En cette période si étrange de "crise sanitaire", 3 ans après mon premier vrai chemin, je pars marcher quelques kilomètres sur la célèbre Via Podiensis pour retrouver mes repères et me recentrer.
Août 2020
17 jours
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Me voilà débarquée au Puy en Velay. Le Puy est connue principalement pour deux choses : les lentilles et le point de départ du chemin de Saint-Jacques de Compostelle. N'étant pas passionnée par les lentilles, vous aurez compris l'objet de ma venue...

Encore un chemin de Saint-Jacques ? Mais pourquoi ? Et pourquoi celui-ci ?

Ceux qui me suivent dans mes pérégrinations savent qu'il y a tout juste 3 ans, je me suis aventurée sur le Camino del Norte, longeant la côte nord de l'Espagne pour me rendre à Saint-Jacques, soit 40 jours et plus de 800km de marche. Et, il faut le dire, cette "randonnée" a changé ma vie, l'impact a été fort et j'ai toujours eu envie de rechausser mes baskets pour revivre cette aventure spirituelle et physique.

Sauf que vu les distances, il faut du temps, même s'il peut se faire en plusieurs fois. A mon avis, un minimum de deux semaines est nécessaire pour aller au-delà des sensations physiques et vivre l'expérience à fond.

Donc, ce temps, je ne l'avais pas... Et puis, le chemin s'impose toujours à vous au bon moment, à un moment de votre vie où vous en avez besoin. Comme pour nous tous, ce premier semestre 2020 a été particulier. Chacun l'a plus ou moins bien vécu. Pour ma part, je dirais plutôt mal : même si j'ai accepté relativement facilement l'annulation de tous mes voyages (je devais être en vadrouille jusqu'à septembre...), je n'ai pas aussi bien accepté l'ennui du confinement et le retour à une vie sédentaire dans laquelle je m'épanouis peu. J'ai, comme beaucoup, l'impression d'avoir perdu 5 mois, à ne rien faire de productif ou s'enrichissant. Alors, il était temps de retrouver mes repères et je sais que le chemin m'y aidera.

Que suis-je venue chercher sur ce chemin ? Je ne sais pas exactement mais je sais que le chemin m'enseignera ce que je dois apprendre.

Ensuite, pourquoi la Via Podiensis, la portion française la plus connue ? Parce qu'on m'a très souvent recommandé ce tronçon, qui, paraît-il est magnifique. Aussi, parce qu'il me permet de passer par des régions perdues que je ne connais pas du tout. La Via Podiensis (sur le GR65, qui commence à Genève) va du Puy à Saint-Jean-Pied-de-Port, d'où commence ensuite le Camino Francés. Bref, du Puy à Compostelle, environ 1500 km...

Mais ce n'est pas du tout mon objectif. Après avoir fait mon premier chemin, j'ai bien compris que la destination n'est qu'un prétexte : tout l'intérêt du chemin réside dans le cheminement... Exactement comme dans la vie !

Alors, pour cette année, c'est une version réduite que je vais faire, juste de quoi renouveler mon énergie et faire un bilan de cette période si particulière. Je pars donc avec pour but la ville de Cahors (ou plus si affinité), à environ 350km. Même si c'est bien plus court que ce que j'ai déjà fait, j'angoisse un peu et je doute de moi (il y a des choses qui ne changeront jamais...) : ma moyenne journalière sera plus élevée, et je n'aurai pas de jour de repos; vais-je tenir le rythme ?

En cette année de crise sanitaire, les conditions sont particulières : il faut prévoir ses étapes et donc réserver les hébergements à l'avance (certains étant fermés, d'autres ont réduit leur capacité pour respecter la "distanciation sociale"), ce qui enlève un peu de spontanéité à cette aventure, mais c'est ainsi.

En débarquant du train au Puy, je me fais instantanément ensorcelée par son atmosphère magique : sa cathédrale noire et sa statue de Vierge dominent la ville comme pour rappeler que d'ici partent des milliers de pèlerins depuis des siècles. Le Puy c'est LA ville symbolique du pèlerinage et l'émotion est palpable. Et son relief me rappelle immédiatement que l'aventure ne va pas être de tout repos...pPre

Je file tout de suite à la cathédrale où trônent une Vierge noire et bien sûr, Saint-Jacques. Je récupère ma créanciale, cette sorte de passeport du pèlerin. Ici, tout est fait pour les pèlerins : il y a même un accueil spécial dédié qui permet de faire les premières rencontres. A peine arrivée, je suis déjà dans l'ambiance unique du chemin. J'ai déjà bu un coup et dîné avec d'autres pèlerins.

Le Puy et sa cathédrale 

Me voici donc au Puy, face à sa cathédrale, dans un gîte de pèlerins (l'un des seuls "donativo" du chemin) où je vais passer ma première nuit avant d'entamer mon chemin comme environ 150 autres pèlerins.

Première nuit sur la Via Podiensis 
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La nuit n'a pas été bonne : entre l'appréhension, les ronflements et la pluie, difficile de trouver le sommeil.

Le réveil sonne à 6 heures. Je reprends vite mes habitudes de pèlerine : rangement du sac dans l'obscurité, rapide toilette. Le petit-déjeuner est offert dans le gîte.

Puis, direction la cathédrale pour assister à la messe quotidienne de 7h, dédiée aux pèlerins. Je dois avouer, que bien que catholique, cela doit faire au moins 10 ans que je ne suis pas allée à la messe. Et le prêtre du Puy me réconcilie un peu avec la messe grâce à son humour. En fin de messe, les pèlerins reçoivent une bénédiction. La cérémonie est émouvante (à savoir, quand je dis "émouvant", c'est une façon pudique de dire que j'ai versé quelques larmes...). Il est évident que ce chemin sera encore bien plus spirituel que le précédent et je le fais d'ailleurs plus pour cela que pour le défi physique (même si je ne serais pas contre perdre les kilos superflus du confinement...). Le challenge physique avait été le premier motif du chemin en 2017, et je n'attendais rien d'autre. Maintenant que je l'ai fait, je sais que le chemin est bien plus spirituel que physique.

A la fin de la bénédiction, chaque pèlerin se voit offrir un chapelet, un évangile de Saint Luc, la prière du pèlerin et une médaille protectrice de Notre Dame du Puy, libre à chacun d'accepter ou non ces présents. Chacun reçoit également une intention de prière laissée par les pèlerins précédents dans l'urne gardée par Saint-Jacques. Pour ma part, je pars avec, dans le coeur, une intention pour la soeur d'une inconnue qui doit subir une opération délicate.

