À propos

Nous sommes Marion (Canard) et Quentin (Cochon). Nous voyageons depuis trois ans en Amérique du sud et en Asie. Embarquez avec nous pour suivre nos découvertes et aventures !

Medellín

Ancien fief de Pablo Escobar, Medellín est avant tout l’histoire d’une renaissance. C’est aujourd’hui une ville verdoyante et dynamique, mais qui porte encore les cicatrices de son passé tragique.
Avril 2025
7 jours
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Autant vous prévenir tout de suite : il y aura dans ce carnet beaucoup de texte comparé aux autres ! Cette ville possède en effet une histoire particulière qui semble parfois résumer à elle seule celle de la Colombie. Vous êtes prêts ? C’est parti !

Medellín est la capitale de l’Antioquia. Il s’agit de la deuxième plus grande ville de Colombie : elle compte plus de 4 millions d'habitants pour son agglomération. Si la zone est peuplée par des autochtones depuis longtemps, la fondation officielle de la ville par les Espagnols date de 1616. Medellín se développe rapidement, au point de ravir le titre de capitale régionale à Santa Fe deux siècles plus tard, comme nous l’avons vu précédemment. S’étendant sur plus de 380 kilomètres carrés (trois fois plus que Paris), la ville est encaissée dans une vallée et bénéficie d’un climat stable toute l’année. Medellín est aujourd’hui un centre économique, culturel et universitaire important du pays.

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Nous commençons notre découverte de la ville à bord d’Olinda en plongeant depuis les montagnes jusque dans cet étonnant encaissement dans lequel Medellín semble se frayer un chemin par tous les moyens. Le moindre espace est occupé, y compris les pentes les plus ardues.

En traversant la ville de part en part, elle nous semble immense et plutôt homogène. Elle est essentiellement rose et verte du fait de la brique et de la présence de nombreux arbres, avec juste quelques poches plus modernes constituées de grands buildings et de malls.

En fait, de par cette géographie particulière, les nombreux quartiers en brique accrochés à flanc de falaise et la présence d’un métro-téléphérique, Medellín nous rappelle La Paz. Bon, avec 2 000 mètres d’altitude en moins et des montagnes verdoyantes à la place des sommets enneigés. Mais tout de même, il y a une ressemblance !

Espérons que cela ne soit pas le cas en termes de conduite ! Nous sommes vite rassurés, les grands axes suivent la rivière qui se situe au fond de vallée. Donc à moins de vraiment décider de s’engager dans les hauteurs, aucun boulevard ne nous y mène subrepticement comme ce fut le cas en Bolivie. D’ailleurs, nous trouvons la conduite « plutôt » facile.

Nous posons Olinda dans une impasse d’un quartier résidentiel en espérant pouvoir y dormir tranquillement plusieurs jours, le temps de visiter cette métropole.

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Une fois n’est pas coutume, nous commençons notre découverte de la capitale de l’Antioquia par ses côtés les moins excitants. Notre visa et l’autorisation d’importation d’Olinda arrivent à terme. Il faut renouveler ces documents auprès des service d’immigration et des douanes. Nous avons décidé de ne pas vous abreuver de nos traditionnelles aventures administratives. On se contentera de dire que fut une série d’arrachage de cheveux et de déplacements (les administrations n’étant évidemment pas centralisées). La palme revenant à la douane qui recalera Marion car elle se pointe à 14 h 50 alors que le bureau ferme à 14 h 45. COMME PAR HASARD. On finira par obtenir tous nos documents. Ouf, on est tranquilles de ce côté-là.

Vous aussi, vous êtes là pour le laissez-passer A38 ? 

On profite également de la métropole pour faire une révision compète d’Olinda. Medellín compte un atelier très réputé pour les combis. On change nos disques d’embrayage, quelques joints, on répare une fuite d’huile et deux phares… Voilà notre bébé bien opérationnel pour la suite. On peut enfin se concentrer sur les visites.

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Avant de vous présenter les différents quartiers que nous avons visités, il faut revenir sur l’histoire récente de Medellín. La ville est malheureusement surtout connue pour son passé terrible entre narcotrafic, guérillas et milices. Concentrons-nous d'abord sur le trafic de drogue.

