Nous voici donc de retour dans notre pays d'adoption : le Royaume du Cambodge 😀
Petit conseil lorsque vous passez la frontière de Thaïlande vers le Cambodge en partant de Bangkok : demandez quel route le bus va prendre ! En effet, le chemin le plus court n'est pas toujours le plus apprécié par les compagnies, qui font du "groupage de touristes". Lorsque vous tombez donc dans un bus qui contient plus de touristes se rendant dans les îles, au sud de la Thaïlande, et bien ... Bangkok - Poipet (poste frontière) - Battambang (350km / 6h30 de route) devient Bangkok - Chanthaburi - Pailin (poste frontière) - Battambang (420km / 9h).
Bah ... qu'est-ce que 70km de plus en à peine 2h30 me direz-vous, alors que nous sommes en voyage pendant un an et allons parcourir plusieurs dizaines milliers de kilomètres ? Et bien ... 70$ très exactement, soit le prix de 2 visas supplémentaires, compte tenu que les e-visas commandés sur le site du ministère de l'immigration au Cambodge ne sont pas acceptés à tous les postes frontières "terrestres", et notamment : pas à Pailin ! Convaincu que nous passerions par le poste de Poipet, nous avions opté pour la facilité en commandant sur internet, convaincu que le plus court chemin entre 2 points restait la ligne droite... et bien : pas en Asie du Sud Est !!!
Soit, fin de la petite anecdote, même cette mésaventure relativement coûteuse (70$ = une semaine complète d'hébergement, pour vous situer 😉), ne gâchera pas notre plaisir de rentrer à nouveau au pays 😀😀😀
Nous voici donc à Battambang, deuxième ville d'importance au Royaume du Cambodge, après Phnom Penh son actuelle capitale. La ville compte plus de 250.000 habitants, mais elle reste paisible, la circulation y est modérée, la vie coule tranquillement...
La ville tient son nom d'une vieille légende contant l'histoire d'un roi géant (Dambang Kranhoung). L'arme de prédilection de ce roi géant était un gourdin fait d'un bois très solide. Après s'être emparé du trône, une prédiction des astrologues limitait son règne à 7 ans 7 mois et 7 jours. Dambang Kranhoung jura qu'il tuerait avec son bâton quiconque oserait revendiquer son trône, mais que s'il échouait, il abdiquerait. A la date fatidique, un descendant du roi évincé se présenta et réclama le trône qui lui revenait de droit. Dambang Kranhoug lui lança son gourdin, mais manqua sa cible. Comme il l'avait annoncé, il abdiqua, et se réfugia au Laos. Son bâton s'échoua dans une plaine et donna naissance à un ruisseau. La région où naquit ce cours d'eau fut nommée "Battambang" par un descendant du roi. En khmer, "bat dambang" signifie littéralement "bâton perdu". Une statue représentant ce roi géant et son bâton trône toujours à l'entrée de la ville.
Début du XXème siècle lorsque les français arrivèrent dans la région, ils démantelèrent les maisons traditionnelles khmères en bois, et érigèrent des bâtiments en dur afin d'y accueillir les commerces et faire de Battambang un lieu d'échange commercial important, avec le royaume de Siam notamment. Un exemple représentatif de cette architecture coloniale exceptionnelle est le marché central Psar Nat, qui malheureusement aujourd'hui aurait bien besoin d'une bonne rénovation... C'est en fait toute la ville qui a conservé cette magnifique architecture du début du siècle passé, et que la province veut remettre au devant de la scène !
Des chantiers ont débuté un peu partout dans la ville, à l'heure où nous rédigeons cet article, et nous avons bon espoir que d'ici peu, Battambang aura retrouver ses lettres de noblesses et son lustre d'antan ! Un classement au patrimoine de l'UNESCO est manifestement une priorité des gouvernants actuels, les choses bougent 😀.