Enfin, l'escalier central s'ouvre dans le sol et c'est d'ici que le chemin commence. Je descends les marches, sort de la cathédrale et la laisse derrière moi.

Départ du Puy

Tout commence avec une montée raide qui met tout de suite en jambes . Je traverse la campagne française, vallonnée, au milieu des champs de blé. Je rencontre plus de vaches que de pèlerins. Le chemin est très bien indiqué; et j'ai remarqué que s'il manquait des indications, il suffirait de suivre les bouses de vache. Le chemin est parfois très rocailleux (grosses pierres de basalte) ralentissant mon avancée.

Sur le chemin 

Cette première étape fait 24km, ce qui, pour le premier jour, après 4 mois de sédentarité la plus totale, se fait vite ressentir dans les jambes. Mais, il faut avancer tant que le ciel est bleu car les prévisions météorologiques pour le reste de la journée ne sont pas bonnes. Je subis les 5 derniers kilomètres, en plein soleil. Puis, la belle église de Saint Privat apparaît au loin.

Arrivée à Saint Privat 

J'arrive pour le déjeuner et le fameux menu du pèlerin. Et je prends place dans le gîte : une chambre de deux, quelle chance ! Et de nouveau, les rituels que j'aime tant : la douche (j'avais oublié le bien fou qu'elle procure après 5 heures de marche), les massages au Voltarène (mon meilleur ami !) sur les articulations, les massages à la crème Nok pour mes pieds, les étirements yogiques (c'est à la suite de mon premier chemin que je me suis mise sérieusement au yoga).

Ah, et pour ceux qui avaient suivi la première version, vous savez à quel point j'avais été traumatisée (je n'exagère pas) par les ampoules. J'avais suivi tous les conseils possibles et imaginables (crème, chaussettes, chaussures) mais en vain. Alors, cette année, je n'avais rien prévu de tout ça, en me disant à quoi bon...

Et lors des 5 derniers kilomètres, je commence à sentir des frottements dans mes chaussures. J'essaye de ne pas y penser et rêve de quitter mes chaussures au plus vite. A l'arrivée au gîte, la sentence tombe : aucune ampoule !!! Juste un tas de petits cailloux, d'où les frottements.

Finalement, l'orage éclate un peu plus tard et je suis bien contente de ne plus être dehors.

A cause du covid (encore !), il n'est pas possible d'utiliser la cuisine du gîte. Les gîtes proposent souvent le dîner, mais qui est assez cher (le budget du chemin en France n'a rien à voir avec celui de l'Espagne...). Alors, il faut se débrouiller avec le boucher traiteur et l'épicerie du coin. Le dîner est toujours le moment le plus convivial avec les autres pèlerins : on débriefe de notre journée, on se motive, on échange des conseils... Ces moments de partage sont toujours très enrichissants.

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43

Vous avez bien lu... J'ai mis autant de temps qu'hier, pour faire 5km de moins... Vous en déduirez le niveau de difficulté de cette portion, proportionnel à sa beauté.

La nuit a encore été mauvaise du fait des nuisances sonores de ma partenaire de chambre. Je suis donc partie tôt, pour ne plus la voir. Au petit matin, fraîcheur et brume : le temps idéal pour bien commencer.

Il semblerait que ce chemin ne laisse jamais de temps pour s'échauffer : à peine 200 mètres, et j'entame déjà descente et montée. Et ce sera mon fardeau sur 11km non-stop. La première montée aboutit à Rochegude, offrant une vue mémorable : la forêt, les nuages de brume et le ciel bleu. C'est pour ces instants de tranquilité et de pure beauté que le chemin vaut tous les efforts du monde.

De Rochegude à Monistrol d'Allier, c'est la descente aux enfers : une descente abrupte dans la forêt boueuse où chaque racine d'arbre et chaque pierre menace de tordre mes chevilles. Je marche donc au ralenti et mes genoux n'en peuvent plus. Cette descente dure 3km... Monistrol est à moins de 7km de Saint Privat et je mets 2 heures pour rejoindre ce village caché dans sa vallée. Dans cette forêt sombre, je suis seule et parfois j'entends des craquements : j'espère ne pas croiser la bête du Gévaudan, puisque je suis sur ses terres...

Monistrol d'Allier 

Et de Monistrol, on reprend dans le sens inverse : une montée abrupte, en plein soleil, sur 5km... Je sue à grosses gouttes et je ne supporte plus mon odeur. Je me concentre sur chaque pas.

Après la montée... 

Enfin, l'arrivée à Montaure est un soulagement : d'ici, plus que 8km, sur un terrain plus ou moins plat, ponctué de petits hameaux.

Mieux vaut la photo que l'odeur à cet instant... 

Après 5 heures de marche intense, j'arrive dans la charmante ville de Saugues, dominée par sa tour carrée, son église et son petit musée "diorama" dédié à Saint Benilde, un frère local qui a dédié sa vie à l'éducation des enfants. J'arrive au moment du marché, animé. Je trouve un lieu pour me restaurer et dévorer (finalement, c'est moi la bête du Gévaudan) une bonne pièce de boeuf d'Aubrac, région de laquelle je me rapproche petit à petit.

Saugues 

Je prends ensuite place dans mon gîte, qui est en fait un centre d'accueil type colonies, groupes scolaires... Et là, après cette dure journée de marche, miracle : chambre individuelle avec salle de bains !!

Après une bonne sieste, je retrouve quelques pèlerins avec qui j'ai sympathisé pour le dîner. Tous s'accordent sur la difficulté de l'étape...

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69

Aujourd'hui, je troque ma dignité pour mon confort : j'opte pour le style germanique (i.e. combo sandales-chaussettes). Comme j'ai des petites ampoules qui apparaissent, mieux vaut prévenir que guérir. Le terrain de cette étape étant relativement plat (bon, il y a quand même quelques belles montées), c'est l'occasion de chausser les sandales.


Style allemand

L'étape commence dans la brume et au frais, mon climat préféré pour marcher. Je quitte Saugues pour plus de 25km en rase campagne, à ne traverser que quelques hameaux déserts.

Aujourd'hui, je ne marche pas seule : je suis accompagnée par un autre pèlerin. Alors certes en parlant on marche moins vite mais le temps et les kilomètres passent plus vite. Nous traversons forêts et champs vallonnés, nous croisons vaches et chevaux. Bref, une étape au plus proche de la nature.

Un peu avant d'arriver dans mon gîte, je change de département et de région : au revoir Haute-Loire, bonjour Lozère en Occitanie.

