Carnet de voyage

2021, l'expérience du GR5

9 étapes
49 commentaires
Les Vosges, le Jura, La Suisse, La Vanoise, l'Ubaye et le Mercantour ultime étape d'un GR5 rude et magnifique apparaitront jour après jour dans un décor printanier jusqu'au premières lueurs de l'été.
Du 3 au 10 mai 2021
8 jours
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Les préparatifs de la randonnée éparpillés sur le canapé attendent depuis presque un mois leur retour dans le sac à dos. Pendant cette période interminable, j'ai profité pour alléger encore un peu celui qui me suivra sur le dos : huit kilos et deux cents grammes, auxquels il faudra rajouter la nourriture et l'eau même si le parcours regorge de ruisseaux, de fontaines et j'espère quelques bars ouverts.

Le périple montagnard se divise en 5 parties : les Vosges et ses lignes de crêtes bleues, le Jura accidenté où passe la GTA (Grande Traversée du Jura), un bout de Suisse vers les Rousses et enfin les Alpes avec la Vanoise, le Queyras et ses vingt-huit sommets dépassant 3000 mètres d'altitude, l'Ubaye côtoyant l'Italie et mon préféré le Mercantour balcon de la Méditerranée. La traversée nord-sud du coté-est de la France relie le piémont alsacien aux senteurs méditerranéennes, seul le passage en Suisse nécessite de prendre un bateau pour traverser le lac de Genève. Je n'ai pas prévu de trainer sur plus de cinq cents kilomètres un canoë gonflable comme Mike Horn.

Les cinq premiers jours j'aurai la compagnie et le plaisir d'être avec Elise et Gaël du point de départ du château de Bernstein - le château-fort du Bernstein est situé sur le ban de la commune de Dambach la Ville, à 562m d'altitude, et domine la plaine du centre Alsace du haut de son donjon - jusqu'au Ballon d'Alsace qui culmine à 1 247 mètres d'altitude, est l'un des premiers sommets significatifs lorsqu'on aborde le massif des Vosges par le sud. Nous partagerons les premiers efforts, les courbatures de fin de journée et la joie d'être réunis une fois les tentes montées. Seul ensuite, il me restera quelque neuf cents kilomètres de décors montagnards, des cols escarpés, des lacs sans doute encore enneigés, une flore encore naissante et déjà multicolore et d'une faune variée parcourant les pentes herbeuses et s'agrippant aux rochers gelés. J'assisterai, pas après pas à la naissance d'un nouveau printemps à haute altitude pour respirer soixante jours plus tard l'air iodé du haut pays niçois. Le GR5 c'est aussi cinquante kilomètres de dénivelés négatifs, cinquante kilomètres de dénivelés positifs. Ainsi pratiquement cent kilomètres de montées harassantes et de descentes brutales mais sans jamais atteindre les étoiles. N'est pas Thomas Pesquet qui veut ! La nuit sous la tente il me suffira de tendre le bras pour les caresser et me dire que c'est très bien ainsi.

Le début du Mercantour côté italien 
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Cette fois c'est parti. Lever cinq heures, Strasbourg n'est pas encore réveillée, petit déjeuner sommaire, nous enfilons nos équipements légers direction le tram puis le TER.

Le train en direction de Dambach-La-Ville démarre à 7h15 précise, 55 minutes plus tard nous arpentons une longue montée objectif une boulangerie du village repérée grâce à Google.

Départ de Strasbourg, lundi 3 mai 2021 à 5h59 

En quelques minutes les pains au chocolat ont été engloutis. Le boulanger peut mieux faire, ils paraissaient rassis et de petite taille. Les temps sont durs pour tout le monde.

Il nous faut rejoindre le GR5 au château du Bernstein à 2.4 km du centre-ville. Une belle forêt s'ouvre à nous avec quelques raidillons, un chemin à flanc de collines, les mollets s'échauffent. Il est 8h20 nous visitons les ruines du château manifestement en chantier. La grimpette en haut de la tour principale nous offre un panorama large et dégagé, la plaine alsacienne s'étend à nos pieds laissant apparaître la Forêt Noire à l'horizon.

Le château
Vue panoramique
Vue du côté nord
Château du Berstein

Le beau temps nous accompagne, petite fraîcheur agréable pour marcher. Nous conservons nos vestes le temps de se réchauffer et d'habituer nos muscles encore engourdis par des semaines de confinement.

Notre allure nous oblige après quarante-cinq minutes de marche à ranger les vestes, seul un polo ou un pull mérinos suffit. Pas de vent, un soleil bien présent, les conditions idéales. Pourvu que ça dure !

Nous passons le château d'Ortembourg monté sur un piton rocheux avec sa tour imposante, une place centrale spacieuse ceinturée de fenêtres gothiques, il domine la plaine d'Alsace et le village de Châtenois.

Château de l'Ortembourg

La descente et l'arrivée vers Châtenois s'annonce longue, il nous faut redescendre presque la totalité de ce que nous avons montés tôt ce matin. De plus, arrivés à Châtenois, il nous faudra gravir le sommet pour atteindre la majestueuse sihouette du Château du Haut Koenigsbourg, un vrai château fort nous plongeant dans l'univers du Moyen-Âge. La distance entre les deux sites : sept kilomètres de montée. Nous y arriverons vers 13h15, harassés, les jambes fatiguées, un peu assoiffés. Les sandwiches s'engloutissent rapidement cependant nous prenons le temps de reposer nos corps plus habitués à de telles épreuves physiques.


Châtenois
Petit édifice du château
Un village alsacien
Châtenois

La halte déjeuner doit prendre fin, nous nous refroidissons trop, en plus il fait un peu froid, un petit vent frais gifle nos joues rosées par l'effort et les calories avalées. Sans plus tarder nous reprenons nos sacs encore plus pesants direction Thannenkirch. Il nous reste moins de cinq kilomètres à parcourir. 14h30 arrivée à la fin de notre première étape. Il nous reste à trouver un emplacement pour monter les tentes. Petit coup d'œil à la carte, à la sortie du village il devrait y avoir un terrain plat, sans arbres. Nous faisons le plein des gourdes pour le soir et la nuit : on ne boit jamais assez dans la journée. A la sortie du village une aire de pique-nique faite pour nous. Ce sera là notre lieu pour notre première nuit, l'eau à proximité, des bancs pour notre repas, emplacement idéal. 21h00 extinction des feux.


