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En ce lundi 14 juin, au lieu de prendre le chemin du bureau (métaphoriquement parlant puisque nous sommes toujours en télétravail), je me dirige vers la rive sud pour gagner Sutton à 1h30 de Montréal. C'est un coin que je connais déjà bien pour y être venu à plusieurs reprises, mais j'ai l'intention d'emprunter de nouveaux sentiers et d'explorer un secteur dans lequel je ne me suis pas encore aventuré.

J'ai bouclé mon sac pour être autonome au cours de ces 3 jours, 2 nuits. Je suis content, j'ai réussi à descendre le poids total sur mes épaules à 13 kg incluant eau et nourriture... Pas si mal, sachant que je ne suis pas spécialement équipé en super light...

 Tout est là...(à part les vêtements que je porte sur moi)


Je me stationne à la station de ski et attaque mon périple par la boucle de l'orignal. C'est un sentier qui monte fortement au départ jusqu'au sommet des Hollandais et qui permet ensuite de randonner sur les cimes.

Le temps est gris et pluvieux et des orages sont annoncés. J'en suis bien conscient, mais n'avais pas tellement le choix. La veille, j'étais en camping en famille et avec des amis dans le même coin et en fin de semaine, nouveau camping dans le parc national de Orford... Et puis, ne dit-on pas Qui regarde trop la météo, reste au bistro?

La montée n'est pas très longue, mais bien pentue. J'atteins rapidement les premiers points de vue.


 Le sommet des Hollandais offre une vue à 270 degrés

Le sentier est ensuite plus facile, puisqu'il serpente sur la cime et permet de passer successivement par la Croupe, l'Échine, la Bosse et enfin le Dos d'orignal. L'animal, bien présent dans le coin, a donné son nom aux différents points de vue de cette chaine de montagne.

Un temps quelque peu inquiétant... 
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Une jolie végétation me salue du bord du chemin.

Cornouiller du Canada ou Quatre temps (Cornus canadensis L.)
Cornouiller du Canada ou Quatre temps (Cornus canadensis L.)
Sabot de la Vierge (Cypripedium acaule)
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Une fois parcouru tout l'orignal, le sentier redevient accidenté, et les montées, puis les descentes se succèdent.

La forêt est plus touffue qu'auparavant, mais propose tout de même de jolies vues.

La fin de journée arrive et je m'approche du site que j'ai choisi pour bivouaquer. En temps normal, il permet d'embrasser une grande portion de paysage, mais aujourd'hui, les nuages bloquent complètement la vue...


Il pleut et le vent souffle fort. Les arbres s'agitent autour de moi et je peux même voir les racines bouger emportées par le mouvement des troncs... Je commence à installer mon campement. Pour cette expédition, j'ai fait le choix de ne pas prendre de tente, mais une simple bâche plastique avec un peu de cordage. Plus j'expérimente la bâche (tarp en langage de randonneur, de l'anglais tarpaulin), plus je lui trouve des avantages par rapport à la toile de tente classique:

  • c'est généralement beaucoup plus léger puisqu'il y a moins de tissu, pas de piquet, pas d'armature
  • il existe des milliers de montages différents (ou au moins plusieurs dizaines) permettant de s'adapter aux différentes conditions météo. On peut l'installer comme un simple toit plat horizontal (et bénéficier ainsi d'une très grande surface de protection), en appenti, en forme de A comme une tente classique, en genre de tipi... seule l'imagination limite les possibilités
  • un tarp a besoin de moins de place au sol
  • on peut utiliser les arbres ou simplement les bâtons de marche
  • on se sent beaucoup plus en contact avec la nature et on est bien moins enfermé que dans une tente (bon, je suppose que pour certains, ce serait plutôt un inconvénient...)