Pour se remettre "dans le bain", nous passerons (dans un premier temps 😀) 5 nuits à Battambang. Premier jour : retrouver nos marques, et (re)visiter les endroits phare du centre ville. Au programme :
* la pagode de l'éléphant blanc
* le Wat Kandal, un des plus anciens temples de Battambang
* balade sur la belle promenade aménagée le long de la rivière Sangker qui traverse Battambang, déambulation dans la ville
* soirée de clôture pour cette première : petit concert improvisé au ukulélé par un petit groupe de jeunes cambodgiens qui s'attardent sur la terrasse de la guesthouse où nous avons élu domicile 😀
Battambang est une très jolie ville. Il est agréable de s'y promener sans but, juste découvrir les rues et les sourires des gens. Mais l'attrait principal de la région, c'est surtout les campagnes avoisinantes, les rizières, les champs de légumes, les vaches le long de la route, les habitants, et les temples...perchés au sommet des montagnes ! Même si tout cela, nous l'avons déjà visité, on ne s'en lasse pas et c'est toujours un réel plaisir de s'y replonger. Bien installé dans le tuktuk, en route pour une journée autour de Battambang, et pour commencer :
* visite d'une maison traditionnelle khmère en bois, une des rares encore debout après le raz-de-marée français
* visite d'un petit marché rural et du marché au prahok. Mais qu'est-ce que cela est-il donc, le prahok, me direz-vous ? Ha haaaa ! En fait... vous n'avez pas envie de savoir 😛. Le prahok est utilisé en gastronomie khmère comme assaisonnement de la plupart des plats. On l'appelle aussi "fromage khmer". Et rien à voir avec du fromage... quoique... Ingrédient principal : du poisson. Recette très simple : le poisson est haché menu et stocké (cru, donc...) dans des énormes bidons, baigné dans de la saumure pendant plusieurs jours. Ensuite, afin de débarrasser le poisson du liquide subsistant, on pose un couvercle sur le bidon, avec de grosses pierres pour faire pression. La mixture reste ainsi pendant à nouveau plusieurs jours... plusieurs semaines ... cela dépend de la météo (chaleur et humidité) et de la qualité du poisson. A la fin de cette fermentation (rappelons qu'il fait quotidiennement 35°C ici 😛), il reste dans ce bidon un genre de pâte très compacte, dont le délicat parfum parcourt les 4 ou 5 mètres qui nous séparent dudit bidon en moins de temps qu'il ne faut pour se boucher les narines ! Rupture immédiate garantie de l'odorat chez toute personne normalement constituée !
Rassurez-vous, cette délicate pâte est utilisée avec parcimonie dans la cuisine traditionnelle, et étonnement cela donne un fumet très agréable aux plats 😀
* visite du wat (temple en khmer, pour ceux qui ne suivaient pas 😛) Samrong Knong et les "killing fields". Petit rappel historique désagréable, mais qui a toute son importance si on veut comprendre le peuple cambodgien et sa culture : entre 1975 et 1979, le régime des Khmers Rouges, emmenés par son leader Pol Pot, a orchestré un véritable génocide-fratricide au Cambodge. Le pouvoir alors en place a forcé des milliers de personnes à quitter les villes pour travailler dans les champs, persécuté tous les intellectuels et religieux, et mis en place des centres de détentions et de tortures un peu partout dans le pays, et notamment à Battambang. On estime qu'environ 2 millions de personnes ont été tuées au cours de cette période, soit directement dans les camps de détentions, soit parce que les citadins n'ont pas survécu à la vie dans les campagnes, n'ayant aucune connaissance des poisons et de la faune que la vie rurale avait à offrir à l'époque...
Les "killing fields" sont des terrains dans lesquels ont été excavés des centaines d'ossements humains datant de cette période. Ils sont aujourd'hui rassemblés dans des stupas, sortent de monuments funaires, en commémoration (dernière photo).
* visite du Wat Ek Phnom (pour ceux qui ne suivent toujours pas : wat = temple, et phnom = mont 😛) : temple hindou angkorien (XIème siècle), avec une énorme statue de bouddha et une pagode plus moderne
* clôture de la journée : le Phnom Sampeou, avec ses temples (perchés, comme toujours, tout au dessus de la montagne ! Mais quelle vue 😀😀😀), ses singes, sa tristement célèbre killing cave (on reste dans une énergie positive...) et ... la bat cave 😀. Killing cave, on ne s'attardera pas... toujours époque Khmers Rouges, temple réquisitionné et converti en centre interrogatoire (entendez : centre de torture), à côté : une grotte d'une vingtaine de mètre de profondeur, ce qui permettait de se débarrasser des "indésirables" après torture, tout en économisant une balle... inutile de vous faire un dessin !