Le premier camp à Thannenkirch
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Thannenkirch contraction de "Sankt Anna Kirch" (église Ste Anne) et église nous réveille à 6h00. La nuit a été calme, pas de vent, pas de pluie, seules quelques rafales d'un vent frisquet nous obligent à plier les tentes rapidement. Le temps risque de tourner sans nous dépêcher le tout est bouclé en moins d'une demi-heure.

Lever de soleil à Thannenkirch

Seulement deux heures séparent de Ribeauvillé lieu où Elise et Gael reprendront le chemin du retour vers Strasbourg.

Le chemin traverse une forêt où les feuilles sortent à peine de leur bourgeon, c'est le printemps mais l'hiver montre toujours des signes de résistance. Cette année, l'hiver s'étire et prend toute la place du printemps sans défences et beaucoup trop discret.

Rapidement nous arrivons au château de Haut-Ribeaupierre du Xe siècle avec son donjon cylindrique, il est aujourd'hui abandonné, il contrôlait autrefois la route stratégique reliant la plaine d’Alsace à la haute vallée de Lièpvre.

Château de Haut-Ribeaupierre 

A quelques encablures un autre château domine la ville de Ribeauvillé celui de Saint-Ulrick qui est célèbre par son donjon carré et sa salle des chevaliers aux fenêtres romanes. Ribeauvillé s'étale au pied de la colline aux trois châteaux, nous y serons à 8h45.

Le petit déjeuner se prend dans la rue principale à côté d'une boulangerie à la devanture très peu alsacienne. Nous échangeons quelques recommandations d'usage, trente minutes plus tard je faisais un au revoir triste à Élise et Gael : nous avons eu peu de temps pour profiter de nos présences.

Château de Saint Ulrich
Ribeauvillé dans la plaine
Ribeauvillé centre
Ribeauvillé en bas

C'est toujours émouvant de laisser son enfant sur le chemin et aujourd'hui c'est particulièrement déchirant.

Seul, je reprends le chemin du GR5 vers Aubure, j'ai deux cols à gravir j'aimerai bien y arriver vers 12h30. Malgré cet objectif mon allure reste très modérée, douleurs obligent. Le pied droit me gêne, l'aine droite ne lance de petits pics, le reste pour l'instant : rien à signaler. Il faut environ trois semaines pour que le corps soit affûté. J'en suis à peine à deux jours, je me dis qu'il va falloir souffrir un peu pour que tout rentre dans l'ordre, du moins je l'espère.

Côté moral, il y a eu mieux, de ce côté-là aussi ça devrait s'améliorer. Effectivement j'ai une petite appréhension pour la suite de la randonnée. Le beau temps n'est pas au rendez-vous, les neiges sont tardives et j'ai quelques cols à passer dans les Vosges, le sommet du Hohneck (1363 m) à gravir. Dans les Alpes, il faudra rajouter mille mètres de plus de dénivelé positif, certes j'aurai avancé dans la saison mais il y a toujours un risque de grands névés ou de cols glacés. Cette situation m'obligerait soit à faire un détour ce qui n'est pas toujours évident soit carrément renoncer. Bon, je n'en suis pas là, chaque jour sa peine et ses joies.

Sapin des Français

Les deux cols passés, le parcours croise le Sapin des Français (773 m) partie de tronc d'un sapin âgé de 200 ans. Cet endroit correspond au point extrême dans ce secteur de l'avancée des troupes françaises vers la plaine d'Alsace, le 18 août 1914.

Le Koenigsstuhl (938 m)

Le Koenigssthul s'impose comme le point culminant de ce petit massif que je parcours juste avant d'arriver à Aubure, petit village de montagne où il n'y a pas âme qui vive. Tiens ça me rappelle le Morvan !

Aubure 

Arrivé dans le village il est 12h30. Parfait, en plus j'ai du réseau 4G. J'en profite pour donner de mes nouvelles à Guylaine et scruter la messagerie. Ce matin à Ribeauvillé j'ai pu publier mon blog, ce soir je pense que cela sera impossible car mon objectif du jour est perdu en pleine forêt vosgienne à une heure trente de marche du village.

La commune d'Aubure a prévu un abri plutôt sympathique pour les randonneurs, l'occasion de reprendre des calories, de boire à la fontaine du village, de remplir les gourdes pour le dernier effort de la journée.

Le chemin large serpente à flanc de montagne, rien que de la forêt, la montée se fait aisément, elle n'est pas raide mais la pluie fine gêne la progression.

Sur le plateau une petite cabane en bois apparaît, peut-être le refuge pour ce soir ?

La Pierre des 3 Bans

Il est 14h30, il est tôt, je m'installe, je dois tuer le temps. L'intérieur le minimum très rudimentaire occupe toute la surface, plutôt spartiate mais bon, il faut savoir se contenter de ce que l'on a.

Je démarre le blog difficilement, les mots ne viennent pas, les phrases restent muettes même si j'ai des choses à dire, il y a toujours un temps où le vide des pensées ne se remplit pas.

J'en suis presque à la fin au bout d'une heure de réflexion et d'écriture poussive quand quelqu'un toque à la porte. Un visiteur.

Jamais je n'aurai pensé avoir de la visite ce soir. Homme âgé autour des soixante-dix ans, trempé jusqu'aux os, pas de sac à dos, nous entamons la discussion avec l'éternelle question : où vas-tu ? Alors j'explique mon projet du moment, il me lance avec une pointe de regret qu'il rêve de faire le GR5 mais dans l'autre sens car il est du coin. Il voudrait partir de Nice et aller jusqu'à Aubure, village étape de cet après-midi. Nous bavardons une bonne demi-heure, dans l'échange il m'informe qu'à quatre kilomètres delà, sur mon chemin, se trouve un refuge en dur avec un poêle, je pourrais ainsi faire du feu. Ni une ni deux, je plie mes affaires lui souhaite un bon retour chez lui, j'enfile le poncho et pars en direction de ce refuge plus accommodant.

Le vent ne faiblit pas la pluie non plus. Le parcours isocline d'abord reprend avec une légère montée vers la fin. En faisant cela, demain mon parcours sera plus court. Aujourd'hui malgré une après-midi sous la pluie battante et froide, je me sens de faire une heure de marche en plus.

