À propos

Nous sommes Marion (Canard) et Quentin (Cochon). Nous voyageons depuis 2 ans, en sac à dos ou à bord de notre Combi, en Amérique du sud et en Asie. Embarquez avec nous pour suivre nos découvertes et aventures !

Plongée dans l’Histoire de la côte péruvienne

Entre culture afro, ruines multimillénaires et musées enivrants, remontons la côte du Pérou pour découvrir des facettes variées de la région de Lima.
Octobre 2024
2 semaines
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Olinda quitte le désert de Paracas et s'enfonce désormais dans les routes de campagne. Près de Chincha Alta, on constate un changement de population. Ici, beaucoup d’habitants sont noirs ou métis. Nous nous dirigeons vers El Carmen, village connu pour être le cœur de la culture afro-péruvienne.

Afro-péruvien, ça vous étonne ? Si le Brésil et les Caraïbes font la part belle aux cultures afrodescendantes, le Pérou n’est pas en reste. Méconnue du grand public, pour qui ce pays rime plutôt avec les Incas et les Andes, la culture d’origine africaine est pourtant ici bien vivante, vibrante même.

Arrivés dans ce petit village, nous nous baladons sur la place centrale, très belle avec ses hauts palmiers et son église jaune, entourée de maisons basses et colorées. Nous trouvons à l’endroit un air de São Luis, au Brésil. Les habitants discutent sur les pas des portes ; tous se saluent et semblent se connaître.

Plusieurs boutiques proposent des vins à base de multiples fruits. C'est manifestement une spécialité du coin. Dans l'un des magasins, on goûte plusieurs saveurs originales excellentes. On repart avec un vin de maracuja, le combo ultime du bonheur pour Cochon, qui descendra la bouteille en moins de deux jours…

Vins maracuya-mangue, pêche mais aussi de deux fruits typiques du Pérou : lucuma et chirimoya

La place abrite plusieurs restos qui mettent en avant les spécialités afro-péruviennes. Malheureusement, tout étant à base de viande, nous ne pouvons pas vous donner de retour. En revanche, on vous partage notre avis sur la décoration, qui nous semble franchement décalée. La majorité des établissements misent sur l'identité afro mais toute l'esthétique reprend de manière étonnante les clichés de l'époque coloniale et esclavagiste. On trouve ainsi des poupées géantes en osier qui ont des bouches énormes et sont vêtues en esclaves... Ce qui nous marque le plus, c’est la publicité omniprésente pour le grand restaurant du coin, le « refuge de Mamainé » dont le slogan est « des mains noires qui cuisinent pour vous ».

Ben quoi ?
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Pour en apprendre plus sur la présence afro-péruvienne dans la région, nous visitons la Hacienda San Jose. Il s’agit d’une ancienne grande propriété agricole de l'époque coloniale, qui comme beaucoup d'autres, cultivait coton et canne à sucre grâce à l'emploi d'esclaves. Rappelons en effet que dès le début de la colonisation, la population autochtone baisse dramatiquement : les Incas et les autres peuples sont décimés par les maladies importées avec les colonisateurs et ils meurent aussi d'épuisement au travail forcé. Les Espagnols ont alors très tôt recours à des esclaves venus d'Afrique pour maintenir un niveau de main d’œuvre important pour les travaux agricoles et l'exploitation des mines.

Aujourd'hui l'hacienda a été reconvertie en hôtel de luxe et propose un tour guidé. Nous passons dans les jolis jardins, les salons élégamment meublés, les patios patinés et l’église finement travaillée.

Mais le plus intéressant se passe sous terre, dans les catacombes. Équipés de casque et de torche, nous nous enfonçons dans des boyaux qui, selon le guide, remontent jusqu’à la côte ! Ces souterrains étaient utilisés pour acheminer des esclaves depuis le port jusqu’à la propriété, ce qui permettait d'éviter de les déclarer et donc de payer des impôts ! La visite se conclut par les salles où les esclaves réfractaires étaient enfermés, battus ou exécutés.

