J'avoue que j'appréhendais un peu le voyage en bus vers Pokhara, vu mes expériences précédentes. Mais, une fois quitté Chitwan, nous avons rejoint une belle route d'asphalte. Le bonheur (j'ai de plus en plus de bonheurs simples, c'est un charme!)!! Départ à 7h30 et arrivée à 15h30, comme prévu, un miracle! Toute ragaillardie de cette bonne surprise, j'ai commencé à planifier mon séjour à Pokhara dès mon arrivée à l'auberge. En m'entendant réserver mon taxi pour aller voir le lever de soleil sur l'Annapurna à Sarangkot le lendemain, une fille de mon auberge manifeste son intérêt pour m'accompagner. C'est comme ça que je rencontre Shermein, elle vient de Malaysie. Elle arrive en direct de Lumbini, à la frontière indienne (lieu de naissance de Bouddha que je n'ai malheureusement pas visité), où elle a fait la retraite silencieuse de Vipassana, et retrouve son papa le lendemain pour faire un trek dans l'Annapurna. On décide d'aller manger ensemble et je passe une super soirée, de bonne augure pour cette nouvelle étape. On partage le même avis sur tout un tas de choses - comme avec pas mal de voyageurs de longue durée. On parle de la vie qu'on a quittée et de la chance qu'on a de pouvoir faire confiance au lendemain, de se laisser surprendre par l'inconnu, mais aussi de notre refus ou inconfort de retourner dans une vie de stress, d'horaire, dans une société où tout tourne autour des choses matérielles, où l'on n'a pas de temps pour soi et pour les autres, pour prendre du recul sur sa vie et se poser les bonnes questions, et où l'on a peu de place pour l'essentiel. Elle ressort très positive de son expérience Vipassana et me la conseille vivement.
Le lendemain, nous quittons l'auberge à 5 heures. Au programme, lever de soleil à Sarangkot et visite du camp de réfugiés tibétains de Tashi Palkhiel, vivement conseillé par le guide.
Après deux bonnes heures sous de grosses couvertures à papoter devant le lever de soleil, nous nous remettons en route, à la rencontre de la culture bouddhiste et tibétaine au camp de Tashi Palkhiel. Ce camp, ainsi que les trois autres de la région de Pokhara, a été créé dans les années 60, lors de l'exode de 1959, quand les droits des tibétains ont commencé à être baffoués et que des mesures ont été prises par le gouvernement chinois pour détruire leur particularisme culturel et religieux. A ma grande surprise, ces camps sont devenus aujourd’hui des villages tibétains où se perpétuent la culture, les traditions et le mode de vie du Tibet (j'avais en tête une autre image de ce qu'on pouvait appeler "camp de réfugiés"). Les enfants vont à l'école et certains ont même la chance de faire des études supérieures. Le Népal a été une vraie terre d'accueil pour les tibétains et le gouvernement les a beaucoup aidés. Malheureusement, la Chine met actuellement une telle pression sur le Népal, que les aides ont fortement diminué. Cela vaut la peine de visiter un de ces endroits pour faire connaissance avec la culture tibétaine. Un guide local nous a proposé ses services et nous avons pu voir différents endroits et rentrer dans les monastères du camp.
Photo 4: Un moulin de prière géant. Comme il est indiqué sur la photo 3, il est de tradition de faire le tour de ces moulins de prière (ou de les faire tourner, quand ils sont de plus petite taille ou en rangées) dans le sens des aiguilles d'une montre. Dans le cas des moulins géants, il y a toujours une cloche sur un des bords, qui sonne à chaque tour. Photo 6: L'intérieur d'un des temples, que j'ai été autorisée à prendre en photo. Photo 7: De plus petits moulins de prières, comme on en voit la plupart du temps. Photo 8: La maison de repos du camp. On a pu entrer mais pas prendre de photos. Là, une quinzaine de personnes âgées était dans la cours, agitait des moulins de prières, papotait ou tricotait. La communauté prend soin d'eux et leur apporte de la nourriture. Photo 9: L'école de moines.
Après notre retour sur les bords du lac de Pokhara, le départ de Shermein qui allait retrouver son papa, et un bon gros orage digne du Népal, j'ai pu assister à un magnifique coucher de soleil sur le Phewa Lake. Je n'étais pas la seule à avoir été séduite par l'endroit, bien sûr, et j'ai vite été rejointe par une jeune fille qui prenait des croquis du lac, observée par les enfants du coin, intrigués, et par d'autres touristes munis d'un appareil photo.