Pile une heure plus tard juste après avoir gravi le Petit Brézouard (1203 m) j'aperçois en contrebas l'abri refuge en pierre.

Abri de Brézouard (1203 m) 

Sur le parcours final quelques petits névés ont survécu aux petites chaleurs et aux rafales de vent d'un printemps tardif. J'espère que ce n'est pas un mauvais présage.

Je tente de faire du feu dans le refuge mais le bois trempé prend difficilement. La flambée dans ce poêle de fortune aura duré quinze minutes, le temps de réchauffer un peu la salle principale en vrac et me réchauffer un petit peu le cœur en vrac lui aussi.

Je sens que la nuit va être longue mais au moins je suis à l'abri, demain sera un autre jour.

Abri de Brézouard sous la neige mercredi matin
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Surprise ce matin : de la neige partout ! Là les difficultés vont vraiment surgir : traces du chemin moins évidentes, risques de glissades, visibilité réduite, froid et le vent violent qui ne faiblit pas. Ce n'est vraiment pas de chance. La météo ne prévoit pas d'embellie avant jeudi. Donc aujourd'hui mercredi ça va être sportif, la vigilance ne doit pas me quitter, je dois rassembler mes énergies physiques et morales et les mettre au service de chaque instant.

La montée au Grand Brézouard ( 1228 m)

Hier soir vers 20h deux cyclistes sont apparus, j'étais déjà couché. Je m'étais étalé sur la table du refuge, il faut dire qu'elle occupe une grande place. Pas question de dormir sur une couchette et il y en avait suffisamment : punaises obligent. Discrètement ils se sont installés, nous avons échangé les quelques paroles d'usage puis je me suis endormi sur la table du réfectoire proche des fenêtres étanches.

Ce matin à 6h30 je range mon sac sans bruit pour ne pas trop les déranger. 7h10 départ. La neige a couvert le chemin sur dix centimètres environ et par endroit pas de neige. Le temps est venteux, il ne neige pas, une alternance de soleil, de nuages me réchauffe un peu mais pas suffisamment pour quitter la veste goretex, le bonnet et les gants. Un temps de chien !

Petite grimpette jusqu'au sommet Brézouard où la visibilité ne permet pas de voir l'horizon, je devine tout de même un paysage forestier à perte de vue. Le silence total règne dans ce décor blanchi et totalement vierge de traces d'êtres vivants. J'ai le sentiment d'être dans un décor de fin du monde, immaculé et sans vie.

En allant vers Bonhomme

Je dois rejoindre le village de Bonhomme par un sentier forestier large et agréable s'ouvrant de temps à autre sur une vallée lointaine et éclairée par quelques rayons de soleil brefs. Cinq cents mètres de descente me séparent de mon objectif, du dénivelé négatif encore et toujours.

Sur la route de Bonhomme 

9h20 j'arrive à Bonhomme et comme à chaque fois je recherche une épicerie ou une boulangerie. Celle du village est fermée pour cause de maladie mais en arrivant dans le village et en passant à côté de la mairie était indiqué : "pain frais".

Je pars à la recherche de cette providence alimentaire. Dans une salle à l'arrière du bâtiment de la mairie une minuscule épicerie et des toilettes. Plus de croissants, plus de pains au chocolat ! Le pseudo épicier n'arrête pas de s'excuser de n'avoir rien à me vendre. Je le remercie en lui demandant de pouvoir utiliser les toilettes : un brin de décrassage n'est jamais de trop.

La sortie du village, pente raide, je dois atteindre la Tête des Faux (1208 m), le panneau indique 1h40, je ne tarde pas car le temps tourne au vinaigre encore une fois.

Étang du Devin (950 m)

Le parcours croise l'étang du Devin, tourbière insolite bien asséchée pour la saison, il est certainement le lieu de pique-niques des locaux. L'étang des Sorcières : L'Hexenweier (étang des Sorcières) était un lieu de Sabbat. Dès le XVIe siècle, on l'appela aussi "estang du Devin ou Crimmelin", du nom d'un de ses propriétaires, un certain Colin le Devin de Sainte-Marie-aux-Mines qui, au XVe siècle, se livrait à la divination.

Le chemin grimpe toujours de plus en plus raide, toujours alternance soleil et nuages c'est mieux que la neige, je dois m'en contenter.

Gare supérieure du téléphérique allemand

En pleine montée je croise une ancienne arrivée d'un poste téléphérique allemand, vestige témoin de cette période troublée. Le lieu est un champ de bataille de 1914-1918 situé à 1220 mètres d’altitude. Le sommet, remarquable observatoire, a été conquis par les français le 2 décembre 1914. Les Allemands ont bâti sur le versant est, une véritable forteresse comportant une caserne souterraine, qui dispose notamment d’un téléphérique pour ravitailler le secteur. Installé dans le centre du village de Lapoutroie, sa dénivellation est de 500 mètres sur une distance de 4km. A son arrivée, un immense tunnel permet de poursuivre l’acheminement par voie ferrée sous terre jusqu’au sommet.

Roche du Corbeau (1130 m) 

Le chemin devient praticable mais de plus en plus difficile à suivre, en effet les traces disparaissent sous la neige et les branches enneigées des arbres cachent les panneaux indicateurs. Ma montre Garmin m'a remis deux fois sur le bon chemin après avoir pris par deux fois la mauvaise piste. Il ne faut pas grand-chose pour se perdre.

12h30 j'arrive au col du Calvaire (1144 m) il était temps car de violentes tempêtes de neige alternent avec des apparitions de rayons de soleil réconfortants. Sale temps aujourd'hui.

Tempête de neige au col du Calvaire

C'est tôt mais de toute façon aujourd'hui je monterai la tente ici dans ce lieu hostile relativement plat, arboré, plus envie d'avancer. Il me reste à trouver un endroit abrité. Demain crêtes et altitudes viendront me taquiner le corps et l'esprit. J'espère que ça passera.

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La journée a été rude, longue et sportive, neige, tempêtes de neige, vents violents aux sommets et pour finir pluie fine qui vous transit le corps jusqu'aux os.

Lever 5h50, j'ai dû réorganiser mon sac à dos dans la tente car dehors la neige tombe, sans cesse, pas facile, il faut être sur ses gardes, essayer de ne pas trop toucher la toile intérieure au risque de créer une gouttière. Autant vous dire impossible.

