- Temps de lecture estimé à beaucoup trop longtemps, désolée -
Comment commencer…. Ces 8 jours sont passés extrêmement vite et aussi au ralenti. Ce fut une expérience inoubliable.
A de très nombreux moments, pendant la marche, j’ai pensé à ce que j’allais écrire. A mes tournures de phrases, aux éventuelles blagues que j’allais pouvoir faire et pourtant je crois qu’il me sera impossible de rendre bien rendre compte de cette semaine écoulée.
Je vais tenter de commencer par le commencement et le pourquoi du comment.
L’idée en voyageant au Népal était de faire un trek, obligatoirement. J’hésitais entre Langtang et celui du sanctuaire. Après réflexion j’ai préféré faire le plus connu, plus fréquenté certes mais partant hors saison cela ne me posait pas plus de problème que cela.
Ensuite, il fallait régler la question du guide et / ou du porteur. N’ayant jamais fait de trek ni porté mon sac à dos (je me débrouille généralement pour faire porter mes affaires ou mon eau par mes compagnons de randonnée, quitte à ne pas boire du tout tellement je n’aime pas porter de sac), j’avais peur de ne pas avoir les épaules pour supporter plusieurs jours d’affilée une petite dizaine de kilos à porter.
La solution à la question s’est trouvée assez facilement : avant de partir j’avais publié sur un groupe facebook des français au Népal pour savoir s’il y aurait des personnes partantes pour partager un verre ou une sortie sur le mois à venir. Un français en particulier m’a répondu, Loïc, en tour du monde de 7 mois avec Rémy. Nous avons dîné ensemble et nous avions l’envie commune de faire le sanctuaire, avec des dates qui coïncidaient. Je n’étais pas très sûre de partir sans guide mais l’idée d’être avec deux français plutôt sympas me plaisait. Dans un premier temps nous avons convenu de faire le trajet en bus de Katmandu à Pokhara ensemble, puis j’aurais à décider sur place de les accompagner ou de faire le trek de mon côté.
La veille du départ j’ai loué un duvet et une doudoune bien chaude et acheté un bonnet pour tout matériel, ayant le sentiment que je partais avec très peu d’affaires pour affronter la montagne et le froid qu’il ferait en altitude mais pas le courage de porter plus. Ce trek arrivait bien tôt dans mon séjour et dans mon tour du monde en général, je ne me sentais pas prête et pourtant j’en avais terriblement envie après ces quelques jours bruyants dans la capitale. C’était l’appel de la nature, l’appel de l’air frais et du challenge à surmonter. RDV 6h30 à l’arrêt de bus qui se trouvait à 4min à pieds de chez moi, j’ai passé la veille au soir à faire ma première lessive à la main et à tenter de sécher au sèche-cheveux tant bien que mal les affaires afin de ne pas partir en trek avec des vêtements déjà sales…. La nuit fut courte, surtout qu’il m’a fallut attendre encore quelques jours avant de ne plus être sur le rythme français.
Le bus a été une expérience très amusante. J’avais lu que les conducteurs « arnaquent » les touristes en les faisant asseoir au fond du bus, les places les moins confortables, étant donné l’état de la route et des amortis des véhicules. Cela s’est effectivement vérifié, le conducteur nous a indiqué nos places fictives au fond, ce qui nous convenait très bien. La route étant bien défoncée, j’ai passé une bonne partie du trajet (de 8h) à faire des bonds sur mon siège, c’était assez amusant ! En revanche impossible de dormir.
A l’arrivée nous nous sommes directement dirigés vers le bureau délivrant les permis de trekker pour environ 40euros. Prise de photos, signature de documents, tout se fait minute. Ce permis en poche, nous avons tout ce qu’il nous fallait pour débuter le trek ! Nous passons une nuit à Pokhara puis nous partons en taxi tôt le matin suivant vers Nayapul, le point de départ des randos et treks. La nuit est fraîche, je m’étais réservé une chambre seule pour justement bien me reposer avant d’attaquer mais j’ai froid, c’est bruyant, je ne suis pas contente, toujours calée sur l’heure française je dors peu.
Et nous voilà sur le départ !! Excitation, peur, fatigue, de nouveau tout se mélange. Mais je prends le temps de regarder autour, tout est nouveau, je ne connais pas ce type de paysage. C’est beau, ce n’est que le début mais c’est déjà immense. Je sens mon sac à dos : c’est lourd (je l’avais allégé de quelques affaires laissées à l’auberge heureusement). La première partie est composée de marches, presque uniquement de marches. C’est d’autant plus difficile car il y a moins de plat et ça monte raide. De plus, certaines marches sont bien trop hautes pour mes petites jambes… C’est toute ma force que je dois mettre à chaque fois pour m’élever de mon poids et du sac à dos, je sens que j’aurais dû faire du sport les semaines précédentes !
