Nous avons finalement de la chance, il n'a pas plu cette nuit mais les rochers sont humides et ce matin j'ai une alerte tempête envoyée par ma montre Garmin. Alors qu'il n'y a aucun nuage, il est difficile d'imaginer que le temps peut tourner si rapidement, ce qui fut le cas hier. En quelques minutes la pluie ruisselait sur la tente. Une fois fois les affaires enlevées et posées dehors sur l'herbe encore humide, je scrute les dégâts des eaux. Sur un côté petit lac, rien de grave mais il n'aurait pas fallu plus de temps de pluie pour nous inonder. L'emplacement de la tente était idéal, très plat mais formait une cuvette. Je ne pensais pas qu'il allait pleuvoir pendant ces quelques jours, erreur de ma part, il faut toujours s'attendre à un retournement de situation en montagne.
Yan a plutôt bien dormi même s'il a eu quelques difficultés pour s'endormir. De mon coté, je me suis retourné cent cinquante mille fois mais je ne me sens pas fatigué et Yan non plus.
Je trouve un petit abri pour poser le réchaud et faire bouillir de l'eau malgré un petit vent pas trop frais. La ration de musli n'est pas trop importante, j'ai mal calculé mon coup et un garçon comme Yan, sportif et motivé ça mange bien. Je lui laisse une bonne part pour qu'il ait sa ration. De toute façon je n'ai pas très faim et puis on va redescendre.
Retour au col Cerise Musli, compote, on plie bagage. Le sentier redescend doucement vers l’embranchement où il y a deux jours j'avais raté le chemin et qui nous avait obligés de remonter un peu. Le chemin n'est pas trop glissant mais il faut se méfier et être sur ses gardes. Après la pluie, le terrain devient moins praticable.
Nous arrivons à l'embranchement du sentier qui mène au lac Cerise, on peut l'apercevoir plus bas et on constate très bien que son niveau d'eau n'est pas au plus haut.
Dans la descente, nous entamons une discussion sur la suite après le collège. Yan postulera au lycée en sport études en section raid à Oyonnax , trail et autres disciplines où le souffle et l'envie ne doivent jamais faillir. Beau programme. Mais Yan est prévoyant, il a prévu des plans B. En effet, l'année dernière quatre élèves en France ont été reçu en seconde. Sacré défi, d'autant que pour la rentrée en troisième quelques copains de sa classe postuleront aussi. Double compétition et double challenge. On ne peut que lui souhaiter le meilleur, il en a sous le pied. Évidemment, je ne compare pas à Yan, car moi j'avance lentement dans la montée jusqu'au col Cerise. Petite victoire, je n'ai pas fait de pause. Le Covid m'a pris une partie de moi-même, il va falloir récupérer et ne pas relâcher les activités physiques. Yan me donne ce conseil, je ne peux qu'être d'accord avec lui.
Comme Yan, je suis un peu déçu de n'avoir pu faire totalement le programme mais plusieurs signes m'indiquaient qu'il fallait écourter. Au-delà de l’aspect météorologique, je rame totalement même si ce matin j'ai pu avancer sans trop de difficulté. Aller jusqu'au refuge Remondino, impliquait de remonter le col direction Ghuilié, celui que nous avons pris hier matin, puis redescendre au fond de la vallée par ce couloir très pentu pour remonter à nouveau sur le col Ouest de Mercantour à 2611 mètres à la frontière France-Italie. Autant que je me souvienne car j'ai déjà randonné jusqu'à la Nasta 3108 mètres près du Refuge Remondino, le sentier est une suite de dalles rocheuses et de pierriers instables sans doute un peu risqué avec un temps incertain. Deux cols dans la journée, pour Yan c'est du pipi de chaton, pour moi pas sûr d'y arriver. Je pense qu'il est raisonnable de se tenir à ce programme d'autant qu'hier nous avons gravi tout de même un 3000 mètres et Yan s'est farci la Cime du Mercantour en un temps-record. A ajouter à ses nombreux records à son palmarès.
Alpi Martime le matin et refuge Regina Elena à l'ombre Arrivés au Col Cerise, petites photos et selfy pour se donner du courage pour la descente. Le sentier bien large et très bien aménagé nous facilité la progression. Nous avançons d'un bon pas tout en observant la beauté du paysage maltraité par la sècheresse mais donnant encore toute sa splendeur. C'est vrai que c'est très minéral et certains peuvent le regretter comme le couple de hollandais que nous avons croisé hier lorsqu'on redescendait du Ghuilié. Ils étaient assis sur un promontoire, ils nous ont fait un appel vocal qui a résonné dans cette splendide vallée. Quelques échanges d'usage et nous avons poursuivi notre chemin.
Nous voilà à nouveau sur le versant italien. En contrebas sur notre droite le refuge Regina Elena 1834 mètres, Un refuge facile d'accès géré par les bénévoles de l'Associazione Nazionale Alpini de Gênes. Le refuge Remondino (2430 mètres) quant à lui, c'est une assez grande bâtisse construite sur un promontoire au pied des parois rocheuses. Il dispose de dortoirs, douches et sanitaires situés près des fameuses roches de l'Argentera, de la Nasta et autres sommets vertigineux du secteur.
Refuge Remondino 2430 mètresNous passons au loin du refuge Regina Elena pour aller directement à la route mi-goudronnée mi-gravillons qui part des Termi di Valdieri.
