Je ne peux pas vraiment dire que la nuit a été apaisante, j'ai dormi par intermittence, une heure ou deux de rêves puis un réveil en douceur sans un bruit autour de moi comme si le temps s'était arrêté cette nuit.
Les fantômes ne m'ont pas tiré par les pieds cette nuit et la reine Jeanne doit certainement errer sur les pentes du col Saint-Michel ou de la chapelle du même nom à la recherche d'un nouveau destin.
Lever à sept heures trente, le soleil se cache encore derrière le mont Agel à l'est de Nice. Bientôt il viendra rechauffer le village légendaire à cet instant je sortirai de la tente pour savourer un bon petit déjeuner.
Avant de m'affairer, après m'être extirper du sac de couchage je m'incline presque religieusement devant l'astre bienfaiteur. Une petite salutation au soleil me remet les articulations endormies en éveil et met le contact de ma batterie d'énergie interne rechargée cette nuit malgré les agitations cadencées par mes réveils incessants.
Je prends mon temps car l'étape est courte, quinze kilomètres seulement et puis je suis ici pour profiter de ces panoramas enchanteurs berceau de mon adolescence passée à crapahuter sur les cimes de ma région.
Huit heures quarante, après un café bien chaud, du riz au lait bouillant, un rangement de mon bardas un peu négligé, je démarre la matinée par la descente au col Saint-Michel, le temps de réchauffer les muscles avant l'ascension du mont Férion. Et dire qu'à une époque des gens vivaient dans cette rocaille, pas d'eau à proximité, quelques terrains en terrasse plus haut, le premier village digne de ce nom à une heure de marche au minimum. Les mules devaient être terriblement costaudes pour supporter cette géographie rude et sauvage. Que dire des gens, il n'est pas étonnant qu'il fût abandonné.
Après le col Saint-Michel, une piste mène à un petit plateau DFCI (défense des forêts contre l'incendie), la végétation composée de pins et de broussailles se penche légèrement à cause d'un vent bienvenu mais qui assèche encore plus le terrain déjà bien raviné par les maigres pluies de cet automne.
Petite pause au plateau.
La pente rude file tout droit vers le sommet du Férion, il reste environ cent cinquante mètres de dénivelé à avaler. La vue magnifique s'étale au sud par une mer de nuages coiffant la mer Méditerranée, par contre au nord pas un nuage, un ciel bleu électrique. Un beau spectacle. Je reprends mon souffle pour gravir les derniers mètres avant le sommet dominant le village médiéval de Levens.
Il est dix heures trente, je cherche un endroit pour écrire mon blog et admirer ce spectacle gratuit de la vie. Je mangerai au sommet vers onze heures trente puis je filerai tout droit vers les ruines de Châteauneuf de Contes, autre endroit magique et plein de belles légendes et de faits historiques.
Ce deuxième jour m'amènera à d'autres ruines. C'est le paradoxe de l'appellation Chateauneuf-Villevieille, la partie Chateauneuf est la plus ancienne, il s'agit du village en ruine fortifié sur la partie finale de la crête du Férion. A son époque le château était neuf, "castel nova" ! Tandis que Villevieille est le village actuel rebâti plus bas. Le village médiéval a été abandonné fin 1700. Un de plus.
Après un déjeuner copieux mais pas trop lourd au sommet du Férion, je reprends la descente. Le chemin suit la crête sur un axe nord-sud. La végétation alterne entre broussailles, pins maritimes et petits bosquets. Comme une bête sauvage, je trace mon chemin au milieu de cette végétation provençale en me retournant quelques fois afin de me rendre compte de mon avancée et aussi pour remplir mes yeux de ce paysage irrégulier empreint de beauté primitive.
Un peu en contrebas du sommet du Férion, la piste traverse une allée de cèdres gigantesques où est campé une chapelle simple et austère. L'endroit est à la fois beau et mystérieux, la lumière a du mal à pénétrer l'allée rendant une impression de paysage maléfique.
Un petit arrêt pour le plaisir des yeux puis je poursuis ma route, les panneaux indiquent deux heures pour atteindre les ruines de Châteauneuf Villevieille.
La descente se poursuit à un rythme lent et assuré car beaucoup de cailloux jonchent la piste et sont toujours prêts pour m'attierer vers une glissade toujours possible.
Trois chevaux me surprennent sur ma lancée prudente, ils ne sont pas sauvages et veulent même venir vers moi pour quelques câlins. Le selfy n'est pas concluant, ils ne connaissent pas les règles malgré ma patience et mes explications chevalines.
Je les laisse avec regret j'aurais bien fait un bout de chemin sur un des canassons.