Premiers jours Notre premier lodge est vide, nous avons une chambre chacun et aucun autre touriste avec nous. Il faut que je précise qu’il y a plusieurs itinéraires pour rejoindre l’ABC, par Poon Hill ou en direct. Nous avons choisi le parcours le plus long, par Poon Hill car la vue y est réputée très belle et l’acclimatation à l’altitude normalement plus aisée. Ce trek étant moins emprunté, ou avec des arrêts différents des nôtres, sur cette partie du parcours nous avons généralement été seuls dans les lodges pour dormir. Les températures commencent à chuter dès le coucher du soleil, le contraste est assez saisissant entre l’après-midi et le soir, et cela va aller en s’empirant. La nuit est donc fraîche et une fois encore il m’est difficile de dormir. Je suis dans ce lieu totalement inconnu, je regarde bien trop mon portable, je suis tracassée, j’ai déjà froid.
Poon Hill et moi avec mon sac à dos Le lendemain nous prenons notre petit déjeuner devant une vue magnifique, au soleil, la journée s’annonce belle.
Je déchante assez vite lorsque je me rends compte que les marches de la veille n’étaient en fait que le début… et que tout le trek sera en fait DES MARCHES. Mes petites jambes subissent, avec difficulté mais j’avance. Les garçons me distancent pas mal, je les vois au loin et ils m’attendent à des points stratégiques. Nous montons Poon Hill, première vraie difficulté pour moi. C’est plus d’une heure de montée de marches super raides et la sommet est à plus de 3000m d’altitude. Je finis par planquer mon sac dans des herbes pour monter plus légèrement, le trajet étant le même à l’aller et au retour.
Après Poon Hill nous déjeunons, egg veg spaghetti pour tous les trois : des spaghettis aux œufs et aux legumes, puis nous reprenons la montée.
ET LA C’EST LE DRAME. Je ne digère pas les pates et régurgite une partie de mon dejeuner. Il nous reste encore une demie journée de marche et je ne suis pas en super forme. Je laisse les gars partir devant et avance au ralenti. Mon état s’empire avec la montée. Mon ventre n’est pas content, la sangle du sac ne me fait pas du bien mais si je l’enlève tout est porté par mon dos et c’est trop douloureux… J’avance pas à pas. Je me fixe des objectifs qui se trouvent à 5m de moi. Je fais une pause à chaque virage. Je m’assoie dans les marches le souffle court, le cœur qui bat si vite. Je n’ai plus le contrôle de mon corps. J’ai de grande difficulté à faire redescendre mon rythme cardiaque après avoir monté 10 marches, je suis épuisée et inquiète. Je n’ai pas le choix que d’avancer, normalement le village que nous devons atteindre ne doit pas se trouver à plus d’une heure, peut-être deux avec mon rythme. Je me sens diminuée et il n’y a RIEN que je puisse faire, je suis seule face à moi-même et ma volonté. Chaque pas me pèse et j’ai peur que mon cœur me lache. Je n’ai pas supporté mon déjeuner / l’altitude / l’effort, j’ai du sommeil de retard, je n’ai qu’une seule envie : m’allonger sur une marche et y dormir. Y faire une bonne longue sieste, j’ai tellement besoin de dormir. Mes yeux se ferment… J’imagine que des animaux vont me trouver et me manger… Je reviens à la raison : si je reste trop longtemps en arrière les garçons vont s’inquiéter et je ne veux pas être un poids pour eux. Alors je continues malgré tout. Le jour commence doucement à décliner et je n’en vois pas la fin, le village devrait être bientôt là. Je me trouve sur une petite crete, je crois voir de la fumée mais en fait c’est un nuage qui passe…. Je fais des pauses encore et encore, c’est interminable et mon état ne s’arrange pas. Lors d’une énième pause je vois Rémy plus haut sur un rocher, je me dis que c’est bon je dois être arrivée ! Pas du tout, Rémy me dit qu’il n’a pas son sac et qu’il va prendre le mien. Je ne comprends pas tout de suite. Loïc est parti avec leurs deux sacs pour que lui-même puisse porter le mien… Je suis honteuse, énervée, mais aussi extrêmement soulagée. Sans sac je peux marcher et respirer sans que mon cœur soit au bord de l’implosion (et on marche dans une sorte de forêt donc plus de marches).
Je pense qu’il nous a fallut une heure supplémentaire pour rejoindre le village, les estimations données étaient peu fiables. Je suis arrivée, je suis allée me coucher, dans mon duvet et recouverte de deux couvertures supplémentaires. Mon état ne s’arrange pas, je me lève au bout de deux heures et finis de rendre mon déjeuner. Me sentant mieux, je rejoins les garçons dans la seule pièce chauffée par la poêle. J’essaye de m’hydrater au maximum. Mauvaise idée : l’eau ne passe pas non plus. J’arrive tout de même à boire un peu de bouillon pour le dîner. La nuit est difficile évidemment, je ne rattrape pas le sommeil manquant et n’ai pas l’impression de guérir.