Petit passage de pont pour retrouver la route Ce matin peu de voitures comparées à dimanche matin. Les Italiens sont plutôt en vacances en août, un peu comme les Français. Nous traversons un pont où des vaches broutent une herbe fraiche de rosée. Le soleil est sur le versant de la montagne sur notre gauche. Pour l'instant nous allons plus vite que lui afin d'éviter les rayons brulants de cet astre souvent le bienvenu mais ces jours-ci un peu de pluie ne ferait pas de mal même si cela à gâcher un peu notre sortie.
Nous nous tenons à l'écart du troupeau car des petits veaux suivent leurs mères. Il faut garder une distance raisonnable car les mamans vaches pourraient bien nous ruer dessus pour garder en sécurité leur progéniture. Une seule vache se désaltère dans le torrent d'une bonne eau fraiche et pure.
Nous reprenons la route sur quatre kilomètres pour arriver à Termi di Valdieri, les eaux des Terme Reali di Valdieri appartiennent au groupe des eaux sulfureuses sulfate-chlorure-sodiques hyperthermales (50-75 °C) et présentent un pH alcalin (9.4). Les Terme Reali di Valdieri se trouvent au cœur du Parco naturale Alpi Marittime dans la Vallée Gesso. Entourées de hêtres monumentaux et d’arbres séculaires, elles se situent à 1.370 mètres d’altitude et elles sont ainsi l’établissement thermal le plus haut d’Italie. On serait bien allé faire une petite cure thermale dans ce lieu de rêve.
Terme di Valdieri Il est moins de dix heures du matin, nous voilà arrivés à la voiture. Finalement, nous avons fait le chemin quasiment à l'ombre. Petit passage aux toilettes de ce camping fort sympathique où des jeunes adolescents jouent au ballon prisonnier. Ils ont l'air de bien s'amuser, ils sont loin d'imaginer la randonnée que nous avons faite. Dix heures, nous reprenons la route direction Valdieri, petit village situé à une quinzaine de kilomètres plus bas dans la vallée où un chocolat chaud, épais et un capuccino nous attend au bar de la place principale du village. À côté de nous des Piémontais discutent de la fête de la veille où apparemment l'un d'eux à danser tout son saoul. De mon côté, j'ai un peu mal aux jambes mais pas pour les mêmes raisons.
Je propose à Yan de rouler jusque vers douze heures douze heures trente puis de se faire un restaurant car le repas de veille, nouilles chinoises beaucoup trop épicées et tranche de rôti de porc sans pain furent les bienvenus mais peut-être pas du côté caloriques. C'est toujours compliqué d'être en autonomie totale pendant plusieurs jours. Ou bien on en charrie trop ou bien pas assez.
Vers douze heures quinze nous arrivons à Barcelonnette, petit village est une commune de montagne, entièrement située à plus de 1 100 m d'altitude. Elle est la plus grande commune de la vallée de l'Ubaye.
Mon idée au départ était de s'arrêter au restaurant refuge du col de l'Arche, côté italien mais c'était un peu tôt. Finalement un petit restaurant situé sur la place principale fera notre affaire. Au menu : salade de tomates, salade verte copieuse pour nous deux, linguine sauce bolognaise pour Yan, truite et riz pour moi, dessert fromage blanc avec coulis pour Yan et salade de fruits pour moi. Nous descendons trois carafes d'eau certainement moins pure que celle de Valdieri.
Barcelonnette Nous ne rencontrerons aucun bouchon jusqu'à destination de Pizay, ni à Gap, ni à Grenoble.
Le périple s'achève, Yan renouvelle ses remerciements pour cette petite épopée montagnarde et piémontaise. J'ai aimé lui faire découvrir ces contrées rudes, splendides où la nature mène le jeu et non pas l'humain qui doit s'adapter sans cesse aux caprices de mère Nature. Heureux aussi d'avoir échangé avec Yan sur ses projets, ses envies même s'il est toujours d'accord avec beaucoup de choses. Cela lui a aussi permis de me connaitre sous d'autres aspects que ceux d'un repas en famille pour un anniversaire ou simplement pour se rencontrer autour d'un repas dominical. J'ai souhaité aussi lui montrer qu'on peut foncer vers un objectif raisonnable ou ambitieux mais en mesurant les risques au départ et en ayant en tête un plan de secours au cas où les choses ne se passeraient pas comme prévu. Cette sortie a été aussi l'occasion de voir de près les ravages évidents du changement climatique, de l'adaptation de la nature à ces nouveaux modèles climatiques. Yan est un garçon audacieux, motivé, toujours prêt à rendre service, il sait anticiper, rapide comme un chamois, réservé mais ouvert à son entourage. C'était ma première expérience et pour Yan aussi d'être dans un lieu aussi désert seul avec son parrain. C'était un cadeau immatériel, certainement insolite mais qui restera gravé, j'en suis sûr, dans notre ADN et notre cœur. Nous étions au départ un peu comme deux inconnus largués dans un monde minéral et en altitude, nous avons sans doute progressé dans la connaissance l'un de l'autre, je t'en suis infiniment reconnaissant. Bravo et merci pour tout cela et merci aux parents de m'avoir fait confiance malgré notre isolement.
D'une rencontre pourrait naître une autre vie. Les plus belles rencontres sont toujours inattendues. Fais de tous ceux que tu rencontres dans ta vie, tes amis ; c'est une attitude qui facilitera ton altitude. Une rencontre est un rendez-vous prévu par le destin. (Un condensé des penseurs très humains.)
Bises à vous tous.
Pizay, le 26 juillet 2022.
Emblème du Piémont