Ca y est ! Nous y sommes ! Aujourd’hui, mon voyage à Beyrouth prend enfin le sens dont je voulais lui donner ! Je vais rencontrer les enfants dont je m’occuperai pendant ces prochains mois. Ce matin-là, je me levai bien avant que mon réveil ne sonne, l’enthousiasme s’empara de tout mon esprit malgré la grippe, la fièvre et la toux.
J’étais assise dans le bus, regardant Beyrouth défilée sous mes yeux lorsque je pensai à tout ce qu’elle m’offrait au quotidien. J’aime Beyrouth, ce qu’elle me procure, ses rues, son chao, sa révolution, mais surtout toutes ces interactions qui m’enseignent chaque jour un peu plus à valoriser la vie telle qu'elle est. C’est lorsque l’inconnu mène la danse et que mes repères s’envolent, que je suis heureuse. Je me rends compte que sortir de ma zone de confort me permet de me rapprocher de la femme que je souhaite devenir : libre et indépendante.
Je suis arrivée à l’école à 9h30, Tamar et German doivent m’emmener chez les enfants à 9h40. Je les attendais depuis une dizaine de minutes, lorsqu’arriva une adolescente. Elle me demanda timidement si les cours avaient lieu aujourd’hui. Je n’en savais rien, je l’invitai donc à s’asseoir avec moi en attendant les deux responsables. Hayet a 14 ans, elle est syrienne et comme la majorité des siens, elle a dû fuir le conflit qui ravage son pays depuis 2011. Un petit bout de femme, qui, il y a sept mois auparavant, arrêta le programme de 26 Letters pour subvenir économiquement aux besoins de sa famille. Son histoire me fendit le cœur, l’injustice dont elle subit, elle et des milliers d’autres enfants au quotidien me rappela « pourquoi j’étais là ». German et Tamar arrivèrent et ils furent très heureux de la revoir. Je les laissai quelques minutes, le temps des retrouvailles. En attendant, je suis allée dire bonjour à Abouziad, le couturier qui se trouvait au coin de la rue. J’arrivai à l’heure du thé puisqu'il me reçu avec une tasse bouillante de thé chaud. Il m’invita une fois de plus dans son petit atelier et nous mangeâmes quelques chocolats suisses que j'avais apporté.
Tamar me fit signe de la main, il était temps de partir. Je serrai la main d’Abouziad qui me remercia pour les chocolats. Je lui souris, et fis coulisser la petite porte de son atelier. En temps normal, les enfants suivent les cours à l’école, mais à cause de la situation politique du pays et la révolution qui en était à son 21e jours consécutifs, il était préférable pour eux de rester en sécurité dans leurs quartiers. Nous marchâmes 20 minutes dans de petites rues étroites aux odeurs orientales. Nous nous enfoncions de plus en plus dans un quartier qui n’avait pas l’habitude d’accueillir des étrangers. En effet, tous les regards étaient rivés sur Tamar, German et moi. Je me sentis observée et ce ne fut pas agréable mais ils finiraient bien par s’habituer à ma présence, car ce quartier allait devenir mon deuxième foyer.
Nous arrivâmes au pied d’un immeuble rénové, mais l’appartement où vivaient les enfants et leurs parents était au rez-de-chaussée, un local tout petit, aménagé avec le strict minimum. Ce fut le père, Sahleh qui nous ouvra la porte, un bel homme à la peau couleur caramel et aux yeux verts. Deux petites marches rouges étaient installées au seuil de la porte pour pouvoir descendre au niveau de leur salon. Des tapis recouvraient toute la surface de la pièce, de petits matelas et coussins verts étaient installés contre les parois et une seule armoire était dressée au coin de la pièce. J’enlevai mes chaussures, puis descendis dans leur salon. Une femme se tenait debout au coin de la pièce, elle tenait une magnifique petite fille dans ses bras et sans jamais cesser de sourire, elle nous serra la main puis nous fit signe de nous asseoir. Soudainement, je senti une petite main se poser sur mon épaule, c’était Hussein. Derrière lui, son petit frère Ali. Tous les deux me dirent bonjour en anglais, puis se cachèrent aussitôt derrière leur maman.