Impossible de comprendre Medellín sans parler de Pablo Escobar. En effet, le narcotrafiquant le plus célèbre du monde a profondément marqué l’histoire de cette métropole en en faisant sa base opérationnelle des années 1970 jusqu’à sa mort en 1993.

Pablo Escobar est issu d’une famille pauvre d’un petit village près de Medellín. Dès son plus jeune âge, il se lance dans des activités criminelles, notamment les vols et les kidnappings contre rançon. Il se spécialise ensuite dans la contrebande et devient rapidement millionnaire.

Crédit : Wikimedia commons 

Il commence le trafic de cocaïne en 1975. Un an plus tard, il s’associe à d’autres trafiquants de la ville pour créer le cartel de Medellín. Le principe est simple : ils importent des feuilles de coca du Pérou et de la Bolivie qui sont ensuite transformées en cocaïne dans des laboratoires cachés dans la jungle colombienne. L’originalité du cartel est la manière d’acheminer la drogue : elle transite essentiellement par des petits avions volant bas de la Colombie vers la Floride et les îles caraïbes.

À son apogée, le cartel de Medellín contrôlait 90 % du marché américain et 80 % du marché européen. Produisant des quantités astronomiques (jusqu’à 15 tonnes par jour !), les millions furent rapidement difficiles à blanchir. Les hommes du cartel devaient alors entasser les billets de banque dans des entrepôts. Escobar estime qu’il perdait environ 10 % de ses gains du fait des rats qui grignotaient les liasses ! On estime que le cartel générait environ 25 milliards de dollars par an ! Pablo Escobar devint ainsi l’un des hommes les plus riches du monde (7e selon le magazine Forbes en 1989).

Face à une telle puissance, il était donc aisé pour le cartel de corrompre quiconque cherchait à se mettre en travers de son chemin. Politiciens, policiers, juges mais aussi journalistes furent rapidement achetés et muselés, ou assassinés. Le slogan du cartel était clair : « plata o plomo (argent ou plomb) ». Les pots-de-vin se multiplient, facilitant l’extension du cartel et sa prospérité. L’intimidation et la terreur règnent en ville et dans le pays (le bras droit d'Escobar a par exemple reconnu avoir organisé les meurtres de 3 000 Colombiens…) Le cartel de Medellín devient une véritable menace pour la souveraineté et l’intégrité du gouvernement.

Pablo Escobar se lance d’ailleurs lui-même en politique en devenant député en 1982. Il dépense des millions dans les quartiers pauvres de Medellín, finance des infrastructures médicales, éducatives et sportives, construit un quartier entier, etc. Bref, il cherche à redorer son image et s’attirer les votes populaires. En pleine ascension politique, il vise même la présidence de la République !

S’en est trop pour les élites du pays qui insistent alors sur sa facette obscure (corruption, assassinats…) et invalident sa candidature à la présidentielle en 1984. Vexé, Escobar initie une campagne de terreur à grande échelle. Le cartel liquide les opposants à tour de bras et se lance désormais dans des attentats. Voiture piégée et bombes sont les nouvelles manières d’opérer. Cela créé une insécurité massive et provoque la mort de nombreux civils.

À ces affrontements s’ajoutent aussi les guerres entre cartels, notamment l’ennemi principal : le cartel de Cali. Autant dire que les années 1980 sont vraiment sombres pour la population colombienne qui vit dans la peur quotidienne de prendre une balle perdue ou d’être la victime d’un attentat terroriste. Et nous ne parlons ici que de l’insécurité provoquée par le narcotrafic sans mentionner les exactions commises par les groupes révolutionnaires et les paramilitaires.

Le climax arrive en 1989 lorsque Escobar assassine trois des cinq candidats à la présidentielle… et provoque l’explosion d’un avion entier, tuant 107 civils ! Les autorités sont à bout et cherchent à en finir avec le cartel de Medellín une bonne fois pour toute. Un sommet anti-drogue se réunit en présence de plusieurs présidents du continent américain. Ils menacent les hommes du cartel d’extradition vers les États-Unis et déploient des gros moyens pour traquer les personnes impliquées dans le trafic de drogue. Une véritable escalade de violence se met en place.

