Pour ma première journée de repos, je pars à la découverte des alentours de Bakou (bien que je n'ai pas encore visité la vieille ville...). Etant donné que j'ai peu de temps libre sur place, je dois optimiser autant que faire ce peu mon temps et mes visites. C'est pourquoi, au lieu de visiter par moi-même les quelques sites touristiques de Bakou, j'ai décidé de prendre un guide et un chauffeur au lieu de prendre les bus locaux. C'est un peu dommage, mais ça me fait gagner du temps... et puis, le guide a un intérêt non négligeable pour comprendre un pays aussi complexe que l'Azerbaidjan.
C'est donc en compagnie du jeune Eldar, étudiant en géopolitique et relations internationales, très cultivé, parlant 6 langues, que je sors de Bakou. Dès que nous sortons du centre, le véritable Azerbaidjan se révèle : de grandes steppes semi-arides longeant le bleu profond de la Caspienne parsemée de derricks puisant les ressources précieuses de cet immense lac salé.
Sur notre trajet vers le sud ouest de Bakou, en direction de la réserve de Gobustan, Eldar m'explique qu'il vient de la fameuse région du Karabagh, celle disputée avec l'Arménie. Il m'éclaire sur le conflit, qui remonte à la fin de la première guerre mondiale, quand l'empire russe s'effondre et que les 3 républiques caucasiennes (Géorgie, Arménie et Azerbaidjan) deviennent indépendantes. La région, principalement arménienne, est enclavée en Azerbaidjan. Lorsque les 3 pays sont ré-intégrés à l'URSS, le conflit se tasse... pour reprendre de plus belle avec la chute de l'URSS. Une guerre sanglante oppose l'Arménie et l'Azerbaidjan au début des années 90. A cette épouqe, l'Arménie étant plus riche et mieux équipée, prend contrôle de l'enclave mais aussi des territoires environnants, annexant ainsi une plus grande partie de l'Azerbaidjan. Plus de 800.000 Azeris du Karabagh sont alors déplacés, comme la famille de Eldar. Entre temps, l'Azerbaidjan est devenu riche grâce au pétrole et au gaz, ressources qui rapportent 70% de la richesse du pays. Le pays s'arme donc... et décide de reprendre ce qui lui appartient en novembre dernier... Voilà un bref résumé de la situation. La réalité est bien évidemment plus complexe. Il faut dire que, pour les amateurs de géopolitique, le Caucase est un réel bijou à étudier. Trois cultures et surtout trois pays pris en sandwich par de grandes puissances. D'ailleurs, l'Azerbaidjan se situe entre la Russie et l'Iran... ce qui justifie, selon Eldar, le besoin d'un président peu démocratique et plutôt autoritaire (au pouvoir depuis presque 20 ans) pour pouvoir faire face à de telles puissances dangereuses. La situation géographique du pays explique beaucoup de son histoire : au carrefour entre l'Asie, l'Europe et le Moyen-Orient, au milieu de la route de la soie, chaque civilisation qui est passée par le Caucase y a laissé une influence : des Romains au Perses, des Soviétiques aux Moghols. Cela explique l'identité unique des Azeris, jeune nation qui se définit comme des "turcs soviétisés". Autre caractéristique : l'Azerbaidjan est également le seul pays musulman ami avec Israël ! Même si l'Islam est la religion dominante, toutes les autres religions sont bien tolérées et la pratique religieuse est plutôt légère : on travaille le vendredi, le Ramadan n'a que peu d'importance, les femmes ne sont pas voilées... Tout cela n'est résumé que très brièvement, mais vous comprenez l'idée : une nation encore naissante et pourtant très complexe.
