Déjà deux mois que nous ne sommes plus sédentaires. Harnacher les chevaux est quasiment notre quotidien et nous pouvons dire que nous n'avons plus d'appréhension avant les départs matinaux.
C'est un roulottier chevronné du nord de l'Angleterre qui nous avait dit, parmi plusieurs conseils, de suivre les rivières. Nous pourrions toujours y trouver de l'eau, de l'herbe même pendant la sécheresse et des routes avec peu ou pas de relief. Alors, lorsque cela fût possible, nous l'avons fait. Un peu comme si nous étions sur les traces d'un grand aventurier.
Suivre l'Allier jusqu'à Nevers n'étant pas vraiment notre direction, nous l'avons longé jusque après la ville de Moulins. Nous étions très fiers de nos chevaux. Pas un écart, ni même un regard oblique envers un quelconque panneau lumineux ou passage clouté biscornu.
Nous avons continué au nord sur une cinquantaine de kilomètres pour finalement prendre plein ouest, vers notre destination évidemment. Nous avons commencé à traverser les rivières et les contreforts du nord du Massif Central se sont fait sentir dans les petites jambes de nos chevaux. Ça y est nous étions dans le Berry. L'écho de ce pays avait atteint nos oreilles et nos danses jusque dans notre vallée d'origine. Et aujourd'hui nous y pénétrions. Le Cher puis l'Indre, c'est, pour le moment, ici que nous avons été les mieux reçus. L'accueil amène aux rencontres, à la découverte et aux bons moments. Avant ce territoire, nous campions d'étangs de pêche en stades municipaux puis en aires de pique-nique. Ici les villages nous cherchent les emplacements adéquats, proposent leurs services, invitent à leur fête et une fois, une seule fois bien-sûr nous offrent le restaurant...
Depuis le début du voyage nous avions du mal à trouver des petits producteurs qui font de la vente en direct. Quand j'aperçois une petite fromagerie bardée de bois, dans un joli village aux maisons anciennes rénovées avec goût, nous demandons l'arrêt aux chevaux. Enfin nous pouvons nous offrir des produits de qualité. Mais en plus de ce plaisir, la fromagère nous invite chez elle. Et chez elle... C'est magnifique. La ferme berrichonne avec les chèvres, la cour intérieure pavée et des poules et des oies et puis la rivière en bas, les prunes, les soirées sous les étoiles. On n'a pas vu les enfants pendant deux jours. Le matin, ils désertaient la roulotte de bonne heure pour rejoindre les copains à la salle de traite et déjeuner avec le lait des chèvres. Si nous n'avions pas dû partir, nous y serions encore.
Mais le voyage c'est le mouvement. Alors après le Berry de George Sand qui nous a tout autant plu par son bocage et ses châteaux, ce fût le parc naturel de la Brenne. Le pays aux mille étangs, enfin aux 4000 étangs depuis que les carpes d'amour, esturgeons et autres poissons de valeur y sont élevés. L'avantage d'être nomade, c'est d'avoir le luxe d'observer les multitudes d'oiseaux depuis sa cuisine avec un jardin différent à chaque étape. Nous ne comptons plus les échassiers, les martins-pêcheurs, les guêpiers, bernaches et autres migrateurs observés aux jumelles.
Certaines personnes nous demandent si les enfants ne s'ennuient pas trop, comme si le voyage était un prétexte à être divertie continuellement. Le voyage est pour chacun une école, où l'apprentissage de l'autonomie et des responsabilités nous concerne tous les quatre à notre échelle. Et quand les tâches journalières sont accomplies, chacun est libre "d'utiliser" son temps comme il l'entend. La nature s'avère être un terrain de jeux idéal pour les enfants alors que nous, adultes avons souvent besoin de bricoler sur la roulotte, le vélo, les harnais...et regarder les cartes topos, les cartes routières, les photos satellites, en gros notre itinéraire.
Nous avons eu le très grand plaisir de rencontrer d'autres roulottiers ! Trois autres couples, avec des enfants. C'est au bord de la Creuse, une très belle rivière, que nous sommes finalement restés dix jours dans ce campement improvisé. Chacun pouvait enfin partager et apprendre des expériences des autres dans ce nouvel univers, celui des nomades lents et sans gazoil. Dix jours paisibles au rythme des repas partagés ensemble, de la pêche, toujours bredouille mais qui n'a pas démotivé notre fils, des chevaux et comment chacun travaille avec. Nous avons découvert la podologie équine ou comment les chevaux sont tout simplement fait pour vivre sans fer à leur pied. Et puis toujours cette rivière, à l'eau fraîche et claire, dans laquelle nous nagions avec joie. Tout nous ramène à la vie simple, de la cuisson sur le feu à la cueillette des mirabelles, et surtout le site préhistorique sur lequel nous sommes. Ici se trouve une grande ressource de silex de qualité, nous trouvons tous les jours un fragment de lame taillée ou un quelconque outil de travail manuel datant du néolithique.
Le voyage doit reprendre son cours, nous souhaitons rejoindre la côte ouest bretonne avant la période des tempêtes.
Après la Creuse, c'est la Vienne que nous suivons. Le paysage avance lentement devant nos yeux mais nous remarquons à chaque commune que nous traversons, des différences de relief, de végétation, d'architecture et de matériaux de construction, la France défile sous les sabots. Ici, ce sont les maisons troglodytes, là des vignobles, les premiers que l'on voit depuis notre départ du sud. La région est passante, ça y est nous sortons de la diagonale du vide. Les TGV, les autoroutes et nationales sillonnent la page de notre atlas routier. Il faut faire des choix entre la circulation et les côteaux au sud, nous passerons au nord dans les zones maraîchères de l'ancien lit fluvial. Nous voilà dans le Val de Loire, patrimoine mondial de l'Unesco.
Mais nous sommes dans le Val de Loire, ni perdu, ni isolé.