Le tour est intéressant mais reste un peu dérangeant : on a sous les yeux des fers ou des instruments de torture, mais à quelques mètres de là, de belles tables sont dressées pour déjeuner au soleil comme si de rien n'était...

Une presse à coton
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Alors que nous sommes de retour au village d'El Carmen, nous sommes alpagués en français par une dame. Avec nos dégaines de touristes et nos habits Quechua, cette dernière a deviné que nous étions français et nous invite aussitôt à boire un verre. Nous faisons donc la connaissance de Sylvie qui vit ici depuis plusieurs décennies. Après avoir pas mal baroudé dans le monde, elle a épousé un musicien afro-péruvien du coin très célèbre et, ensemble, ils ont ouvert un centre culturel consacré aux arts afro-péruviens. On papote longuement, attablés autour d’une bouteille de vin (de raisin). Après cet apéro, nous sommes cordialement invités à dîner chez Sylvie, ce que nous acceptons avec grand plaisir. Nous discutons à bâtons rompus toute la soirée de nombreux sujets. La musique et les arts, bien sûr, mais aussi de politique, d’environnement, de la vie quotidienne des gens du coin… Le lendemain, après une bonne nuit au calme, nous prenons ensemble le petit-déjeuner et profitons même d’une douche chaude !

Sylvie et Armel, un des employés du centre

Surtout, nous visitons ce fameux centre culturel qui porte le nom, d'Amador Ballumbrosio, un grand musicien originaire d'El Carmen qui fit connaître dans tout le pays (et au-delà) la musique afro-péruvienne. C'est en fait le père du mari de Sylvie ! Le centre culturel a plusieurs fonctions. À travers des panneaux explicatifs, il met à l'honneur les danses et les arts. C'est aussi un lieu d'accueil de concerts et qui dispense des cours de musique. Il comporte un restaurant et une bibliothèque. Enfin, le centre vient en appui aux jeunes afro-péruviens pour l'obtention de bourses scolaires d'excellence.

Le centre est très agréable et nous y apprenons énormément sur cette culture qui nous est complètement étrangère. Nous découvrons ainsi des instruments de musique typiques. Le cajon est une simple boîte en bois qui fait office de tambour. La quijada est une mâchoire inférieure d'âne sur laquelle les musiciens tapent ou font s’entrechoquer les dents. Ces deux exemples nous rappellent qu'à l'époque coloniale, les esclaves trouvaient dans la musique une sorte d’échappatoire à leur terrible condition et qu'ils la pratiquaient avec les moyens du bord.

Nous découvrons aussi que de nombreuses danses sont encore extrêmement vivaces de nos jours. Sylvie nous a notamment parlé de l'Atajo de negritos qui a lieu à la période de Noël. Des bandes de jeunes défilent et se défient par mouvements de danse interposés. Les chants évoquent la naissance de Jésus, l'amour des jeunes noirs pour les jeunes femmes andines et la vie dans les champs au temps de l'esclavage. De nombreuses autres festivités célèbrent ces étonnants syncrétismes. Dans le village, le soir même, des jeunes répètent déjà les danses pour l'Atajo à venir, toute une préparation...

Encore merci à Sylvie pour son accueil, et surtout bravo pour son incroyable travail au service de la culture locale et des habitants du coin !

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Nous disons au revoir à El Carmen pour rejoindre les ruines de Pachacamac. Durant 1 500 ans, ce fut le plus grand sanctuaire de la côte péruvienne. Il a traversé les époques et les peuples : les cultures Lima (200-800), Wari (800-1100), Ychma (1100-1470) puis Inca venaient y effectuer des pèlerinages et adorer leurs dieux, dont Pachacamac qui a donné son nom au site.

