Parmi les incontournables à vivre à Bornéo, il y a la vie en longhouse, habitat traditionnel des ethnies Bidayuh et Iban. Il s'agit de plusieurs pièces, regroupant chacune une famille, côte à côte dans une grande maison continue, avec des espaces de vie commune (Ruai - véranda). Une sorte de village regroupé en un seul habitat.
Plusieurs agences proposent des tours à la journée ou sur plusieurs jours dans ces "villages" mais nous ne sommes pas convaincus par leur offre, trop touristique et commerciale. Nous nous tournons alors vers une agence française de tourisme équitable, Bornéo à la carte. Cette dernière propose un séjour de 2 ou 3 nuits dans un village Iban, où seule cette agence se rend, 2 mois par an seulement. L'offre est alléchante et nous faisons une entorse à notre budget (les expériences insolites ont un prix!) pour 2 nuits chez les Iban.
Notre guide, Es, un malais musulman plein d'humour, vient nous chercher à 6h30 du matin. Il est l'un des deux guides à opérer le séjour chez les Iban. Le village en question se situe à plusieurs heures de route de Kuching, dans la région de Betong. Le trajet en voiture nous permet de voir tous les travaux engagés sur la Bornéo Highway, le principal axe de circulation du Sarawak. 5h de route et une pause déjeuner plus tard, nous retrouvons un villageois, dont le surnom est King Kong (de part sa forte carrure), qui nous mènera en 4x4 vers le point de départ de notre randonnée.
Le départ se fait depuis une autre longhouse, où nous sommes chaleureusement accueillis. Notre guide a fait l'acquisition d'une machette pour la randonnée, qui attire les regards des hommes du village. Il nous faudra 3h30 de marche pour atteindre le village de Siba Perdu. Il fait chaud, on transpire beaucoup (pour changer!) mais les paysages et points de vue sur les montagnes environnantes sont magnifiques. Nous traversons des plantations de poivriers, principale culture et source de revenus des Iban. Il s'agit de poivre noir ou blanc, selon la méthode utilisée. Le poivre noir est récolté et directement séché au soleil, tandis que le blanc doit être préalablement immergé dans l'eau de la rivière plusieurs jours.
Nous arrivons au village en fin d'après-midi, avec la jolie couleur du jour qui décline. Le village a tout le nécessaire pour être autonome: poules, coqs, cochons, potagers, eau de la rivière, ainsi que des chiens et des chats. La longhouse comprend 14 familles, soit 14 "appartements", à la suite les uns des autres. Deux familles s'occuperont de nous pendant notre séjour. Nous dormirons chez l'une et mangerons chez l'autre. Les tâches sont bien réparties.
Nous faisons la connaissance de nos hôtes: Indai Not et son mari Apai Not. Indai Not a 31 ans, elle vient de la première longhouse que nous avons croisé sur notre route, elle est venue vivre ici car son mari et sa belle famille sont originaires de cette longhouse. Sa belle-soeur et sa belle-mère vivent également avec eux. Ils ont deux enfants, mais nous ne les verrons pas. La semaine, les enfants vont à l'école et vivent en internat. Seuls les enfants en bas âge sont présents, cela manque un peu d'agitation dans le village!
L'appartement est composé de deux pièces: un salon qui se convertit en chambre le soir venu (matelas au sol avec moustiquaire) et une cuisine. Il y a également un étage mais qui sert à entreposer des affaires. Toutes les salles de bain sont situées à l'extérieur, en face de chaque appartement.
Nous mangeons dans la famille de Rambo, un fameux chasseur-pêcheur, avec sa femme et son beau-père. Ce dernier, un des plus âgés de la communauté, porte encore les attributs physiques des anciennes générations: tatouages et oreilles perçées. Hommes ou femmes, il fallait avoir beaucoup de tatouages pour plaire. Mais les nouvelles générations ne perpétuent plus cette tradition, ils ont encore quelques tatouages, mais ils ne se perçent plus les oreilles.
Le temps s'écoule tranquillement à la longhouse. Nous prenons notre douche à un point d'eau à l'entrée du village, en plein air, au milieu des poules, vêtue d'un sarong pour Claire et en caleçon pour David. On est bien en pleine immersion!!