L'arrivée dans mon gîte est épique. C'est une belle maison, ancien corps de ferme, avec 4 chambres. La propriétaire m'avait prévenue qu'elle ne serait pas présente à cause d'un imprévu. Mais elle laisse le gîte à disposition aux marcheurs. Comme j'arrive tôt, je rencontre finalement la propriétaire avant son départ : elle semble débordée, ne sait plus où donner de la tête, les clients de la veille sont partis tard, elle doit tout préparer avant que ceux d'aujourd'hui arrivent. Elle me demande donc mon aide pour faire quelques lits et me laisse aussi toutes les instructions pour accueillir les pèlerins et pour le dîner du soir, ainsi que pour le paiement. Me voilà donc responsable du gîte pour la soirée !! Ça tombe bien, moi qui ai toujours voulu faire ça, elle n'aurait pas pu trouver mieux !

Mon gîte !

Nous sommes 11 en soirée et le climat y est très convivial. Mais la fatigue se fait sentir et il temps d'aller se coucher !

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92

Ce matin, au réveil, l'orage gronde puis éclate. C'est peu engageant. Le temps de me préparer, de prendre un petit-déjeuner et la pluie s'apaise. A mon départ, ce ne sont plus que quelques gouttes, alors je commence ma route, aux côtés de Christine, 66 ans, qui voyage seule pour la première fois de sa vie ! Forcément, notre rencontre n'est pas un hasard. Après 7km à ses côtés, le soleil se lève et je la laisse, car j'ai besoin d'avancer à mon propre rythme. Je serai seule au monde pour tout le reste du chemin et c'est magique. Pour cadencer mon pas, je marche en musique.

J'arrive donc rapidement à destination : Aumont-Aubrac, qui, comme son nom l'indique, se trouve aux portes de l'Aubrac, que je découvrirai demain.

Eglise de Aumont-Aubrac

Ce que j'aime particulièrement sur le chemin et qu'on ne retrouve pas sur une randonnée classique, c'est l'ambiance. En général, vers 16h, quand on se promène dans la ville d'étape, on salue tout le monde car le village se remplit de pèlerins que l'on a croisé des dizaines de fois, parfois sans même connaître leur nom. Et ce soir, dans notre gîte, on se connaît ou reconnaît tous : les petits groupes forment un grand groupe. On s'est au moins tous croisé au Puy et on a tous démarré ensemble. Alors, on se retrouve tous devant un verre, dans une ambiance chaleureuse. Malheureusement, plusieurs d'entre eux quittent le chemin ce soir : soit pour cause de tendinite ou autre problème de santé, soit parce que c'était prévu ainsi. L'apéritif est animé aussi par un magicien (ce n'est pas une blague !), pèlerin de Paris, qui nous fait des tours. Puis, direction le restaurant pour déguster un morceau de la reine d'Aubrac. A table, les âges vont de 19 ans (une jeune fille qui fait le chemin avec son père pour la 3ème fois) à 69 ans (une petite dame qui fait le chemin chaque année depuis 20 ans !). C'est unique. Et à chaque fois qu'un autre pèlerin passe devant notre table, il connaît forcément quelqu'un du groupe et nous rejoint alors. C'est l'esprit pèlerin, et ça vaut vraiment le coup de marcher 25 km par jour pour découvrir cela. Si seulement on pouvait se connecter entre nous aussi vite dans la vraie vie !


Aumont-Aubrac restera une très belle étape, digne d'un chemin réussi !

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119

La journée commence au petit matin, dans le froid, avec le lever du soleil. Les premiers pas à la lueur du soleil levant à travers la forêt sont revigorants et vivifiants. J'ai bien quelques douleurs, mais j'en fais abstraction.

Au petit matin

Je passe la barre des 100km cumulés depuis le départ !

Dix kilomètres plus tard, j'arrive sur le fameux plateau de l'Aubrac dont on m'a tant parlé. De grandes étendues granitiques à perte de vue, cela me fait penser à la Mongolie. On peut vite deviner une nature hostile et un climat rude en hiver, lorsque quelques coups de vent se font sentir violemment.

Traversée de l'Aubrac

Puis, la journée devient difficile. Psychologiquement plus que physiquement : j'ai du mal à me concentrer, je n'arrive pas à garder un rythme constant, je commence à ne penser qu'aux douleurs et aux ampoules qui se forment. Le paysage est certes magnifique, mais monotone, et donc le temps semble long. Je n'ai pas l'impression d'avancer. Je cherche désespérément un point de repère au loin. Et le regard vide des vaches n'est guère encourageant.

Et j'en ai marre de la caillasse, des graviers, des gravillons, des cailloux, des pierres, des rochers : sur ce chemin, il y en a de toute taille, de toute couleur, de la pierre qui n'amasse pas mousse et des gros cailloux encastrés. Je n'en peux plus de voir du minéral : cela demande plus de concentration, fatigue les chevilles qui vacillent, empêche d'utiliser les bâtons correctement et appuie douloureusement sur les ampoules.

Bref, aujourd'hui, ras les baskets ! Je n'ai qu'une envie : me mettre à pleurer et monter dans la première voiture qui passe... Mais je ne me laisse pas abattre : j'essaie de compter les kilomètres restants, de penser à autre chose. Je ne sais que trop bien que le chemin met à l'épreuve, et quand on s'y attend le moins. Voilà, ça me tombe dessus maintenant !

Finalement, un village apparaît au fond d'une vallée : c'est Nasbinals, ma destination du jour ! Je presse le pas, car je ne pense plus qu'à m'effondrer sur un lit et enlever mes chaussures.


Nasbinals

D'ailleurs, quand je les retire, ce n'est pas joli joli... J'ai le pied gauche qui voit quelques ampoules le recouvrir. C'est l'heure des soins... Fil, aiguille, éosine... Un rituel dont je me souviens bien. Je vous épargne les images...

J'en profite pour pousser un coup de gueule contre les Compeed, la plus grande arnaque que je connaisse. Ce qui est sûr, c'est que les ingénieurs et les marketers de cette merde n'ont jamais randonné de leur vie ! Je l'avais déjà dit il y a 3 ans, et je réitère mon mécontentement.

Passage obligatoire à la pharmacie pour me ravitailler en bande adhésive et autres pansements pour pouvoir tenir les prochains jours.

En fin de journée, je rencontre de nouveaux pèlerins, soit que je n'avais pas encore vus, soit qui viennent de commencer. Nous nous apprêtons pour l'étape du lendemain, courte mais qui s'annonce difficile, avec beaucoup de dénivelé...