C’est une impressionnante succession de pyramides en adobe. Chacune a son style et sa méthode de construction propre à l'époque. Parmi elles, le temple du Soleil est impressionnante pour son côté massif et la vue sur l'océan.

Le vieux temple (période Lima) complètement enfoui, à peine devinable...
Une pyramide à rampe caractéristique des Ychmas
Voie d'accès principale au site cérémoniel 
Bâtiment inca (reconstitué)
Temple du soleil (inca)

Aujourd’hui, tout n’est que ruines et silence. Difficile d’imaginer que ce lieu fut pendant longtemps un centre religieux bouillonnant, qui attirait des fidèles de tout le Pérou. Quand les archéologues commencèrent les excavations, ils retrouvèrent des milliers de poteries fracassées et éparpillées dans toutes les pièces. Les cultures préhispaniques croyaient en effet que les objets avaient une âme. À l’arrivée des Espagnols, les prêtes, sachant la fin de leur empire inéluctable, résolurent de détruire eux-mêmes tout le matériel sacerdotal. Les chercheurs pensent que cette opération correspond à une sorte de « suicide rituel » : plutôt tout briser que de le laisser aux envahisseurs ! Cela ne gêna pas beaucoup les Espagnols : eux ne s’intéressaient qu’à l’or et à l’argent.

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On décide de pousser un peu en direction de Lima. En début de soirée, nous atteignons l’une des banlieues de la capitale. On se gare à proximité d’une plage pour s’endormir bercés par le ressac. Mais on est plutôt bercés par le tambourinement de la police sur la carrosserie. Des voisins ont signalé un van « sospechoso » (suspect) et les policiers procèdent à un contrôle en règle de nos passeports et des documents d’Olinda. Ils nous demandent de nous garer sur une place un peu plus loin, qui dispose d’un gardiennage. On s’exécute et on passe au lit. On est réveillés par une lampe-torche qui inspecte le van. C’est le fameux gardien qui se demande ce qu’on fait là. Il est mi-rassuré mi-gêné à la vue de deux touristes en pyjama et tourne les talons. Tu parles d’un accueil, on espère que ça ne va pas se reproduire trop souvent (spoiler : si).

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« Oula, vous allez conduire à Lima ? Bonne chance, là-bas ils roulent comme des dingues ». Depuis que nous sommes au Pérou, nous entendons ce genre d’avertissement de la part des Péruviens eux-mêmes. Sachant qu’on frôle déjà le fait-divers 37 fois par jour, on appréhende vraiment notre arrivée dans la capitale. Mais il faut croire que Canard et Cochon ont développé des nerfs d’acier. Nous trouvons la conduite « relativement » civilisée jusqu’au centre-ville. Il faut dire qu’entre les embouteillages, les feux et les policiers, les Péruviens sont moins tentés de jouer au loto avec leur vie… et la nôtre.

Zen !

On pose Olinda à proximité d’un site touristique pour quelques jours, en prenant soin de prévenir la police. On ne voudrait pas se faire encore virer…

Nous avons déjà visité la capitale en 2019. Pour cette fois, on profitera plutôt de Lima pour faire quelques restos, un passage chez le garagiste, des courses et des lessives, mais aussi deux belles visites inédites !

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Le musée Larco, merveille nationale

Le musée Larco, du nom de son fondateur, est sans aucun doute l’un des plus beaux musées que nous ayons visités en Amérique du Sud. Cet établissement comporte une particularité : plutôt que de prendre la poussière dans des salles obscures réservées aux spécialistes, toutes les œuvres du musée sont exposées simultanément. En plus de l'exposition permanente, on a donc accès aux réserves qui alignent 45 000 objets anciens sur des murs et des murs. Dès nos premiers pas, nous ne savons plus où donner de la tête ! On se balade avec une curiosité non dissimulée au milieu des poteries, des sculptures, des coiffes, des armes ou d’autres artéfacts de plusieurs dizaines de peuples !