Le lendemain, armée de mon gros sac à dos que j'avais essayé d'alléger le plus possible, je partais à 8h avec mon guide pour trois jours de trek à l'assaut de Poon Hill (3210 m). Malgré mon excitation, j'avais un peu d'appréhension, puisque je n'avais jamais fait de trek, mais le lever de soleil sur Poon Hill avec la vue sur l'Annapurna était, apparemment, à couper le souffle. Le trek de Poon Hill est habituellement fait en une boucle de 4 jours, mais puisque je n'avais que 3 jours de dispo pour le faire, mon guide m'avait dit que c'était possible en partant et en revenant par la même route (sans faire de boucle, donc). N'ayant aucune idée de ce que ça impliquait, j'avais donc accepté.
Photo 1: Une vue de la vallée, pendant les deux heures de bus qui nous menaient à notre point de départ, Nayapul (1070 m). Photo 2: Le permis de trek, qui m'autorisait à rentrer dans le parc de l'Annapurna. Photo 3: un petit aperçu du chemin qui m'attendait pour les trois jours suivants... Photo 11: Une idée de notre itinéraire. Le guide m'avait annoncé un chemin facile et un peu vallonné pour le premier jour. Nous avons démarré vers 12h à Nayapul et sommes arrivés vers 16h15 (avec une pause midi d'une heure) à Tikhedhunga (1577 m). Photo 12: La "tea house" (comme sont surnommés les logements des trekkeurs) du frère de mon guide, où nous avons passé la nuit, et la cascade, en contre-bas (photo 13). Photo 14: Quand nous sommes arrivés, la belle-soeur de mon guide était en train de faire du vin de millet, typique de la région. Tout le monde fait son propre vin, plus ou moins fort. Ca a la couleur du vin blanc mais se boit chaud (!). C'est un peu amer, pas mauvais, mais je n'en boirais pas des litres ;-)
Comme j'étais la seule cliente de la tea house et que mon guide était le frère du propriétaire, j'ai eu la chance de passer la soirée en compagnie de la famille et d'un voisin, dans leur petite cuisine, avec le four enterré en terre cuite où l'on cuisine au feu de bois. Bon, je ne comprenais pas grand chose, puisqu'ils parlaient en népali et que mon guide ne traduisait pas tout le temps, mais on se comprend par des sourires et puis, c'était une bonne manière pour moi d'être plongée dans leur quotidien. Pendant que sa femme préparait mon Dal Bhat (plat typique népalais, littéralement "riz aux lentilles", que chacun prépare plus ou moins à sa sauce, tant qu'il y a du riz et des lentilles), mon hôte commence à écraser des graines sur un grand pavé creusé avec une pierre ronde. Je demande, par curiosité, ce qu'il est en train d'écraser et le voisin, qui parle un peu anglais mais qui a déjà bu plusieurs verres de vin de millet, me baragouine un truc avec "power" que je ne comprends pas. Et c'est quand j'avais déjà mangé la moitié de mon plat, sans rien remarquer de spécial, et que mon guide était revenu dans la cuisine que j'ai appris qu'il s'agissait en fait de graines de cannabis, qu'ils utilisent dans la cuisine :D J'ai mieux compris l'explication du voisin, du coup.
Le deuxième jour, départ à 8h30 pour la journée la plus dure, comme annoncé par mon guide. Nous avons devant nous 4 heures de marche sans les pauses (pour quelqu'un d'entraîné, peut-être...) et 1300 mètres de dénivelé. Tout ça, ce sont des informations que je comprends et enregistre, mais je n'avais vraiment aucune idée de ce qui m'attendait réellement. Je n'avais surtout pas pensé que, pour monter un tel dénivelé en si peu de temps, ce n'était pas de jolis chemins en lacets mais une sacrée volée d'escaliers qui m'attendaient. On a commencé par deux heures d'escaliers, sans aucun espoir de zone de plat, juste des marches et des marches et des marches, parfois égales, souvent hautes ou de travers. La suite était une alternance de chemins rocailleux et... de marches.
