Un peu de contexte : la Carretera austral est une œuvre de titan. Débutée sous le régime de Pinochet en 1986, elle avait pour but de désenclaver les villes de Patagonie. En effet, ces dernières n’étaient alors accessibles que par la mer ou en passant par l’Argentine. À cette époque, le Chili connait des tensions avec son voisin, notamment sur fond de prétentions territoriales concernant des îles du sud. Le pays se lance dans les plus grands travaux de son siècle : pendant plus de 10 ans, 10 000 militaires tracent à la force du poignet 1240 kilomètres à travers des montagnes, des fjords, des glaciers… Les derniers mètres sont achevés en l’an 2000 seulement !
Pour donner une idée...Les portes du ferry s’ouvrent ; nous faisons nos premiers kilomètres sur cette terre mythique. On n’aurait pas pu faire une arrivée en Patagonie plus typique : c’est sous une pluie battante et avec une brume enveloppant les montagnes que nous nous enfonçons dans le parc de Pumalín, notre première destination. Après un bref arrêt sur la plage de Santa Barbara, l’humidité et le froid dans la voiture (nous n’avons pas de chauffage !) nous obligent à sortir polaires, gants et bonnets ! Pour l’anecdote, sachez que la première voiture que l’on croise est un autre combi !
Mister FreezeLe parc de Pumalín a la particularité d’avoir été fondé par l’homme d’affaires américain Douglas Tompkins, créateur des marques de textile Esprit et The North Face. Lui et sa femme acquièrent en 1991 des hectares de forêt et de montagne pour les transformer en parc protégé. Au fur et à mesure des années, ils continuent d’acheter des terres aux alentours, pour atteindre une superficie totale de 3250 kilomètres carrés. L’initiative rencontre d’abord de nombreuses oppositions des Chiliens, avant d’être acceptée puis finalement louée. Tompkins meurt dans un accident de kayak en 2015, à 72 ans. Conformément à son souhait, le parc est cédé à l’État qui en fait un parc national.
La route, plutôt bonne au départ, devient vite plus étroite et accidentée. Nous passons au milieu d’une dense forêt, longeant de temps en temps des rivières au débit puissant. Les cimes des montagnes sont cachées mais on devine leur grandeur. Tout autour de nous est immense ; on se sent comme absorbés par le paysage qui nous entoure.
On prend un auto-stoppeur qui attendait patiemment sous un abribus depuis plus de trois heures, au milieu de nulle part ! Il s’appelle Tahir et vient d’Israël. Tout en discutant de nos parcours respectifs, on jette un coup d’œil à droite, à gauche, pour graver dans nos mémoires la singularité de cette route qui nous fait souvent penser à un décor de Jurrasic Park.
D’un coup, nos essuie-glaces ne s’enclenchent plus. On essaie de comprendre d’où vient le hic : serait-ce à nouveau un problème de boulon ? Un fil mal connecté ? Pour le savoir, il faudrait que l’on s’arrête mais la route est si étroite qu’il est difficile et dangereux de stationner. Quentin sort en express à plusieurs reprises essuyer le gros des gouttes pour que l’on puisse continuer à avancer le temps de trouver un bas-côté correct (il a l’habitude, pensez-vous).
A peine garés, le destin nous fait signe : nous croisons encore un combi qui vient immédiatement à notre rencontre. Pour le conducteur, notre fusible a dû cramer. C’est effectivement le cas. Problème identifié, merci beaucoup ! Il faut en mettre un nouveau. Petit souci, on ne se souvient plus où l'on a rangé les fusibles… C’est ainsi que Tahir, Quentin et Marion se mettent à sortir les différents sacs de bricolage. Nouvel inconvénient, tout le bricolage est rangé sous les sièges avant, c’est donc sous la pluie que cette petite fouille s’effectue. Au bout de 10 minutes, nous trouvons enfin le sac salvateur. Délivrance. Marion positionne le fusible et range le surplus dans la boite à gants, ce sera plus simple pour les prochaines fois ! Bingo, ça refonctionne.
C'est par là, j'te jure, c'est par là ! Après cette petite aventure mécanique, on laisse Tahir sur le bord du chemin au départ d’une randonnée tandis que, pour notre part, nous continuons jusqu'au quai de Caleta Gonzalo. Nous finirons la soirée dans le van sur un parking du parc. C’est, bercés par les ploc ploc de la pluie sur la carrosserie, que nous nous endormons.