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Les jours se suivent et ne se ressemblent pas, et heureusement.

Après avoir protégé mes pieds, je reprends mes chaussures et le chemin. A la sortie du village, je rencontre le duo père-fille et marche avec eux. C'est drôle, jusqu'à présent je ne les avais rencontré sur le chemin (toujours le soir aux étapes) et pour la première fois, je marche avec eux. Comme ils sont sportifs, ils marchent à un bon rythme et donc nous restons ensemble.

Nasbinals ce matin

Nous continuons la traversée de l'Aubrac qui n'a rien à voir avec la veille : sur ce tronçon classé patrimoine mondial à l'UNESCO, il faut traverser des estives, c'est-à-dire directement dans les pâturages de montagne (privés) où se trouvent les vaches. Et donc adieu les pierres, on marche sur la terre et pour moi, ça change tout. J'apprécie enfin l'immensité de l'Aubrac à sa juste valeur. C'est un vaste désert que l'on est heureux de traverser avec des nuages : en cas de pluie ou de cagnard, cela doit être un enfer.

Si vous avez bien suivi, vous devriez être un peu inquiets : et oui, j'ai bien dit qu'on passait juste à côté des vaches. Certes, ce n'est pas l'animal le plus dangereux du monde, mais rappelons que les vaches d'Aubrac sont costaudes et ont de belles cornes. D'ailleurs ce passage est interdit aux pèlerins à vélo ou avec leur chien, pour éviter certains problèmes.

Traversée des estives de l'Aubrac

Et comme le chemin a toujours quelque chose à m'enseigner, ce qui devait arriver arriva... Voici que sur notre route se trouve un taureau qui ne semble pas vouloir nous laisser passer si j'en crois son mouvement de patte sur le sol et son bruit nasal... Nous voilà tous les 3 bloqués, avec une autre pèlerine déjà rencontrée également. Même si nous arrivions à passer le taureau, il y a un troupeau de vaches derrière, bien sur le chemin et avec leurs veaux... Trop dangereux donc. Et c'est là où je suis contente de ne pas être seule.

Nous sommes à côté d'une clôture qui par chance n'est ni électrique, ni barbelé. Il suffit donc de jeter nos sacs de l'autre côté et d'escalader un petit muret en pierres pour passer de l'autre côté. Pas si difficile, sauf que le muret, en pierres empilées, ne résiste pas à mon passage, après que les deux autres filles soient passées. Et donc me voilà en grand écart sur le muret, avec une pierre qui a roulé sur mon pied aux ampoules... Bref, je m'en sors sans casse, avec le mollet droit éraflé et une bosse sur la cheville gauche. Une fois de l'autre côté, nous longeons la clôture en attendant de pouvoir repasser du bon côté du chemin, une fois le pré du taureau (qui ne nous a pas lâché du regard...) passé. Là encore il faut être ingénieux, car cette fois, c'est du barbelé... Finalement, nous nous retrouvons à ramper sous une barrière... Mais sains et saufs. Pour le duo père-fille, c'est la 3ème fois qu'ils font ce chemin, c'est bien la première qu'ils doivent contourner un taureau !!!


Arrivée à Aubrac

Enfin, nous arrivons à Aubrac où se termine le plateau. Je laisse mes compagnons de route et commence la longue descente vers la Vallée du Lot que j'attendrai demain. La descente, malgré quelques cailloux, se fait sans trop de difficulté, et continue dans un sous-bois, mon terrain préféré. Je passe en Aveyron que je vais découvrir pendant 5 jours.

Deuxième partie du chemin

Et alors que je marche tranquillement, d'un bon pas, je croise d'autres randonneurs dans l'autre sens (comme souvent) que je salue. Mais, là, une tête qui me dit quelque chose. Et il semblerait que ce soit réciproque. Je viens de tomber sur un randonneur qui étudiait avec moi en école de commerce !!!! Improbable !!!! Décidément que de surprises !

Je poursuis ma longue descente jusqu'à Saint Chely d'Aubrac. L'architecture change peu à peu. Ici, les toits sont en écailles de lauze.


Saint Chély d'Aubrac

Rapidement, d'autres pèlerins arrivent et nous nous retrouvons avec plaisir. Comme c'est l'étape la plus courte, d'autres décident de continuer plus loin. J'en profite pour faire une visite guidée du village par une habitante, ce qui permet d'en apprendre un peu plus sur la région.

Après une bonne soirée de rires et d'échanges, je vais me coucher dans mon dortoir qui pue la transpiration de deux pèlerins fâchés avec la douche...

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159

Journée de magie typique de Compostelle pour marquer ma première semaine de marche.

Après une nuit mitigée, je pars très tot de Saint Chély par le pont des pèlerins.

Départ de Saint Chély

Comme je le disais hier, je continue ma descente vers la vallée du Lot. La descente est plutôt longue et constante. Parfois, le terrain me permet d'avancer vite, en me laissant aller avec la gravité. Tout se fait en sous-bois, ce qui est agréable.

En tout, il faut environ 16km pour finir de descendre et arriver, après avoir passé le magnifique couvent de Malet, à Saint Côme d'Olt, un des plus beaux villages de France. Cette petite bourgade est une vraie pépite sur le Lot. Et oui, c'est ici que je rencontre le Lot et sa douce vallée verdoyante et fraîche. Le Lot va m'accompagner encore un bon moment.

Saint Côme d'Olt

En passant à Saint Côme, je marche d'un air guilleret, en pensant à la beauté de notre pays : en 150km, je suis passée des montagnes auvergnates à la vallée du Lot en traversant l'Aubrac !!

Pour rejoindre Espalion, je pourrais suivre le Lot et la route et y arriver très rapidement...ou suivre le vrai chemin, qui me fait grimper sèchement une montagne dans les bois. Je suis les papillons blancs qui annoncent la chaleur des jours à venir et m'engage sur le chemin le plus "difficile". Étrangement, malgré l'effort, je savoure chaque pas. P***** que c'est bon de transpirer et de repousser ses limites ! Parfois, j'entrapercois entre deux arbres la vue sur Saint Côme que je laisse derrière moi et ça me motive pour monter plus haut. J'aime les montées car elles me donnent foi en chaque pas que je fais pour monter plus haut : je sais qu'à la fin, le jeu en aura valu la chandelle. Et enfin, je sors de la forêt et le chemin m'offre un panorama sensationnel dont je profite seule au monde.

