Le sud de la Bolivie

Sucre, Potosí et Tarija. C’est par ce mélange d’altiplano et de vallées fertiles que nous retrouvons une certaine douceur de vivre, au milieu d’un patrimoine colonial magnifique.
Septembre 2023
2 semaines
1

Après l’ascension du Huayna Potosi, nous avons pris quelques jours de repos pour nous remettre de nos efforts. Puis, nous roulons pendant deux jours pour atteindre notre prochaine destination au sud du pays.

Nous voici enfin à Sucre, la capitale constitutionnelle et judiciaire de la Bolivie (La Paz étant la capitale exécutive et législative). Elle fut fondée en 1538 pour abriter le siège des institutions royales. En 1624, la première université bolivienne y est créée. Puis, en 1825, c’est ici qu’est proclamée l’indépendance nationale ! Tous ces éléments font de Sucre (prononcez « soucré ») une ville avec un riche patrimoine colonial ainsi qu'un grand nombre d'étudiants et d'activités culturelles… Mais Sucre est surtout une cité farouchement autonomiste ! À l’image de Santa Cruz, elle s’oppose régulièrement au gouvernement central, avec les tensions qui en découlent.

Canard et Cochon y passeront trois jours de détente. On gare Olinda à dix minutes du centre et on entame les visites. Notre premier arrêt est une placette qui abrite, outre un agréable jardin, deux belles églises.

En déambulant, nous sommes rapidement marqués par l’homogénéité de la ville. Les rues sont pavées, les bâtiments sont massifs et peints en blanc (adieu la brique), on trouve de nombreux balcons en bois et des grilles en fer forgé… Il ressort de Sucre une impression de propreté, de luxe et d’harmonie, à des années-lumière de La Paz, El Alto ou Oruro… La différence chez les habitants est aussi notable : si on croise à l’occasion des autochtones en tenue traditionnelle, les gens du coin sont majoritairement des descendants des Espagnols.

Nous arrivons à présent sur la Place du 25 mai, le cœur vibrant de la ville. C’est un bel endroit, richement aménagé autour de fontaines, de jardins et de palmiers massifs. Elle est entourée des principaux monuments de la ville : la cathédrale, la maison de la Liberté et la préfecture (un étonnant mélange de style classique et d’Art nouveau).

La cathédrale a été construite entre 1559 et 1712. L’intérieur n’est généralement ouvert qu’aux heures de messe, mais un évènement lui ouvre actuellement les portes, nous permettant de jeter un œil. L’église abrite également la chapelle de la Vierge de Guadalupe (non ouverte au public) sur laquelle nous reviendrons plus tard.

La place centrale invite au repos des braves. Direction le magnifique restaurant Azafran pour déjeuner en terrasse avec une vue sur les monuments et la végétation tropicale. Loin des portions copieuses et rustres de l’altiplano, nous trouvons dans cet établissement assez chic une cuisine originale et raffinée : soupe de pot-au-feu, courge marinée au miel, pommes de terre braisées aux herbes, mousse au chocolat… le tout arrosé d’un jus de tumbo (sorte de maracuja amère) et d’une bière au cacao. Quel plaisir et quelle détente, après notre folle semaine au sommet des Andes. Poussant le vice jusqu’à l’outrecuidance, nous nous rendons ensuite dans une élégante confiserie pour acheter un assortiment de chocolats (à la maracuja, à la cacahuète, au dulce de leche…) Nous dégustons tout ça assis sur un banc, sous la délicate chaleur du début d’après-midi. La décadence nous guette…

Pour ne pas nous endormir, nous continuons les visites. Des ruelles pentues et animées nous amènent au musée de l’art autochtone. L’endroit est très bien conçu, avec beaucoup d’explications sur les cultures des peuples minoritaires de la région : Jalq’a, Talampaya et Tarabuco. Les expositions font la part belle aux textiles, tous plus magnifiques les uns que les autres. Chaque culture possède un style différent. Nous retiendrons notamment le style Jalq’a, à dominante rouge et noire, qui glisse dans ses compositions des motifs de diable, de lama ou d’autres animaux. Elles sont les plus difficiles à exécuter car elles ne suivent pas de motifs géométriques ; c'est au contraire un certain chaos qui est recherché.