6h40, je démarre, pas de petit-déjeuner, pas envie, trop compliqué, en fait je n'ai pas faim. Hier soir en guise de repas : musli sec, quatre carrés de chocolat, un tiers de tube de lait concentré. Cela m'a suffi, on n'a pas bien faim lorsqu'on marche beaucoup. Les étapes ne font que vingt kilomètres en moyenne mais c'est en montagne, le froid vous pompe des calories sans vergogne.

La montée vers les crêtes vosgiennes et au Gazon du Faing (1302 m)

La neige a cessé, même le soleil s'invite, peut-être que la journée sera finalement belle.

Au fur et à mesure de mon avancée, le temps se gâte, le vent se lève très fort, la neige revient. Les crêtes des Vosges seront parcourues sous une violente tempête de neige sans répis. Le parcours rectiligne se suit facilement mais de petits névés se sont formés par-ci par-là et souvent je m'enfonce jusqu'à mi-tibia ce qui ralentit la cadence et puise dans mes réserves déjà très entamées. Le plus difficile sera le passage au sommet du Hohneck au dire des gérants de l'auberge du col de la Schlucht. Ils ne m'ont pas menti.

Le Gazon du Faing entre le département des Vosges et la Vallée de Munster

Mes mains sont gelées à cause des gants trempés. Au départ du col pour monter au Hohneck je décide de ranger les bâtons et d'enfiler mes mains dans les poches pour les réchauffer. Il ne faut pas s'imaginer que le parcours soit aisé car il faut être constamment sur ses gardes pour ne pas glisser ou ne pas trop s'enfoncer dans les congères. Il n'y a pas de danger particulier, le sentier large de plus deux mètres, n'a pas de précipice à proximité, seule une steppe à ma droite légèrement en pente descendante s'étale à l'horizon voilé par le brouillard montant.

Mon ombre dans la traversée du Gazon du Faing

Plus j'avance, plus le vent redouble de puissance, la neige tombe très serrée, il m'est difficile de tenir droit mais malgré tout j'avance. Le sommet requiert une heure quarante de marche depuis le col de la Schlucht : tranquille !

Le gérant de l'auberge avait raison : ça souffle vraiment fort. Il faut avancer sans se poser trop de question. Se pose trop de questions c'est se mettre le doute. Je suis sur la trace donc il faut y aller.

Ça y est, le sommet. Je l'atteins mais je ne fais que passer car les terribles conditions me permettent à peine de faire un selfie, j'ai peur que le vent m'arrache le téléphone et l'emporte au loin dans ce décor chaotique. Fiche le camp de là !

Le sommet du Hohneck (1363 m)

Il faut redescendre prudemment même si tout s'est bien passé pour l'instant malgré une météo digne de la haute montagne. J'espère que la descente sera aussi bien balisée et facile que la montée. Ce n'est pas gagné.

Il me reste trois heures de marche jusqu'au village objectif du jour, mes jambes ça va, ma tête ça va. Banco, je descends.

J'étais là-haut sur la montagne.... descente vers Mittlach

14h00, j'arrive à Mittlach, j'ai du réseau, j'en profite pour publier l'étape d'hier et décrire celle d'aujourd'hui.

Dans le village à l'intérieur d'un abri bus, je profite pour reprendre des calories, pour ranger au mieux mes affaires trempées, me reposer, reprendre mes esprits d'une descente depuis le Hohneck longue, glissante et surtout harassante.

Ce soir, je vais publier l'étape du jour car demain je serai certainement sans aucun réseau.

Il me reste à trouver un emplacement pour la tente. Dur, dur ça ne va pas être facile. Je ferai de mon mieux.

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Ce vendredi matin démarre bien, la nuit dans la salle des fêtes de Mittlach m'a redonné du tonus. Hier en dépit du désespoir pour trouver une place où poser la tente, j'ai appelé la mairie du village pour tenter de loger dans la salle des fêtes. Le maire a accepté sans hésitation, il m'a même ouvert le chauffage de la grande salle. J'ai pu faire sécher la totalité du matériel. Monsieur le Maire souhaitait que je puisse passer une bonne nuit au chaud dans son village. Il m'a posé la question hier soir si j'avais de quoi manger car sinon il m'aurait sans doute amené une bonne choucroute. Qui sait ?

Je remercie chaleureusement ce monsieur et ses élus, ils ont fait le maximum pour moi.

Hôtel 50 chaises dans la salle des fêtes de Mittlach

Par contre côté temps c'est un peu mieux mais il pleut toujours, pas grand-chose mais cela m'oblige à mettre le poncho et tout le bazar pour ne pas finir comme hier.

Je dois gravir le col Herrenberg (1191 m), deux heures de montée non-stop. Le sentier zigzague doucement à flanc de montagne laissant apparaître la vallée rincée d'une pluie abondante et ses petits villages typiques éparpillés comme des champignons. Plus je monte, plus ça se gâte.

Montée au col du Herrenberg (1191 m)

C'est le jour des chamois, plusieurs me coupent la route à quelques dizaines de mètres de moi, bref arrêt, regards perçants dans ma direction et ils repartent de plus belle avec une énergie sauvage et facile. En quelques secondes ils ont parcouru plusieurs centaines de mètres. J'aimerais être un chamois aujourd'hui.

En bas au fond Mittlach

En moins de temps que prévu je passe le col, la neige au sol n'a pas disparu malgré la pluie mais c'est mieux qu'hier.

Les crêtes après le col du Hanenbrunnen (1186 m)

Il ne neige pas, il ne pleut plus par contre un brouillard fait son apparition vers les crêtes au sommet du col. Il ne manquait plus que lui. Le sentier bien visible suit une crête monotone, sans arbre, le panorama : pas terrible. Par deux fois je dois sortir mon GPS, impossible de voir la trace sur la crête au milieu des pâturages. Le balisage laisse à désirer, trop espacé, en plein brouillard on pourrait facilement se perdre.

Mais j'avance avec envie même si le nouveau décor rend la cadence difficile, je voudrais être vers 11h00 au col de Markstein, station de ski vosgienne.

11h15, la station de ski de Markstein ressemble à un chantier, réparation et construction de toute part. Rien n'est ouvert. Je prends place sur une des terrasses d'un grand restaurant pour me donner des forces, le soleil apparaît ce qui n'est pas pour me déplaire.

