Penchons-nous désormais sur la cohabitation ethnique qui existe au sein de ces montagnes. Comme bien souvent, culture, peuple, langue et religion sont entremêlés. A ce titre reprenons encore notre bon exemple de la communauté des Lemkos en Pologne. Ces derniers de culture russe étaient de religion orthodoxes contrairement aux polonais des montagnes de religion gréco-catholique, d’où les deux cultes rendues par la petite église. Ce qui est logique lorsque l’on sait que les Russes sont à majorité orthodoxe. Comme quoi culture, langues et religions sont bien plus proche que l’on ne le croit. C'est ce que nous allons découvrir aujourd'hui en nous intéressant aux cultures des Carpates.
En Pologne et d’en d’autres endroits, ces différents peuples semblent cohabiter de manière idyllique : respect des autres communautés et partage des édifices religieux tout en tirant le meilleur de chaque communauté. En revanche, certaines communautés, généralement minoritaire semble de ne pas être aussi bien intégrés et génèrent des tensions vives entre les habitants. Dans le développement suivant je vais d’abord présenter succinctement comment se répartissent toutes, ces communautés, avant de détailler la manière plus ou moins réussi dont elles cohabitent ensemble. Enfin on se penchera plus sur ces cultures minoritaires semblant mal intégrés dans les Carpates.
Multiplicité
ethnique et cohabitation
Outre les cultures dominantes qui sont propres à chaque pays, on note un gros entremêlement des cultures. A ce titre on note des villages slovaques, ukrainiens et d’autres communautés russophones en Pologne, on trouve des villes hongroises et roumaines en Ukraine ou encore des régions allemandes et hongroises en Roumanie. La Slovaquie est un peu appart. Le pays possède une forte communauté ukrainienne et hongroise mais ces dernières ne se trouvent pas dans les montagnes, je ne les traiterais donc pas ici, il n’y a que des slovaques dans les montagnes slovaques ! Il y existe également des communautés roms et tsiganes sur l’ensemble des Carpates, même si ces dernières sont plus importantes en Ukraine et surtout en Roumanie.
Une question légitime de se poser et dont nous tenteront de répondre est la suivante : mais comment font pour coexister toutes ces cultures et ethnies au sein d’un même pays ?
Fondamentalement grâce à un concept assez simple mais compliqué pour un occidental, habitué au concept d’état-nation. Ici dans les Carpates et en Europe de l’Est en générale, on peut librement appartenir à un groupe ethnique sans nécessairement avoir la citoyenneté de ce pays. Autrement dit on note deux concept différents, celui de culture (ou nationalité pour les pays de l’ancienne URSS) et celui de citoyenneté. Un exemple sera plus simple. Vous pouvez par vos origines, être de culture hongroise tout en vivant en Roumanie. Votre pays est la Roumanie avant tout mais vous parlez hongrois, vous êtes catholiques comme eux, vous savourez la goulash le midi…
Cela s’est également vu en Ukraine, dans la famille de Narine. Bien qu’étant Arménien de cœur et de culture, leurs citoyennetés étaient ukrainiennes, leur pays c’était l’Ukraine et ils n’avaient absolument pas pour projet de repartir en Arménie. Ce concept est difficile à comprendre car dans les pays occidentaux, on ne parle généralement qu’une seule langue (à l’exception de pays comme la Belgique ou la Suisse) et tout les habitants sont issues du même groupe culturelle. En France on trouve des Français parlant français au même titre qu'en Allemagne on trouve exclusivement des Allemands parlant allemands. L’exemple des Hongrois en Roumanie translaté en France reviendrait à ce qu’en Auvergne (car la minorité Hongroise n’est même pas à la frontière), toutes les écoles enseignent l’espagnol, qu’on aille acheter son pain en parlant espagnol ou même en effectuant sa profession en espagnol, difficile à imaginer…
Différents Slaves
Présentons désormais les deux cultures dominantes de la région. On trouve en premier chef la culture slave, qui se resubdivise en culture slovaque, polonaise et ukrainienne. Mais pour être tout à fait honnête, les différences entre un polonais et un slovaque sont assez faibles. Bien sûr il y existe des différences mais comme annoncé plus haut, un polonais des montagnes aura une culture et une identité beaucoup plus proches avec son voisin de l’autre côté de la frontière, qu’avec un polonais dans le nord du pays, vivant au bord de la mer.