Nous arrivons enfin à la réserve de Qobustan, inscrite au patrimoine mondiale de l'UNESCO pour ses pétroglyphes datant de la préhistoire. L'intérêt principal du site c'est surtout le paysage lunaire, aride avec au loin la Caspienne d'un bleu éclatant. Quand on pense qu'il y a quelques milliers d'années, ce site était sous la mer... Mais la mer recule peu à peu, laissant place à des paysages érodés. Sur ce site, je remarque de nombreux touristes Azeris (surtout des femmes et des enfants), mais je suis la seule étrangère. Cela attire l'attention car cela fait plus d'un que les étrangers ne viennent plus. D'ailleurs, Eldar me dit que je suis sa première cliente depuis la crise du covid. Cela me fait plaisir de savoir que je participe à la reprise économique du pays. Même si le pays n'a pas souffert de la crise comme en France (les hôpitaux n'ont jamais été pleins, et il y a eu peu de cas), le pays avait fermé ses frontières, ses restaurants, ses lieux de vie sociale... Ici, la vaccination fonctionne plutôt bien : 30% de la population est déjà vaccinée, principalement avecle vaccin chinois.
A la sortie de la réserve, nous changeons de véhicule pour monter dans une voiture soviétique, la Lada, produite en Azerbaidjan jusqu'en 2015 et toujours très populaire. Nous testons sa robustesse en empruntant des pistes à peine dessinées dans le paysage : cela me rappelle la Mongolie, avec ses steppes à perte de vue. Je me demande comment mon chauffeur, une armoire à glace russe aux traits turcs, bien trop grand pour cette voiture, se repère. Il nous mène finalement aux volcans de boue : il s'agit de petits cratères coniques, de boue grise et froide, qui bouillonne sous l'effet de remontées de méthane. En résumé, c'est la Terre qui pète !
Nous reprenons la route vers Bakou pour nous diriger vers la péninsule d'Absheron, à l'est de la capitale cette fois-ci. Sur le trajet, les échanges avec Eldar se poursuivent. Nous parlons de tout : le système éducatif gratuit, le système de santé payant, la qualité des infrastructures (les routes et le réseau de télécommunications sont étonnament bons), le salaire moyen (300$/mois) et l'importance de l'économie parallèle, la corruption, la place des femmes, la vie de famille... Je lui demande innocemment ce qu'il pense d'avoir un président, fils d'un autre président, au pouvoir depuis preque 20 ans. Ce à quoi il me répond avec justesse qu'il ne faut pas regarder cette situation avec une vision européenne, mais en prenant en compte la réalité géopolitique du pays : situé entre la Russie et l'Iran commeje le disais; mais surtout qui a été délaissé par l'Europe après la chute de l'URSS... donc c'est un pays qui a fait ce qu'il pouvait avec les moyens du bord. Alors certes, on n'est loin de la démocratie idéale, mais le pays s'en sort relativement bien (jusqu'à présent, je n'ai pas vu de pauvreté extrême). C'est son père qui a signé le cessez-le-feu avec l'Arménie en 1994 et qui a investi massivement dans l'exploitation du pétrole et du gaz, avec, entre autres, des pipelines géants allant jusqu'en Europe. Et sa volonté de reconquérir les territoires perdus par l'Arménie est partagée par de nombreux Azeris...
Après un déjeuner local à Bakou, nous arrivons dans un autre lieu étonnant, cernée par des puits de pétrole : l'Ateshgah, le temple du feu zoroastrien. Zoro quoi ? Oui, zoroastrien ! Il s'agit d'une religion monothéiste millénaire, née en Iran, pour laquelle le feu permet de communiquer avec Dieu. Avec l'arrivée des Musulmans, les Zoroastriens en Inde pendant 1000 ans, avant de revenir sur leur terre d'origine par la route de la soie. Avec le temps, de nombreuses influences hindoues se sont mélées à la tradition zoroastrienne. Ils ont décidé de construire un temple sur le site d'un ancien caravansérail, autour d'un sanctuaire où s'élève une flamme éternelle alimentée par du gaz. De nos jours, les Zoroastriens sont peu nombreux (on ne peut pas s'y convertir) mais quelques uns subsitent... comme la famille Tata (du puissant groupe indien Tata).
Nous passons ensuite par la forteresse de Ramana qui domine les champs pétrolifères de la banlieue de Bakou, panorama apparaissant dans "Le monde ne suffit pas", avec James Bond.
Enfin, nous terminons cette longue journée au Yanardag, un feu spontané qui brûle en permanence au pied d'une colline, par la combustion de gaz qui s'en échappe. Curiosité singulière...