Après le col Rosa, le sentier de crête passe sur le versant est passé subitement à l'ombre. C'est la première fois que je randonne sur ce bout de sentier inconnu. D'habitude je prends la voie en ouest ensoleillée à cette heure de la journée. Comme l'habitude est le boulet du randonneur libre alors j'innove.
Le sentier est bien meilleur du côté est même s'il est un peu plus long que de l'autre côté. C'est une sente légèrement descendante où alternent petits bosquets de pins et petites plaines tapissées d'herbes séchées et d'épineux rougeoyants. On y voit clairement les traces laissées par des familles de sangliers cherchant leurs nourritures au pied des arbres résineux en dévastant par la même occasion quelques parties du sentier. Je ne vais leur reprocher, ils sont chez eux après tout.
Je dois en principe traverser une bergerie où habituellement personne n'y vit. La bergerie se présente à quelques dizaines de mètres devant moi mais un beau toutou m'observe fixement tout en faisant mine d'être tranquille.
Les chevaux m'ont apporté une belle surprise mais là, la surprise n'est pas enviable.
Pas de risque, je fais un détour dans les broussailles épineuses tout en me retournant de temps à autre, pas de chien en vue et si jamais il lui prend l'envie d'un bon mollet bien musclé il devra lui aussi se piquer dans les épineux très denses à cet endroit.
Il a préféré m'ignorer. Ouf !
Les ruines m'apparaissent au détour du chemin et dans moins de trente minutes j'y serai.
J'attaque l'ultime montée pour atteindre les ruines. Nouvelle surprise mais cette fois-ci moins dangereuse mais plutôt bruyante.
En effet, deux compères portent sur leurs épaules d'énormes enceintes acoustiques destinées probablement à une rave party dans les ruines. Pas de bol, je voulais passer ma nuit ici.
Qu'à cela ne tienne, petite pause pour souffler un peu puis je poursuis mon raid pour le sommet du Macaron déjà en vue depuis les ruines et à moins de trente minutes de cet endroit devenu indésirable et inhospitalier.
Mes jambes sont un peu lourdes mais je veux absolument passer une bonne nuit au calme.
Le mont Macaron n'est qu'à quarante minutes de marche depuis les ruines avec un dénivelé de deux cents mètres. Le chemin très praticable sert de piste aux amateurs de trail. J'en croise un ou deux pendant mon ascension, nous échangeons un salut rapide en croisant nos regards bienveillants.
Comme prévu j'arrive au sommet, nouvelle surprise. Le terrain très accidenté n'est pas praticable pour mettre une tente. De plus l'endroit a visiblement été la proie d'un feu dévastateur. Ça sent le cramé et je n'ai pas de place pour poser ma tente.
Bon, je n'ai pas le choix, je ferai cet après-midi l'étape prévue demain. Je pourrai chercher un emplacement pour la tente plus bas, impossible la pente est trop raide et en plus les premières villas apparaissent. Effectivement je me rapproche de la civilisation et de son lot de propriétés aux allures provençales gardées par des chiens certes provençaux mais certainement pas commodes.
Il va falloir rajouter dix kilomètres aux quinze déjà effectués. Pas grave, je rentre.
Du mont Macaron je dois rejoindre le col de Bordinas, croisée des chemins où je retrouve une des voies de Compostelle, celle de Menton à Arles.
Au col de Bordinas plus de sentier rocailleux ou de pistes glissantes, du goudron rien que du goudron.
Le bitume, pas terrible, mais il a l'avantage de permettre une allure rapide pour un marcheur certes fatigué mais qui n'a plus envie de surprises pour aujourd'hui.
Un dernier coup d'œil sur le panorama de Nice où l'on aperçoit dans le fond du décor les pistes de l'aéroport. Les nombreux lacets de la route mènent à Saint-André de la Roche mon terminus.
Ce fut court mais intense avec quelques surprises heureuses et malheureuses. Il me reste un litre d'eau dans mon sac. J'aurais pu tenir jusqu'à demain. Toutes ces heures passées dans cette nature sauvage et fragile à la fois m'ont redonné l'envie de traverser d'autres contrées de la région toutes aussi sauvages et fragiles que celle-ci. Marcher en autonomie demeure une expérience toujours exceptionnelle en matière de gestion de la nourriture et de l'eau. Les nombreuses expériences montrent souvent que l'on a surestimé notre capacité à manger mais d'un autre coté il faut assurer sa sécurité d'une possible mésaventure ou d'un incident de parcours et avoir avec soi de quoi se substenter le temps de se sortir d'affaire.
Je vous encourage à venir randonner dans Alpes-Maritimes, la région est superbe et les chiens ne sont pas si méchants que cela à condition de faire un grand détour si vous les croisez.