* Bon Entendeur, Le temps est bon
Il y a eu tous ces derniers moments – ceux qu’on vit comme si c’étaient les premiers, ceux qu’on vit comme si c’étaient les derniers. Les enfants ne voulaient plus pédaler en arrivant aux Caraïbes, mais Charles ne voulait pas quitter son vélo – compromis. Finalement, c’est dans la boue que les vélos quitteront le petit paradis de la réserve de Sangaré pour rejoindre le port de Paso Nuevo d’où nous prendrons une lancha pour l’Isla Fuerte. Entre deux eaux, nous dormons devant une finca un peu en hauteur. Il y a de la vie dans cette finca : la grand-mère, les petits-enfants, les oncles et tantes. Estéban, 10 ans, reste auprès de nous et nous questionne, fasciné – Oscar est fier de lui montrer nos tentes qui protègent des moustiques, une énième fois, comme si c’était la première fois. Estéban a les yeux qui brillent de liberté, alors que ses mains claquent sur les jambes. « Mais il y en a tout le temps, des moustiques ? » je demande innocemment. « Il y en a surtout quand il pleut beaucoup » « Et il pleut souvent beaucoup ? » « Tous les jours que Dieu fait » …les heures de la tombée du jour ne sont pas faciles. Sur la petite route qui nous mène à Paso Nuevo, l’activité bat son plein entre terre et mer – bananes plantains en équilibre sur les vélos, odeurs de poisson grillé, et la musique, toujours. On accélère le rythme pour rejoindre le port, comme portés par le rêve – l’Isla Fuerte, l’île de la force, allons donc prendre ces dernières forces !
Il y a eu les couchers de soleil à n’en plus finir, et surtout celui qui a duré tellement qu’on aurait pu croire que le soleil venait nous dire aurevoir, qu’il ne voulait plus nous quitter, un aurevoir long et savoureux. Il y a eu l’invitation chaleureuse d’un groupe d’amis de Medellin rencontrés sur la petite plage à partager un repas, un apéro dans l’eau claire, - Poulou et Soso vont-ils accepter ? Mais oui, Poulou et Soso sont à fond ! les liens se créent un moment, l’énergie du voyage est encore brûlante. Il y a eu cette marche vers la plage du Nord rêvée, imaginée…on marche dans la chaleur, la plage du Nord n’existe pas, les enfants se demandent à quoi bon ? Nos enfants chéris tout terrain. Il y a eu la plongée dans l’eau chaude, les myriades de poissons – même en les regardant, on y voit de la nostalgie. C’est dans cette dernière lancha qui nous ramène au port que Charles sent monter l’émotion de la fin. Et moi c’est dans ce dernier bivouac, où on se sent encore tellement dans le voyage, et où on ne peut pas vraiment réaliser que ça y est dans quelques jours, ce sera terminé. Dans ce dernier jeu à cinq, sous les palmiers. Dans le lait de la vache, tiré au petit matin. Dans les pieds qui s’enfoncent dans la boue. Dans le regard des campesinos qui nous offrent cette dernière expérience de vie « Vous ne voulez pas nous emmener avec nous ? ». Dans ces dernières 24 heures de bus qui nous mènent à Bogotà – patience infinie des enfants. Dans ces dernières 24 heures à Bogotà – où nous achetons même nos derniers livres de Gabriel Garcia Marquez à la librairie française, parce que, sait-on jamais ?