Si j'avais testé mes limites de patience et de compréhension dans les transports publics, le Népal mettait maintenant mes limites physiques à rude épreuve, moi qui me pensais plus ou moins en forme. Et quand le physique finit par laisser (lâchement) tomber, c'est le mental qui doit prendre le relais parce que bon, "il faut bien arriver en haut, quand même! Et j'ai pas envie de dormir dehors, et puis le lever de soleil est superbe, il parait, et puis merde, j'ai 27 ans et une volonté de fer!" Euhm... C'est donc en me parlant et en m'encourageant comme je l'aurais fait avec un ami (de temps en temps parasité par le refrain : "I HATE stairs"), en laissant ma dignité loin derrière (bien bas dans la vallée, sans doute même sous le niveau de la mer), et en enchaînant des pauses de plus en plus rapprochées au fur et à mesure que les heures passaient que nous sommes finalement arrivés à la pause midi, vers 13h, à Nangethanti (2600m), avec la promesse d'une dernière heure et demie de marche jusqu'à Ghorepani, où nous passions la nuit, et plus que (!) 274m de dénivelé. Là, pendant que je mangeais, nous sommes rejoints par un orage et une grosse pluie se met à tomber. Zut, on allait quand même pas repartir dans ce déluge? :) Nous nous mettons donc à jouer aux cartes avec d'autres trekkeurs (il y a plein de gens qui font le début de ce trek, puisque c'est le début du tour de l'Annapurna Base Camp). Mais au bout de 20 minutes, la pluie s'est un peu adoucie et mon guide s'impatiente (il avait sans doute peur qu'on n'arrive jamais à destination, vu mon rythme de marche) et, après m'être équipée de tout ce que j'avais d'imperméable dans mon sac, nous nous remettons en route. Et c'est 2h15 plus tard, après 15 minutes d'une dernière maudite volée de petites marches, que je suis arrivée complètement épuisée et trempée à mon logement, tels Frodon et Sam au sortir des escaliers du mont Venteux. Là, après unen douche bouillante, j'ai savouré le feu ouvert (comprenez le gros tonneau en métal au milieu de la pièce dans lequel on brûle du bois), une barre de granola et mon bounty, mon repas et un black tea puis me suis effondrée de fatigue dans mon sac de couchage à 19h30, avec l'espoir immense d'avoir un ciel dégagé le lendemain pour le lever de soleil (rien n'était certain, selon mon guide, et vu l'orage qui grondait encore), et en appréhendant un peu l'énorme déception d'avoir parcouru ce chemin pour rien s'il faisait couvert le lendemain.
Photo 1: Un aperçu de mes marches adorées et mon guide, bien devant moi. Photo 2: Ah oui, parce que c'était déjà dur pour moi avec mon sac à dos, mais j'imagine même pas ce que c'est pour les porteurs et les locaux qui se tapent la même route avec parfois jusqu'à 70 kg sur le dos (remarquez les souliers appropriés). Photo 7: Une des zones "plattes" bénies. Photo 10: Ma tête de vainqueur, à l'entrée de Ghorepani, pensant être bientôt arrivée et avant de savoir qu'il nous restait une 30aine de minutes de marche(s).
L'avantage, quand on va dormir à 19h30, c'est que même en se levant à 4h00 du matin, on a 8h30 de sommeil (je devrais y penser plus souvent). Premier geste de la journée après avoir collé les lunettes sur mon nez: ouvrir la tenture pour vérifier le ciel. Et là, miracle ô bénédiction, par tous les saints du ciel, de la terre et de l'enfer (oui oui!), le ciel est dégagé et se colore tout doucement d'orange!!! Je saute dans mes habits et c'est parti pour la dernière ascension! Bon, de nouveau, j'avais un peu sous-estimé le chemin, et une fois n'est pas coutume, nous entamons une longue montée d'escaliers d'une demi-heure. Si cette fois, je n'ai plus le sac à dos ni la fatigue de la journée, je constate pour la première fois à quel point l'oxygène manque à cette altitude et, à bout de souffle, je dois m'arrêter à 2-3 reprises. Décidément, ce trek aura ma peau! Mais finalement, les arbres et les buissons se font de plus en plus rares et nous arrivons enfin à Poon Hill, point culminant à 3210m. Là, j'en prends plein la vue et c'est au bord de l'émotion, avec tout le chemin parcouru et la difficulté rencontrée, que je profite du lever de soleil, sans savoir où donner de la tête tellement c'est magnifique! Le ciel qui se colore d'orange à la montée