Après l’ascension du Huayna Potosi, nous avons pris quelques jours de repos pour nous remettre de nos efforts. Puis, nous roulons pendant deux jours pour atteindre notre prochaine destination au sud du pays.
Nous voici enfin à Sucre, la capitale constitutionnelle et judiciaire de la Bolivie (La Paz étant la capitale exécutive et législative). Elle fut fondée en 1538 pour abriter le siège des institutions royales. En 1624, la première université bolivienne y est créée. Puis, en 1825, c’est ici qu’est proclamée l’indépendance nationale ! Tous ces éléments font de Sucre (prononcez « soucré ») une ville avec un riche patrimoine colonial ainsi qu'un grand nombre d'étudiants et d'activités culturelles… Mais Sucre est surtout une cité farouchement autonomiste ! À l’image de Santa Cruz, elle s’oppose régulièrement au gouvernement central, avec les tensions qui en découlent.
Canard et Cochon y passeront trois jours de détente. On gare Olinda à dix minutes du centre et on entame les visites. Notre premier arrêt est une placette qui abrite, outre un agréable jardin, deux belles églises.
En déambulant, nous sommes rapidement marqués par l’homogénéité de la ville. Les rues sont pavées, les bâtiments sont massifs et peints en blanc (adieu la brique), on trouve de nombreux balcons en bois et des grilles en fer forgé… Il ressort de Sucre une impression de propreté, de luxe et d’harmonie, à des années-lumière de La Paz, El Alto ou Oruro… La différence chez les habitants est aussi notable : si on croise à l’occasion des autochtones en tenue traditionnelle, les gens du coin sont majoritairement des descendants des Espagnols.
Nous arrivons à présent sur la Place du 25 mai, le cœur vibrant de la ville. C’est un bel endroit, richement aménagé autour de fontaines, de jardins et de palmiers massifs. Elle est entourée des principaux monuments de la ville : la cathédrale, la maison de la Liberté et la préfecture (un étonnant mélange de style classique et d’Art nouveau).
La cathédrale a été construite entre 1559 et 1712. L’intérieur n’est généralement ouvert qu’aux heures de messe, mais un évènement lui ouvre actuellement les portes, nous permettant de jeter un œil. L’église abrite également la chapelle de la Vierge de Guadalupe (non ouverte au public) sur laquelle nous reviendrons plus tard.
La place centrale invite au repos des braves. Direction le magnifique restaurant Azafran pour déjeuner en terrasse avec une vue sur les monuments et la végétation tropicale. Loin des portions copieuses et rustres de l’altiplano, nous trouvons dans cet établissement assez chic une cuisine originale et raffinée : soupe de pot-au-feu, courge marinée au miel, pommes de terre braisées aux herbes, mousse au chocolat… le tout arrosé d’un jus de tumbo (sorte de maracuja amère) et d’une bière au cacao. Quel plaisir et quelle détente, après notre folle semaine au sommet des Andes. Poussant le vice jusqu’à l’outrecuidance, nous nous rendons ensuite dans une élégante confiserie pour acheter un assortiment de chocolats (à la maracuja, à la cacahuète, au dulce de leche…) Nous dégustons tout ça assis sur un banc, sous la délicate chaleur du début d’après-midi. La décadence nous guette…
Pour ne pas nous endormir, nous continuons les visites. Des ruelles pentues et animées nous amènent au musée de l’art autochtone. L’endroit est très bien conçu, avec beaucoup d’explications sur les cultures des peuples minoritaires de la région : Jalq’a, Talampaya et Tarabuco. Les expositions font la part belle aux textiles, tous plus magnifiques les uns que les autres. Chaque culture possède un style différent. Nous retiendrons notamment le style Jalq’a, à dominante rouge et noire, qui glisse dans ses compositions des motifs de diable, de lama ou d’autres animaux. Elles sont les plus difficiles à exécuter car elles ne suivent pas de motifs géométriques ; c'est au contraire un certain chaos qui est recherché.