L'astre de chaleur et de réconfort semble prendre sa place, il me réchauffe et cela me fait du bien. De plus je peux enfin voir quelque chose de ce paysage caché par les perturbations climatiques. Quel bonheur de retrouver la chaleur du soleil. Marcher quand on a froid ce n'est vraiment pas agréable. J'ai voulu faire l'économie d'e transporter des moufles : erreur de débutant. Des gants ne suffisent pas. C'est toujours ce problème de poids du sac. Toujours insoluble. Quand arriverai-je un jour à l'optimiser ?

Le Grand Ballon (1424 m) après Markstein (1200 m) 

Depuis Markstein il me reste à gravir le Grand Ballon (1424 m), 1h40 mais j'ai déjà 4h30 de marche dans les pattes. J'irai doucement il ne faut pas trop tirer sur la corde et puis j'ai du temps aujourd'hui.

Juste après Markstein, le Grand Ballon apparaît au loin. Le sentier ressemble à une piste carrossable, la pente douce me permet d'apprécier le paysage et surtout un panorama superbe de toute la plaine d'Alsace.

En me retournant j'aperçois au loin l'enfer du Hohneck sous la grisaille, qu'il y reste !

Le Grand Ballon et la plaine d'Alsace

Enfin au sommet, magique et magnifique. Heureux d'être là !

Demain je serai à Thann, j'ai réservé un hôtel : première douche. Les matins grâce à une petite toilette de chat, pas tous les jours, trop compliqué, mon visage reprend un peu de couleur et les traits de fatigue autour des yeux disparaissent légèrement. Hier à Mittlach, j'ai pu faire un peu mieux qu'une toilette de chat grâce au lavabo de la salle des fêtes. Merci Monsieur le Maire.

L'objectif du jour c'est de m'avancer au maximum, de m'approcher le plus possible de Thann. Idéalement c'est ne laisser que deux ou trois heures de marche pour demain ainsi je profiterai un maximum de l'hôtel toute une grand partie de la journée de samedi.

Au départ je devais dormir au sommet du Grand Ballon mais le vent risque de me faire des misères et j'en ai assez eu ces derniers jours.

Je poursuis jusqu'au col de Firtstacker (955 m) sous un soleil bienvenu.

En direct de l'espace

Le col présente l'avantage d'être au soleil peu exposé au vent, demain il me restera 3h50 de marche pour Thann, c'est loin des deux heures prévue. Il est 15h30 je fais mon blog cela me reposera. Un peu plus tard je monterai la tente avec le chant des oiseaux et le bruit du cliquetis de l'eau de la fontaine à une dizaine de mètres du campement.

Mon camp pour ce soir au col de Firstacker (955 m)
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Hier (vendredi) je me suis avancé le plus possible afin d'être tôt à Thann pour savourer les conditions modernes de confort. En descendant du Grand Ballon je me suis dit que le col Firtstacker ou le col Amic (20 mn plus loin) ferai l'affaire. La descente du Grand Ballon m'ouvre une vue exceptionnelle sur la plaine d'Alsace, je peux même apercevoir Thann : mon objectif de samedi.

Arrivé au col de Firtstacker l'endroit me paraît parfait : un emplacement pour la tente à l'abri d'un éventuel vent, une petite source pour les bestiaux ( je commence en avoir l'allure) et à peine à plus de trois heures de marche pour Thann.

Le lever au col de Firtstacker (955 m)

Il y a même un banc pour étaler mon bardage. Le soleil réparateur sera au rendez-vous demain matin vue l'exposition du site. Quoi de mieux que de se lever avec le soleil dans les yeux, le visage caressé par les premiers rayons bienfaiteurs, séchant les affaires de la rosée du matin et vous remplissant de chaleur. Cela suffit pour passer une bonne journée.

Vu l'endroit et la douceur de la soirée je prends mon temps pour apprécier l'instant et le décor de montagne.

Ce soir, coucher à 21h00, les jours de neige coucher à 16h00 voire 15h00 car j'arrive tôt à chaque fin d'étape. Que faire d'autre après avoir monté la tente avec des rafales de vent, la neige qui tombe, les doigts gelés et avec six à huit heures de marche dans les pattes : se coucher, faire une petite sieste, faire son blog et méditer, il n'a que cela à faire.

La nuit n'a pas été très bonne, vers minuit je suis réveillé par le son d'un animal, certes probablement éloigné d'une centaine de mètres mais lâchant un son rauque avec des gloussements comme des éternuements.

Ce qui m'inquiète c'est le fait qu'il pourrait passer près de moi et se prendre les pieds dans la tente et comble de malchance me blesser même s'il n'en a pas l'intention.

Vu le son je pense deviner un cerf ou un chevreuil en rut. Si c'est le cas il n'est pas au bon endroit et moi le cerf ou le chevreuil en rut non merci ! Après vérification sur YouTube il s'agit bien d'un chevreuil, cet animal aboi.

Des chiens au loin aboient aussi, ils ont sans aucun doute flairé la bête qui s'éloigne à mon grand soulagement.

Tout à l'heure avant de me coucher comme j'avais du temps je me suis fait un café : erreur ! Impossible de dormir, de plus, l'endroit présente une légère pente, pas énorme, mais suffisante pour glisser doucement à chaque mouvement ou retournement. Je ne peux pas tout avoir d'un coup : le beau temps, le bel endroit et la nuit paisible.

Ce matin (samedi) à 7h00 comme prévu le soleil vient poser ses rayons bienfaiteurs sur la tente, le lieu est vite inondé de chaleur solaire. J'en profite pour bien sécher toutes mes affaires, reprendre un café, déguster un petit-déjeuner frugal, ranger le tout et en route pour Thann départ à 8h40.

Col de Silberloch (900 m)

La descente vers Thann se déroule sans problème. Je traverse des forêts de hêtres aux bourgeons naissants, de chênes aux feuilles minuscules et les sempiternels sapins de la région.

En route pour compléter mon petit-déjeuner je mâche quelques jeunes feuilles d'ortie.

Si vous voulez manger l'ortie crue dans la nature faites une boule et roulez-la deux ou trois fois entre vos doigts ensuite vous pourrez la consommer sans vous faire piquer la bouche. On ne risque pas de se piquer et c'est très bon en vitamines et en nutriments. Ne pas abuser quand même elles peuvent être contaminées par des bestiaux locaux.

