Après la visite du centre-ville, place à la découverte du quartier le plus célèbre de Medellin : la Comuna 13. Le terme de comuna fait référence aux quartiers précaires construits sur les pentes de la ville.
En l’occurrence, la Comuna 13 fut le quartier le plus dangereux de la ville durant de longues années. Le taux d’homicide y était le deuxième plus haut au monde après le Salvador. L’État colombien n’avait aucun accès à cette sorte de « ville dans la ville » contrôlée par les narco-trafiquants, les groupes armés révolutionnaires et les paramilitaires. Ses habitants y ont vécu un véritable enfer. Mais, suite à une opération militaire en 2002 (sur laquelle nous allons revenir), le quartier s’est peu à peu libéré de ces bandes criminelles pour se métamorphoser. C’est aujourd’hui l’un des endroits les plus visités de Medellin et les plus agréables !
C’est le jour de l’anniversaire de Cochon que nous partons découvrir cette histoire à la fois tragique et inspirante. Nous avons fait appel à Jairo , guide que l’on nous a chaudement recommandé. Au pied d’une station de métro, nous faisons connaissance avec lui. Sa famille a d’abord vécu sur la côte Pacifique colombienne avant de venir travailler à Medellín. Assez pauvre, elle s’installe, comme tant d’autres Colombiens précaires, dans les comunas entourant la ville.
Pour mieux comprendre, remontons dans le temps : en 1948, le candidat de gauche à la présidentielle est tué. Le peuple de gauche est furieux et accuse les conservateurs d’avoir orchestré l’assassinat de leur candidat. La population se divise en deux camps et cela dégénère en conflit. Dans les années qui suivent, ces vagues de violence provoquent un exode des populations rurales vers les grandes villes, notamment Medellín. Des faubourgs fait de bric et de broc voient le jour. Ces quartiers grandissent de manière anarchique et ne sont pas raccordés aux services de base (eau, égouts, poubelle, transport…) Complètement isolés, ils sont des poches de pauvreté. Ils vont alors peu à peu être contrôlés par les narco-trafiquants et criminels puis par les bandes armées révolutionnaires créées dans les années 1960, et enfin, par les paramilitaires qui les combattent.
Dans les années 1980 et 1990, le narcotrafic explose avec Pablo Escobar et les groupes révolutionnaires prospèrent dans tous le pays. La comuna 13, tout comme nombre d’autres zones du pays, devient le théâtre privilégié du conflit armé.
Commencent ainsi des luttes de territoires dans ces fameuses comunas. Des découpages s’opèrent, des frontières invisibles s’érigent et les habitants se retrouvent prisonniers de ce millefeuille criminel. Au sein de chaque famille, des membres se retrouvent recrutés de force et/ou rackettés. Imaginez-vous devoir aller au travail dans le centre de Medellín ou à l’université, sans transport en commun, en devant traverser ces fameux fiefs de gangs. Difficile dans ce contexte de mener une vie sereine. Les journées sont rythmées par les coups de feu, les menaces et les homicides.
Chaque jour, des personnes se retrouvent prises en otage pour avoir osé traverser une frontière invisible ou été témoin d’activités criminelles. L’otage est alors amené au niveau d’une place centrale où elle sera exécutée dans les deux heures qui suivent si personne ne vient à son secours (entendez par là, un ami ou un membre de la famille qui vient expliquer aux criminels que la personne vit ici et a commis une erreur). Les habitants étaient fortement incités à venir assister aux exécutions sur la place. Les corps étaient ensuite transportés dans une fosse commune. Voilà l’histoire glaçante que nous compte Jairo. Lui-même se souvient de marcher dans les rues de la comuna 13 la peur au ventre et reste traumatisé par certains cadavres qu’il a vu petit.
En 2002, le gouvernement colombien décide de mener des opérations militaires pour « nettoyer » la comuna 13 de ces groupes criminels et reprendre le pouvoir sur ces territoires. La Colombie lance l’opération Mariscal le 21 mai : 700 militaires sont déployés, ainsi que des tanks et des hélicoptères. Malgré cet attirail, l’opération se solde par un désastre. Les militaires ne font pas le poids face aux criminels qui sont fortement armés et connaissent bien mieux le terrain qu’eux. Peu de chefs des groupes criminels sont arrêtés et l’affrontement fait des victimes civiles.
Quelques mois plus tard, le président Uribe envoie à nouveau les troupes et lance l’opération Orion. Les 16 et 17 octobre 2002, ce sont plus de 3 000 militaires qui prennent d’assaut les quartiers de la comuna 13. Toujours appuyés par un important attirail de guerre, ils sont cette fois également aidés par des informateurs. Bien payés, ces habitants-espions se mettent à indiquer les repères des différents chefs. Étant donné les montants alléchants, les informateurs donnent aussi de fausses informations conduisant à l’arrestation de nombreux innocents au passage. Mais c'est parfait pour les militaires qui peuvent ainsi gonfler leurs résultats. Jairo nous explique par exemple qu’un de ses amis a été indument emprisonné plus de deux ans car considéré comme un guérillero. Une histoire parmi tant d’autres…
Un graffiti sur l'opération Il est aujourd’hui difficile de savoir combien de personnes furent tuées par chacun des camps. Toujours est-il que ce furent deux jours particulièrement meurtriers et qui restent gravés dans la mémoire des habitants. Le plus dur pour eux sera la manière dont le gouvernement va communiquer autour de cette opération comme d’une réussite totale. Les morts des civils, les innocents emprisonnés, les personnes disparues etc. sont passés sous silence.