Escobar finit par se rendre en 1991. Il est emprisonné dans La Catedral, sorte de prison de luxe qu'il a lui-même faite construire (jacuzzi, cascade, terrain de sport…) Il n’arrête pas pour autant ses activités criminelles, faisant même de la prison son nouveau QG. Au bout d’un an, les autorités décident de le transférer dans une prison conventionnelle. Escobar s'évade peu de temps avant son transfert. Sa tête est alors mise à prix pour 6 millions de dollars. S’en suit une cavale et une véritable chasse à l’homme. Le gouvernement colombien est appuyé par les États-Unis mais aussi par les criminels ennemis d’Escobar dont le fameux cartel de Cali. Autant dire que les moyens humains et financiers déployés sont faramineux. La cachette d’Escobar finit par être découverte et une opération est montée pour en prendre l’assaut. Escobar est touché par plusieurs tirs et meurt le 2 décembre 1993.

Le cartel est démantelé et celui de Cali finit par l’être aussi quelques années plus tard. Le trafic de drogue ne s’arrête pas pour autant. Il est simplement plus diffus mais les quantités produites sont toujours aussi élevées.

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C’est l’heure de se promener dans le centre-ville. Il faut bien avouer que nous sommes loin des petits villages que nous affectionnons tant. Nous revoici dans l'agitation et le béton (quoi que la ville soit très verte) !

Alors que vue de loin la ville nous semblait assez homogène, une fois au cœur du centre-ville, tout nous parait disparate : une vielle maison côtoie un building moderne, une place proprette jouxte un début de bidonville, des arbres immenses longent des boulevards périphériques... Quelques beaux bâtiments sont dispersés, notamment de jolies églises, des placettes arborées, une ancienne gare réaménagée en resto ou encore un palais reconverti en centre commercial...

Ça rappelle les Galeries Lafayette de Paris ! 

Le métro aérien constitue le pont entre les différentes ambiances. En l’empruntant, on jouit de belles vues sur Medellín qui se dévoile sous ses différentes facettes.

La place Botero est le cœur vibrant de la métropole. Elle porte le nom du plus célèbre artiste colombien qui a fait don de nombreuses de ses sculptures à la ville. Celles-ci parsèment la place.

Nous irons d'ailleurs visiter le musée de l’Antioquia qui a dédié une grande partie de ses salles à Botero. Ce musée est aussi censé être l’un des plus connus du pays. Permettez-nous, pour une fois, d’afficher des avis divergents. Quentin est profondément déçu par cette visite. Au lieu d’un grand musée retraçant l’art et l’Histoire de la Colombie, on n’y trouve pour lui que des pièces contemporaines d’une laideur inouïe et d’un narratif insipide. Même les salles dites « précolombienne, coloniale et républicaine » qu’il pensait remplies d’œuvres de ces époques, sont en réalité un ramassis d’immondices postmodernes qui se gargarisent de leur propre laideur. Cochon a vraiment la sensation d’avoir jeté dix euros par la fenêtre et c’est la première fois de sa vie qu’il ressort énervé d’un musée.

Nul ! Dégueulasse ! Scandale ! Remboursez !  

Marion, elle, est plus nuancée. Elle n'a pas vraiment accroché, mais le musée lui a permis de découvrir plus en détails Botero. Connu pour les formes voluptueuses de ses créations, nous apprendrons qu'il s'est inspiré de l’art précolombien et de la Renaissance.

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En fait, ce qui nous marque surtout à Medellín, c’est l’effervescence qui y règne et surtout le mélange de population. Tout le monde se croise : les étudiants, les cadres en costard, les sans-abris, les mamies avec leur caddie, les touristes… Aucune zone du centre ville ne semble « réservée » à un type en particulier, et tout le monde fait sa vie sans se soucier de son voisin.

Cependant, il faut bien reconnaitre qu'une population saute aux yeux. Nous n’avons jamais vu autant de SDF, pour la plupart complétement drogués. Nous n’avons évidemment pas pris de photo, mais il faut bien imaginer la situation : des milliers (oui, des milliers, sans aucune exagération) de sans-abris, souvent à moitié vêtus, parfois même nus, comatent dans les rues tout en fumant du crack et/ou s’injectant toutes sortes d'autres produits, allongés par terre, la plupart du temps complétement défoncés, peut-être même morts…Tout cela est visible à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Les passants, eux, ne semblent même plus y prêter attention.

