Ce 1er jour de la nouvelle année, on décide d’aller au marché de Port Louis, pèlerinage obligatoire à chacun de nos séjours à l’ile Maurice. Le chauffeur de notre taxi est hindou et une partie de sa famille réside en Inde. Du coup pendant le trajet on parle de l’Inde, de Bénarès et des fantastiques souvenirs que ce pays nous a laissé quand on l’a visité il y a 3 ans...(Deux récits de voyage sur mon blog relatent ce séjour). Dès lors il se prend de sympathie pour nous et nous informe que aujourd’hui, c’est la fête de Cavadee et nous invite à ne pas trop nous attarder à Port Louis et de plutôt faire priorité à cette cérémonie exceptionnelle qu'il se propose de nous faire vivre...
Chaque année, à la première pleine lune de janvier, le Cavadee rassemble la communauté tamoule de l’île Maurice. Cette fête religieuse originaire du sud de l’Inde se déroule dans toute l’île Maurice, mais elle est particulièrement importante dans le nord de l‘île. Donc où nous sommes...
Première halte vers un temple pour nous imprégner de l’ambiance…il ne s’agit pour l’heure que de voir les préparatifs. Le souvenir inoubliable de cette cérémonie va venir plus tard…
Cette petite halte est une simple mise en bouche de ce qui nous attend plus tard…Pour l’instant on va à Port Louis ou on ne va pas trainer très longtemps…notre curiosité est trop forte.
On fait un tour dans le marché couvert, sur le port et dans la ville.
En ville, un sculpteur Mauricien expose ses créations vers le Caudan.
Après cette brève escapade dans la capitale, nous récupérons notre taxi qui nous attend et nous retournons à Triolet pour assister à Cavadee...
Cavadee, cette cérémonie aux étranges rites tribaux naquit en effet d’une ancienne légende tamoule. C’est l’histoire d’ Idumban, un nom hautement symbolique, puisqu’il veut dire “orgueilleux”. Cet homme était un bandit repenti, disciple du gourou Agattiyâr. Celui-ci ordonna: “ Pars dans les montagnes et ramène-moi les deux cimes ! Tu les attacheras à chaque extrémité d’un cavadee " ( le cavadee, est une simple palanche, c’est à dire un bâton qui sert à transporter des charges ). Idumban, obéissant et fidèle, partit avec sa femme et attacha solidement les deux sommets à sa palanche puis entreprit de les ramener. Mais en chemin, le dieu Muruga, se métamorphosa en petit garçon et se cacha dans un des sommets pour en alourdir la charge. Indumban le découvrit bien vite et dans sa fureur, car bien entendu il ne put reconnaître son dieu, il commença à se battre avec lui. Mais Muruga le transperça de sa lance et l’homme mourut. Par leurs prières, le sage Agattiyâr et bon nombre de fidèles demandèrent avec insistance la grâce d'Idumban, si bien que leur dieu accepta de le ressusciter. Pour le remercier de sa bonté, il fut décidé que tous ceux qui porteraient le cavadee jusqu’au temple verraient leurs voeux exaucés, et par ce geste le remercieraient aussi des faveurs accordées tout en se rapprochant de lui, de sa sagesse et de sa bonté.
La fête a lieu plusieurs fois dans l'année, mais la plus grande et la plus connue est celle du "Thaipoosam Cavadee", qui est célébrée en janvier.
Notre chauffeur nous amène d’ abord au Temple de Triolet ou les préparatifs sont en cours pour la fin de la journée.
On peut circuler librement parmi les participants, il n’y a aucune restrictions… une seule exigence, ne pas toucher les personnes vêtues de sari couleur safran, ce sont les fidèles qui ont faits pénitence jusqu'à aujourd’hui et il est impératif de les respecter.
Procession rituelle
Les fidèles se préparent au Cavadee en faisant pénitence dix jours avant la célébration.
Le jour de la cérémonie, les rituels se succèdent: prières, offrandes et bain purificateur, après les ablutions dans la rivière ou dans la mer. La plupart des dévots sont habillés en couleur safran, certains hommes sont torse nu. Le front, les épaules, le dos et la poitrine sont enduits de cendres sacrées.
Les enfants ouvrent de grands yeux amusés ou inquiets, car arrive l’heure du sacrifice.
Notre chauffeur, qui est toujours avec nous, est à la recherche de l’endroit ou va se passer une autre partie de la cérémonie…et qu’il veut absolument nous faire découvrir.
Après avoir tourné quelque temps dans le village, il nous dépose devant une bâtisse qui ressemble vaguement à une école…là il nous invite à entrer et nous précise que nous sommes les bienvenus, on peut prendre des photos et circuler librement mais une discrétion minimum est souhaitée.
Dans cet endroit, l’ambiance est très particulière… Des gens prient, brûlent des encens, se recueillent, tout est très calme…
Des hommes, des femmes, des enfants semblent attendre on ne sait quoi… il règne a ce moment une atmosphère très particulière, pesante, lourde, surréaliste…comme si le temps était suspendu... et on devine aisément que quelque chose va se passer...
Puis soudain, tout bascule...des femmes hurlent, s’agitent dans tous les sens, comme possédées…elles sont en transe...à ce moment on se retrouve dans un autre monde...
D’un seul coup la situation est surréaliste…J’aperçois une vieille femme qui se fait percer la langue, à sa demande, par un « prêtre » muni d’une aiguille très impressionnante.
Nous sommes très impressionnés par une femme proche de l’hystérie juste à côté de nous... Nous mettons un moment à réaliser ce qui est en train de se passer et garder assez de lucidité pour immortaliser ces moments exceptionnels.