La maman des enfants, Najua, nous prépara du café qu’elle disposa au milieu de la pièce. Puis, Hussein s’assis à côté de moi et me fixa sans aucune émotion apparente. Hussein a 7 ans, il a le regard triste, et ne montre quasiment aucune émotion mis à part la colère. Cependant, il sera par la suite le plus affectueux de tous. Après quelques heures passées avec eux, le cœur débordant d’amour, je m’étais amourachée à cette belle et humble famille. Avant de quitter la pièce, la famille m’invita à dîner chez eux le lendemain.
De gauche à droite : Hussein, Ali, celle du milieu vous la connaissez ;P, ensuite il y a la petite Helen et leur maman Najua
Sur le chemin du retour, je m’arrêtai dans une petite papeterie à quelques minutes de mon appartement. Un monsieur m’accueillit très chaleureusement et me proposa son aide. Je lui dis que je cherchais des cahiers, des stylos et des livres pour des enfants de 4 et 7 ans, ainsi que des crayons de couleurs. Guy, est libanais d’origine arménienne et est l’heureux propriétaire de cette papeterie sur Mar Mikhael. Il me vit prendre des cahiers Spiderman et Batman et me demanda quel genre de maîtresse j’étais pour acheter à mes élèves des cadeaux personnalisés. C’est en rigolant que je lui répondis que j’étais le « genre de maîtresse » à n’avoir que deux élèves. Il se leva, et m’invita à m’asseoir à sa place, à la caisse. Puis me posa tout pleins de question. Nous parlâmes 45 minutes, sur lui, le Liban, la Révolution, moi et le rôle de maîtresse improvisée qu’on m’avait octroyé pendant quelques mois. Il me félicita et me remercia de « prendre soin des autres ». Soudainement, il partit à l’arrière de la boutique et me laissa seule. Quelques secondes plus tard, il revint en tenant dans ses mains un petit tableau blanc qu’il m’offrit gentiment en guise de « dévouement aux autres ». J’étais très touchée par ce beau geste, car une maîtresse sans tableau blanc, n’est pas vraiment une maîtresse n’est-ce pas ?
Guy deviendra un ami, et un excellent conseillé pour que mes cours d’anglais soient plus didactiques.
C’est donc le lendemain à 17h que Sahleh, m’ouvrit la porte. Il me serra la main et me désigna l’ascenseur. Nous arrivâmes au dernier étage lorsqu’une odeur de viande grillée me parvint. Najua était accroupi par terre et coupait des oignons. Elle se leva puis me pris dans ces bras et ce, sans jamais cesser de sourire. Elle faisait partie de ces personnes sur terre qui vous rassurait avec un simple sourire. Elle cuisinait dans le local de l’ascenseur car, c’est le seul endroit où elle a vraiment de la place. Elle m’invita à m’asseoir sur un cube métallique à l’extérieur à côté d’un petit barbecue. Je me retrouvai sur le toit de l’immeuble, où étaient entrelacés des dizaines de câbles, et cuves d’eau. La vue était incroyable, seules les silhouettes des paraboles, des cuves d’eaux et de centaines de câbles étaient perceptibles et contrastaient avec ce beau ciel orangé de fin de journée. La petite Helen, âgée d’un an et demi était paisiblement assise à côté de moi pendant que j’aidais (maladroitement) au barbecue.
Après une petite heure, Ali et Hussein qui étaient à l’école arabe arrivèrent et à ma grande surprise furent content de me voir. J’ai eu le droit à des câlins, et des bisous. Autant vous dire que je signe tout de suite pour ce boulot ! Najua et son mari prirent les assiettes déposées par terre. Pendant ce temps, je pris Helen dans mes bras, elle me fixait avec ses grands yeux marrons et j’en conclu qu’elle était aussi belle que sa mère. Nous descendîmes du toit pour retourner chez eux, au rez-de-chaussée. Najua sortie une nappe en plastique puis la disposa par terre au centre du salon. Elle disposa toutes les assiettes dessus, ces dernières débordaient de bonnes choses : tomates, oignons et viandes grillée, frites « fais maison », une salade fattouch sans oublier le fameux pain libanais. Tous ce qu’elle avait préparé étaient un vrai délice, un vrai dîner à la syrienne.
Ce soir-là fut une des plus belles soirées.
La préparation du dîner sur le toit de leur immeuble Le délicieux dîner que Najua prépara en cette belle soirée