Les rares SDF qui sont en mouvement passent de poubelle en poubelle à la recherche de la moindre nourriture. Il nous fut vraiment dur de voir certains manger une épluchure d'un fruit pourri ou boire les dernières gouttes d'une bouteille ramassée au sol. Manifestement certains souffrent de la faim... alors que deux mètres plus loin c'est l’opulence dans les restos touristiques. Un contraste vraiment saisissant et difficile à supporter émotionnellement. Mentionnons aussi que, comme au Brésil, les sans-abris tirent une partie de leur subsistance en récupérant les déchets recyclables des poubelles.

Une fois, nous serons abordés par l'un d'entre-eux, qui, manifestement, souhaitait simplement parler avec des touristes. Dans un anglais parfait, il nous raconte sa vie : ancien architecte, il a participé à la conception de plusieurs immeubles de la ville, se rendait dans des conférences internationales, a appris le français et l'anglais... Puis, sans que nous ayons bien compris pourquoi, tout bascule à une vitesse extraordinaire : en un an, il divorce, perd son emploi, se retrouve seul, à la rue, dépendant au crack et malade (plusieurs de ses doigts ont perdu leur peau...) Il aura du mal à retenir ses larmes à l'évocation de cette déchéance fulgurante... Un exemple parmi tant d'autres qui nous marquera.

Nous traverserons en taxi un autre quartier à deux pas de la place centrale, et ce sera encore pire que tout ce que nous avons vu de notre vie. Sur plusieurs pâtés de maisons, on croise une concentration hallucinante d’addicts étendus sur le sol, hagards, décharnés, rampants ou ayant à peine la force de gratter leur chair gangrénée. Des centaines de zombies errent dans une zone dévastée qui semble hors du temps et de la réalité. Ici plus qu'ailleurs, on ressent complétement que la drogue détruit tout sur son passage. C’est une vision absolument terrifiante, d’où n’émergent que le désespoir, la décrépitude et la mort.

Tout cela est d'autant plus rageant que l'on sait qu'une grande partie de ce malheur provient du trafic de cocaïne... dont la majorité de la production atterrit dans des narines d'Américains ou d'Européens qui se moquent bien des conséquences de leur pitoyable addiction.

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Après la visite du centre-ville, place à la découverte du quartier le plus célèbre de Medellin : la Comuna 13. Le terme de comuna fait référence aux quartiers précaires construits sur les pentes de la ville.

En l’occurrence, la Comuna 13 fut le quartier le plus dangereux de la ville durant de longues années. Le taux d’homicide y était le deuxième plus haut au monde après le Salvador. L’État colombien n’avait aucun accès à cette sorte de « ville dans la ville » contrôlée par les narco-trafiquants, les groupes armés révolutionnaires et les paramilitaires. Ses habitants y ont vécu un véritable enfer. Mais, suite à une opération militaire en 2002 (sur laquelle nous allons revenir), le quartier s’est peu à peu libéré de ces bandes criminelles pour se métamorphoser. C’est aujourd’hui l’un des endroits les plus visités de Medellin et les plus agréables !

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C’est le jour de l’anniversaire de Cochon que nous partons découvrir cette histoire à la fois tragique et inspirante. Nous avons fait appel à Jairo , guide que l’on nous a chaudement recommandé. Au pied d’une station de métro, nous faisons connaissance avec lui. Sa famille a d’abord vécu sur la côte Pacifique colombienne avant de venir travailler à Medellín. Assez pauvre, elle s’installe, comme tant d’autres Colombiens précaires, dans les comunas entourant la ville.

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Pour mieux comprendre, remontons dans le temps : en 1948, le candidat de gauche à la présidentielle est tué. Le peuple de gauche est furieux et accuse les conservateurs d’avoir orchestré l’assassinat de leur candidat. La population se divise en deux camps et cela dégénère en conflit. Dans les années qui suivent, ces vagues de violence provoquent un exode des populations rurales vers les grandes villes, notamment Medellín. Des faubourgs fait de bric et de broc voient le jour. Ces quartiers grandissent de manière anarchique et ne sont pas raccordés aux services de base (eau, égouts, poubelle, transport…) Complètement isolés, ils sont des poches de pauvreté. Ils vont alors peu à peu être contrôlés par les narco-trafiquants et criminels puis par les bandes armées révolutionnaires créées dans les années 1960, et enfin, par les paramilitaires qui les combattent.