Car oui, le grand mérite du musée Larco, en dehors du stock impressionnant de ses œuvres, c’est de mettre en avant l’incroyable diversité des cultures du Pérou ! Si les Incas sont les plus connus de tous, le pays a hébergé pas moins de 25 civilisations étalées sur plus de 5 000 ans ! Aujourd’hui, un parcours clair et didactique retrace l’épopée de ces peuples, qui bien souvent s’influencèrent, s’affrontèrent ou fusionnèrent, du nord au sud du Pérou !

Linceul de la culture Paracas (Ier millénaire avant J.C.)
Culture Moche qui prospéra de 100 à 700 après J.C. au centre du Pérou (nous y reviendrons dans le prochain blog)
Culture Nazca qui prospéra à la même période mais au sud du Pérou
Culture Wari qui succéda aux Nazcas et aux Moches

Le fondateur du musée, Rafael Larco Hoyle (1901-1965) était un ingénieur agricole. Mais le jour où son père acheta ses premières pièces préhispaniques, le fiston fut saisi du virus archéologique ! Il consacra 40 ans de sa vie à cette nouvelle passion. Au fur et à mesure de ses acquisitions, il se rendit compte que plusieurs de ses pièces ne correspondaient à aucune culture connue à son époque. Il se lança à corps perdu dans ses propres recherches, pour bousculer complétement ce que l’on connaissait du Pérou à son époque. Larco fut à l’origine de la première chronologie complète du Pérou, mais aussi de la découverte des civilisations Cupisnique, Virú et Salinar, et enfin d’importants apports sur les cultures Moche, Lambayeque, et Wari. On dit chapeau, m’sieur Larco !

Ornements et colliers de la culture Moche

Le musée compte également une galerie « érotique » qui comprend des céramiques représentant des scènes sexuelles entre humains, mais aussi entre animaux. Plusieurs rapports ont également lieu entre des personnes vivantes et des squelettes, représentant les ancêtres se nourrissant de la force vitale de leurs descendants. Plus que des scènes purement érotiques, il s’agit en réalité de représentations de la sexualité comme d’une force magique qui fait circuler l’énergie vitale entre les personnes et les générations.

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L’étrange pyramide de Huaca Pucllana

En plein cœur de Lima se dresse une étonnante ruine. Entre deux boulevards agités et bruyants, nous apercevons d’un coup une imposante masse en brique. Il s’agit de la Huaca Pullcana, une pyramide à sept étages, entièrement construite en adobe. Fondé par la culture Lima, qui a donné son nom à la capitale, l’endroit fut ensuite occupé par les Waris et les Ychmas.

Avec une particularité : ici, les briques sont posées à la verticale et non à l’horizontale ! On a l’impression de se trouver en face de milliers de bibliothèques. Tout cela ne doit évidemment rien au hasard : les briques sont disposées de telle sorte à absorber les chocs et les secousses. C’est une construction antisismique. Et il faut croire que ça fonctionne : le site aurait plus de 1 500 ans et il est toujours debout !

À droite, le site n'est pas encore excavé

La pyramide était un temple, au sommet duquel les Limas pratiquaient des sacrifices de femmes. Leur dieu n’était autre que l’océan ! Pour cette raison, beaucoup de leur esthétique était en rapport avec les eaux : vases ornés de requins, offrandes de coquillages… Les cultures qui succédèrent aux Limas ne partageaient pas cet enthousiasme aquatique : le lieu fut reconverti en cimetière pour les élites, avant de tomber dans l’oubli.