 Le style Jalq'a

Sur les hauteurs de la ville, on visite le couvent de Santa Clara, bâti au XVIIème siècle. De nos jours, y vit toujours une communauté d’une vingtaine de religieuses, qui subviennent à leurs besoins en vendant des gâteaux ou des confitures. Nous faisons la visite au pas de course en compagnie d’une guide qui semble un peu lasse de sa journée. Le couvent abrite un musée d’art religieux, avec de nombreux tableaux larmoyants et des objets de culte (dont d’impressionnants calices en or et en argent). L’endroit vaut surtout le détour pour ses quatre grands patios, qui appellent au calme et à la méditation, et pour son cèdre vieux de 1 500 ans !

Un peu plus bas, l'église de Néri est un imposant édifice dans le plus pur style colonial espagnol. Son cloître est massif et à plusieurs étages. C’est aujourd’hui une école privée et l’on avoue être un peu jaloux d’un tel cadre pour étudier… Le point d’orgue de la visite est l’accès aux toits : on peut en effet y grimper pour admirer la vue ! Nous voici donc à marcher sur des terrasses ondulées et recouvertes de céramiques. C’est magnifique ; nous restons sur place jusqu’à ce que le soleil disparaisse à l’horizon.

Le soir, on grignote de bons burgers végétariens dans une gargote à quelques mètres du van. Quentin goûte une bière locale, aux agréables touches de fruits rouges. On complète notre dîner en dégustant sur une placette un croissant généreusement fourré au dulce de leche et une sorte de palmito. Nous passons notre première nuit au van : adieu les sous-couches thermiques et les bonnets. Ici, il fait tellement doux qu’on s’endort en slip !

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Le lendemain, nous partons visiter le principal monument de la ville : la maison de la Liberté. Il s’agit d’un ancien monastère jésuite bâti en 1612, puis converti en annexe de l’université. C’est dans la chapelle de ce bâtiment que fut signée en 1825 la déclaration d’indépendance de la Bolivie ! De cette date à 1898, l’endroit a accueilli le siège du Parlement, avant son transfert à La Paz. La visite permet de se promener dans le gigantesque patio central, dans la fameuse chapelle et dans de nombreuses salles qui mettent en avant l’histoire du pays. À chaque arrêt, les touristes Boliviens sont pendus aux lèvres de la guide et mitraillent de photos, signe de l’importance de ce lieu pour leur Histoire nationale.

Le reste de la matinée est consacré à déambuler encore un peu dans le centre. On tombe à chaque coin de rue sur une belle maison, une jolie église ou une placette. Vraiment, que Sucre est agréable.

Y'a du monde au balcon 

Chouette : c’est dimanche, et le resto Azafran propose un buffet. C’est parti pour une dégustation de soupes, de spaghettis aux asperges, de ravioles aux épinards, de babas au rhum ou de mousse de citron. Vous vous en doutez, on laisse l’organisme faire son travail en se posant ensuite sur un banc de la place centrale. Pour cette fois, on passe notre tour pour la chocolaterie...

Nous nous rendons ensuite au parc Bolivar, lieu de détente des familles locales. Des enfants jouent sur la pelouse sous le regard attentifs de leurs parents, des jeunes viennent roucouler sur les bancs publics et quelques touristes se reposent à l’ombre des arbres. Curiosité locale : le parc abrite une tour Eiffel miniature (pas franchement réussie !) La balade est aussi l’occasion de traverser le quartier judiciaire, avec ses beaux bâtiments blancs, notamment la Cour suprême.

Nous terminons notre tour en nous rendant au cimetière municipal. Il est superbe. Des mausolées somptueux sont abrités sous de grands arbres et reliés par des allées élégantes. La plupart des riches familles boliviennes entretiennent ici des caveaux depuis de nombreuses générations. L’endroit accueille même la dernière sépulture de la plupart des Présidents de la République. Le week-end, c’est aussi un lieu de promenade : nous croisons de nombreuses familles qui viennent profiter du frais et admirer les tombeaux baroques ou néogothiques.

