Pas fermé l'œil de la nuit, ma montre Garmin m'indique une heure de sommeil profond, cinq heures de sommeil léger et une heure d'éveil. Pourtant le refuge donne une impression de propre, de bien étanche, pas d'odeurs particulières hormis celles des feux successifs dans le petit poêle (ce qui n'était pas le cas à la Pierre aux Trois Bans qui sentait le fauve). Il y a bien quelques souris curieuses qui me rendent visite mais à part cela le refuge offre un confort tout à fait correct.
J'ai mis mon réveil à 5h00 ce qui est tout à fait inutile car je me suis éveillé à 3h00. Aucune sensation de fatigue mais le pied gauche me lance avec acharnement, la douleur n'a pas eu de répit pendant la nuit.
Je pars à 6h00, il fait jour, pas de pluie pour l'instant, je m'habille léger car je risque d'avoir chaud, je veux être au Ballon d'Alsace avant 9h00 pour être à Giromagny pour midi au plus tard.
La montée au Ballon d'Alsac, le lac d'Alfred Je force le pas dans les montées car la douleur prend toute sa place plutôt dans les descentes. C'est bien cela qui m'inquiète après le Ballon d'Alsace trois heures de descente, plus de mille mètres de perte d'altitude sans presque aucune montée. Je sens que ça va être la joie.
Curieusement malgré des nuits de sommeil très aléatoires, le corps ne ressent pas de fatigue, il est comme boosté par cette situation météorologique désastreuse mais certains membres ont dégusté.
Même un peu de soleil pour la montée au Ballon d'Alsace (1247 m)Je passe à flanc de deux ou trois petites collines, toujours pas de Ballon d'Alsace en vue. Il faut en passer une quatrième et toujours de la montée pas trop raide. Le sol mouillé par le crachin matinal peut s'avérer très glissant, je marche vite mais tous les capteurs sont en alerte maximale. Ce n'est pas le moment de chuter car pas de civilisation autour de moi, rien, pas d'humain, seul.
Le voilà enfin ce fameux Ballon d'Alsace (1247 m) devant moi, un panneau du GR5 indique : sommet trente minutes. Damned, de grosses congères couronnent le sommet en forme de plateau. Je n'arrive pas à distinguer si le chemin traverse ces névés ou s'il les évite. Si c'est le cas je ferai un détour car même si je peux tailler des marches dans la neige ou la glace, une des congères pourrait très bien se décrocher. Faire de la luge sur un bloc de glace : non merci ! La pente est raide et il y a peu d'arbres pour arrêter une éventuelle glissade improvisée et fatale.
Je me dis qu'il faut avancer le plus près possible du sommet, je prendrai la bonne décision en ayant toutes les cartes en mains sans se laisser aller à des suppositions inutiles.
Les congères lèchent le chemin sans l'atteindre. Chance. Encore un petit effort, je débouche sur le Ballon d'Alsace, le vent siffle dans mes oreilles, une petite pluie fine et glaciale rend le tableau encore plus triste : soulagé tout de même. J'ai pu passer cette ultime ascension sans encombre.
Le sommet du Ballon d'Alsace (1247 m)Brouillard, vent, pluie : moche ! Deux, trois photos et je quitte ce lieu hostile sans aucun charme aujourd'hui. Personne bien sûr. Qui aurait l'idée un lundi matin à 8h30 d'être au Ballon d'Alsace par un temps à ne pas mettre un Alsacien ou une Alsacienne dehors ?
Tout s'est bien passé, j'y suis arrivé plus tôt que prévu. Je laisse derrière moi une Jeanne d'arc (de Mathurin Moreau le 19 septembre 1909) juchée sur son canasson. Jeanne d’Arc, sur son cheval cabré, brandit son étendard vers le ciel. Elle porte armure et casque, moi je porte mon sac à dos c'est plus utile ici.
Le début de la descenteJ'entame la descente, c'est là que les difficultés commencent, quinze minutes plus tard après le sommet, je cherche mon chemin : le GR5, le GR7 et le GR531 se croisent sur un replat. Un vrai bazar et en plus le brouillard et la pluie fine celle vous qui trempe bien et qui vous transit redoublent de puissance. Mais Garmin est là, je retrouve la piste en activant la portion de l'étape chargée dans ma montre. Ils ne se foulent pas les Alsaciens pour les panneaux indicateurs. Dans le Mercantour il y en a tous les 100 mètres, en Alsace on m'a dit tous les 250 mètres, règles européennes obligent car le GR5 est international. Pingre !
Monument des Démineurs, drôle de monument Plus bas je laisse derrière moi une drôle de statue renversée érigée pour les démineurs.
"L'Homme Projeté", le monument des démineurs, monument national inauguré en 1952 qui rend hommage aux démineurs morts pour la France.
Comme prévu le pied gauche hurle à ma place en silence car je ne veux pas effrayer la faune locale. Il me reste encore trois heures de descente, c'est une estimation, mille mètres de dénivelé négatif c'est une réalité, sur une piste pleine de cailloux bien ronds, ceux qui glissent bien, ceux qui ne préviennent pas lorsque vous mettez le pied dessus.
Dans ces conditions, je descends doucement, un parce que je ne peux pas aller plus vite (douleur), deux parce que je ne veux pas chuter, trois parce que j'ai de l'avance. Alors tranquille !