Il en est de même pour les Ukrainiens même s’ils sont bien plus modestes en condition de vie. Par exemple pour profiter d’un meilleur salaire, de nombreux ukrainiens travaillent en Pologne. Les mentalités sont très proches et rendent compatibles pour un Ukrainien de travailler dans ce pays. D’ailleurs je n’ai absolument pas entendu d’Ukrainien travailler en Roumanie. Salaire égale, langue différente et état d’esprit différent découragent le jeune travailleur ukrainien qui préférera franchir la frontière direction la Pologne ou la Slovaquie plutôt que vers le Sud, vers la Roumanie. Alors que grâce à l'union européenne les status sont similaires entre les deux nations à l'égard de l'Ukraine.
On note cependant une petite différence entre les slaves. Basés sur la religion cette différence vient créer deux sous ensemble des communautés slaves.Sur la carte de droite on remarque 3 couleurs différentes, représentant les 3 sous groupes de slaves. Les premiers en verts clairs sont les slaves occidentaux, catholiques et utilisant l'alphabet latin. Ils se répartissent sur la Pologne et l'ancienne Tchécoslovaquie. En vert foncé ce sont les slaves orientaux, regroupant la Russie, l'Ukraine et la Biélorussie. Ils sont orthodoxes et utilisent l'alphabet cyrillique. Enfin au Sud ce sont les slaves qui ont connut la domination de l'empire ottoman. Certains sont musulmans et ils vivent aux soleils comparés à leurs cousins russes.
Aux origines d'un bastion latin à l'Est...
A contrario les Roumains sont de culture latine et fière de l’être ! Si leur langue est assez proche du français ou de l’italien, leur état d’esprit s’en ressent aussi. Mais d’ailleurs, pourquoi les Roumains sont latins ? C’est vrai la question est plus que légitime, la Roumanie est entourée de pays slaves, Serbie, Bulgarie ou encore Ukraine, utilisant l’alphabet Cyrillique. C'est l'histoire qui nous permettra de percer ce mystère.
Historiquement la Dacie fut conquise par l’empire Romain au IIème siècle de notre ère, mais n’y est restée que très peu de temps comparé à des pays comme la Croatie actuelle. Une raison avancée par des historiens et confirmée par des locaux avec qui j’ai eu la chance d’échanger ont avancés les propos suivants. Les Daces n’avaient pas un réelle culture très développé avant l’arrivée des Romains, c’est à ce titre que le latin et le mode de vie romain s’est très vite propagé. Une deuxième vision plus historique est la suivante. Les montagnes des Carpates regorgent de sel (j'ai moi-même visité saline ou lac salé), denrée extrêmement convoitée sous l'empire romain. Tellement convoitée qu'il deviendra monnaie d'échange au point que les légionnaires recevaient une solde en sel, un salaire...
Les tribus Daces ont donc compris tout l'argent et les bénéfices de faire du commerce avec Rome. Ce fut alors un accord gagnant-gagnant. Exploiter le sel, faire du commerce avec Rome, ne pas subir le sort des tribus massacrées etc. Mais pour faire du commerce plus facilement quoi de mieux que de parler la même langue, avoir la même coutume, bref tout simplement la même culture ? Comme dans beaucoup de fois dans l'histoire l'aspect économique a des effets incalculables et bien plus puissant que la simple volonté des puissants. Qui auraient crut que la guilde des mineurs de sels roumains d'il y a 2000 ans, en voulant se rapprocher de Rome commercialement, transformerait son pays en bastion du monde latin à l'est pour les siècles des siècles...
La possible faible culture locale a sans doute permit d’accélérer ce processus. D'ailleurs l'héritage du latin s'est maintenu de manière extrêmement longue en occident, 1200 ans près la chute de Rome, Newton expliquait la gravité, en latin... Ces acquis culturelles et linguistiques ont réussi à persister pendant des siècles grâce à la succession rapide des nations contrôlant la Roumanie, ne laissant pas le temps pour un changement complet et radicale de la culture. Ce qui explique la langue et culture de la Roumanie actuelle !
... au descendant de l'Empire Romain !