En regagnant Olinda, on ressent une agitation croissante dans les rues. Nous avons décidément de la chance : nous tombons sur le jour de la fête de la Vierge de Guadalupe. Pour la petite histoire, en 1784, un joaillier local ajouta à une statue de la vierge une plaque d’argent en guise de décoration. Au fur et à mesure des années, d’autres artisans apportèrent leur pierre (précieuse) à l’édifice. On dit que la Vierge de Guadalupe est aujourd’hui ornée de plus de 12 000 perles, diamants ou émeraudes, sans compter les plaques d’or et d’argent ! Sa valeur est inestimable, elle constitue un trésor national et fait l’objet d’une fervente dévotion.

Sur la place centrale, des pèlerins transportent déjà des répliques de la statue. Des groupes de danseurs, faisant vraisemblablement partie de classes scolaires, s’agitent sur le rythme contradictoire de différents orchestres. Tout le centre a été fermé à la circulation routière pour laisser la population défiler. Nous profitons du spectacle un bon moment avant de rentrer au van.

Nous ressortons en début de soirée pour dîner dans une excellente trattoria. La pizza grecque, à la feta et aux olives de Kalamata, est une merveille. Insatiables gourmands que nous sommes, nous enchaînons sur une pizza au pesto et aux tomates séchées, tout aussi délicieuse. Décidemment, on fait du lard à Sucre…

Sucre-salé 

En sortant, la fête bat son plein. Toute la place est envahie de passants et de groupes qui dansent. La musique de plusieurs orchestres se chevauche dans un capharnaüm typiquement bolivien. Les gens ont dressé des autels en l’honneur de la vierge. Entourés de néons lumineux colorés, cela donne un effet kitch étonnant. Encore une fois, c’est aussi la fête du pipi : des centaines de personnes urinent partout, parfois par groupe de dix. Il faut éviter des énormes flaques qui se forment sur les trottoirs. Une femme viendra même se plaindre à un policier : « faites quelque chose, on ne peut plus marcher nulle part ! » Réponse de Roberto, brigadier-chef et gardien de la paix avant tout : « bah on ne peut rien y faire ». Si même les Boliviens rouspètent, on vous laisse imaginer l’état des rues…

C'est pourtant pas faute de prévenir...
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Au troisième jour, nous terminons notre visite de la ville. Nous commençons par le musée anthropologique. Ce dernier est sis dans un magnifique bâtiment du XVIIème siècle, qui nous fait furieusement penser à une hacienda du Yucatan. On se pose dans ce cadre charmant en laissant nos souvenirs défiler.

Quant aux collections, nous découvrons une série d’objets des cultures préhispaniques : poteries, céramiques, armes, outils.... Une dernière salle expose des momies (dont certaines d’enfants) et des crânes déformés. Brr

L’anthropologie, ça creuse. On ne change pas une équipe qui gagne alors direction Azafran pour tester leur menu du jour, puis la chocolaterie pour un deuxième dessert. Nous pensions quitter Sucre cet après-midi, mais finalement il faut bien reconnaitre que nous prenons goût à ce mode de vie. On s’accorde donc une demi-journée supplémentaire dans ce bel endroit, à nous reposer et à flâner en ville. Nous traversons le marché central et la vénérable université, la plus ancienne du pays. Pour notre dernière soirée, nous retournons dîner à la bonne pizzeria et enchaînons sur une énorme glace.

 Pas mal comme cadre pour étudier...

Vous l'aurez compris, entre son patrimoine impressionnant et sa douceur de vivre, Sucre nous a vraiment emballés. Après la rudesse des dernières semaines passées dans l'altiplano et la folle ascension du toit des Andes, nous voilà ressourcés pour la suite.

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Le trajet vers Potosí est sans histoire. Les palmiers laissent progressivement la place à des arbres secs. Des reliefs escarpés marquent le changement d’environnement, puis nous retrouvons les steppes jaunies et battues par les vents.