Dans les années 1980 et 1990, le narcotrafic explose avec Pablo Escobar et les groupes révolutionnaires prospèrent dans tous le pays. La comuna 13, tout comme nombre d’autres zones du pays, devient le théâtre privilégié du conflit armé.

Commencent ainsi des luttes de territoires dans ces fameuses comunas. Des découpages s’opèrent, des frontières invisibles s’érigent et les habitants se retrouvent prisonniers de ce millefeuille criminel. Au sein de chaque famille, des membres se retrouvent recrutés de force et/ou rackettés. Imaginez-vous devoir aller au travail dans le centre de Medellín ou à l’université, sans transport en commun, en devant traverser ces fameux fiefs de gangs. Difficile dans ce contexte de mener une vie sereine. Les journées sont rythmées par les coups de feu, les menaces et les homicides.

Chaque jour, des personnes se retrouvent prises en otage pour avoir osé traverser une frontière invisible ou été témoin d’activités criminelles. L’otage est alors amené au niveau d’une place centrale où elle sera exécutée dans les deux heures qui suivent si personne ne vient à son secours (entendez par là, un ami ou un membre de la famille qui vient expliquer aux criminels que la personne vit ici et a commis une erreur). Les habitants étaient fortement incités à venir assister aux exécutions sur la place. Les corps étaient ensuite transportés dans une fosse commune. Voilà l’histoire glaçante que nous compte Jairo. Lui-même se souvient de marcher dans les rues de la comuna 13 la peur au ventre et reste traumatisé par certains cadavres qu’il a vu petit.

En 2002, le gouvernement colombien décide de mener des opérations militaires pour « nettoyer » la comuna 13 de ces groupes criminels et reprendre le pouvoir sur ces territoires. La Colombie lance l’opération Mariscal le 21 mai : 700 militaires sont déployés, ainsi que des tanks et des hélicoptères. Malgré cet attirail, l’opération se solde par un désastre. Les militaires ne font pas le poids face aux criminels qui sont fortement armés et connaissent bien mieux le terrain qu’eux. Peu de chefs des groupes criminels sont arrêtés et l’affrontement fait des victimes civiles.

Quelques mois plus tard, le président Uribe envoie à nouveau les troupes et lance l’opération Orion. Les 16 et 17 octobre 2002, ce sont plus de 3 000 militaires qui prennent d’assaut les quartiers de la comuna 13. Toujours appuyés par un important attirail de guerre, ils sont cette fois également aidés par des informateurs. Bien payés, ces habitants-espions se mettent à indiquer les repères des différents chefs. Étant donné les montants alléchants, les informateurs donnent aussi de fausses informations conduisant à l’arrestation de nombreux innocents au passage. Mais c'est parfait pour les militaires qui peuvent ainsi gonfler leurs résultats. Jairo nous explique par exemple qu’un de ses amis a été indument emprisonné plus de deux ans car considéré comme un guérillero. Une histoire parmi tant d’autres…

Un graffiti sur l'opération 

Il est aujourd’hui difficile de savoir combien de personnes furent tuées par chacun des camps. Toujours est-il que ce furent deux jours particulièrement meurtriers et qui restent gravés dans la mémoire des habitants. Le plus dur pour eux sera la manière dont le gouvernement va communiquer autour de cette opération comme d’une réussite totale. Les morts des civils, les innocents emprisonnés, les personnes disparues etc. sont passés sous silence.

S’en suit une période d'environ 5 ans très calme : les cartels et guérillas quittent la zone et les familles tentent tant bien que mal de faire leur deuil. Mais la frustration est bien là... De celle-ci va naitre un mouvement artistique. Des graffitis commencent à émerger sur les murs du quartier. Au départ, les messages sont surtout pour dénoncer la brutalité de l’Opération Orion et demander des comptes au gouvernement notamment autour du slogan « Où est la vérité ? »

Petit à petit, apparaissent aussi des fresques tournées sur l’avenir. Les artistes déploient diverses symboliques et références. On peut noter la présence des animaux tels que l’éléphant (mémoire), le colibri (liberté) et le lion (force). En 2007, une association est créée dans la comuna 13 afin de gérer ces projets artistiques, qui s’attache à un certain roulement des œuvres et des artistes.