Le matin je mange quelques cuillères de porridge puis nous repartons. Nous sommes en descente sur le début de la marche donc j’avance normalement. Je mange un demi sneaker avant d’attaquer la grande montée… Encore une mauvaise idée ! Je vomis de nouveau quelques dizaines de mètres plus tard. Les garçons sont dejà bien montés. Les sensations de la veille reviennent mais je me concentre : une respiration = une marche, je réduis excessivement mon rythme afin de m’assurer de ne pas trop pousser mon corps. A mi chemin, après de nombreuses pauses, je me rappelle les carambars que j’ai dans les poches. Je revois très clairement le moment où je les y est mis, et je bénis ce fameux jour. C’est que du sucre, ça m’aide à avancer. Les garçons sont de nouveaux venus à ma rencontre pour me porter mon sac mais cette fois je suis moins loin qu’ils n’imaginaient et je peux continuer sans aide. Nous nous posons pour déjeuner et décidons d’y rester la journée. J’en ai besoin physiquement, eux doivent faire leurs lessives et ça m’arrange énormément.
J’ai enfin réussi à faire une bonne nuit de sommeil, j’ai retrouvé l’appétit, je me sens mieux. Je décide de continuer le trek. J’avais eu peur de devoir abandonner aussi vite, nous en parlons avec Loïc et Rémy et nous convenons que mon état de santé et ma vitesse de marche ne sont plus un frein pour monter jusqu’à l’ABC avec eux. Les jours suivants se mélangent, c’est de la montée, on voit bien qu’on se rapproche de plus en plus du but. Les sommets sont de plus en plus visibles. Le Machapuchare (6993m) est à notre droite, nous le longeons pour atteindre le sanctuaire.
Lever du soleil En prévision de l’altitude je prends du Diamox, médicament permettant de réduire le risque de mal des montagnes. Je ne ressens donc pas d’effets particulier, si mon précédent épisode n’était pas justement un contre coup de l’altitude…
Pour le dernier jour d’ascension il est prévu peu de temps de marche, pour nous laisser le temps de nous faire à l’altitude. Nous atteindrons le camp de base du Machapuchare puis nous dirigeons vers notre destination finale, le camp de base de l’Annapurna. Je me sens bien, apaisée. Je sautille. Je prends des photos et cours pour rejoindre les garçons. Je sais au fond de moi que bien qu’il reste la descente c’est bon, j’ai réussi.
Approche du camp, vue du coucher du soleil et photo souvenir (j’avais froid) Et j’y arrive. J’atteins le camp de base. Je l’ai fait. Malgré les insomnies, l’intoxication alimentaire, la diet forcée. Je repense au livre Kilomètre Zéro que j’ai fini en cours de trek. En l’occurrence « Nous atteignîmes une heure plus tard le sanctuaire dans un cri de victoire. Je me sentis petite et grande à la fois, au centre de treize plus hauts sommets himalayens! Minuscule au milieu de ces montagnes imposantes emplies de certitudes, mais immense d’être arrivée jusque-là ».
Je me rappelle aussi qu’elle est aussi passée par une phase de maladie, de rejet. Ca me fait presque plaisir de me dire que si j’étais dans cet état c’est qu’il fallait que mon corps accepte la situation. Toute la situation. Moi, ici au Népal, dans ces conditions. Pas de retour en arrière. Maintenant on avance et on avance bien, on arrête de foncer dans le mur, ça empêche de dormir et ça fait mal au ventre. « Je lâche le contrôle, je fais confiance à l’univers. Nous sommes là où nous devons être. Il suffit d’être à l’écoute sans chercher quoi que ce soit, sans penser à l’avenir, parce que je crois que nous ne pouvons imaginer la grandeur du spectacle ».
Pano de l’ABC au lever du soleil, avec le glacier devant Pour être tout à fait honnête je suis fière de moi. Je suis fière de m’être lancé ce défi et d’avoir réussi dans ces circonstances. J’ai eu de l’aide évidemment (et je remercie chaleureusement mes deux compagnons de voyages pour cela !!), et j’ai beaucoup pensé à mon entourage, à ceux qui comptaient pour moi. Je me suis étrangement sentie aimée et portée, même loin de tous. Il est évident que c’est typiquement une experience de vie que j’aurais aimé partager avec ceux qui ne sont plus là mais je suis tout à fait persuadée qu’ils étaient avec moi tout du long. Et qu’ils auraient aussi été fiers parce que la petite Capu qui sort de sa zone de confort pour aller vomir aux pieds de l’Annapurna c’est pas tous les jours !!