Cette journée est la plus attendue, c'est celle de l'ascension finale pour atteindre Uhuru Peak, à 5895m. Elle commence à minuit. Par chance, le ciel étoilé et la lune presque pleine nous éclairent bien, mais la frontale reste indispensable pour cette ascension sur un terrain toujours aussi rocailleux et sablonneux. Nous avons 4 à 5 couches de vêtements pour nous protéger du froid.
Abu et Geofrey sont accompagnés de Jackson, qui portera une bouteille d'oxygène et un thermos d'eau chaude.
L'ascension commence sèchement, sans même un échauffement. Au loin, nous apercevons une lignée de lumière sur le flanc du volcan : certains randonneursont déjà bien avancé.
Nous arrivons sans trop de difficulté à 4800m. Ici, notre guide Geofrey nous abandonne car il est malade depuis plusieurs jours et ne peut aller plus haut. Nous poursuivons à une lenteur extrême. Abu et Jackson nous aident pour tout car nos mains sont emmitouflées dans deux paires de gants : boire, arranger un vêtement, régler la frontale...
La montée est particulièrement ardue. Parfois, il faut faire de grands pas pour passer un rocher et cela nous essouffle. Un peu après les 5000m, je m'évanouis dans les bras de mes guides. Je me relève rapidement pour éviter de perdre connaissance, et bien sûr, je me mets à pleurer car je sais que je n'arriverai pas jusqu'au bout. Nous continuons tout de même, dans une douleur extrême. Sur le bord du chemin, d'autres randonneurs sont arrêtés : certains vomissent, d'autres sont meurtris par le froid et l'effort. A chaque arrêt pour reprendre notre respiration, nous perdons la chaleur créée par l'effort et la transpiration nous glace peu à peu. Abu commence alors à nous donner ses vêtements : gants, coupe vent, doudoune... Puis c'est au tour de Fernando de craquer : il est épuisé et perd peu à peu ses pieds à cause du froid. On comprend rapidement que nous n'atteindrons pas le sommet, mais nous décidons de continuer au moins jusqu'à un certain point. Nous marchons mécaniquement en suivant le pas de nos guides. Mais notre conscience s'échappe de temps à autre et nos guides nous rappellent de ne pas nous endormir.
Alors que nous atteignons les 5400m, presque à hauteur de la lune, après environ 5 heures de marche, Fernando déclare forfait. Abu tente de nous convaincre mais il reste encore 4 heures jusqu'au sommet. Il me propose alors de continuer seule, scénario auquel nous avions pensé avant l'expédition. Mais cette semaine m'a fait comprendre que cette aventure se vit à deux et que cela n'aurait aucun sens d'atteindre le sommet seule. Et de toute façon, je suis aussi épuisée, et je sais que je n'ai pas la force pour continuer ainsi 4 heures de plus. Au plus, je pourrais continuer 15-20 minutes... À quoi bon ?
A la grande déception de nos guides, nous prenons donc la sage décision d'abandonner, sans aucun regret, car nous ne profitons plus du tout de l'aventure. Et les risques deviennent plus importants que la récompense. A quoi cela nous servirait-il d'arriver au sommet, à moitié inconscient ou en se faisant porter (oui, cela est possible !). Nous acceptons donc notre "échec" sans difficulté. Le Kili était beaucoup plus difficile que nous l'imaginions et nous sommes arrivés sans aucune préparation physique (et après 1 an de confinement...). Finalement, je prends cet abandon comme une belle leçon d'humilité. Il faut parfois savoir renoncer.
Nous devons donc entreprendre la descente... Et oui, nous avons quand même monté 700 mètres... Heureusement, le soleil se lève et le spectacle est saisissant. Nous découvrons le paysage dans lequel nous galérons depuis des heures : un panorama lunaire ! La descente nous prend presque 3 heures tellement le terrain est compliqué. De nombreux autres marcheurs ont également renoncé. Abu est triste et déçu (on comprend que son chef met beaucoup de pression pour que les clients atteignent le sommet), mais nous lui expliquons que nous sommes très satisfaits de cette semaine de trek, et que notre santé et notre bien-être sont bien plus importants que le sommet.
Après cette longue descente, nous avons le temps pour une sieste avant le déjeuner.
Puis, il est l'heure de quitter le camp pour commencer la descente finale vers la sortie du parc national. Il nous faudra environ 4 heures de descente raide pour atteindre Mweka camp, notre dernier campement.