En parallèle le tourisme se développe avec la création de tours guidés par les habitants. Des projets urbains voient aussi le jour pour sortir de leur isolement ces quartiers tel que le raccordement aux services de base mais surtout l’installation d’escalators pour faciliter les déplacements. Le quartier est connecté au reste de Medellín et devient en peu de temps l’un des centres touristiques de la ville. 90 % des habitants travaillent désormais dans ce secteur !

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Jairo nous déploie toute cette histoire au gré de nos pérégrinations dans les ruelles de la comuna 13. Nous passons devant un terrain de sport qui fut construit précisément là où, par le passé, avaient lieu les exécutions publiques. Nous voyons aussi au loin une immense tache grise dans la colline : c’est la fosse commune où gisent des centaines de victimes des années noires. Nous visitons également un petit musée qui relate cette histoire à travers des photos chocs et passons devant le mur des absents, recouvert des visages des personnes tuées ou disparues.

Le lieu des exécutions... 
Le même endroit aujourd'hui 
La fosse au loin (en gris)
Le mur des disparus 

Nous sommes aussi témoins de l’effervescence artistique de la comuna 13 en admirant partout de superbes fresques. Sur certaines places, on assiste à un spectacle de breakdance ou encore à un concert de rap. Les galeries de peintures sont légion tout comme les boutiques de babioles pour les touristes. Cafés, bars et discothèques sont partout. Les habitants et touristes sont partout dehors et à toute heure du jour comme de la nuit ; on est loin des couvre-feux d’antan. C’est vraiment fou de voir à quel point l’endroit est aujourd’hui plein de vie. Jairo nous dit que la majorité des habitants se réjouit de cette transformation, même si pour une partie, le quartier est devenu trop fréquenté. Ce que l’on comprend parfaitement en voyant les hordes de touristes et notamment les groupes se suivre à la queue-leu-leu…

Une œuvre rappelant que les autorités ont "joué aux dés" avec leur opération 
La marie a construit des escalators pour désenclaver le quartier 


Nous passerons enfin un long moment, improvisé, près d’une station de métro à écouter l’histoire d’un collectif d’artistes engagés. Deux membres, ayant reconnu notre guide, nous interpellent et nous explique leur projet dont ils sont très fiers. Ici, des fresques se dessinent sur les murs. Là, des fruits et légumes poussent à l'endroit même où étaient jetés aussi bien les ordures que les cadavres des conflits. Plusieurs jeunes sont impliqués dans le projet et y voient un endroit où diriger leur énergie. Les deux hommes nous livrent sans fard leur histoire et les difficultés. Jairo lui-même ne s’attendait pas à ce que nous restions si longtemps ici mais nous sommes vraiment aspirés par l’énergie qui se dégage de ce collectif. On sent leur envie de nous montrer ce qu’ils ont accompli. Nous sommes émus par le lieu et son histoire. Surtout, les deux leaders du groupe semblent vraiment touchés de l’attention qu’on leur porte. Il faut dire que les touristes passent rarement dans ce coin. Du coup, Canard et Cochon apposent chacun l’empreinte de leur main sur l’un des murs et un message d'encouragement. Apprenant que Quentin dessine, on lui propose de laisser aussi un petit souvenir sur le mur du jardin. Nous sommes désormais liés à cet endroit.

Derrière les barrières, une ancienne fosse commune des années terribles. Aujourd'hui, c'est un potager de quartier ! 

Jairo nous conduit aussi dans les zones plus reculées où vivent les gens. Les maisons y sont encore plutôt précaires mais force est de constater que les habitants ne courent plus du tout autant de danger qu’auparavant.

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Pour marquer le coup des 36 ans de Cochon, Jairo a une surprise… Alors que faisons une pause dans un café, le voici qui débarque avec un gâteau et des bougies ! Avec la complicité de Marion, notre guide avait réservé ce délicieux présent que nous dégustons tous ensemble avant de nous remettre en route. C’est vraiment attentionné. Voilà un anniversaire original !