Le style Jalq'aSur les hauteurs de la ville, on visite le couvent de Santa Clara, bâti au XVIIème siècle. De nos jours, y vit toujours une communauté d’une vingtaine de religieuses, qui subviennent à leurs besoins en vendant des gâteaux ou des confitures. Nous faisons la visite au pas de course en compagnie d’une guide qui semble un peu lasse de sa journée. Le couvent abrite un musée d’art religieux, avec de nombreux tableaux larmoyants et des objets de culte (dont d’impressionnants calices en or et en argent). L’endroit vaut surtout le détour pour ses quatre grands patios, qui appellent au calme et à la méditation, et pour son cèdre vieux de 1 500 ans !
Un peu plus bas, l'église de Néri est un imposant édifice dans le plus pur style colonial espagnol. Son cloître est massif et à plusieurs étages. C’est aujourd’hui une école privée et l’on avoue être un peu jaloux d’un tel cadre pour étudier… Le point d’orgue de la visite est l’accès aux toits : on peut en effet y grimper pour admirer la vue ! Nous voici donc à marcher sur des terrasses ondulées et recouvertes de céramiques. C’est magnifique ; nous restons sur place jusqu’à ce que le soleil disparaisse à l’horizon.
Le soir, on grignote de bons burgers végétariens dans une gargote à quelques mètres du van. Quentin goûte une bière locale, aux agréables touches de fruits rouges. On complète notre dîner en dégustant sur une placette un croissant généreusement fourré au dulce de leche et une sorte de palmito. Nous passons notre première nuit au van : adieu les sous-couches thermiques et les bonnets. Ici, il fait tellement doux qu’on s’endort en slip !
Le lendemain, nous partons visiter le principal monument de la ville : la maison de la Liberté. Il s’agit d’un ancien monastère jésuite bâti en 1612, puis converti en annexe de l’université. C’est dans la chapelle de ce bâtiment que fut signée en 1825 la déclaration d’indépendance de la Bolivie ! De cette date à 1898, l’endroit a accueilli le siège du Parlement, avant son transfert à La Paz. La visite permet de se promener dans le gigantesque patio central, dans la fameuse chapelle et dans de nombreuses salles qui mettent en avant l’histoire du pays. À chaque arrêt, les touristes Boliviens sont pendus aux lèvres de la guide et mitraillent de photos, signe de l’importance de ce lieu pour leur Histoire nationale.
Le reste de la matinée est consacré à déambuler encore un peu dans le centre. On tombe à chaque coin de rue sur une belle maison, une jolie église ou une placette. Vraiment, que Sucre est agréable.
Y'a du monde au balcon Chouette : c’est dimanche, et le resto Azafran propose un buffet. C’est parti pour une dégustation de soupes, de spaghettis aux asperges, de ravioles aux épinards, de babas au rhum ou de mousse de citron. Vous vous en doutez, on laisse l’organisme faire son travail en se posant ensuite sur un banc de la place centrale. Pour cette fois, on passe notre tour pour la chocolaterie...
Nous nous rendons ensuite au parc Bolivar, lieu de détente des familles locales. Des enfants jouent sur la pelouse sous le regard attentifs de leurs parents, des jeunes viennent roucouler sur les bancs publics et quelques touristes se reposent à l’ombre des arbres. Curiosité locale : le parc abrite une tour Eiffel miniature (pas franchement réussie !) La balade est aussi l’occasion de traverser le quartier judiciaire, avec ses beaux bâtiments blancs, notamment la Cour suprême.
Nous terminons notre tour en nous rendant au cimetière municipal. Il est superbe. Des mausolées somptueux sont abrités sous de grands arbres et reliés par des allées élégantes. La plupart des riches familles boliviennes entretiennent ici des caveaux depuis de nombreuses générations. L’endroit accueille même la dernière sépulture de la plupart des Présidents de la République. Le week-end, c’est aussi un lieu de promenade : nous croisons de nombreuses familles qui viennent profiter du frais et admirer les tombeaux baroques ou néogothiques.