On apprendra, un peu plus tard, que les dévots offrent leur chair aux “vels”, de fines aiguilles, mais aussi de longues piques de métal ou d’argent, avec lesquels ils se transpercent les joues, le front et la langue, car les croyants font aussi vœu de silence ! Les vels symbolisent la lance de Muruga qui tua Idumban, elle doit donc être plantée dans leur dos, leur torse, leur ventre, leurs jambes...
Certains se font planter des dizaines de fines aiguilles alignées sur le torse ou sur le dos. D’autres, piquées dans la bouche sont reliées à des chaînettes qui se balancent lentement sous les mentons, voire des "hameçons" au bout desquels sont accrochés des citrons...
Il n’y a ni cris, ni pleurs, ces hommes et ces femmes restent dignes et stoïques, car la souffrance n’est rien et dieu est tout. Les enfants, qui dès six ans ont décidé de participer au Cavadee grimacent en silence, une aiguille plantée dans la langue. C’est la victoire du bien sur le mal, dit-on.
La concentration les aide à ne plus ressentir de douleur, et l’on assure que l’effet de la lumière sur les aiguilles est bénéfique pour le corps…
La pénitence est rude, la chaleur intense...Nous on est là immergés dans un autre monde auquel on ne s’est pas préparé, complètement fascinés et subjugués….on a pleinement conscience d’assister à un moment rare et exceptionnel…qu’il faut savourer et que l'on ne reverra probablement pas de sitôt...
Mais la journée n’est pas terminée… Après s’être infligés ces souffrances, les hommes comme les femmes qui sont à jeun depuis la veille se regroupent à l’extérieur. La route est longue jusqu’au temple. une heure de marche sous un soleil de plomb. C’est l’été à Maurice en janvier. Il fait plus de trente degrés.
La procession avance d’une allure régulière, traversant le village décoré de guirlandes de palmes et d’anthuriums. Les habitants qui ne participent pas à la procession la regardent passer avec respect.
La foule multicolore avance lentement, au rythme des chants religieux diffusés par des haut-parleurs installés sur un véhicule qui ouvre le cortège. Des Tamouls suivant la procession offrent des boissons fraîches aux gorges brûlantes, d’autres arrosent les pieds nus et endoloris par la route brûlante de soleil.
Les pénitents pénètrent dans le temple où trônent les statuettes bienfaitrices de leurs dieux et déesses ainsi que celle du dieu Muruga qui affiche un léger sourire satisfait.
Des petites lampes sont allumées: la lumière, victoire du bien sur le mal, est offerte au dieu Muruga. Fidèles et pénitents déposent leurs offrandes de noix de coco, bananes, camphre, encens, fleurs, aux pieds des dieux admirés ou craints. Musique, chants et prières accompagnent l’extraction des crochets et des vels de leur peau luisante de sueur, tendue de douleur. Mais, étonnement, le sang ne coule pas. Ce sacrifice leur a assuré la purification de l'âme.
En temps normal la cérémonie s’arrête là mais aujourd’hui on a beaucoup de chance, la cérémonie se prolonge par Le Theemedhi (marche sur le feu) qui fait partie du culte tamoul.
Le Theemedhi est un acte de foi pour remercier la déesse Amen et pour purifier son corps et son âme. Beaucoup de dévots tamouls marchent sur le feu pour honorer une promesse qu’ils ont faite à la déesse Amen. Certains souhaitent se sortir d’une épreuve difficile, d’autres font le vœu d’avoir un enfant, d’autres encore veulent réussir à un examen. Chacun fait la promesse à Amen de marcher sur le feu si son vœu se réalise.
Les prêtres entourent les braises de pétales de flamboyants, de lilas… Ils font plusieurs prières au son des tambours et des chants. Ensuite, les dévots qui vont marcher sur le feu s’avancent vers le tapis de braise.
Le prêtre va marcher en premier dans les braises, mais auparavant il marche sur des sabres tenus par des fidèles.
Ensuite il bénit chaque fidèle qui passe , un à un, sur ce tapis gris de braises brûlantes. Les dévots marchent, parfois les mains sur la tête, impassibles, sans ressentir de douleur, c’est tout simplement hallucinant.
Suivi par tous les autres pénitents...
Et pourtant, quand on est à côté du tapis de braises, la chaleur est très intense...
Le tapis de feu se termine par un petit bassin creusé dans la terre et rempli de lait, qui apaise les brûlures. “Ce bassin de lait est aussi une façon de se laver de toutes les négativités après qu’on les a brûlées sur le charbon. On se lave de nos pêchés”, dit un pénitent
Durant cette cérémonie tribale où l’on veut croire que la souffrance terrestre peut être vaincue grâce à la foi, tous auront été au plus près de leur dieu, au plus loin dans leur courage, au plus fort de leur être. Toute cette souffrance est-elle réellement fondée et nécessaire? Il ne nous appartient sans doute pas d’en juger. Et puis la foi on le sait, peut déplacer des montagnes…
A l'issue de cette marche dans le feu, on récupère notre taxi et on rentre à la Pointe aux Canonniers…
Cette journée restera à jamais gravée dans notre mémoire… Le sommeil ne va pas venir facilement cette nuit, on va être longtemps hantés pas ces images impressionnantes.
Personnellement j’avais déjà assisté à une marche dans le feu à l'île de la Réunion il y a une trentaine d’année, mais peut-être qu'à l’époque j’étais trop jeune pour apprécier et prendre pleinement la mesure de ces moments exceptionnels…