Après une longue montée

Je suis si fière, je me sens si accomplie quand j'atteins le sommet de cette petite montagne. L'effort donne plus de valeur à l'objectif. C'est bien le goût de l'effort qui fait que le chemin est bien plus intéressant que la destination... D'ailleurs, pensez-y, de quoi êtes vous le plus fier ? De ce que vous avez obtenu facilement, sans effort ou de ce que vous avez réussi après de longs efforts ? C'est l'austérité de l'Aubrac qui me fait apprécier la douceur de la vallée... Il faut connaître l'obscurité pour valoriser la lumière. La vie vaudrait-elle d'être vécue si son cours était aussi tranquille que celui du Lot ?

Je poursuis sous un soleil de plomb pour atteindre la Vierge du Vernus : ici, la vue est spectaculaire. Avec Saint Côme à droite et Espalion à gauche.

Point de vue la Vierge de Vernus

J'entame enfin la dernière descente vers Espalion. Je débouche sur l'église perse avant d'entrer dans la ville.

Eglise perse

Espalion, dernière vraie ville avant un petit moment. Jolie ville bien agréable, surtout le mercredi soir quand elle s'anime autour du marché nocturne où les producteurs locaux vendent leurs produits. On s'y retrouve tous pour le dîner.

Espalion

PS : le gîte proposait des massages... Je n'ai pas résisté au massage des pieds et des jambes ! Rien de tel pour repartir de plus belle demain.

Tête de la joie à l'arrivée
KM
185

La journée pourrait se résumer en deux mots : asphalte et cagnard... Je vous fais rêver !

En effet, voilà une journée éprouvante et ennuyante. Mises à part quelques montées et descentes en forêt, la plupart du chemin suit la route, alors c'est bien moins intéressant. Enfin, je passe tout le même le ravissant village de Estaing. Après un long moment à suivre le Lot par la route commence une ascension ardue. Et bien que je sois partie tôt, le soleil cogne déjà très fort. Et l'effet de chaleur est décuplé en marchant sur le bitume. Heureusement, de temps en temps, une petite brise souffle entre les noisetiers et châtaigners. Mais j'avance sans trop me poser de question car je sais qu'une récompense m'attend à l'arrivée dans le gîte : une piscine !! Même s'il faut réserver un créneau horaire (covid oblige), je suis bien contente de me prélasser et de détendre mes muscles. J'espère aussi pouvoir atténuer certaines marques de bronzage.

KM
206

Encore une journée sur le bitume... Donc un peu longue et ennuyeuse. J'avance, j'avance en espérant voir un changement de terrain.

Puis, derrière moi surgit un pèlerin aux cheveux blancs qui marche bien plus vite que moi (il y en a peu qui me dépassent...). Il engage la conversation et son rythme m'oblige à le suivre sans trop penser. Le temps passe donc plus vite. Nous arrivons à Espeyrac où je ne prends même pas le temps de prendre une photo. Dans la montée suivante, il me sème mais il a réussi à me tirer de l'ennui et j'ai trouvé mon rythme. Après de longs kilomètres sur la route, une raide descente s'engage dans la forêt, entre racines et pierres (oui, je ne le dis pas à chaque fois, mais il y a encore et toujours de la caillasse...). Avec la chaleur lourde, l'humidité se fait sentir : on se croirait dans la forêt tropicale. La descente se poursuit à mesure que mes genoux me supplient d'arrêter.

Mais soudain, j'aperçois des tours : ce sont les tours de l'abbatiale Sainte Foy de Conques !!! Voilà un charmant village (en pierres, bien sûr !) mais qui attire beaucoup (trop ?!) de touristes. Quand on est isolé comme un pèlerin, c'est toujours difficile de revenir dans le brouhaha.

J'aurais pu passer Conques et aller plus loin, mais à Conques, on peut dormir à l'abbaye, et ça en vaut vraiment le coup (à tel point que c'est complet plusieurs jours avant). Ce sont des bénévoles et des scouts qui nous accueillent. La douche est froide (panne de chauffe-eau jusqu'à fin août) mais l'accueil est convivial. Le dîner est lancé par un moine qui chante le fameux "Ultreia", le chant des pèlerins.

En fin de soirée, le tympan de l'église s'illumine, un concert d'orgue résonne dans la nef et je dis au revoir à mon groupe de pèlerins... Demain, je continue seule, avec Mado, la doyenne du chemin. Tous les autres repartent chez eux. Pour ma part, Conques marque la moitié de mon périple...

Conques et son abbatiale
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230

La pluie est tombée toute la nuit et a rafraîchi l'atmosphère. Au petit matin, il fait bon et la brume enveloppe Conques. L'humidité rend les rues très glissantes, d'autant qu'il faut descendre jusqu'au pont pour avancer. Puis, la montée de Conques... Un enfer !!! Dans la forêt, raide, glissante, boueuse... Il me faut 45 min pour en venir à bout. Je suis liquefiée de sueur, il n'est même pas 8h. J'ai à peine commencé ma journée que je suis déjà vannée. Et, j'ai deux nouvelles ampoules (elles se sont formées les jours précédents, chaleur et bitume étant le combo parfait...) qui me font souffrir. J'essaie de ne pas y penser, d'ignorer la douleur et de ne pas compenser avec les chevilles ou les genoux. La route est longue. Je passe plusieurs villages sans grand intérêt. Aujourd'hui, il existe une variante intéressante : le chemin officiel descend, passe par Decazeville, qui a la réputation d'être moche, et remonte, le tout par la route. La variante est une route qui coupe à travers champs, plus courte et évite ce détour par cette ville. En général, je reste sur le chemin officiel, mais là, il me semble raisonnable de prendre cette variante tout aussi officielle, surtout d'après les conseils d'autres pèlerins qui sont déjà passés par Decazeville.

Lorsque la variante rattrape le chemin, je décide de reprendre le chemin plutôt que de couper à nouveau par la route, puisque je suis proche de ma destination. Après une belle montée, je me retrouve encore dans une descente glissante et boueuse... Sauf que cette fois, des arbres tombés coupent mon chemin. Je fais demi tour en pensant que je me suis trompée, mais non, le balisage confirme que je suis bien sur le vrai chemin. Je ne me vois pas revenir en arrière, je suis tellement épuisée. Tant pis ! J'escalade les trous, me faufile dans les branchages et sort enfin de la forêt pour traverser le Lot et arriver à Livinhac.

J'arrive au gîte alors qu'il est encore fermé, mais je profite de sa terrasse. Et tous les commerces du village sont fermés, donc pas de déjeuner aujourd'hui.