du soleil, les versants pleins de neige, les premiers sommets de l'Annapurna qui deviennent rosés, le paysage des montagnes avec les drapeaux tibétains en avant plan, et surtout, je me rends compte de la chance que j'ai d'être là et d'assister à ce magnifique spectacle. Et là, surprise, je retrouve deux filles qui partageaient ma chambre à Pokhara et qui font le trek de l'Annapurna Base Camp, puis le groupe de 10 thaïlandais et leurs guides avec qui j'avais dîné le premier jour, puis la suédoise rencontrée la veille à la pause midi et qui fait la boucle de Poon Hill seule, et puis surtout, Anne, l'anglaise avec qui j'avais passé une si bonne soirée à Chitwan (et qui attendait Elise, qui avait eu quelques difficultés à la montée)!! C'était gag de voir la tête de mon guide à chaque fois que je rencontrais quelqu'un que je connaissais :D
Et c'est le ventre rempli d'un bon petit déj' et la tête pleine de magnifiques images que j'entame la descente, toute guillerette à l'idée de faire certes le même chemin mais cette fois beaucoup plus rapidement! La première partie se passe sans encombre, j'étais même à plusieurs reprises devant mon guide (victoire personnelle). C'est en arrivant à la longue volée de marches qui m'avait tant éprouvée la veille que je suis passée par la troisième et dernière (ouf!) épreuve de ce trek. Si j'avais eu du mal lors de l'ascension du deuxième jour à cause de la difficulté physique des escaliers sans fin et de la fatigue et si, le matin, c'était le manque d'oxygène qui m'avait posé problème, la descente interminable de marches a vraiment éprouvé mes genoux. J'avais l'impression d'avoir 100 ans et j'étais à deux doigts de descendre le reste sur mes fesses, si je n'avais pas eu peur que ça prenne trois fois plus de temps. J'ai donc été forcée (pour la Xième fois) de rallentir le tempo, et d'être particulièrement précautionneuse d'où je posais mes pieds, cherchant les pierres les plus plates et les marches les moins hautes. Nous sommes enfin arrivés chez le frère de mon guide où nous avons dîné et j'ai sauté de joie (dans ma tête, parce que j'avais retrouvé ma dignité abandonnée la veille dans la vallée) quand j'ai appris que nous n'avions plus qu'une demie heure de marche avant de prendre une jeep qui nous ramenait à Pokhara. Une fois dans la jeep, je me suis endormie comme un vieux débris, bénissant l'inventeur de la voiture.
Pendant tout le trek et les premières heures qui ont suivi, j'avoue avoir vraiment remis ma condition physique en question et avoir fort douté de moi, me disant que ce n'était qu'un trek de trois jours, et que je ne serais sans doute jamais capable de faire d'autres treks, si je n'étais pas capable de mieux pour ce petit-là. J'ai fini par prendre du recul et me suis rendue compte que les marches (oui, encore elles) avaient joué un rôle très décisif et que ce n'est sans doute pas si fréquent d'avoir une portion aussi grande, surtout dans un si petit trek et pour deux jours de suite. J'ai appris par la suite que c'est une des parties les plus dures du trek de l'ABC et c'est vrai que j'ai rencontré beaucoup de gens à Poon Hill qui avaient eu beaucoup de difficultés aussi. Au final, malgré une petite déception car ce n'était sans doute pas l'itinéraire avec les paysages les plus variés, je suis vraiment contente de l'avoir fait. Tout d'abord pour le défi personnel (qu'est-ce qu'on les aime, ceux là!), et ensuite, bien sûr, pour les 2 magnifiques heures que j'ai passées à Poon Hill et les émotions que j'y ai ressenties.
Et pour mon dernier jour à Pokhara avant de repartir vers Katmandou, je suis tout d'abord tombée complètement par hasard sur Lea, l'allemande qu'on avait quittée à Varanasi, qui n'était même pas sûre de venir au Népal et à qui on n'avait pas eu l'occasion de dire au revoir; et puis je suis allée manger dans le petit resto familial où j'avais été tous les soirs de mon séjour à Pokhara. Là, j'ai regardé les dessins animés à la TV avec les enfants, médusée la bouche ouverte, en essayant de comprendre malgré le népali et en riant avec la maman des gags simplissimes; puis je me suis retrouvée à vanter les charmes du trek de Poon Hill à un américain qui hésitait à le faire. Comme quoi, la vie est vraiment bien faite!