En me retournant, la traversée

Même si Thann se situe à 255 m, le GR5 prévoit une rude cote une heure trente après mon départ du col de Firtstacker. C'est vrai que la vue grandiose fait oublier la difficulté du raidillon sans lacet menant directement au sommet d'une colline verdoyante.

Dernier raidillon au col de Becherkopf (858 m)

Au fur et à mesure de l'approche de la ville, je rencontre des randonneurs promenant leurs chiens, des cyclistes avec des engins très sophistiqués, des joggeuses essoufflées tentant de maintenir une silhouette parfaite grâce aux efforts désespérés et intenses. Je n'ai pas vu de joggeurs mais seulement des cyclistes musclés et essoufflés forçant sur le pédalier, têtes baissées, les yeux rivés sur la piste montante. Je préfère mon sort.

La plaine d'Alsace au fond

Il est 12h00, j'arrive à Thann, je traverse un marché sur une des places de la ville. L'occasion est trop belle pour m'acheter des fruits, un demi poulet mais plus de pain : l'étalage du boulanger totalement vidée. Peut-être y en aura-t-il dans le centre, tout me paraît bien fermé, j'avais oublié que nous sommes le 8 mai.

Direction l'hôtel à 700 m du marché, à proximité de mon objectif, un pizzaiolo ambulant et un supermarché ouvert jusqu'à 19h00. L'aubaine.

Sur le parcours en me rendant à l'hôtel j'en profite pour désactiver le mode avion du téléphone et rechercher une pharmacie ouverte. Depuis hier mon pied gauche juste au-dessus du coup de pied me lance : douleur musculaire due au fait que je n'ai sans doute pas assez bu depuis six jours.

Il faut dire que depuis mon départ il n'est pas toujours facile de trouver de l'eau en chemin. Lorsqu'il y avait de la neige je me contentais de cette boisson solide et glacée.

Je prends la résolution de mieux prévoir mon ravitaillement en eau au risque d'augmenter le poids du sac bien assez lourd. Quand je marche la douleur est tout à fait supportable mais il ne faudrait pas que cela empire ce qui stopperait net mon périple.

La pharmacie de garde la plus proche se situe à deux kilomètres de l'hôtel, trop loin, j'ai des anti-inflammatoires ça devrait m'aider pour calmer la douleur et je vais beaucoup boire sans en faire une indigestion.

Collégiale Saint Thiébaut
Thann

Deux heures de sieste, une bonne douche, toutes mes victuailles dégustées (pizza incluse) m'ont permis de retrouver de l'énergie et du courage pour demain : cinq cols à franchir !

Je comprends pourquoi les alsaciens mangent autant de choucroute. Moi j'en aurais bien mangé une !

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Aujourd'hui dimanche 9 mai, la gérante de l'hôtel sonne à ma porte, le petit déjeuner m'est servi, il est 8h précis. La veille j'avais acheté un demi-poulet, une pizza, deux pommes et deux bananes au marché de Thann. Ce repas gargantuesque a été englouti sans problème. Je me suis forcé un peu pour manger, la randonnée est un coupe-faim sur de longues distances. Le soir j'ai commandé un repas de légumes farcis avec du riz et une bière le tout engloutis aussi dans ma chambre monacale.

8h20, je démarre mon pied gauche me fait souffrir malgré l'anti-inflammatoire. Je ne peux en consommer que trois par jour et pas plus de cinq jours consécutifs. Je dois faire un petit calcul si jeudi prochain pas d'amélioration je serai sans doute dans l'obligation de m'arrêter, je ne veux pas risquer une rupture de fatigue. Cette complication entraînerait six mois sans faire de randonnée. De plus à partir de lundi sale temps quasiment toute la semaine, ce périple doit rester un plaisir et non pas une flagellation ou un chemin de croix.

La montée démarre tranquillement à travers une forêt de sapins géants. Depuis ce matin j'ai croisé au moins une cinquantaine de randonneurs du dimanche, les Alsaciens profitent des nouvelles conditions sanitaires.

La montée au col des Charbonniers (1105 m)

Ce matin j'ai pris la résolution de bien boire et de faire des pauses toutes les une heure trente de marche. Peut-être que ces dispositions limiteront la douleur voire même se transformer vers une guérison inespérée.

Col du Rossberg (1104 m) 

Le médicament a fait effet au bout de trois heures de marche, durée de l'effet dix minutes par contre zéro douleur pendant ce court laps de temps. Pas bon tout ça !

Chemin faisant sur ma droite je retrouve la vallée et les crêtes où deux jours plus tôt je bataillais avec les éléments naturels en folie. C'est souvent lorsqu'on se retourne que l'on voit le chemin parcouru.


Lac des Perches (985 m) depuis le GR5

A 12h30, je décide de faire une longue pause dans une ferme auberge fermée, d'autres randonneurs profitent de cette batisse pour casser la croûte protégés du vent et du soleil car aujourd'hui il fait très chaud.

Il y a quelques jours je ne transpirais pas du tout, aujourd'hui mon tee-shirt mérinos n'arrive plus à absorber ma perte en eau. J'ai deux litres et demi avec moi, je n'hésite pas à pomper ma poche à eau fréquemment.

15h00, j'arrive au col des Perches avec en contrebas un magnifique refuge libre, vue panoramique assurée, source d'eau à quelques dizaines de mètres. Ce sera mon refuge pour ce soir. Autour de moi beaucoup de monde, malgré cela je prends mes aises et sors mon matériel : duvet, matelas gonflable, etc...

A partir de ce moment et pendant presque deux heures des randonneurs viennent m'aborder pour entamer une discussion sur le matériel, échanges avec un papy qui voudrait bien amener ses petits enfants pour les initier à cette activité sportive et à la nature, des Alsaciens essentiellement mais aussi une Mexicaine en couple avec un Alsacien.

Un couple de retraités m'offre du thé et m'explique toutes les sorties que l'on peut faire dans le secteur.

C'est toujours ainsi, l'inattendu vous offre le meilleur alors que tout paraissait devoir se dérouler sans surprise.

Le refuge et la vue depuis le refuge de la Haute-Bers (1120 m)

Ce soir en principe des chamois traverseront la petite plaine face au refuge juste au moment du coucher du soleil. Un beau moment en perspective.