S’en suit une période d'environ 5 ans très calme : les cartels et guérillas quittent la zone et les familles tentent tant bien que mal de faire leur deuil. Mais la frustration est bien là... De celle-ci va naitre un mouvement artistique. Des graffitis commencent à émerger sur les murs du quartier. Au départ, les messages sont surtout pour dénoncer la brutalité de l’Opération Orion et demander des comptes au gouvernement notamment autour du slogan « Où est la vérité ? »
Petit à petit, apparaissent aussi des fresques tournées sur l’avenir. Les artistes déploient diverses symboliques et références. On peut noter la présence des animaux tels que l’éléphant (mémoire), le colibri (liberté) et le lion (force). En 2007, une association est créée dans la comuna 13 afin de gérer ces projets artistiques, qui s’attache à un certain roulement des œuvres et des artistes.
En parallèle le tourisme se développe avec la création de tours guidés par les habitants. Des projets urbains voient aussi le jour pour sortir de leur isolement ces quartiers tel que le raccordement aux services de base mais surtout l’installation d’escalators pour faciliter les déplacements. Le quartier est connecté au reste de Medellín et devient en peu de temps l’un des centres touristiques de la ville. 90 % des habitants travaillent désormais dans ce secteur !
Jairo nous déploie toute cette histoire au gré de nos pérégrinations dans les ruelles de la comuna 13. Nous passons devant un terrain de sport qui fut construit précisément là où, par le passé, avaient lieu les exécutions publiques. Nous voyons aussi au loin une immense tache grise dans la colline : c’est la fosse commune où gisent des centaines de victimes des années noires. Nous visitons également un petit musée qui relate cette histoire à travers des photos chocs et passons devant le mur des absents, recouvert des visages des personnes tuées ou disparues.
Le lieu des exécutions... Le même endroit aujourd'hui La fosse au loin (en gris)Le mur des disparus Nous sommes aussi témoins de l’effervescence artistique de la comuna 13 en admirant partout de superbes fresques. Sur certaines places, on assiste à un spectacle de breakdance ou encore à un concert de rap. Les galeries de peintures sont légion tout comme les boutiques de babioles pour les touristes. Cafés, bars et discothèques sont partout. Les habitants et touristes sont partout dehors et à toute heure du jour comme de la nuit ; on est loin des couvre-feux d’antan. C’est vraiment fou de voir à quel point l’endroit est aujourd’hui plein de vie. Jairo nous dit que la majorité des habitants se réjouit de cette transformation, même si pour une partie, le quartier est devenu trop fréquenté. Ce que l’on comprend parfaitement en voyant les hordes de touristes et notamment les groupes se suivre à la queue-leu-leu…
Une œuvre rappelant que les autorités ont "joué aux dés" avec leur opération La marie a construit des escalators pour désenclaver le quartier
Nous passerons enfin un long moment, improvisé, près d’une station de métro à écouter l’histoire d’un collectif d’artistes engagés. Deux membres, ayant reconnu notre guide, nous interpellent et nous explique leur projet dont ils sont très fiers. Ici, des fresques se dessinent sur les murs. Là, des fruits et légumes poussent à l'endroit même où étaient jetés aussi bien les ordures que les cadavres des conflits. Plusieurs jeunes sont impliqués dans le projet et y voient un endroit où diriger leur énergie. Les deux hommes nous livrent sans fard leur histoire et les difficultés. Jairo lui-même ne s’attendait pas à ce que nous restions si longtemps ici mais nous sommes vraiment aspirés par l’énergie qui se dégage de ce collectif. On sent leur envie de nous montrer ce qu’ils ont accompli. Nous sommes émus par le lieu et son histoire. Surtout, les deux leaders du groupe semblent vraiment touchés de l’attention qu’on leur porte. Il faut dire que les touristes passent rarement dans ce coin. Du coup, Canard et Cochon apposent chacun l’empreinte de leur main sur l’un des murs et un message d'encouragement. Apprenant que Quentin dessine, on lui propose de laisser aussi un petit souvenir sur le mur du jardin. Nous sommes désormais liés à cet endroit.
Derrière les barrières, une ancienne fosse commune des années terribles. Aujourd'hui, c'est un potager de quartier ! Jairo nous conduit aussi dans les zones plus reculées où vivent les gens. Les maisons y sont encore plutôt précaires mais force est de constater que les habitants ne courent plus du tout autant de danger qu’auparavant.
Pour marquer le coup des 36 ans de Cochon, Jairo a une surprise… Alors que faisons une pause dans un café, le voici qui débarque avec un gâteau et des bougies ! Avec la complicité de Marion, notre guide avait réservé ce délicieux présent que nous dégustons tous ensemble avant de nous remettre en route. C’est vraiment attentionné. Voilà un anniversaire original !