En regagnant Olinda, on ressent une agitation croissante dans les rues. Nous avons décidément de la chance : nous tombons sur le jour de la fête de la Vierge de Guadalupe. Pour la petite histoire, en 1784, un joaillier local ajouta à une statue de la vierge une plaque d’argent en guise de décoration. Au fur et à mesure des années, d’autres artisans apportèrent leur pierre (précieuse) à l’édifice. On dit que la Vierge de Guadalupe est aujourd’hui ornée de plus de 12 000 perles, diamants ou émeraudes, sans compter les plaques d’or et d’argent ! Sa valeur est inestimable, elle constitue un trésor national et fait l’objet d’une fervente dévotion.
Sur la place centrale, des pèlerins transportent déjà des répliques de la statue. Des groupes de danseurs, faisant vraisemblablement partie de classes scolaires, s’agitent sur le rythme contradictoire de différents orchestres. Tout le centre a été fermé à la circulation routière pour laisser la population défiler. Nous profitons du spectacle un bon moment avant de rentrer au van.
Nous ressortons en début de soirée pour dîner dans une excellente trattoria. La pizza grecque, à la feta et aux olives de Kalamata, est une merveille. Insatiables gourmands que nous sommes, nous enchaînons sur une pizza au pesto et aux tomates séchées, tout aussi délicieuse. Décidemment, on fait du lard à Sucre…
Sucre-salé En sortant, la fête bat son plein. Toute la place est envahie de passants et de groupes qui dansent. La musique de plusieurs orchestres se chevauche dans un capharnaüm typiquement bolivien. Les gens ont dressé des autels en l’honneur de la vierge. Entourés de néons lumineux colorés, cela donne un effet kitch étonnant. Encore une fois, c’est aussi la fête du pipi : des centaines de personnes urinent partout, parfois par groupe de dix. Il faut éviter des énormes flaques qui se forment sur les trottoirs. Une femme viendra même se plaindre à un policier : « faites quelque chose, on ne peut plus marcher nulle part ! » Réponse de Roberto, brigadier-chef et gardien de la paix avant tout : « bah on ne peut rien y faire ». Si même les Boliviens rouspètent, on vous laisse imaginer l’état des rues…
C'est pourtant pas faute de prévenir...Au troisième jour, nous terminons notre visite de la ville. Nous commençons par le musée anthropologique. Ce dernier est sis dans un magnifique bâtiment du XVIIème siècle, qui nous fait furieusement penser à une hacienda du Yucatan. On se pose dans ce cadre charmant en laissant nos souvenirs défiler.
Quant aux collections, nous découvrons une série d’objets des cultures préhispaniques : poteries, céramiques, armes, outils.... Une dernière salle expose des momies (dont certaines d’enfants) et des crânes déformés. Brr…
L’anthropologie, ça creuse. On ne change pas une équipe qui gagne alors direction Azafran pour tester leur menu du jour, puis la chocolaterie pour un deuxième dessert. Nous pensions quitter Sucre cet après-midi, mais finalement il faut bien reconnaitre que nous prenons goût à ce mode de vie. On s’accorde donc une demi-journée supplémentaire dans ce bel endroit, à nous reposer et à flâner en ville. Nous traversons le marché central et la vénérable université, la plus ancienne du pays. Pour notre dernière soirée, nous retournons dîner à la bonne pizzeria et enchaînons sur une énorme glace.
Pas mal comme cadre pour étudier...Vous l'aurez compris, entre son patrimoine impressionnant et sa douceur de vivre, Sucre nous a vraiment emballés. Après la rudesse des dernières semaines passées dans l'altiplano et la folle ascension du toit des Andes, nous voilà ressourcés pour la suite.