L'intérieur du refuge

Il est 18h11, il n'y a plus que moi, les randonneurs du dimanche m'ont laissé tout l'espace, le soleil me réchauffe encore. Je pars vers la source pour un brin de toilette et un bain de pied.

L'eau fraiche et abondante me fait du bien aux bras, au torse, au visage après une journée de chaleur et peu ventée.

Un bain de pieds donnera du tonus à ces membres maltraités depuis six jours. Petit coup d'œil au pied gauche, la cheville est enflée. Pas bon tout ça, mais elle ne me fait pas souffrir pour marcher.

La source et au fond le refugede la Haute-Bers

Assis sur mon banc, je contemple ce panorama incroyable où se déplie à mes pieds le décor d'un petit pâturage d'herbes fraîches noir de monde il y a une heure. Plus loin quelques collines bordant la plaine d'Alsace marquent l'horizon sous le soleil couchant et enfin la chaîne majestueuse des Alpes tout au fond.

A deux cents mètres à peine, broute tranquillement un chamois solitaire. Celui-ci n'a pas attendu bien longtemps pour disposer d'un repas d'herbes tendres juste après les derniers visiteurs humains du jour.

Vue depuis l'abri de la Haute-Bers 

J'attends patiemment la nuit venir assis sur mon banc. De petits oiseaux gris et blanc picorent les miettes des casse-croûtes des groupes venus marcher plus loin que le bout de leur cité ou de leur village. Liberté retrouvée pour une journée.

Paysage de méditation de la Haute-Bers 
La nuit à l'abri de la Haute-Bers

Il est quasiment vingt-deux heures, j'ai mis mon réveil à cinq heures pour pouvoir photographier un lever de soleil sur la plaine d'Alsace ou bien le passage d'animaux déjà en recherche de nourriture ou plus sûrement un paysage pluvieux comme cela a été annoncé.

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Pas fermé l'œil de la nuit, ma montre Garmin m'indique une heure de sommeil profond, cinq heures de sommeil léger et une heure d'éveil. Pourtant le refuge donne une impression de propre, de bien étanche, pas d'odeurs particulières hormis celles des feux successifs dans le petit poêle (ce qui n'était pas le cas à la Pierre aux Trois Bans qui sentait le fauve). Il y a bien quelques souris curieuses qui me rendent visite mais à part cela le refuge offre un confort tout à fait correct.

J'ai mis mon réveil à 5h00 ce qui est tout à fait inutile car je me suis éveillé à 3h00. Aucune sensation de fatigue mais le pied gauche me lance avec acharnement, la douleur n'a pas eu de répit pendant la nuit.

Je pars à 6h00, il fait jour, pas de pluie pour l'instant, je m'habille léger car je risque d'avoir chaud, je veux être au Ballon d'Alsace avant 9h00 pour être à Giromagny pour midi au plus tard.

La montée au Ballon d'Alsac, le lac d'Alfred

Je force le pas dans les montées car la douleur prend toute sa place plutôt dans les descentes. C'est bien cela qui m'inquiète après le Ballon d'Alsace trois heures de descente, plus de mille mètres de perte d'altitude sans presque aucune montée. Je sens que ça va être la joie.

Curieusement malgré des nuits de sommeil très aléatoires, le corps ne ressent pas de fatigue, il est comme boosté par cette situation météorologique désastreuse mais certains membres ont dégusté.

Même un peu de soleil pour la montée au Ballon d'Alsace (1247 m)

Je passe à flanc de deux ou trois petites collines, toujours pas de Ballon d'Alsace en vue. Il faut en passer une quatrième et toujours de la montée pas trop raide. Le sol mouillé par le crachin matinal peut s'avérer très glissant, je marche vite mais tous les capteurs sont en alerte maximale. Ce n'est pas le moment de chuter car pas de civilisation autour de moi, rien, pas d'humain, seul.

Le voilà enfin ce fameux Ballon d'Alsace (1247 m) devant moi, un panneau du GR5 indique : sommet trente minutes. Damned, de grosses congères couronnent le sommet en forme de plateau. Je n'arrive pas à distinguer si le chemin traverse ces névés ou s'il les évite. Si c'est le cas je ferai un détour car même si je peux tailler des marches dans la neige ou la glace, une des congères pourrait très bien se décrocher. Faire de la luge sur un bloc de glace : non merci ! La pente est raide et il y a peu d'arbres pour arrêter une éventuelle glissade improvisée et fatale.

Je me dis qu'il faut avancer le plus près possible du sommet, je prendrai la bonne décision en ayant toutes les cartes en mains sans se laisser aller à des suppositions inutiles.

Les congères lèchent le chemin sans l'atteindre. Chance. Encore un petit effort, je débouche sur le Ballon d'Alsace, le vent siffle dans mes oreilles, une petite pluie fine et glaciale rend le tableau encore plus triste : soulagé tout de même. J'ai pu passer cette ultime ascension sans encombre.

Le sommet du Ballon d'Alsace (1247 m)

Brouillard, vent, pluie : moche ! Deux, trois photos et je quitte ce lieu hostile sans aucun charme aujourd'hui. Personne bien sûr. Qui aurait l'idée un lundi matin à 8h30 d'être au Ballon d'Alsace par un temps à ne pas mettre un Alsacien ou une Alsacienne dehors ?

Tout s'est bien passé, j'y suis arrivé plus tôt que prévu. Je laisse derrière moi une Jeanne d'arc (de Mathurin Moreau le 19 septembre 1909) juchée sur son canasson. Jeanne d’Arc, sur son cheval cabré, brandit son étendard vers le ciel. Elle porte armure et casque, moi je porte mon sac à dos c'est plus utile ici.

Jeanne d'Arc
Le début de la descente

J'entame la descente, c'est là que les difficultés commencent, quinze minutes plus tard après le sommet, je cherche mon chemin : le GR5, le GR7 et le GR531 se croisent sur un replat. Un vrai bazar et en plus le brouillard et la pluie fine celle vous qui trempe bien et qui vous transit redoublent de puissance. Mais Garmin est là, je retrouve la piste en activant la portion de l'étape chargée dans ma montre. Ils ne se foulent pas les Alsaciens pour les panneaux indicateurs. Dans le Mercantour il y en a tous les 100 mètres, en Alsace on m'a dit tous les 250 mètres, règles européennes obligent car le GR5 est international. Pingre !