La Bat Cave : non, pas celle du super héros, mais une caverne où a élu domicile une colonie de petites chauve-souris. On estime la population à pas moins de sept millions d'individus !!! A la tombée du jour, cette charmante petite tribu sort de la caverne, en rangs serrés, pour aller s'approvisionner en moustiques et insectes de tout genre dans la campagne environnante. Sept millions de chauve-souris, même toutes petites et en rangs serrés, ça met du temps à sortir 😀 Le spectacle dure environ une heure !!!
La montagne qui abrite cette caverne, et les temples, est sacrée pour les bouddhistes. Nouveauté depuis notre dernier passage : un bas-relief et deux énormes statues de bouddha sculptés dans la roche ont fait leur apparition à l'entrée de la caverne aux chauve-souris. Et quand je dis énormes ...
A Battambang, la culture non plus, n'est pas en reste. Son principal moteur est le Phare Ponleu Selpak, une école d'arts, et notamment d'art du cirque, y est implantée depuis 1994. L'école dispense non seulement des cours d'arts (musique, danse, arts plastique et graphique, acrobatie, jonglerie, théâtre, ...), mais offre également aux étudiants repas, aides aux familles, etc... Une section "DAO" a récemment vu le jour, et les oeuvres ont déjà leur public 😀.
Le cirque est particulièrement renommé, et se produit régulièrement à travers le monde. Certains élèves de l'école ont même rejoint le très célèbre Cirque du Soleil. Ca donne une idée de la qualité d'enseignement de l'académie et de l'engagement des élèves !
Les représentations à Battambang sont assurées par les élèves, il ne s'agit pas encore d'élément "professionnel" à proprement parlé. Le spectacle est néanmoins d'excellente qualité, mêlant admirablement émotions et figures impressionnantes ! Celui auquel nous avons assisté, "Rouge", abordait le thème de la période "Covid", qui a porté un grand coup à l'école : fermeture, malades, pas de touristes pour assister aux représentations... du jour au lendemain, les élèves ont été priés de rester chez eux, et les cours suspendus. Plus de repas distribués aux élèves, plus de cours, moteur de vie principal pour la plupart des bénéficiaires.
Plus déterminés que la pandémie et ses conséquences, ils ont décidés de relever un défi totalement fou : une représentation de cirque diffusé en streaming de ... 24 heures sans interruption ! Ce record a été validé, et le Phare Ponleu Selpak est aujourd'hui repris à ce titre au prestigieux Guinness Book of Records. Le palmarès est impressionnant : meilleur évènement culturel 2021, meilleur évènement pour une cause humanitaire 2021, meilleure campagne de communication pour une ONG 2021 et meilleure levée de fonds 2021, avec 130.000 $ récoltés au cours de cette diffusion, ce qui a permis de maintenir à flots les finances de l'institution, et préparer sa réouverture post-covid.
Une superbe galerie a également vu le jour, depuis notre dernier voyage à Battambang en 2015 : Romcheik 5, située de l'autre côté de la rivière. Plus qu'une galerie, c'est également un studio d'artistes, qui héberge à demeure 4 artistes, anciens élèves du Phare Ponleu Selpak. L'histoire très chargée en émotion de ces 4 artistes donne naissance à des oeuvres devant lesquelles on ne peut rester insensible. La qualité graphique, la variété des matériaux utilisés en support et l'aménagement global de cette galerie en font un véritable musée qui compte sur la scène artistique asiatique et vaut le déplacement. Probablement le seul musée d'art moderne au Cambodge.
Aucune photographie des oeuvres autorisée malheureusement, il vous faudra donc faire le déplacement 😀
Même après ce troisième séjour, Battambang n'a de cesse de nous étonner, et nous avons passé ici de très bons moments. Le Cambodge ne se limite pas à cette ville, et notre temps, lui, est malheureusement limité !
Nous quittons notre guesthouse avec une petite larme, et direction le sud du pays, ses côtes sur le Golfe de Thaïlande, son poivre et ses crabes... mais ça, c'est pour un autre article 😀