Peu à peu, d'autres pèlerins arrivent et je suis rassurée de savoir que d'autres marchent encore.

Mon gîte est écologique et tenu par un drôle d'italien. L'ambiance y est très conviviale. Le dîner, maison et italien, n'est pas payant : chacun donne ce qu'il veut ou peut. C'est l'esprit pèlerin qu'on retrouve peu sur ce chemin touristique... La fin de soirée est musicale autour de l'accordéon et du piano.

Voilà une étape bien agréable !

Livinhac
Chaque matin, préparation des pieds
KM
259

Cette nouvelle journée se poursuit entre forêt et route. L'étape prévue est longue puisqu'elle doit faire 31km. Mais, une ampoule douloureuse m'handicape et me pousse à trouver un raccourci qui me fait économiser 2km. Rapidement, je quitte l'Aveyron et entre dans le Lot.

La journée se passe sans encombres ou presque... Alors que je suis sur un chemin caillouteux, je dépasse un chien errant qui, soudainement, se retourne vers moi, grogne et se montre prêt à me bondir dessus. Ça faisait longtemps... En effet, sur le chemin en Espagne, plusieurs fois je me suis fait des frayeurs avec des chiens de garde non attachés. Mais ici, en France, le problème ne se posait pas : les chiens de ferme sont soit très bien éduqués, soit attachés. Moi qui ne suis pas très à l'aise avec les chiens, me voilà face à un molosse prêt à m'attaquer. Ma seule arme de défense : mes bâtons, que je brandis vers lui, ce qui l'immobilise. Nous nous regardons. Mon coeur bat la chamade. Si je baisse la garde, il gagne. Heureusement, quelques mètres avant, il y a une maison, dont j'ai salué la propriétaire qui sortait en robe de chambre, probablement pour relever le courrier. J'appelle donc à l'aide, car je suis paralysée. Elle m'informe que ce n'est pas son chien, qu'elle ne le connait pas et appelle son mari, qui sort en pyjama (dimanche, à 10h30, ça devait être l'heure des croissants). De loin, ils tentent de faire distraction, mais le chien n'a décidément pas envie de me laisser partir. Je ne sais pas ce qui a déclenché cette réaction. Le couple continue de l'appeler. Il se retourne vers eux, et je m'en vais en catimini. Finalement, le chien retourne à ses occupations, je remercie ces braves gens, et je repars soulagée mais inquiète.

J'atteins la rivière Célé qui me conduit directement à Figeac, ville que j'ai visité il y a deux mois. Je ne vais donc pas en faire le tour mais je vais m'y ravitailler pour le déjeuner, pour ne pas me faire avoir comme hier. Une fois n'est pas coutume, je fais même une pause en bord de rivière pour manger.

Il me faut encore gravir une sacrée côte pour entrer dans le Quercy et arriver dans mon petit gîte perdu au milieu de la campagne. J'y parviens en boîtant... J'espère que cette satanée ampoule va vite se cicatriser.

Je dîne avec la seule autre pèlerine du gîte, qui, elle commence tout juste. On se trouve d'étonnants points communs malgré notre différence d'âge : un frère au Brésil et un tour du monde à notre actif. Les coïncidences du chemin...

KM
285

Ce matin, je chausse mes sandales pour donner du répit à mes ampoules. Le paysage change peu à peu : je pénètre dans le parc naturel des Causses du Quercy. Moins de bitume, plus de forêt et de très belles bâtisses en pierre. Ah ça, il faut dire qu'il n'en manque pas de la caillasse ici !!! Même les passages en forêt, où je m'attends à fouler un sol terreux moelleux, sont plein de cailloux. Soit de tout petits, qui se faufilent dans les sandales, soit de plus gros qui "massent" les pieds et stressent mes chevilles. Les sandales ne sont pas les chaussures les plus adaptées, car plus plates et moins amortissantes. Alors ce sont les chevilles qui morflent. Mais, ampoules ou chevilles, il faut faire un choix. S'il y a bien une constante depuis Le Puy, c'est bien ces cailloux !!!

2km avant d'arriver, mes chevilles crient de douleur : je change donc mes chaussures pour les soulager. Mais je pense que c'est trop tard : la cheville droite ne se remet pas de la journée. J'arrive donc à destination en boîtant (une fois de plus). La bonne nouvelle : je retrouve dans mon gîte, Mado, la mamie du chemin, que j'affectionne tout particulièrement. Elle aussi est blessée : elle a même pris le bus pour terminer sa journée, alors qu'elle n'est pas du genre à abandonner... C'est la première fois que cela lui arrive.

D'ailleurs, il faut que je vous partage son histoire, parce que c'est un sacré personnage qui mérite d'être connu. Mado (Marie-Madeleine de son prénom) a toujours été sportive. Elle entraînait une équipe de natation synchronisée. Et un jour, tout s'arrête : grave accident de voiture, elle se retrouve 18 mois à l'hôpital et n'est pas passée loin de la paralysie totale. Les docteurs l'informent qu'elle ne pourra plus faire de sport, au risque de se blesser et d'être paralysée. Elle n'a que le droit de marcher... Alors, à 50 ans, elle se met à marcher et part seule faire son premier chemin de Compostelle avec un collier cervical. Et depuis, elle en fait un tous les ans, depuis 20 ans ! Elle les connaît tous par coeur. Catalane de Perpignan, Mado est une sacrée pipelette (elle radote parfois) et toujours de bonne humeur.

De mon côté, ma cheville n'annonce rien de bon. N'ayant jamais eu de tendinite, je ne sais pas si c'est cela. Mais un potentiel abandon du chemin me tire les larmes des yeux. Malheureusement, je sais que cela sera l'unique option si la douleur m'empêche de marcher : marcher avec des ampoules désinfectées, aucun risque; marcher avec une tendinite ou des problèmes musculaires, c'est autre chose... Les conséquences peuvent être plus longues et plus lourdes. Pour le moment, je ne peux pas me prononcer : je m'étire, je me masse, je me repose et on verra demain matin. La nuit porte conseil, j'espère qu'elle soignera aussi mon petit corps.

En soirée, je trouve Mado attablée à la pizzeria. Je m'invite à sa table car je sais que c'est probablement notre dernière soirée ensemble. Nous passons un excellent moment. Depuis que je la connais, je me dis souvent que je me vois comme elle dans quelques années. Et elle m'avoue qu'elle se reconnaît en moi quand elle était plus jeune. Encore une rencontre significative du chemin... Elle m'offre mon dîner et nous échangeons nos coordonnées. C'est certainement la rencontre la plus touchante de ce chemin. Si jamais mon chemin se termine demain, je serai heureuse de cette dernière soirée.