Nous traversons le hameau de Betanzos, qui accueille le festival national de la pomme de terre. Typique ça aussi !
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Après plusieurs heures de route, une montagne plus imposante que les autres se détache au loin : c’est le Cerro Rico, la « riche montagne », cœur de l’extraordinaire hasard qui transforma en quelques années l’Espagne en la nation la plus riche du monde… Les abords de la ville ressemblent à n’importe quelle citée altiplanique : c’est un enchaînement de pistes poussiéreuses et de barraques en brique. Toutefois, nous pénétrons dans le centre par un impressionnant portail rouge, premier signe de la particularité de Potosí. On pose Olinda dans un parking surveillé en banlieue, tenu par un petit vieux très sympathique, avant d’aller explorer le coin.

Quel récit incroyable que celui de Potosí, sur lequel il faut absolument revenir pour comprendre le rôle que joua cette ville dans l’Histoire du monde ! Selon la légende, les Incas connaissaient l'existence des filons d'argent dans la montagne. Toutefois, au moment de l'exploiter, les ouvriers auraient entendu une voix provenant des profondeurs : « ne touchez pas à ces richesses, elles ne sont pas pour vous, Dieu les a réservées pour d'autres ». L'Empereur inca se plie à cette injonction et les mines restent en sommeil... jusqu'à l'arrivée des Espagnols en 1545. Ces derniers n'ont pas autant de scrupules que leurs prédécesseurs.

Dix ans plus tard à peine, l’empereur Charles Quint élève Potosí au rang de ville impériale, la seule à posséder cette distinction en Amérique du Sud. Rien qu’entre 1560 et 1580, on estime que plus de 240 tonnes d’argent sont extraites chaque année et envoyées en Europe. Le total aurait été de près de 60 000 tonnes, soit l’équivalent actuel de 50 milliards d'euros ! Le trésor part en fumée dans les guerres européennes futiles de la couronne espagnole, mais n'est pas perdu pour tout le monde. Le transfert des liquidités favorise le commerce international et dope les économies française, anglaise ou hollandaise, qui accroissent à leur tour les échanges avec l’Asie. C’est la première mondialisation, celle qui propulse les petites nations européennes au rang de superpuissances mondiales, avec des répercussions qui se ressentiront sur les siècles à venir.

La ville néo-impériale profitera également de cette manne : elle se couvre de somptueux édifices, pave ses rues d’argent et devient la deuxième cité la plus peuplée du monde après Londres ! Mais nos amis ibériques sont allés trop loin et trop vite : quelques décennies plus tard, la production chute drastiquement, pour devenir anecdotique au début du XIXème siècle. En 200 ans, Potosí aura connu la gloire et la chute, passant de 165 000 à 9 000 habitants. Les palais et les églises prennent la poussière et « la riche Potosí, le trésor du monde, la reine des montagnes et la convoitise des rois », selon sa devise coloniale, retombe dans l’anonymat…

Il reste de cette Histoire hors du commun quelques expressions passées dans le langage courant, telles que « riche comme Potosí », « ça vaut Potosí », et même « c’est le Pérou ! », à l’époque où la ville était rattachée à cette vice-royauté.

Enfin, pour la dernière anecdote, sachez qu’elle est perchée à 4 090 mètres d’altitude, ce qui en fait aujourd'hui la cité de plus de 100 000 habitants la plus haute du monde (plus même que Lhassa, la capitale tibétaine). Mais vous le savez : il en faut désormais plus pour essouffler Canard et Cochon !

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Après cette petite page culturelle, il est bien temps de vous gratifier de quelques photos de notre première journée de visite. Potosí se révèle une ville assez agréable à arpenter, au milieu d’impressionnantes bâtisses coloniales, avec des portiques travaillés et des balcons en bois.

Nous passons devant de nombreuses églises, toutes sublimes. On retient surtout celle de San Lorenzo de Carangas, chef-d'œuvre du baroque métisse. Remarquez le mélange de motifs gréco-romains, chrétiens et autochtones (on y trouve notamment le Soleil et la Lune, divinités incas, et de nombreuses références à la Pachamama).

Nous grimpons au sommet d’une tour bâtie par les Jésuites, avec une vue sur tous les environs.

Nous voici à présent sur la place du 10 novembre, épicentre du quartier colonial. Elégante et arborée, elle contraste avec les places des autres villes de l’Altiplano. On sent vraiment la richesse passée.