En disant au revoir aux amis de l’Isla Fuerte, aux campesinos, à Sabine et sa famille à Bogotà, au chauffeur de taxi, on dirait que tout est là d’un coup. Il y a de l’électricité dans l’air. Le déjeuner de fête à cinq à Bogotà vire à moitié au drame – émotions à vif. Ici ou là, on nous demande « Cela ne fait pas bizarre ? » Et on voudrait crier « Mais si ! Mais non ! ». A nous aussi de mettre de la musique à fond pour que nos cœurs chargés d’émotion ne se serrent pas trop - alors qu’on repense à tous ceux que l’on quitte. A tous ceux qui sur le chemin, au gré du vent, nous ont suivis, nous ont portés, nous ont ouvert leur cœur, nous ont ouvert le cœur. A César, Filipe, Claire, Gerardo, Pierre, Yves, Sandy et Mathieu et la happy family, Mathilde, Marie Sol, Reynaldo, Gaston, Antonio, Guillaume, Pablo de Punta Arenas, Gisella, Martha et son mari musicien, Lionel, Caroline et leurs enfants, Veronika, Alexander, César, Camilla, Wassil, Omar, Claudio, Mick, Agathe, Jade, Adèle, Maeli, Baptiste, un campesino de Santiago, Pablo et Pablito de Linares, Martha de Rio Hurtado, toute l’équipe de Chili pépère*, Mario, Jakomo, Brieuc, Alexandre, Reynaldo le luthier de La Serena, Carlos, Daizy, José, l’alliance française d’Antofagasta, Maurizio, Andrés, Michel, Kasia, Felipe, Émilie, Elodie, Khaïang, Marjory, Aurélien, Roméo, Sylvia, Nano, Violaine, Stéphane, Ilan, Estéban, Jorge, Marta, Guillermo, Eugenia, Daniel, Padre Antonio, Myriam, Diego, Macario, Jaime, Rémi, Adriana, Laura, Poulou, Soso, Nico, Ignazio, Marie, Carlos, Marlène, Bibi, Gi, Juan Carlos, Andrea, Carlos, Katalina, Gabriel, Sarah, Ana, Estéban de la finca, Estéban de la lancha, Sergio, Estéban le campesino, Sabine, Federico et leurs enfants. Au Chili, à la Bolivie, à la Colombie.
*Et grâce à eux, un podcast enregistré à Sucre, Bolivie : « Une famille à vélo en 2021, de Punta Arenas jusqu’en Colombie! (ou presque) » https://chilipepere.info/podcast-no-24/
Et c’est plein de cette force de l’aurevoir que nous prenons le chemin du retour, le chemin du changement d’état. Charles : « Le voyage, c’est comme ça, c’est tout ou rien – quand tu rentres, tu passes de 100 % à 0 % ». Pourtant, il faudra bien trouver des nuances ? Débarquement à l’aéroport - le sourire pétillant de Bertrand (aussi de retour de 5 ans à l’étranger) est là pour nous épauler – c’est le croisement des retours. Il extrait des enfants des mots, des ressentis (ce que nous n’arrivons jamais à faire !) – petites pépites. En quarantaine à Malesherbes, chacun vit son changement d’état à sa façon, alors que les messages d’amitié et de bonne arrivée nous parviennent, à foison, tous pleins de sagesse. Du tout mouvement à l’unité de lieu. Charles s’immerge dans le jardin, Oscar et Joseph fusionnent avec leurs cousines, Roxane s’y perd un peu, moi aussi d’ailleurs. Puis Oscar tresse, Joseph innove, Roxane danse. Je les observe, grandis – détails à peine perceptibles. Nous passons le flambeau à Vincent et Aglaé qui s’envolent vers le Brésil – nouveau départ, nouvelle énergie. Nous les laissons partir. Nous réfléchissons au lendemain. Nous goûtons à l’indescriptible, à cette chose unique qui nous rend différents sans l’être, à ce que nous avons cru tenir mais qui n’est jamais acquis, à ce déséquilibre-équilibre, à ce que nous allons cultiver sans relâche : « Ce jour-là, j’ai bien cru tenir quelque chose et que ma vie s’en trouverait changée. Mais rien de cette nature n’est définitivement acquis. Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous prête ses couleurs. Puis se retire, et vous replace devant ce vide qu’on porte en soi, devant cette espèce d’insuffisance centrale de l’âme qu’il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre, et qui, paradoxalement, est peut-être notre moteur le plus sûr ». (L’usage du monde, Nicolas Bouvier, Thierry Vernet).
Ainsi s’achève ce carnet de voyage.
Un immense merci de nous avoir suivis.
Merci d’avoir cru en nous et de nous avoir accompagnés.
On est impatient de vous voir et de poursuivre l’aventure avec vous.