laissé dans notre petite chambre mentionne que des "complimenti".
Ici, seules les cloches des vaches bercent nos oreilles, un petit air tiède assèche gentiment nos corps douchés, l'herbe sèche de la campagne assoiffée fleure bon. On entend les mouches voler et les moustiques prêts à se suicider pour se lancer sur nos peaux rougies par tant de lumière.
Après un repas copieux, Annalise, Giogio et leur fils viennent nous tenir compagnie, nous montrer toutes les photos prises des pèlerins en nous racontant leurs déboires avec l'administration italienne pour l'ouverture de leur agriturismo. Quelle soirée agréable, Annelise adore parler aux pèlerins et Giorgio son truc, c'est construire. Il a tout fait lui-même. Chapeau !