C'est certain que ce type d'installation possède également des inconvénients, le principal étant que les animaux (en particulier les insectes) sont beaucoup moins tenus à l'écart. Lorsque le sol est humide comme c'est le cas pour moi aujourd'hui, il est plus difficile de protéger le matériel de la saleté (même si on peut parfaitement le protéger de la pluie). Mais sincèrement, à part ces points, je ne vois que des avantages à l'utilisation du tarp dans le cadre d'une randonnée sur plusieurs jours. J'entends déjà la remarque: <<Oui, mais en cas d'attaque d'ours ou de coyote, tu seras complètement vulnérable et puis la nuit, la forêt ça fait peur...>>. Déjà, je répondrais que ce n'est pas une simple toile qui pourra protéger qui que ce soit de l'attaque d'un animal motivé. Ensuite, si vraiment un danger devait survenir, je pense que sous un tarp, on a une bien meilleure vision de ce qu'il se passe à l'extérieur et une bien meilleure possibilité de fuir ou de se défendre qu'en étant enfermé dans une tente. Enfin, en entreposant la nourriture à l'extérieur du campement comme tous les sites le recommandent, les risques de se faire embêter par un animal, sont quasi nuls.

J'installe donc, dans un premier temps mon tarp en mode toit horizontal, histoire d'avoir beaucoup de place et une hauteur confortable pour préparer mon repas tranquillement.

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Dans l'optique de limiter le poids à transporter, j'ai préparé un repas à base de produits déshydratés ou secs: nouilles instantanées, champignons déshydratés, tomates séchées, épices, talon de jambon... Bon, au final, je dois avouer que ce n'était pas fantastique, mais au moins ça réchauffe, car avec l'humidité ambiante, je n'ai vraiment pas chaud...

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Petite pause lecture en attendant le coucher. Claire m'a incité à prendre un roman de Bernard Minier sur la liseuse. Le premier chapitre raconte la fuite d'un homme, de nuit, dans la forêt, alors qu'il est poursuivi par un groupe d'hommes qui le chassent comme un gibier... Sympa pour attaquer une nuit seul dans les bois à plusieurs heures de la première maison alors que je n'ai vu personne depuis que j'ai quitté le stationnement... Merci chérie!

Le vent ne faiblissant pas, je décide de baisser un côté du tarp histoire d'être protégé pour la nuit.

 Prêt pour une bonne nuit

Au final, le bruit constant, du vent et de la pluie, m'empêchera de m'endormir pendant un moment, mais la nuit sera globalement bonne.

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Au réveil, le ciel est toujours chargé mais laisse entrevoir l'espoir d'une meilleure journée qu'hier...

 Comme disait mon grand-père: y a les renards qui font la soupe!

Je commence par ranger mon campement, puis prépare rapidement un petit-déjeuner frugal à base de gruau et de thé, rapidement expédié.

Et je reprends la route.

Le soleil perce à travers les arbres et donne un éclairage superbe aux différentes teintes de vert qui m'entourent.

 Combien de teintes de vert êtes-vous capables de dénombrer?
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Avec la pluie de la veille, les sentiers sont assez boueux, ce qui me permet de constater à quel point ils sont empruntés par les orignaux. Je découvre de nombreuses empreintes et crottes qui témoignent d'un passage très récent puisqu'il n'avait pas plu depuis longtemps.

Certaines de ces empreintes font près de 20cm de long ce qui permet d'imaginer un animal particulièrement imposant. D'autres au contraire sont très petites, je suppose donc que l'adulte (ou les adultes) étaient accompagnés de petits. Je n'aurai malheureusement pas la chance de les apercevoir directement, mais la traque de leur passage est déjà très excitante (pour moi).

D'autres types de traces...

Non, comme me l'a fait remarqué ma petite nièce (Lise si tu nous lis...), les orignaux ne laissent pas de briquet au milieu de leurs crottes, je l'ai simplement déposé pour donner une idée des dimensions.

