Et hop, on est reparti sur la route! Trajet en train de 13h assez intense car beaucoup de familles avaient acheté des tickets moins chers qui n'attribuent pas de place dans le train mais qui leur permettent de monter dedans et d'occuper les places libres. Or le train était plein et ces familles voyagent généralement avec énormément de bagages, donc chacun occupe chaque centimètre carré de libre et, en me réveillant la nuit, le sol du couloir de mon wagon avait disparu sous un amas de gens dormant les uns sur les autres. J'ai trouvé ça assez triste même si les familles savent à quoi s'attendre et que ça leur permet de voyager pour moins cher.
Varanasi est la première ville sacrée d'Inde. Non seulement, elle borde le Gange, fleuve sacré, mais en plus on dit que le fait d'y mourir, de s'y faire incinérer et d'avoir ses cendres jetées dans le Gange permet de rompre le cycle de réincarnation et d'atteindre le Nirvana. C'est une ville très spirituelle pour les Indiens, et c'est la seule ville d'Inde où l'on brûle des corps 24h/24 et 7 jours sur 7, à raison de 200 à 400 crémations par jour (sur le ghat (berge) principal, on peut brûler jusqu'à 20 corps en même temps!).
Nous nous attendions donc à y trouver une sorte d'aura et une ambiance spirituelle... mais nous avons plutôt trouvé une ville comme les autres, dans les premiers instants du moins. Notre balade sur les ghats entre midi et 14 heures n'était sans doute pas à la meilleure heure. Photo 5: Non, non, je n'avais pas bu avant de prendre la photo, je pense plutôt qu'on a trouvé la tour de Pise de l'Inde... Photo 6: Tout l'après-midi et jusqu'au soir, il y a des bateaux qui passent le long des ghats avec de gros haut-parleurs et la musique à fond et des gens qui dansent dessus (je l'avais dit, on n'est pas vraiment dans la spiritualité à laquelle on s'attendait ;) ). Photo 7: Fabrication maison du lassi. Photo 8: Un barbier, sur les ghats.
Le point fort de la ville est donc l'enfilade de ghats, portant chacun des noms différents. Deux de ces ghats sont des ghats crématoires, les autres sont le théâtre de la journée des habitants, le fleuve étant au centre de la vie des Hindous. Lors de cette balade, à l'approche du grand ghat de crémation, Manikarnika Ghat, nous avons quand même la chance de rencontrer un homme qui se présente comme prête et qui nous explique le fonctionnement et l'histoire autour de ces ghats et de la crémation hindoue. Quand la personne vient à décéder, le corps est préparé par la famille, lavé avec différentes substances qui ont une signification particulière, comme l'huile, des parfums, etc. Il est ensuite enveloppé dans des tissus colorés et orné de colliers de fleurs, comme on peut en voir en vente dans les échoppes sur les premières photos ci-dessous, et posé sur une civière de bambou. La civière est transportée par quatre hommes qui appartiennent à la classe des intouchables jusqu'au ghat de crémation, suivi par les hommes de la famille qui répètent la même litanie. Les femmes sont interdites de crémation pour deux raisons (qui pour moi, sont plutôt de fausses excuses), la première car dans le temps, lorsque le mari mourrait, son épouse se jetait/devait se jeter dans les flammes avec le corps de son mari pour ne pas lui survivre (cette tradition maintenant interdite s'appelle le sati) et il ne faudrait pas que ça se reproduise (mouais mouais...), la seconde car les femmes pleurent et que "cry is bad karma for the soul of the dead person" (j'ai vu des hommes pleurer sur les ghats, mais bon...). Une fois sur les ghats, le corps et la civière sont imergés dans le Gange afin de libérer l'âme avant d'être posé sur le bûcher. Selon le prêtre, il faut plus ou moins 80 kg de bois pour un bûcher, il y a différents types de bois, plus ou moins chers et portant différentes significations. Plus le bois est cher, meilleur ce sera pour la libération de l'âme du défunt. Selon notre prêtre, un kilo coûterait environ 700 roupies, ce qui est énorme pour les indiens, bon nombre de familles n’arrivent d’ailleurs pas à se procurer la quantité de bois suffisante pour alimenter le feu pendant les trois heures que dure la crémation et sont donc obligées de rejeter des parties entières du corps du défunt dans le Gange. Ensuite, cinq hommes de la famille tournent cinq fois autour du bûcher, une fois pour chaque élément (air, eau, terre, feu, et