KM
311

Après une bonne nuit de repos, mon pied va mieux. Je démarre ma journée avec Mado. Nous nous sommes mises d'accord pour faire une première partie par la route, c'est un raccourci de 4km que j'ai trouvé. Alors, certes, c'est dommage de marcher sur la départementale au lieu de profiter de la forêt (surtout que je me plains régulièrement du bitume), mais il fallait faire un choix. Gagner quelques kilomètres peut être salutaire pour mes pieds. Je commence au rythme de Mado, pour ne pas trop chauffer mes tendons. J'apprends à marcher plus doucement. L'avantage de marcher avec elle, c'est qu'elle parle tellement que le temps passe vite.

Finalement, 14km plus tard, j'arrive à Limogne, plutôt en forme. Je fais une pause avec Mado à un café et en profite pour faire un rapide massage au Voltarène, mon grand ami du chemin. Comme je suis dans une bonne dynamique, je reprends la route et quitte définitivement Mado qui me souhaite "un bon chemin de vie" en me saluant. Je pense que c'était un ange qui était là pour me redonner confiance et me faire avancer.

Je remercie le ciel de pouvoir continuer ma route et mon corps, que je critique si souvent, de suivre le rythme intense.

De Limogne, je reprends le chemin officiel, par la forêt (et sa caillasse bien sûr !) pour arriver à Varaire 8km plus tard. C'était l'étape que je m'étais fixée. J'y déjeune copieusement. En effet, j'ai remarqué que ces derniers jours, par manque d'option et d'organisation, je ne mange pas très bien : suffisamment pour avoir l'énergie, mais pas assez de protéines et de minéraux... Et ça doit aussi avoir une incidence sur mes muscles.

Après le déjeuner, je sens que j'ai la force pour continuer jusqu'au village suivant, 4km plus loin, ce qui réduirait mon étape du lendemain et équilibrerait le tout. C'est la première fois que je fais ça sur ce chemin, comme tout est réservé à l'avance. Je ne suis pas sûre de pousser jusqu'au village suivant. Mais, j'ai du réseau (ce qui est loin d'être le cas partout sur le chemin) et le premier gîte que j'appelle lui reste juste un lit et semble très sympa. Je prends ça comme un signe et je me lance, le ventre plein et sous le soleil.

Une nouvelle ampoule, que je soupçonne assez grosse, se forme... Tant pis, je poursuis.

J'arrive enfin dans un gîte chaleureux, à l'esprit pèlerin (comme en Espagne), et en "donativo" (participation libre). J'y rencontre de nouveaux pèlerins avec qui je partage un excellent dîner.

KM
337

La journée commence sous une bruine rafraîchissante. Dès la sortie de Bach, je me retrouve sur un chemin (dois-je préciser de caillasse ?) dans la forêt, inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO car il s'agit de l'ancienne voie romaine. Je vous laisse imaginer le nombre de personnes qui ont foulé ce sol...

Le chemin est plat et plutôt invariable. La bruine va et vient avec le vent. Dans les descentes, elle humidifie bien les rochers ce qui rend le terrain parfaitement glissant pour finir les quatre fers en l'air... Bref, je vis une véritable histoire d'amour avec ces pierres et cailloux en tout genre...

Je sens une nouvelle ampoule, toujours au pied gauche, qui semble surgir peu à peu...mais je tiens bon, car je sais que le but est proche : en effet, après la traversée d'un dernier causse aride, j'aperçois enfin le fameux pont Valentré qui enjambe le Lot et la cathédrale avec ses deux coupoles. Pas de doute, j'atteins Cahors, la fin de mon pèlerinage !!! Je m'étais fixé cet objectif et le voilà qui apparait en ligne de mire, en même temps que le soleil.

Cahors au loin

Je descends vers la ville, le sourire jusqu'aux oreilles. Et ça doit se voir, car on me dévisage quand j'arrive dans la ville, animée par le marché devant la cathédrale. Voilà, mon chemin spirituel s'achève ici, après plus de 300km en 2 semaines, environ 7 ampoules , des joies, des souffrances, beaucoup de soleil, de belles soirées animées... Ce pèlerinage fut bien différent du premier, plus court, mais aussi intense physiquement.

Arrivée à la cathédrale

Alors que je m'installe en terrasse d'une crêperie, j'entends mon nom : c'est Noémie, une pèlerine rencontrée à Nasbinals, qui termine aussi à Cahors. On déjeune ensemble, on échange nos impressions. C'était son premier, et elle pense déjà en refaire d'autres... Elle a pris le virus, comme beaucoup ! Puis, après le déjeuner, devant la cathédrale, je tombe nez à nez avec mon ange... Mado !!!! Je n'y crois pas car elle devait faire une étape de plus pour arriver à Cahors, mais finalement, quand je l'ai quitté à Limogne la veille, elle a aussi décidé d'aller plus loin que prévu !! Et comme par hasard, elle est au même gîte que moi, histoire de terminer l'aventure comme il se doit.

Bon, si le chemin spirituel est terminé, le chemin physique se poursuit..et oui, je ne vous l'ai pas dit, mais je poursuis la randonnée (ce n'est plus un pèlerinage) jusqu'à Moissac, à 75km de là, avec le plus jeune de mes frères ! J'en n'ai pas fini de voir de la caillasse !!!

KM
360

Et c'est parti pour 3 jours de randonnée à deux ! On change l'esprit mais pas la routine... Lever matinal pour un départ aux aurores, pour éviter les grosses chaleurs annoncées. La sortie de Cahors se fait par le fameux pont Valentré, classé patrimoine mondial de l'UNESCO, et nous mène directement sur un raidillon qui réveille cuisses et mollets. D'en haut, la vue sur la ville endormie vaut le coup.

Sortie de Cahors

De là, il nous faut emprunter la route pendant quelques kilomètres avant de rejoindre le chemin dans le Quercy blanc. Quercy blanc, comprenez toujours autant de caillasse, mais d'un blanc intense qui réverbère le soleil... On marche donc sur le causse aride, à la végétation éparse, sous le soleil qui s'annonce violent. C'est une véritable traversée du désert. Seul le village de Labastide-Marnhac nous permet de retrouver la civilisation.