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Nous sommes posés depuis trois jours dans une impasse, au pied d’un condominium de luxe, au cœur d’un quartier résidentiel fréquenté par la bourgeoisie. On papote régulièrement avec les gardiens de la résidence qui nous dépannent en eau à plusieurs occasions, avec le personnel municipal qui fait payer la place de stationnement, ou avec les voisins qui promènent leurs chiens. Bref, on commence à être connus dans le coin et tout se passe bien.

Le quatrième soir, à 22 h, une patrouille de police tambourine à la porte. On a l’habitude et on ouvre pour dire coucou. Les policiers nous demandent nos passeports et se lancent d’office dans une litanie inquiétante : il est interdit de stationner ici ! Ça fait trois jours que nous sommes repérés ! Ils vont appeler leurs collègues pour immobiliser Olinda puis l’embarquer avec une dépanneuse ! Si ça trouve, nous sommes une voiture-bombe ! Nos passeports vont être confisqués ! Ils vont vérifier que nous ne sommes pas des terroristes ! Cet argumentaire délirant dure quarante minutes, alors que nous expliquons tant bien que mal qui nous sommes et pourquoi nous sommes ici. Rien n’y fait.

Au bout de ces quarante minutes, sans que nous sachions pourquoi, les policiers changent du tout au tout. Ils nous rendent nos passeports, nous conseillent de visiter l’aquarium ou l’écoparc juste à côté, nous disent que nous pouvons rester ici plusieurs jours sans souci, et quittent les lieux en nous souhaitant bonne nuit. On reste plantés comme des cruches alors que la patrouille redémarre. On rentre dans Olinda, assez chamboulés, et la tension ne descendra pas durant la nuit. Ne voulant prendre aucun risque, on décide de changer de quartier dès le lendemain matin.

C'était le soir de l'anniversaire de Quentin... On s'est vraiment vu commencer sa nouvelle année au poste...

Docteur Police et Mister Hyde 

C'est sûrement un mal pour un bien, car nous allons nous installer dans un nouveau quartier. C’est un endroit moderne, qui ressemble à une banlieue résidentielle américaine, avec ses maisons proprettes et bien alignées. Mais c’est surtout un quartier étonnement vert, qui regorge d’arbres qui semblent tout droit sortis de la jungle.

Un soir, nous passerons par Poblado, un quartier neuf au sud de la capitale. Il s’agit d’une zone touristique remplie de boutiques de luxe, de bars branchés et de restos bardés de néons. Ici, on croise surtout des étrangers qui déambulent à la recherche d’un lieu pour passer la soirée, visiblement parfois en compagnie tarifée. Nous profiterons d’un excellent repas dans un resto indien mais ne nous attarderons pas outre mesure dans le coin, l’ambiance n’étant pas du tout notre tasse de thé.

Crédit : Wikimedia Commons 

Enfin, nous passerons visiter le Cerro Nutibara, grande colline en plein centre-ville qui possède une particularité étonnante : ici se trouve une reproduction (grandeur nature !) d’un village paisa typique. Vous ne manquerez pas de reconnaître toutes les caractéristiques des patelins de notre dernier carnet, de l’organisation spatiale à l’architecture. L’ensemble a du charme malgré la fréquentation. Quand on vous disait que la culture paisa avait une certaine aura ici…

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Notre séjour à Medellín touche à sa fin. C’est une cité contrastée, qui nous a laissé sur des sentiments contradictoires. Si nous sommes admiratifs de la résilience des habitants et de la renaissance qu’ils ont opérée, nous ne pouvons ignorer les terribles disparités qui secouent aujourd’hui encore la ville. Ici, c’est un quartier coquet et verdoyant où l’on s’installerait volontiers, à quelques pas c’est un zombieland terrifiant qui nous prend aux tripes… Nous n’avons jamais ressenti des contrastes aussi rudes, même dans les grandes villes du Brésil. Nous ne pouvons que souhaiter que la situation continue de s’améliorer, même si les ravages de la drogue laissent peu de place à l’espoir…

Nous laissons dernière nous cette métropole si particulière, alors que nous filons vers le nord. Cette fois, c’est bel et bien la côte caraïbe qui nous attend. Canard et Cochon sont en route pour retrouver l’Océan Atlantique !