Dans un second temps, un phénomène de mise en valeur de ce passé latin et de cette époque de la Dacie roumaine fut mis en valeur et utilisé. En effet deux aspects sont présents. Le premier de pourquoi la Roumanie est resté un pays à base latine, ce que nous venons de traiter et le deuxième, pourquoi on voit des statues de louves partout, bref pourquoi le pays se rêve en César.
Historiquement la Roumanie a subi une première phase de « latinisation » à la fin du XIXème siècle. En effet le royaume nouvellement formé était entouré de pays d’orthodoxe et slave. La Roumanie a ainsi voulu faire connaitre son détachement vis-à-vis du monde slave mais également se rapprocher de la France, que dis-je, de la République Française. En cette fin du XIXème siècle la France figure comme la patrie des libertés absolus, cherchant à défendre les peuples de leur oppresseur. C’est à ce moment là que la Roumanie lance sa première phase de latinisation, pour devenir allié de la France, adopter une culture plus occidentale et moins slave et avoir une langue beaucoup plus proche. Ainsi de nouveaux mots latins remplacent des mots slaves. Les instances roumaines s’inspirent même de la France et reprennent à ce titre les départements, qui seront similaires à la taille d’un département français. Cette coopération triomphera lors de la première guerre mondiale, où la Roumanie rejoindra l'entente, faisant pencher la balance dans les Balkans. Le pays recevra alors la Transylvanie et la Moldavie, doublant alors son territoire.
Ensuite cette fierté d’être latin a subit un deuxième renouveau grâce à un certain Ceausescu. Ce dernier se rêvant en César romain a complétement changé la donne et a eu une influence culturelle très importante. Déjà il a imposé à ce que la première langue étrangère soit le français et non le russe, dans le but de se rapprocher encore plus des pays latins. Deuxièmement il a changé le noms de certaines villes en y rajoutant leur nom romain. C’est le cas de Cluj devenu Cluj-Napoca. Napoca étant le nom du camp de base d’une légion se situant à cette endroit. La grande route traversant les Carpates dans le sud du pays s’appelle la route transalpine. Mais cela va encore plus loin, dans toute ville de taille moyenne on trouve une louve allaitant deux petits enfants, Romulus et Rémus. On peut également admirer des colonnes ou des statues d’un autre temps. De nombreux musées sur le passé romain ont également été construits, toujours dans cette même idée. Des sites de fouilles absolument colossaux ont été ouverts.
Ce phénomène très intéressant me permet d’expliquer le Protochronisme, que j’avais déjà un peu survolé dans le blog. Il fait partie du concept de nationalisme culturel qui consiste à dire que les peuples nationaux descendent en ligne directe d’ancêtre antiques très prestigieux. Romains pour les Roumains, Gaulois pour nous ou Germains pour nos amis d’outre-Rhin. Ceausescu est en grande partie à l’initiateur de ce mouvement, par les constructions, les noms, les statues ou encore les armoiries où figurent deux aigles. Mais également les mentalités et cela est beaucoup persistant. Les programmes scolaires communistes et sans doute encore actuelle ont dû avoir une influence énorme car un grand nombre de roumains m’ont ressorti un discours digne d’un habitant nord-coréen ; nous sommes la Roumanie, fière descendant avec l’Italie de l’empire romain. Cocasse quand on sait que des pays comme la Tunisie ont été deux fois plus longtemps romain que la Roumanie.
On l’aura compris, la Roumanie est un véritable bastion de la culture latine à l’est. Même si sa langue était resté proche du latin par des faits historiques, le pays a tout de même était latinisé à partir de la fin du XIXème siècle. Nouveaux mots, modification de ses mœurs, le pays enjolive son passé sous domination romaine dans le but de se rapprocher de la France et de l’Italie, pays pouvant lui apporter soutient et partenariat. Bref comme il y a 2000 ans ! Le pays cherche a adopter la culture de l'occident latin qui pourra selon le pays, plus lui apporté que ses voisins slaves.