 La fureur de vivre

Nous découvrons ensuite la cathédrale qui date du XIXème siècle (la précédente s’est effondrée) et affiche un intérieur original. Grande fierté municipale : elle abrite un autel néogothique qui contient une hostie consacrée par le Pape ! Seuls trois autres églises sur Terre ont cet honneur, à Mexico, à Séville et à Rome. Au sommet d’une des deux tours, on peut admirer les toits de tuiles de la ville.

Le soir, nous bravons le froid altiplanique pour une balade nocturne, l'occasion d'admirer les bâtiments sous une nouvelle lumière.

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Pour cette nouvelle journée, direction la Casa de la Moneda, la « maison de la monnaie », siège de la puissance financière espagnole. Il s’agit de l’un des plus imposants bâtiments civils coloniaux des Amériques (7 500 mètres carrés, tout de même). Et il fallait bien ça pour traiter les quantités colossales d’argent extraites chaque année. Tout y est gigantesque : les patios, les murs, les salles, les infrastructures…

La Casa de la Moneda vue tout en longueur 

Les expositions nous permettent de contempler des collections de pièces et de médailles, des œuvres religieuses, des minéraux ou des livres d’archives vieux de cinq siècles. C’est l’occasion de rappeler que les mines reposaient sur l’esclavage : 8 millions d’autochtones et 30 000 déportés africains y auraient trimé jusqu’à la mort…

Dans une succession de salles, nous prenons mieux conscience du processus de production : après l’extraction, l’argent était fondu puis moulé en lingots dans d’énormes forges s’étalant sur deux étages. Le bâtiment ne comptait pas moins de huit forges de cette sorte (sept pour l’argent, une pour l’or) ! Elles furent d’abord activées par des mulets, puis par des machines à vapeur et enfin par des machines électriques. Les lingots étaient ensuite transformés en pièces. Malgré ce savoir-faire, plus aucune monnaie bolivienne n’est produite dans le pays depuis 1951. La nation ne disposerait plus des infrastructures adaptées : les pièces sont aujourd'hui frappées au Chili et au Canada, et les billets sont imprimés… en France ! Cocorico, no ?

Lors de la visite, nous discutons avec deux jeunes Français qui viennent de commencer un voyage de trois mois en Amérique du Sud. Nous déjeunons ensemble au marché local, dans un boui-boui avec un menu défiant toute concurrence.

En sortant du marché nous tombons sur une manifestation de mineurs, dont les pétards font un boucan d'enfer. On sursaute à plusieurs reprises ! Nous apprenons par la suite qu'il s'agissait en fait de dynamite...

L’après-midi est consacré au magnifique couvent de Santa Teresa. Il accueille aujourd’hui 6 religieuses carmélites, contre 21 à son âge d’or (le nombre maximum autorisé par couvent). Ces dernières étaient toutes issues de la (très) haute société, la « dot » d’entrée s’élevant à 100 000 euros actuels. Les novices payaient en espèces, en terres ou en objets de valeur. D’où l’impressionnante collection de vaisselle, de tableaux ou de reliques aujourd’hui exposée à la visite. L’ensemble comptait 18 patios et autant de chapelles ! Un nombre impressionnant quand on le rapporte à celui des locataires. Le couvent abritait aussi le plus vieux pommier de Bolivie, âgé de 350 ans, qui a malheureusement été foudroyé quelques mois avant notre visite.

Après la splendide Sucre, nous avions peur que notre prochaine étape nous paraisse un peu fade. En fin de compte, Potosí aura été une bonne surprise : nous la savions riche de son patrimoine colonial, mais nous avons trouvé la ville encore plus belle et impressionnante que ce que nous pensions.

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Il est temps de partir. Avant de se mettre en route, on papote pas mal avec le propriétaire du parking sur lequel nous avons séjourné. Il a vécu 20 ans à Madrid et n’a jamais pu visiter autre chose en Espagne. Il retape actuellement un vieux pick-up Ford qui a appartenu à son père, avec lequel il compte voyager pour découvrir enfin son propre pays. « Vous connaissez la Bolivie mieux que moi », nous glisse-t-il. On réalise que c’est désormais le cas pour la plupart des Boliviens que nous aurons rencontrés durant notre séjour.