Il n'y a de l'électricité que le soir, grâce au générateur électrique. Les soirées se passent principalement à discuter tous ensemble sous le Ruai. Les hommes fument et se font des blagues pendant que les femmes brodent les tenues traditionnelles au point de croix (J'ai (Claire) ainsi pu leur montrer que je connaissais aussi cette technique) ou préparent le rotin pour la vannerie (tapis, paniers).
Nous ne comprenons pas tout, seuls quelques uns parlent un peu anglais, mais nous sommes charmés par l'ambiance joyeuse et les éclats de rire. On comprend très vite qu'ils ont beaucoup d'humour et aiment bien se taquiner. Ici, on ne se demande pas tous les jours si ça va, mais plutôt "t'as pris ta douche?!". D'ailleurs, habitués à la visite de français, ils ont appris quelques mots. Il est donc courant d'entendre les villageois nous dire "bonjour, merci, t'as pris ta douche?".
Le lendemain, nous partons à la journée avec Es, Rambo et Apai Not. Au programme, randonnée dans la jungle, pêche et pique-nique. Nos compères sont simplement équipés de chaussures en plastique et de paniers en rotin, quand nous, nous revêtons chaussures de randonnée et sac à dos...! La pluie de la nuit rend les sentiers boueux et glissants. Et comme quoi, l'habit ne fait pas le moine, les deux seuls à glisser et tomber, c'est bien nous! Comment ça, on n'est pas adapté..?! 😋 Nous croisons même un scorpion.
Rambo nous fait passer dans des itinéraires connus que..par lui-même, frayant le chemin à coup de machette. On comprend mieux son surnom, c'est vraiment l'homme de la jungle! Sur la route, ils trouvent un palmier et Apai Not le coupe aisément en quelques coups de machette pour en récolter le coeur.
Nous arrivons à la rivière. À peine le temps de se rendre compte qu'une sangsue s'est introduite dans mon short (Claire) et celui de Es 😨, que nos deux villageois se lançent dans une pêche effrénée. Oubliez la canne à pêche et le siège, ici on pêche au harpon (retenu par un élastique) et au masque. Nous admirons l'aisance avec laquelle ils plongent en apnée, pour déloger les poissons cachés derrière les rochers (poissons chat, poissons serpent et autres petits poissons non identifiés). Nous les aidons en ramassant les poissons et en les mettant dans les tubes de bambous.
Nous remontons la rivière, les pieds dans l'eau, jusqu'à une jolie cascade. L'endroit idéal pour notre déjeuner! Nos hôtes sortent tout le matériel nécessaire de leurs paniers: assiettes, couverts, gobelets, boissons, riz, ananas... Ils préparent un feu. Puis ils vident et découpent les poissons et coupent le coeur de palmier. Ils mettent le tout dans les tubes de bambou avec de l'eau, à bouillir sur le feu. Un des plus gros poissons sera cuit au barbecue. Nous nous régalons!! Et là, nous sommes certains que le poisson est frais! Nous sommes ébahis devant autant de débrouillardise et tout ce savoir transmis de génération en génération. On se rend compte que de notre côté, au milieu de la jungle, on ne saurait pas faire grand chose et que l'on a perdu ce lien avec la nature.
Les Iban sont traditionnellement animistes. Certains sont également catholiques. Ils croient en un esprit, une force vitale, qui anime les êtres vivants, les objets mais aussi les éléments naturels. Ils se soignent avec les chamans. Ils donnent beaucoup d'importance aux rêves. Ils nous expliquent, par exemple, que si quelqu'un a fait un mauvais rêve la veille d'un jour de pêche, ils n'iront pas pêcher. La chasse au crocodile est autorisée, sous quota, car l'espèce devient invasive et aggressive pour l'Homme. Pour cela, ils demandent au chaman d'entrer en connexion avec les esprits des crocodiles et de faire apparaitre aux chasseurs le crocodile le plus dangereux, c'est ce dernier qui sera tué. Il y a un profond respect pour la nature. Les Ibans vivent essentiellement de ce qu'ils trouvent dans la jungle.
Sur le chemin du retour, Rambo souhaite nous montrer sa plantation. Il s'agit d'un endroit magnifique, parfaitement aménagé avec des bassins d'eau, des fleurs et quelques cultures vivrières (piments, cocotiers, durians..). Rambo nous offre une noix de coco puis sur ses conseils, nous nous essayons à récolter le poivre. Il s'agit d'un travail minutieux et de longue haleine, surtout sous ce soleil de plomb.