Monument des Démineurs, drôle de monument

Plus bas je laisse derrière moi une drôle de statue renversée érigée pour les démineurs.

"L'Homme Projeté", le monument des démineurs, monument national inauguré en 1952 qui rend hommage aux démineurs morts pour la France.

Comme prévu le pied gauche hurle à ma place en silence car je ne veux pas effrayer la faune locale. Il me reste encore trois heures de descente, c'est une estimation, mille mètres de dénivelé négatif c'est une réalité, sur une piste pleine de cailloux bien ronds, ceux qui glissent bien, ceux qui ne préviennent pas lorsque vous mettez le pied dessus.

Dans ces conditions, je descends doucement, un parce que je ne peux pas aller plus vite (douleur), deux parce que je ne veux pas chuter, trois parce que j'ai de l'avance. Alors tranquille !

Vu que tous mes sens sont en alerte je ne vois rien du paysage, je dois être concentré et de toute façon on ne voit rien. Il y a au moins quelque chose que je ne peux pas ne pas entendre, c'est le ruisseau bordant le chemin. Il est en furie, l'eau gicle partout, il faut dire qu'il n'arrête pas de pleuvoir. De temps en temps je m'arrête et le regarde en d'autres circonstances j'aurai bien pris un bain ou une douche mais aujourd'hui le goût n'y est pas et puis je veux être à Giromagny avant 12h00.

Douche vosgienne avant Lepuix

La vallée n'en finit plus de s'étendre, la route goudronnée serpente et s'enfonce dans le creux du relief parsemé de petites fermes sans animation, cheminées fumantes.

Je décide de laisser le GR5 car Google indique Giromagny quatre kilomètres donc moins d'une heure de marche alors qu'un panneau de FFR (Fédération Française de Randonnée) indique deux heures. Ce n'est pas le jour de faire du rabe d'autant que la pluie n'a de cesse, fine, froide, mordante et mon pied en souffrance.

11h50, un coup de Google pour trouver l'abribus pour aller à Belfort. 12h00, le bus est là. Ouf. Mission accomplie,

Trempé mais heureux. C'est vachement confortable un bus.

Je dois me résoudre à stopper l'aventure dans ce bled, c'est une évidence. Vu la situation côté pied gauche il faudrait que je m'arrête totalement de marcher plusieurs jours et cela mettrait le planning en l'air car je devais être rentré fin juin au plus tard. Samedi à l'hôtel j'ai écouté le journal télévisé : beaucoup d'avalanches dans les Alpes et de nombreuses victimes.

Le passage du Jura devrait se faire sans problème mais les Alpes juste après Saint Gingolph en Suisse, premier col à plus de 2500 m dans moins de trois semaines. La neige n'aura pas fondu, la piste sera encore recouverte de neige donc plus difficile à repérer. Je devrais avoir au minimum des raquettes voire même des crampons. Trop risqué et puis ce sale temps pendant minimum une semaine encore. Je préfère stopper net et reprendre lorsque les conditions météorologiques seront plus favorables. L'erreur est sans doute d'être parti trop tôt dans la saison mais j'avais trop envie de tenter l'aventure.

Je remercie tous ceux qui m'ont apporté leur soutien en acceptant l'invitation, ceux qui m'ont envoyé des petits mots d'encouragement. Un remerciement qui vient du cœur à tous ceux qui ont participé à la confection du petit livret qui devait m'accompagner au départ du chemin de Compostelle en avril dernier et pendant tout le trajet de trois mois :

Merci à Julian, Laurie (pour l'idée du carnet), Louise, Solal, Lucas et Servietski (le chat de Lucas) pour vos encouragements, Elise (garde bien ton virus de la randonnée, il n'y a pas de vaccin pour cela), Claude et Michelle (pour le photo-montage très réussi), Myriam, Philippe et Lucie, Brigitte et Éric, Michelle et Philippe, Mamie et Jeanine, Daniel (ce sera pour une prochaine fois en Savoie), Tarchoun et Marie-Claude pour la petite histoire, Denise, Bastien, Alexia et Hervé et un gros bisou à Guylaine ❤.

Pendant ces longues heures de marche en solitaire j'ai pris beaucoup de temps pour méditer tout en marchant, de tenter de m'imprégner du paysage changeant, d'écouter le vent hurler dans mes oreilles, d'absorber la lumière tantôt éblouissante tantôt sombre et menaçante, de prendre du plaisir à ressentir la neige fondre sur mon visage, d'écouter le silence de la nuit en pleine forêt.

Et comme écrit Louise dans le petit carnet à la date du jeudi 3 juin 2021 : "Même si tu es fatigué, tu marches quand même.". J'ai appliqué cette invitation et ça marche. 🙂

Ce n'était qu'un recueil de notes sans prétention, point de départ d'un récit plus travaillé, plus construit, mieux décrit que je ferai dans les semaines à venir et bien sûr pour donner des nouvelles et échanger quotidiennement avec vous toutes et tous.

Un bilan du matériel emporté sera fait dans les prochains jours, supprimer encore des choses inutiles, ajouter des fournitures qui auraient pu me servir, améliorer l'organisation du sac à dos.

Côté physique, la douleur dans le pied : incompréhensible ; mon allure était très modérée, les temps de marche entre les étapes fournis par le guide de la FFR étaient respectés, j'ai fait des pauses ce qui n'est pas dans mes habitudes, je ne me suis pas tordu la cheville. Mystère ?

Côté moral, pas de coup de blues, pas de découragement, pas de pensées tristes, un grand merci à la vie pour pouvoir faire ce type d'expériences et il y en aura d'autres.

Ce que j'ai laissé en chemin côté corps, pour votre information c'est une perte de deux kilos et une MG à 17% (masse graisseuse) en une semaine et un jour. Qu'en serait-il au bout de 52 jours ?

Mais je n'ai pas dit mon dernier mot, le GR5 ne va pas disparaître et je finirai ce périple un jour.

Comme écrit Julian en date du 6 avril 2021 dans le petit carnet destiné à mon précédent périple avorté pour cause covidienne :

Marchons Ensemble.fr,

marchons Libre,

marchons Insatiablement,

marchons Optimiste.

Sans forcer mais je suis au max.

Je vous embrasse tous, à bientôt sur les chemins.

À Guylaine.

Rêveries d'un promeneur solitaire.