Pour quitter Potosí, nous devons longer le fameux Cerro Rico, parfois à quelques mètres des exploitations actuelles. Ce sont aujourd’hui des coopératives qui continuent de grignoter la montagne. Le spectacle est grandiose et tragique. On peut apercevoir en détail des colonnes de camions charriant des débris de roches ou des entrées de galeries qui semblent aussi précaires que les bâtiments posés à proximité. Sur la route, on tombe sur un nombre incalculable de boutiques qui vendent des pelles, des pioches ou des casques, preuve que l’essentiel de l’exploitation se fait encore à la main. Les quelques mineurs croisés sont encagoulés pour protéger leurs poumons de la poussière... On réalise que l’extraction (aujourd’hui d’étain et de zinc ; il n’y a plus d’argent) bat toujours son plein, dans des conditions difficiles.

L’agglomération quittée, c’est un nouvel envers du décor qui se dévoile : au milieu des reliefs, et à l’écart de l’agitation touristique, se dressent désormais des usines de concassements, des montagnes de minerais et surtout des bassins de déchets miniers, aux couleurs bleues et roses qui trahissent la présence de produits chimiques qui se retrouveront probablement ensuite dans la nappe phréatique…

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Direction désormais la ville de Tarija, encore plus au sud du pays. Il nous faut d'abord rouler encore dans l'altiplano où les villages en briques et les steppes jaunies défilent. Finalement, après avoir zigzagué pendant des heures, nous nous retrouvons devant une ultime chaîne de montagnes. Petite surprise : plutôt que de continuer à grimper jusqu’au sommet, nous traversons un long tunnel : nous réalisons que c’est le premier que nous empruntons depuis que nous sommes entrés en Bolivie.

Au bout du tunnel (littéralement), c’est un autre monde qui se découvre : au terme d’une longue descente sinueuse, la région fertile de Tarija se dévoile. C’est une succession de vignes, de vergers et de champs, agrémentée occasionnellement de palmiers et de végétation méditerranéenne. On trouve à l’endroit des airs de Provence.

Nous atteignons notre point de chute : un petit camping en banlieue. Il est déjà midi, et notre emplacement n’offre aucune ombre. On prépare notre déjeuner sous une chaleur de gueux ! Même le vent est chaud et ajoute à notre peine. Ah oui, décidément, nous pourrions être du côté de Toulon ou de Nîmes… Et surtout, que d’écarts thermiques nous aurons subis en Bolivie !

Nous partons visiter la ville dans l’après-midi. Pour une fois, on trouve que nos guides ont été un peu dithyrambiques. Ils nous vantaient une ville de la veine de Sucre, avec un beau patrimoine et tutti quanti. Si on tombe à l’occasion sur de belles églises et d’agréables placettes, on doit bien avouer qu’on est un peu déçus. Le coin est certes agréable mais ne mérite pas plus qu’une demi-journée bien tassée.

En réalité, ce qui nous marque le plus dans cette cité est le nombre important de boutiques modernes : les rues sont remplies de magasins tous proprets de vêtements, de chaussures ou de sacs à main. On se croirait presque sur un boulevard français. C’est d’autant plus surprenant que c’est une première en Bolivie : jusqu’à présent, la quasi-totalité des commerces rencontrés relevaient de la superette mal achalandée ou d’une échoppe vétuste et généraliste.

Nous rentrons au camping pour la soirée. Olinda est enfin à l’ombre et on peut profiter du lieu. Après le dîner, on s’assoupit dans la douce chaleur.

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Comme nous avons fait le tour de Tarija plus rapidement que prévu, nous décidons de mettre à profit ce surplus de temps pour aller découvrir, à quelques kilomètres, la vallée viticole de la Concepción. C’est en effet ici qu’est produit la quasi-totalité du vin bolivien. La vigne y aurait été introduite dans les années 1550 par les missionnaires augustins, avant de devenir la principale production régionale. Aujourd’hui, de grands groupes exploitent des terrains colossaux et distribuent leurs bouteilles dans toute l’Amérique du Sud. La route est agréable et dévoile effectivement des hectares de vignes et d’arbres fruitiers.