Vases limas
Pratiques funéraires particulières des Waris

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Il est temps de quitter Lima. Encore une fois, traverser le centre-ville est étonnamment facile à l’échelle péruvienne (à l’échelle française, ça se jouerait avec un fusil à pompe et un pare-buffle). Les avenues sont tellement congestionnées qu’on a le temps d’admirer les bâtiments coloniaux, entre deux coups de sifflets des agents municipaux. Nous mettons une heure et demie à sortir du centre pour gagner les boulevards périphériques… et c’est là que les avertissements précédents prennent tout leur sens : nous retrouvons les deux-voies qui se transforment en cinq, les fous à contre-sens, les collectivos kamikazes et les bus qui se prennent pour des chars d’assaut. Durant une heure, Canard et Cochon sont embarqués dans un remake de Mad-Max qui hérisse les plumes et fait fumer le groin !

CHACUN POUR SOI ET DIEU POUR TOUS !

Bref, après cette épreuve, nous atteignons la ville côtière de Chancay. On se gare sur le parking du stade municipal. Mauvaise idée : dans l'après-midi la zone est envahie par des gamins qui jouent au foot, sans aucune considération pour les voitures. Ils balancent la balle sur Olinda à répétition malgré nos remontrances dont ils n’ont rien à faire. On décide de bouger. Au moment de démarrer, on entend un gros crac et la pédale d’embrayage reste au plancher. Notre câble d’embrayage vient de casser ! Heureusement, nous en avons un de rechange, mais il faut trouver un mécano pour cette réparation. C’est dimanche, on verra ça demain. On reste donc bloqués en plein milieu des matchs de foot, de basket et de volley.

Au cours de la soirée, un policier vient passer une tête dans Olinda et poser quelques questions. Des voisins ont en effet signalé un van « misterioso » (mystérieux) garé devant le stade. On lui explique la situation et le brave homme ne trouve rien à redire. Ils ne seraient pas un peu flippés, les Péruviens ?

El famoso van misterioso

Lundi matin, Marion appelle un garagiste pour qu’il passe réparer notre infortunée tuture. Il passera dans la matinée, nous dit-il. Un autre agent municipal vient entre-temps contrôler notre identité (visiblement, la communication interservices n’est pas au point ici). On lui explique notre situation. « Ha mais je connais le garagiste que vous avez appelé, je vais lui demander de passer au plus vite ». Ça c’est gentil. Il téléphone à son copain, qui est visiblement rassuré par cet appel : « ha oui, une fille bizarre vient de m’appeler, mais je ne pensais pas venir, j’avais peur que ce soit un piège ». Manifestement, le mécano nous a pris pour Bonnie and Clyde… Finalement, il débarque assez vite et nous change le câble avec le sourire.

C’est un peu tard pour reprendre la route, alors nous quittons le stade, histoire de fuir les ballons. Nous nous garons sur la place centrale. L’endroit est sympathique : toute la population se balade à l’ombre des arbres, des vendeurs proposent des gâteaux, des écoliers défilent pour des olympiades… Bref, on reste une petite journée de plus et on en profite pour travailler.

Mais tout n’est pas rose pour autant ici. En effet, Chancay a été choisi il y a quelques années pour devenir le plus grand port d’Amérique du Sud ! Le méga-projet est financé par la Chine, qui entend drainer toutes les ressources minières du continent. Si les officiels ne tarissent pas d’éloge sur cette coopération économique, nous aurons évidemment un autre son de cloche de la part des habitants. On nous parle des expropriations, des démolitions, des pans entiers de côte détruits à la dynamique et dont les déflagrations fissurent les maisons, de l’augmentation des trafics et de la délinquance… Chancay a perdu sa tranquillité et s’est retrouvée, bien malgré elle, au cœur de la mondialisation malheureuse.

Le lendemain, nous nous mettons en route pour notre prochaine destination : la civilisation la plus ancienne des Amériques. Oui, rien que ça !

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Nous poursuivons notre route et nous dirigeons vers l'ancienne capitale de la civilisation Caral. On y accède par de belles routes de campagne alternant montagnes arides et champs verdoyants.