je ne me rappelle plus du 5e), puis le brahmane amène une brassée de brindilles qui a été allumée dans le feu de Krishna (un feu sacré qui ne s'est jamais éteint en 3500 ans) et allume le brasier. Une fois le corp consumé (ou une fois qu'il n'y a plus de bois), le brahmane remplit un pot en terre cuite d'eau du Gange et le jette sur les cendres par dessus son épaule avant de partir sans se retourner afin de laisser partir l'âme du défunt. S'il se retourne, c'est comme s'il invitait l'âme à le suivre et ça en ferait une âme errante, un fantôme. Pendant dix jours après la crémation, le brahmane ne peut toucher aucun autre corps et doit continuer à prier pour l'âme du défunt. Il ne peut pas non plus changer de vêtements. Après dix jours, il y a de nouveau une bénédiction avec la famille. Pendant un an après le décès, la famille ne peut pas faire de fête. 5 catégories d'êtres vivants ne se font jamais incinérer: les enfants, car ce sont des êtres purs donc on n'a pas besoin de laver leurs péchés; les femmes enceinte puisqu'elles ont un être pur dans leur ventre; les lépreux car ils sont déjà punis avec leur maladie et n'ont pas besoin d'être purifiés, de plus, on veut leur donner l'opportunité de se réincarner pour avoir une meilleure vie; les gens morts d'une morsure de cobra car le cobra est le symbole du collier de Krishna et car le venin est déjà une malchance et on veut leur donner l'opportunité de se réincarner pour avoir une meilleure vie aussi et enfin, les vaches, les chiens et les chèvres car ce sont des incarnations/représentations des dieux. Ces cinq catégories d'êtres vivants sont alors attachés à de lourdes pierres et jetées dans le Gange.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, pas de mauvaises odeurs à côté des bûchers, juste beaucoup de fumée noire et une forte chaleur. Cette rencontre et ces explications juste à côté des familles et de leurs défunts m'ont permis de me plonger dans l'ambiance de Varanasi. Rien de morbide mais beaucoup de respect pour les familles et d'humilité en assistant à ces scènes.
Le soir, nous avons une autre occasion de participer à la vie de Varanasi. Tous les soirs, il y a la même grande cérémonie sur deux ghats voisins. Etonnées de voir deux cérémonies presqu'identiques, nous en avons demandé la signification; en fait cette cérémonie a tellement de succès qu'elle attire trop de monde pour un seul ghat et ils ont donc décidé d'en organiser deux pour permettre à plus de monde d'y assister. Il y a cinq jeunes hommes sur le bord du ghat qui chantent et font des danses avec différents objets portant de l'encens ou des bougies. Les ghats sont couverts de monde et des dizaines de bateaux sont accostés pour y assister également. C'est très poignant de voir l'attention de tout le monde dirigée vers un même point et d'entendre les gens frapper dans leurs mains, chanter ou répondre au chanteur.
Le lendemain, à l'aube, nous montons à bord d'un bateau pour profiter du lever de soleil et du réveil des ghats. Cette expérience est, pour moi, l'apogée de notre séjour à Varanasi. Le calme sur le Gange et la quiétude sur les rives sont apaisantes, après l'effervescence de la veille. J'ai les yeux grands ouverts et me partage entre les ghats d'un côté de l'eau et le soleil qui se lève, de l'autre. Je me sens presque privilégiée et surtout toute petite de pouvoir assister à ce moment simple, authentique.
La fin de notre séjour se centre surtout sur les ghats et la vie qui s'y déploie. C'est, selon moi, le meilleur endroit de la ville pour être un témoin discret du quotidien des indiens. J'avais vraiment le désir de profiter des derniers instants en Inde en m'imprégnant de ces images, de ces couleurs, de ces odeurs et de cette ambiance propre à l'Inde.
Photo 2: vente de bidons vides à remplir d'eau sacrée du Gange. Photo 5: les deux boissons qui sauvent la vie. Photo 6: les ruelles étroites de la vieille ville, il faut imaginer le passage qu'il reste quand deux énormes vaches se partage l'espace. Photo 7: les cours de natation dans le Gange, bien sûr.
Le soir de notre 3e jour, Isabelle (qui continue aussi sa route vers le Népal) et moi embarquons au milieu de la nuit dans un train en direction de la frontière indo-népalaise. C'est le moment de faire mes adieux à ma chère Inde, pour entamer une fameuse épopée vers Katmandou, capitale du Népal.