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Je suis complètement autonome pour cette expédition, mais bien entendu, je ne transporte pas 100% de mon eau dans mon sac. Je suis parti avec une poche de 2L remplie à moitié (elle me sert essentiellement à la préparation des soupers et petit-déjeuner) et une petite gourde de 0.5L que je remplis systématiquement lorsque je rencontre un ruisseau ou un lac. Il est recommandé de ne plus consommer d'eau en pleine nature si elle n'est pas traitée. Dans ces bois, la pollution humaine est, heureusement, très rare, mais il n'en demeure pas moins qu'il est courant d'y retrouver bactéries, protozoaires et autres cochonneries qui pourraient causer de vilains désagréments au randonneur imprudent... J'utilise donc, depuis quelque temps, une gourde filtre qui me permet de boire l'eau rencontrée sur le parcours en toute sécurité. Elle est très simple d'utilisation et vraiment pratique puisque je n'ai pas à attendre une quelconque réaction chimique avant de boire l'eau prélevée dans mon environnement. Depuis que je l'utilise, j'ai pu réduire de façon notable, la quantité d'eau à emporter dans mon sac et donc le poids à transporter au cours de la rando. En plus, l'eau fraiche est bien plus agréable à boire que celle qui a passé une journée (ou plus) dans une bouteille. Bien sûr, il faut être sûr de tomber sur des rivières, lacs ou autres ruisseaux, mais au Québec, ce n'est vraiment pas un enjeu...

Après la boisson, petite collation de noix salées, fruits secs et petits morceaux de chocolat:

Le soleil est toujours bien présent et transforme complètement le paysage.

Nouvelle pause au sommet du Mont Gagnon pour un petit lunch.

 Saucisson, fromage, toujours une formule gagnante...

Les prochains kilomètres me permettent de sillonner une zone riche en lacs et étangs et de profiter de jolies vues.

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Je quitte les multiples lacs et attaque l'ascension qui doit m'emmener au sommet des pistes de ski.

Puis redescends tranquillement en direction de la roche Abénakis qui m'avait déjà offert un superbe spectacle en hiver.

La roche:

 Le même endroit à 3 mois et 40 degrés de différence...

J'aime beaucoup cette roche qui permet d'embrasser toute la zone d'un coup d'œil (en particulier la région du Mont Washington aux États-Unis) .

Les États-Unis
Le Round top

Je profite de la chaleur du soleil pour faire sécher mon sac de couchage que j'ai dû ranger, un peu humide, dans le sac ce matin.

Encore une dizaine de minutes de marche et j'atteins le lac Mohawk qui sera le lieu de mon second bivouac.

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C'est sur les rives de ce lac que j'ai prévu de poser mon sac pour la nuit prochaine. Il n'est qu'à 1h30 de marche de l'arrivée, mais je me disais que c'était l'occasion de dormir une deuxième nuit en pleine nature, loin de tout. Un coup d'œil sur les prévisions météo et un appel à Claire, me confirment ce que je craignais et modifient mes plans. De gros orages sont annoncés pour la soirée et la nuit!

Comme ce bivouac n'était pas nécessaire au sens strict et devait simplement me permettre de profiter du coin encore une nuit, il m'apparaît beaucoup moins tentant si je dois me mettre à l'abri, et ne pas profiter de la douceur du soir. Je décide donc de piquer une tête dans les eaux tièdes du lac puis de reprendre le sentier pour achever, dès ce soir, ma randonnée.

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Encore une fois, 3 mois et 40 degrés séparent ces deux photos:

Et toujours personne autour de moi... Sur ces deux jours de randonnées, je n'aurai rencontré que 3 ou 4 groupes de randonneurs et aurai passé plus de 24h sans voir qui que ce soit...

 Dernier ravitaillement en eau.

J'avais prévu que ce serait une grosse journée et finalement, j'ai ajouté 1h30 de marche puisque j'ai skippé le dernier bivouac... C'est donc, heureux et fatigué que j'atteins la voiture sous les premières gouttes de pluie. J'ai entendu le ciel gronder tout au long de la descente et je suis plutôt satisfait de la décision que j'ai prise. D'autant plus que cela me permet de retourner à la microbrasserie de Sutton, À l'abordage, et de profiter du plaisir d'un resto pour la première fois depuis de longs mois...