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La civilisation Caral

Pendant longtemps, on a cru que la civilisation de Chavín, également localisée au Pérou, était la plus ancienne du continent américain. Mais de récentes fouilles ont mis à mal cette certitude : les archéologues considèrent aujourd’hui la civilisation Caral comme antérieure à toutes les autres. Elle remonterait à 3 500 ans avant J.C, soit presque autant que les premières cités de la Mésopotamie et plus que les pyramides d’Égypte !

Le peuple Caral apparaît il y a plus de 5 000 ans dans cette région. Les Carals s'appuient sur un fleuve tout près et sur les nappes phréatiques pour développer l’agriculture. Ils créent une vingtaine de villes chacune spécialisée dans une activité (agriculture, pêche, etc.) et pratiquent l'échange de produits avec de lointaines contrées (Équateur, Amazonie notamment). Leur société est très hiérarchisée, et, fait notable, les femmes pouvaient occuper des postes à forte responsabilité. Cette civilisation avait des connaissances très poussées en astronomie, mathématiques, construction et pratiques agricoles (sélection des semences). Peu belliqueux, ils n'avaient visiblement ni armes, ni armures, ni murailles. Ils développèrent des pratiques culturelles et religieuses fortes qui s'exprimèrent notamment à Caral, leur capitale.

Cette cité, véritable centre administratif, politique et spirituel à la fois, a été découverte en 1994 seulement ! Alors que nous arrivons sur le site, nous sommes d'emblée frappés par la grandeur du lieu. Partout au loin nous devinons des pyramides monumentales. Certaines sont déjà excavées tandis que d'autres dorment patiemment sous des mètres de sable et de roche. Notre guide nous dit qu'environ 40% du site resterait à explorer ! Un grand pas pour la compréhension de cette culture serait la découverte des cimetières ou des nécropoles. Pour l’instant, un seul et unique cadavre a été retrouvé ! Il s’agissait visiblement d’un ouvrier puni (mains coupés) et enterré sous une pyramide en guide de châtiment. Mais où sont bien passés les milliers d’individus qui composaient la civilisation Caral ?

En cours d'excavation
Excavée

Avec notre guide, nous découvrons les ruines des différents bâtiments. Pour voir leur très grand âge, les vestiges sont sacrément bien conservés ! Nous commençons la visite par la ville basse organisée autour du temple de l'amphithéâtre qui était le centre administratif et cérémoniel. Une grande allée débouche sur une place circulaire avec gradins. Viennent ensuite différentes salles cérémonielles et une petite pièce où un feu sacré était maintenu en continu grâce à un ingénieux système de ventilation.

On longe le temple de l'amphithéâtre
Vu du ciel, c'est sacrément impressionnant !

Nous filons ensuite dans la partie haute de la ville. Nous passons devant des groupes d'habitations où vivaient les élites. Puis, nous voici devant un monolithe faisant face à une pyramide au sommet de laquelle étaient réalisées diverses cérémonies. D'autres pyramides en moins bon état sont également présentes aux alentours.

Le guide nous explique que le peuple Caral a su développer une architecture extrêmement robuste et une véritable planification urbaine. Ils faisaient par exemple des maquettes des futurs bâtiments. Surtout, ils inventèrent une technique de construction antisismique. Les pyramides furent édifiées à base de pierres et d'argile montées en plusieurs étages. À l'intérieur, les Carals installèrent des shicras : des sacs en fibre végétal contenant des petites pierres. Cette technique permettait d'absorber les chocs en cas de tremblement de terre. Sacrément ingénieux et efficace (d'autant plus si l'on compare avec les constructions modernes d'aujourd'hui qui s'écroulent au moindre choc...)

5 000 ans plus tard, on retrouve encore des restes de shicras !

Plus loin, nous aboutissons au clou du spectacle, la pyramide majeure. C'est le monument le plus haut de la ville qui domine toute la capitale mais aussi la vallée. S'y déroulaient les cérémonies les plus importantes. Comme pour le temple de la ville basse, le monument est précédé de cette place circulaire, caractéristique de la civilisation Caral.