Nous posons Olinda dans le village d’Uriondo, un peu à l’écart de la (très) relative agitation. Sur la place centrale, quelques femmes proposent de la nourriture de rue et des enfants jouent au ballon. Des cyclistes habillés comme pour le Tour de France viennent faire une pause à l’ombre des cyprès. Uriondo est véritablement un village de la vigne. Quelques boutiques proposent les crus du coin, et les murs sont recouverts de fresques colorées qui évoquent le cycle du raisin et la vie des vendangeurs.

Le village semble endormi à ces heures, renforçant son allure de patelin du sud. On entend même les grillons chanter, c’est une première. Il ne manque que la belotte et l’aïoli. Marcelo Pañolo ne doit pas être loin…

 Tu me fends le cœur !

De notre côté, après un rapide tour de village, nous nous posons à la Casa del Abuelo, vénérable institution locale, pour le déjeuner. On nous offre quelques crudités rafraîchissantes et un petit cocktail à l’orange. Nous dégustons de belles courgettes farcies au fromage et à la sauce provençale, arrosées d’un blanc bien frais. Pour faciliter la digestion, nous enchaînons sur une bonne limonade, une crème catalane et un gâteau à l’orange et aux amandes. Elle est pas belle la vie ?

Nous nous posons ensuite au jardin du restaurant. Assis dans l’herbe, au pied des lavandes (si !) et des citronniers, nous laissons le temps s’écouler en admirant les vignes et les montagnes pelées.

On passe le reste de la journée au van. On dîne sur notre placette en claquettes et en T-Shirt. La nuit est toujours aussi agréable, au point que notre grasse-matinée dure jusqu’à 11 h ! On quitte Uriondo en fin d’après-midi : la région de Tarija était notre dernière étape en Bolivie. Il est maintenant temps de rouler jusqu’à la frontière avec l’Argentine !

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La route qui mène à la frontière est très belle. On traverse des petits villages ombragés par les palmiers, les citronniers et les orangers. On retrouve ici une douceur de vivre qui nous rappelle nos premiers pas dans les missions jésuites boliviennes. À l’occasion, des collines verdoyantes se dressent à l’horizon, vallonnant agréablement le paysage. La végétation est majoritairement tropicale ici. Après des semaines passées sur l’altiplano, ça fait du bien de retrouver une nature exubérante.

Il commence à faire nuit ; nous n’atteindrons pas la ville frontalière. On décide donc de s’arrêter dans un hameau au bord de la nationale. Quentin tourne un peu pour trouver un endroit assez large et plat pour Olinda. On se gare devant une école, après avoir demandé l’autorisation au gardien : « ça ne devrait pas poser de problème. Il y a juste un camion qui charge des papayes. Assurez-vous qu’il ait l’espace pour sortir du champ ». On aperçoit effectivement un poids-lourd titanesque de l’autre côté des haies, entouré d’ouvriers qui s’agitent pour ramasser les fruits à la lanterne. On pose le van à plus de cinq mètres de l’entrée de l’exploitation.

Quentin prépare le repas pendant que Marion met à jour le programme et le budget. Vers 21 h, on passe à table. Mais avant le moindre coup de fourchette, un klaxon du feu de Dieu nous fait bondir : nous bloquons la sortie du camion de papayes ! On recule Olinda d’un mètre. Puis de deux, puis de trois… Rien à faire ! Le poids-lourd est tellement énorme qu’il lui faut dix mètres pour négocier son virage ! On remballe hâtivement tout notre bazar et on quitte l’endroit. Nous nous posons finalement au bord de la route, à l’entrée du village. Virés par un camion de papayes, c’est quand même une première...

Qué pasa ? 

Si comme d’habitude, le Canard ne se fait pas prier pour s’endormir, le pauvre Cochon passera une nuit assez courte, régulièrement réveillés par les camions en transit sur la nationale puis par le coq de la ferme d’à-côté !