Mais la route est plate et nous avançons vite, malgré mes ampoules qui me brûlent. Il ne faut pas s'arrêter, sinon la douleur ne me permettra pas de reprendre. Finalement, nous atteignons Lascabanes, un charmant village paisible, où l'ancien presbytère, transformé en gîte, nous accueille au pied de l'église, jouxtant le cimetière.

Arrivée à Lascabanes

Lascabanes est une étape connue pour sa messe de 18h célébrée par un prêtre qui lave les pieds des pèlerins... Mais, on tombe mal, il a pris 4 jours de vacances et ne revient que demain. Tant pis pour nos pieds, nous ferons nous mêmes nos ablutions.

Notre dîner de pèlerins est délicieux et toujours aussi convivial. S'il y a moins de pèlerins sur le chemin, ceux qui restent sont des vrais, ils ont pour but d'atteindre Saint Jacques !

KM
384

Nous commençons la journée avant le soleil qui se lève de plus en plus tard. Nous avançons avec dynamisme dans la forêt jusqu'à arriver à la fameuse ville de... Montcuq ! Pour éviter tout jeu de mots malencontreux, il faut prononcer le "q". Et à partir d'ici commence les problèmes... J'y avais échappé jusque là mais la pluie m'a rattrapé. Au début, une pluie fine et mesquine. Puis, au fur et à mesure, une pluie plus intense qui finalement s'abat sur nous en quantité et avec violence, d'autant que le vent de face ne nous aide pas. Foutu pour foutu, nous décidons de ne pas mettre notre k-way. Nous sommes trempés jusqu'aux os, comme si nous étions sous la douche. Ce sont maintenant des torrents d'eau et nous n'y voyons plus rien (ceux qui portent des lunettes savent...). Et pour couronner le tout, moi qui râle depuis le début pour la caillasse, voici que le terrain est terreux... Enfin boueux !!! Des amas de terre se fixent aux chaussures déjà détrempées. La gadoue sur les jambes, le bain de pieds (avec mes ampoules...). Bref, un vrai plaisir 100% nature. De temps en temps, la pluie s'apaise pour reprendre de plus belle, généralement quand il n'y a même pas un arbre pour s'abriter. Je peste car je suis fatiguée et surtout, depuis Cahors, je ne suis plus en pèlerinage, et mentalement, ça change la donne : je n'ai pas la même capacité de résilience et d'acceptation.

Nous quittons le Lot et entrons dans le Tarn et Garonne. La pluie a décidé de nous laisser sécher un peu. Nous continuons d'un pas décidé avec une seule idée en tête : nous changer. Enfin, Lauzerte apparaît sous nos yeux, au loin sur une colline. Il nous faut encore prendre une descente boueuse en évitant de glisser et remonter par la route. Une dernière pluie pour la montée et nous arrivons enfin au gîte.

La propriétaire, Ana, une Carioca, allait partir quand nous sommes arrivés. Elle ouvre à 15h. Mais vu notre état, physique et psychologique, elle nous laisse entrer pour nous changer avant le déjeuner. Nous sommes rincés, comme si nous avions passé la matinée dans un lave-linge.

Durant quelques heures, nous pensons terminer le chemin ici et faire la dernière étape qui nous mènera à Moissac en bus, car de la pluie est encore annoncée pour le lendemain. Mais, après un peu de repos et concertation, nous choisissons d'aller jusqu'au bout, en réduisant un peu par la route et en se laissant l'option de l'autostop / du taxi au cas où. Je suis toujours fascinée par cette capacité que nous avons, en quelques instants, à oublier les expériences négatives et à rester optimiste pour l'avenir. Cette faculté nous permet de ne pas abandonner et de tenir bon.

Nous passons notre dernière soirée de pèlerins autour d'un bon repas préparé par notre hôte. Cette ambiance me manquera, car c'est une des composantes majeures qui fait du chemin de Compostelle une expérience unique, chaleureuse et enrichissante.

KM
411

Après la pluie, le beau temps... Enfin, dans le doute, nous commençons encore plus tôt que d'habitude : 6h15 ! Dans la nuit, à la frontale, nous attaquons notre dernière étape qui nous fait traverser des champs en tout genre dans la boue d'hier. Nos chaussures ne sont plus à ça près... Nous traçons notre chemin jusqu'à Durfort-Lacapelette qui marque presque la moitié. Le soleil est bien présent et nous rassure pour la suite. Nous alternons chemin officiel et route (plutôt dangereuse). Les derniers kilomètres sont fastidieux et longs, nos pieds nous le font sentir.


Nous entrons enfin dans Moissac, mais le centre est encore loin, d'autant qu'il existe deux possibilités dans Moissac : soit l'entrée sur terrain plat par la zone industrielle, soit prendre par les hauteurs, c'est plus long et plus fatiguant. On choisit pourtant cette option car on nous l'a vivement recommandé. Il faut donc encore grimper : d'en haut on admire la ville sur le Tarn. Puis une dernière descente sèche pour atteindre le but ultime : l'abbaye de Moissac !!!!!

Quel bonheur de terminer enfin ! Je suis épuisée : jambes, pieds, tendons, muscles... Nous utilisons le peu d'énergie qu'il nous reste pour visiter la fameuse abbaye (où il est impossible de se recueillir car il y a le tournage de la messe pour France 2 en préparation) et son cloître, plus tranquille. L'abbatiale est bien sûr classée à l'UNESCO.

Moissac et son abbaye

Nous nous installons face à l'abbaye pour déjeuner autour de spécialités régionales : truffe noire et foie gras ! Et oui, il faut bien se récompenser !! Après un rapide tour dans Moissac, il est temps de quitter la ville pour rentrer à la maison : après presque 3 semaines, je reprends un moyen de transport motorisé ultra-rapide... Quel changement !

Même si je suis ravie de rentrer, de retrouver mon confort, j'ai un petit pincement au cœur quand j'observe sur une carte tout ce que j'ai parcouru : je suis bien plus proche de Saint Jean Pied de Port que du Puy... J'aurais bien aimé terminé cette Via Podiensis. Mais qui sait, un jour, certainement je reprendrai de Moissac pour achever ce que j'ai entrepris... Il ne manque que 14 jours pour arriver à la frontière espagnole. Ce qui est sûr, c'est que le chemin me manque déjà. Le temps est passé si vite et en même temps, le chemin a été si riche, que j'ai l'impression d'être partie depuis plus d'un mois.

En tout cas, me voilà ressourcée et pleine d'énergie pour commencer un nouveau chapitre en milieu urbain.

Merci à tous mes lecteurs d'avoir suivi avec enthousiasme ce chemin. J'espère vous avoir donné envie de vous lancer un jour.