De loin
Au pied
Vue du ciel
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Le lendemain, direction Aspero, la cité portuaire de la civilisation Caral ! Les ruines ne sont pas aussi bien excavées que celles de Caral, pour une raison à la fois triste et simple : jusqu’en 2005, le site servait de décharge publique ! Il fallut toute la force et la détermination des archéologues pour faire retirer des milliers de tonnes d’ordures et permettre les fouilles. Les recherches sont toujours en cours mais avec des moyens très limités : à peine quatre travailleurs permanents pour plusieurs hectares…

La visite n’étant pas libre, une guide nous fera un tour un peu trop rapidement à notre goût. On traverse le musée en express, sans pouvoir prendre le temps de tout lire à notre rythme. Aspero servait à la fois de centre de pêche pour nourrir les autres cités, et de comptoir de commerce : la civilisation Caral entretenait en effet des liens avec les autres cultures au nord et au sud. À l'aide de petites embarcations, les villageois cabotaient jusqu'aux eaux chaudes de l’Équateur d'où ils ramenaient des spondylus, gros coquillages sacrés à leurs yeux.

Restes de shicras
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La civilisation de Cerro Sechin

Nous avons une dernière visite à faire dans la région : Cerro Sechin. Cette culture aurait émergé aux alentours de -2 500 av. J.C et prospéra plus de 1 000 ans ! Leur legs le plus important est le temple que nous allons visiter aujourd’hui. Ce dernier est constitué de trois constructions successives, chacune recouvrant l'autre. La première fut édifiée en adobe et a la particularité d'avoir les murs peints en bleu et des représentations de félins sur la porte principale. Le second, en adobe également, arborait des couleurs rouges et des motifs de poissons. Le dernier temple fut bâti en pierre. Il est célèbre pour son mur d’enceinte riche en gravures : de nombreux guerriers sont représentés, en train de couper des têtes, des jambes et des mains ! Il apparaît que cette culture n’était pas aussi pacifique que la dernière…

Les trois temples...
... ne font plus qu'un
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Après toutes ces ruines, on ferait bien une petite pause au calme. Ça tombe bien, nous avons repéré un camping à deux pas de notre dernière visite. Nous voici chez Francisco, un ancien chef d’entreprise de Lima venu s'installer au vert. Dans cette maison de campagne entourée de champs de manguiers, il accueille les voyageurs. Il a lui-même arpenté l’Amérique du Sud en van et l’Europe et l’Asie en sac à dos. Autant dire qu'on échangera à bâtons rompus de voyage et qu'il nous donnera de précieux conseils pour nos prochaines visites. Nous restons deux jours sur place, à papoter avec lui, faire des gratouilles aux chiens du coin, travailler, rédiger le blog, ou tout simplement se reposer au pied des arbres. L’endroit, isolé et verdoyant, invite naturellement à ralentir le rythme.

Puis, on se remet en route pour traverser le désert, littéralement. C’est toujours une étrange sensation que de rouler pendant des heures sur une autoroute qui longe la côte, avec du sable à perte de vue. Notre dernière pause se fait dans le village de Tortugas. C’est une grande baie aux eaux claires voire turquoise. En cette saison, le climat est capricieux ; le soleil et les nuages menaçants alternent pour nous offrir différentes visions de la baie. Quel plaisir de s’endormir, et de se réveiller, avec le son des vagues.

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Notre grand tour dans la région de Lima est terminé. Nous avons été surpris par la richesse et la diversité de cette zone. Nous avons fait une véritable plongée dans l'Histoire entre la civilisation la plus ancienne du continent américain, les cultures pré-incas du centre du pays, et la colonisation espagnole reposant sur l'esclavagisme. Désormais, nous continuons notre remontée de la côte. Prochaine destination : la ville coloniale de Trujillo… et de nouvelles ruines incroyables !