Des cultures minoritaires
Penchons-nous désormais sur les cultures et les peuples minoritaires des Carpates. Pour faire simple il y a 3 groupes. Le premier est l’ancien peuple dominant, les Hongrois. Ces derniers sont restés à plus de 90% suite au traité de Trianon. Ils se repartissent majoritairement en Ukraine et Roumanie. Ils sont en générale assez mal perçu par les autres communautés. Déjà, ils sont fortement associés au royaume de Hongrie qui les a oppressés pendant de longs siècles. De plus les Hongrois sont très fiers de leur passé et ne manquent pas de souligner que la Transylvanie devrait être rattaché à la Hongrie. La plupart vivent dans des villes ou régions composés à grande majorité de magyarophone, ce qui leur permet de recréer un bout de Hongrie chez eux. Lorsque l’on arrive dans ces zones « magyarophone » on change culturellement de pays. Les plats sont hongrois, l’écriture dans le vieille alphabet hongrois est présente dès que possible et on voit plus de fois le drapeau hongrois que roumain ou ukrainien. Ainsi cette première communauté, assez nationaliste s’intègre difficilement dans les montagnes, toujours perçus comme la puissance étrangère.
La deuxième minorité regroupe les population germaniques. Ces derniers se retrouvent en Slovaquie, Pologne et Roumanie. Leur déplacement correspond à plusieurs facteurs ; peuplement à l’est, exil dû aux guerres ou alors économique. En effet certains artisans allemands ont su faire valoir leur savoir faire dans différents domaines pour faire fortune à l’Est. Bois, métallurgie, construction ou encore agriculture ont motivés certains allemands à migrer. Cette communauté est très bien vue par les locaux. Ce ne sont pas des « dominateurs » comme les hongrois, mais plus des gens civilisés venus apporter leur savoir-faire.
Ce "cliché" sur l'allemand rigoureux, organisé et travailleur semble toujours persister. Un fait qui m’a beaucoup amusé et étonné en Roumanie est le suivant ; je demandais souvent au roumains ceux qu’ils pensaient de leurs politiques, l’immense majorités m’ont répondu que c’était des pourris, que les députés, les ministres ou encore les maires étaient tous plus mauvais les uns que les autres. J’ai alors plusieurs fois demandé : « et le président ? » et tous sans exception m’ont répondu : « ah non, lui il est allemand (comprendre de culture allemande) ! ». En creusant un peu les roumains semblent bien l’aimer, il a renforcé les liens économiques avec l’Allemagne, il fait preuve de rigueur dans le pays et rehausse un peu le niveau des autres politiciens.
Le dernier groupe, plus discret et controversé, regroupe les communautés tsiganes et roms. Ces communautés se répartissent essentiellement en Slovaquie, en Ukraine et en Roumanie. Ils ne sont absolument pas appréciés par les autres peuples. Ces communautés vivent exclusivement refermées sur elles mêmes. Elles ne sortent de leur village que pour aller au marché ou d’autres sorties mais ils travaillent depuis chez eux normalement. Couture, métal, meubles et cultures vivrières les occupent. Malheureusement ces communautés sont extrêmement pauvres. N’étant pas toujours déclarés, les enfants ne sont pas scolarisés et ne peuvent être admis dans les hôpitaux pour manque de papiers. Ils ne votent donc que très peu et comme une majorité de personnes s’opposent à elles, les politiques n’hésitent pas à les expulser de chez eux, à leur interdire des emplois (ce qui permettrait pourtant de les sortir de leur communauté) et à leur mener la vie dure, dans l'unique but d'être plus populaire aux élections. N’ayant pu échanger avec des tsiganes ou des roms mon avis se bornent à sur ce qu’on m’a raconté sur eux, ce qui est assez limité pour les analyser.
Ces 3 cultures minoritaires occupent donc des rôles très différents dans le tableau de la région. Entre admiration et mépris ces communautés considèrent avant tout les Carpates comme leur maison. Il ne faut en revanche pas oublié que ces 3 communautés réunies restent très minoritaires, entre 5 et 10% selon les pays.
Ainsi les différences tant sur le point linguistiques que sur le point religieux sont minimes à l’échelle locale. Ces faibles différences permettent la cohabitation des peuples et l’unité de la région. Car même si ces cultures peuvent paraître différentes en extérieur on retrouve des similarités profondes dépassant largement le clivage slave/latin, nous faisant pleinement réaliser que nous sommes dans les Carpates et non ailleurs. En ayant eu la chance de vivre avec des hôtes dans les 4 pays des Carpates, j’ai pu constater et analyser le quotidien d’une dizaine de personne pour y trouver une multitude de similarité, un premier pays vers l'unité de la région !