Viendra ensuite un grand moment, où Rambo et Es, veulent nous faire goûter le fameux durian! Nous avons vu ce fruit partout en Asie. Malgré sa très forte odeur, les Asiatiques en raffolent. Il est surnommé "le roi des fruits" de par sa taille impressionnante mais aussi son prix! L'odeur nous a toujours dissuadé de goûter, mais là c'est l'occasion, alors on se lance! David est le premier à avoir cet honneur. C'est avec un grand sourire et entre ses dents qu'il me le tend en me disant "tiens, c'est horrible..". Tu exagères David, cela ne doit pas être aussi terrible..! Ah bah oui, c'est vraiment pas bon! 🤢 Il faut imaginer un mélange de fromage, ail, oignon, poivre..vomi!! haha! Surprenant pour un fruit! Bon les goûts et les couleurs sont très personnels, alors on dira que nous n'avons pas aimé et on vous propose de goûter par vous mêmes! On leur fait donc comprendre que l'on n'est pas fan.. Ce n'est pas grave, Es, le mangera quasiment en entier en nous disant "ça a un goût de paradis" 🤔. Il nous explique que sa femme en est tellement folle, qu'ils peuvent faire des centaines de kilomètres juste pour aller en acheter.
Après cette expérience gustative, nous retournons au village. Nous faisons la rencontre d'un autre groupe de français, Sylvie et Alain de Grenoble, Louisa de Nantes et leur guide d'origine Iban, Chris. Ils sont accueillis dans une autre famille. Ils ont choisi l'option 3 nuits, avec une nuit en campement, c'est pourquoi nous ne les avions pas croisé la veille. Ils en reviennent émerveillés! Nous sommes tous conviés chez le chef du village pour goûter les alcools locaux. Nous goûtons tout d'abord le tuak, un vin de riz, assez doux et sucré, puis la liqueur de riz, beaucoup plus forte! Nous filons ensuite à toute vitesse en haut de la montagne, tout près, pour ne pas rater les derniers rayons du soleil. C'est un magnifique coucher de soleil qui s'offre à nous.
Une fois la nuit tombée, les villageois nous proposent d'aller voir une tarentule, mais cette dernière a bien plus peur de nous que nous d'elle et reste terrée dans son trou. On en verra que les pattes velues.
Concernant la nourriture locale, nous goûtons tout ce qu'ils nous proposent, le plus souvent issu de la chasse et la pêche. Nous mangeons du sanglier et du chat sauvage (civette), ainsi que de bons petits gâteaux maison à la forme de sombrero. Nous n'aurons pas l'occasion de manger du "renard volant", c'est à dire de la grosse chauve-souris. On les verra vivantes et en cage dans la cuisine de Rambo, flippantes!
Lors des repas, le grand jeu consiste à nous resservir nourriture et boisson à peine notre assiette ou verre à moitié vide. "Makaï" signifie "manger" en Iban. On entendra cela une centaine fois! Un peu plus à l'aise le dernier jour, je (Claire) chambre Rambo en voulant le resservir à son tour et en lui disant "Makai Makai", ce qui le fait hurler de rire! Il apprécie que l'on blague, signe pour lui que nous passons un agréable séjour. Le temps d'échanger quelques photos de nos familles respectives et de Nantes, il est déjà temps de repartir. Nous serions bien restés plus longtemps dans le paisible village de Perdu (heureux hasard du nom). Tout le village nous accompagne pour nous dire aurevoir, nous sommes émus, surtout de quitter Rambo et son chaleureux sourire!
Pour le retour, pas de randonnée, mais une virée façon montagnes russes en 4x4, avec King Kong pour pilote (encore mieux que Mario Kart! 🤣). Nous retrouvons la voiture d'Es et les 5heures de route pour rentrer à Kuching. Il nous faudra quelques jours pour redescendre de notre nuage! Nous garderons de magnifiques souvenirs de cette rencontre..! Il ne manquait que Frédéric Lopez, pour vraiment se sentir comme dans Rendez-vous en Terre Inconnue..!
Quelques mots en Iban: Makaï (manger) - Niérou (boire) - Mana (beau, bon) - Manis (sucré) - Mandi (douche) - Panas (chaud) - Lela (fatigué).