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Le lendemain, nous terminons notre route jusqu’à Bermejo, la ville-frontière. On trouve un garage pour faire une vidange et un graissage à Olinda, au deuxième essai (au premier, la question du mécano a été : « mais… où est le moteur ? ». Heu… okay, allez, bye !) Bermejo est une ville agitée mais agréable. Elle longe le fleuve qui marque la frontière avec l’Argentine. Les gens du coin en ont profité pour aménager plusieurs plages sur les rives. Nous déjeunons d’ailleurs devant l’une d’entre elles. C’est amusant : de l’autre côté du courant, on voit flotter un drapeau argentin.

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La vue de ce drapeau nous fait replonger dans nos souvenirs, mais aussi réaliser que nous quittons la Bolivie, après trois mois de visite. Alors, quel bilan pour ce pays ?

Déjà, il faut rappeler notre mésaventure lors de notre première tentative d’entrée en Bolivie. Pour ceux qui l’auraient oublié, nous avons été arbitrairement refoulés par le douanier en voulant entrer depuis le Chili. Contraints par un rendez-vous au Brésil avec le père de Marion, nous avions dû trouver un trajet de repli en quelques heures, qui, au lieu de nous faire traverser la Bolivie, nous fera finalement repasser par le nord chilo-argentin, puis traverser le Paraguay et le Pantanal brésilien. Rétrospectivement, cette indélicatesse aura été une chance. Nous avons pu découvrir le Paraguay, qui était une belle surprise. Surtout, sans contrainte de date suite à notre rendez-vous honoré dans les temps au Brésil, nous n'étions plus tenus à un calendrier serré. De ce fait, nous aurons finalement passé trois mois dans le pays (au lieu de deux), prenant notre temps pour découvrir toutes les régions. Si seulement notre douanier margoulin apprenait ça…

Flebleble !

La Bolivie aura été un nouveau coup de cœur de notre voyage. Entre désert de sel, villes coloniales, missions tropicales, mégalopole chaotique ou altiplano autochtone, la diversité est encore plus incroyable que dans les autres pays. C’est également la nation la moins occidentalisée que nous avons visitée. Le dépaysement en était d'autant plus fort. Quelques exemples qui nous ont marqués : prévalence des petites échoppes sur les supermarchés, pas d’autoroute, essence à remplir au bidon, vendeurs ambulants partout, code de la route inexistant... et on en passe ! Par rapport aux pays voisins, on a beaucoup plus ressenti et apprécié la prégnance des cultures autochtones : pourcentage élevé de personnes en tenues traditionnelles, références constantes à la Pachamama, langues maternelles quechua ou aymara de nombreux habitants…

Le séjour en Bolivie aura aussi été l’occasion de repousser nos limites, comme lors de l’ascension du Huayna Potosi… ou de la conduite à La Paz ! Nous aurons également vécu des expériences uniques, comme être invités à un rituel K’oa avec notre mécano ou faire baptiser Olinda ! Enfin, Canard et Cochon auront profité d’un heureux calendrier, se trouvant au bon endroit au bon moment pour plusieurs fiestas (le jour de l’indépendance passé dans les petits villages andins ou la procession de la Vierge de Guadalupe à Sucre).

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À présent, pour rejoindre l’Argentine, il faut traverser le pont international. La sortie côté bolivienne est rapide et sans histoire. En revanche, côté argentin, les douaniers prennent leur travail plutôt au sérieux. La faute au trafic de cocaïne, sûrement. Le personnel nous fait déballer tous nos effets personnels et passer nos sacs aux rayons-X. Ils inspectent chaque placard, chaque tiroir, toquent sur toutes les parois pour vérifier la présence de caches… Devant nous, un automobiliste verra même toutes les lampes de sa carrosserie démontées une par une ! Après trente minutes de fouilles, on peut enchaîner sur les formalités administratives. Nous sommes les seuls touristes au milieu d’une ligne de camionneurs.

Le pont : il commence avec les couleurs boliviennes, et se termine avec celles d'Argentine ! 

Une photo, un tampon, et voilà : nous allons retrouver le maté, les empanadas et l’accent chuintant. Canard et Cochon sont de retour en Argentine !

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