Vu que tous mes sens sont en alerte je ne vois rien du paysage, je dois être concentré et de toute façon on ne voit rien. Il y a au moins quelque chose que je ne peux pas ne pas entendre, c'est le ruisseau bordant le chemin. Il est en furie, l'eau gicle partout, il faut dire qu'il n'arrête pas de pleuvoir. De temps en temps je m'arrête et le regarde en d'autres circonstances j'aurai bien pris un bain ou une douche mais aujourd'hui le goût n'y est pas et puis je veux être à Giromagny avant 12h00.
Douche vosgienne avant Lepuix La vallée n'en finit plus de s'étendre, la route goudronnée serpente et s'enfonce dans le creux du relief parsemé de petites fermes sans animation, cheminées fumantes.
Je décide de laisser le GR5 car Google indique Giromagny quatre kilomètres donc moins d'une heure de marche alors qu'un panneau de FFR (Fédération Française de Randonnée) indique deux heures. Ce n'est pas le jour de faire du rabe d'autant que la pluie n'a de cesse, fine, froide, mordante et mon pied en souffrance.
11h50, un coup de Google pour trouver l'abribus pour aller à Belfort. 12h00, le bus est là. Ouf. Mission accomplie,
Trempé mais heureux. C'est vachement confortable un bus.
Je dois me résoudre à stopper l'aventure dans ce bled, c'est une évidence. Vu la situation côté pied gauche il faudrait que je m'arrête totalement de marcher plusieurs jours et cela mettrait le planning en l'air car je devais être rentré fin juin au plus tard. Samedi à l'hôtel j'ai écouté le journal télévisé : beaucoup d'avalanches dans les Alpes et de nombreuses victimes.
Le passage du Jura devrait se faire sans problème mais les Alpes juste après Saint Gingolph en Suisse, premier col à plus de 2500 m dans moins de trois semaines. La neige n'aura pas fondu, la piste sera encore recouverte de neige donc plus difficile à repérer. Je devrais avoir au minimum des raquettes voire même des crampons. Trop risqué et puis ce sale temps pendant minimum une semaine encore. Je préfère stopper net et reprendre lorsque les conditions météorologiques seront plus favorables. L'erreur est sans doute d'être parti trop tôt dans la saison mais j'avais trop envie de tenter l'aventure.
Je remercie tous ceux qui m'ont apporté leur soutien en acceptant l'invitation, ceux qui m'ont envoyé des petits mots d'encouragement. Un remerciement qui vient du cœur à tous ceux qui ont participé à la confection du petit livret qui devait m'accompagner au départ du chemin de Compostelle en avril dernier et pendant tout le trajet de trois mois :
Merci à Julian, Laurie (pour l'idée du carnet), Louise, Solal, Lucas et Servietski (le chat de Lucas) pour vos encouragements, Elise (garde bien ton virus de la randonnée, il n'y a pas de vaccin pour cela), Claude et Michelle (pour le photo-montage très réussi), Myriam, Philippe et Lucie, Brigitte et Éric, Michelle et Philippe, Mamie et Jeanine, Daniel (ce sera pour une prochaine fois en Savoie), Tarchoun et Marie-Claude pour la petite histoire, Denise, Bastien, Alexia et Hervé et un gros bisou à Guylaine ❤.
Pendant ces longues heures de marche en solitaire j'ai pris beaucoup de temps pour méditer tout en marchant, de tenter de m'imprégner du paysage changeant, d'écouter le vent hurler dans mes oreilles, d'absorber la lumière tantôt éblouissante tantôt sombre et menaçante, de prendre du plaisir à ressentir la neige fondre sur mon visage, d'écouter le silence de la nuit en pleine forêt.
Et comme écrit Louise dans le petit carnet à la date du jeudi 3 juin 2021 : "Même si tu es fatigué, tu marches quand même.". J'ai appliqué cette invitation et ça marche. 🙂
Ce n'était qu'un recueil de notes sans prétention, point de départ d'un récit plus travaillé, plus construit, mieux décrit que je ferai dans les semaines à venir et bien sûr pour donner des nouvelles et échanger quotidiennement avec vous toutes et tous.
Un bilan du matériel emporté sera fait dans les prochains jours, supprimer encore des choses inutiles, ajouter des fournitures qui auraient pu me servir, améliorer l'organisation du sac à dos.
Côté physique, la douleur dans le pied : incompréhensible ; mon allure était très modérée, les temps de marche entre les étapes fournis par le guide de la FFR étaient respectés, j'ai fait des pauses ce qui n'est pas dans mes habitudes, je ne me suis pas tordu la cheville. Mystère ?
Côté moral, pas de coup de blues, pas de découragement, pas de pensées tristes, un grand merci à la vie pour pouvoir faire ce type d'expériences et il y en aura d'autres.
Ce que j'ai laissé en chemin côté corps, pour votre information c'est une perte de deux kilos et une MG à 17% (masse graisseuse) en une semaine et un jour. Qu'en serait-il au bout de 52 jours ?
Mais je n'ai pas dit mon dernier mot, le GR5 ne va pas disparaître et je finirai ce périple un jour.
Comme écrit Julian en date du 6 avril 2021 dans le petit carnet destiné à mon précédent périple avorté pour cause covidienne :
Marchons Ensemble.fr,
marchons Libre,
marchons Insatiablement,
marchons Optimiste.
Sans forcer mais je suis au max.Je vous embrasse tous, à bientôt sur les chemins.
À Guylaine.
Rêveries d'un promeneur solitaire.