Carnet de voyage

Oh Beyrouth !

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"Le voyage est un retour vers l'essentiel" Proverbe Tibétain
Du 27 octobre 2019 au 27 janvier 2020
93 jours
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Publié le 31 octobre 2019

En cette belle journée d’automne, fraîche mais ensoleillée, je me suis rendue à l’aéroport pour repartir dans ce pays qui me fait tant de bien : Le Liban. Une journée partiellement calme, car en quinze minutes, je me trouvai devant la porte d’embarquement B33. Arrivée devant cette dernière, quelle fut ma surprise de constater que je faisais partie des vingt premiers passagers (en règle générale je cours pour ne pas rater mon avion! 😀). Quelques minutes passèrent, et voilà qu’un homme faisait l’appel pour que nous puissions embarquer. A ce moment là, je compris que je ne faisais pas partie des vingt premiers, mais des derniers. En effet, nous étions une vingtaine de personnes à occuper le vol Genève – Beyrouth. Un avion vide mais non pas dépourvu d’émotion, car là-bas, nous le savions tous, c’était la Révolution.


"Rester c'est exister mais voyager c'est vivre." Gustave Nadaud

Le vol fut agréable, mais accompagné de beaucoup de questions. C'est en regardant les sièges vides, et en constatant le silence des passagers, que je compris que ce voyage sera marqué par un tournant historique.

Le vol vide reliant Genève à Beyrouth  (27.10.19)

Le plus souvent, l'Aéroport de Rafic Hariri est bondé, il y a du bruit, des rires, et nous pouvons percevoir l'émotion des gens arrivant enfin à destination pour retrouver leurs familles. Cependant, cette fois-ci l'atmosphère fut étrange: privé de joie, de mouvements, de bruits. Un policier avec qui j'ai noué une amitié à force de m'y rendre me reconnu et me cria au loin " Ahla w sahla Blue!" (Bienvenue Blue!) . Il me sourit puis disparu dans une petite salle à côté de la zone de contrôle. J'attendais mon tour dans la file des " passeports étrangers", nous étions cinq.

A la sortie de l'aéroport, mon meilleur ami Alaa était là, il m'attendait avec un grand sourire, je le pris dans mes bras et reconnu son parfum. J'ai l'impression de ne jamais l'avoir quitté, et pourtant six mois s'étaient écoulés. C'est bon, je réalise enfin que je suis là où je dois être.

Ma belle Beyrouth, je suis revenue à tes côtés.

Beyrouth  
Aéroport Rafic Hariri à 16h25  
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Publié le 31 octobre 2019

A peine sortie de l'aéroport, que les klaxons ont remplacé le silence de l'aéroport. Je me suis vite adaptée à la façon dont conduisent les libanais, la règle est simple " il n'y a pas de règles". Les libanais sont descendus dans les rues et agitent fièrement les couleurs de leur pays : Le blanc, le rouge et le vert ! Je n'avais jamais connu Beyrouth aussi agitée et pourtant, Dieu sait à quel point cette ville ne dort jamais!

Les routes étaient bloquées, Alaa emprunta donc un autre chemin que je ne connaissais pas encore pour nous rendre à Achrafieh où nous habitons. Si j'avais eu quelques doutes sur ma destination, la voilà anéantie par ces centaines de drapeaux libanais suspendus aux fenêtres. J'étais bel et bien à Beyrouth.

Je suis enfin arrivée à mon nouveau chez moi. C'est au rez-de-chaussé, il y a une jolie terrasse, avec des habits suspendus qui sèchent, un canapé en cuire et une belle plante. Je fis la connaissance de mon colocataire Bassem, il m’accueillit avec son plus beau sourire, beaucoup de tendresse et de bienveillance. Je me suis sentie immédiatement à la maison.

Home is not a place. It's a feeling"


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Cette première soirée ne fut pas de tout repos, mon meilleur ami m'entraîna directement au coeur de la Révolution, en face de la Mosquée Mohammad Al Amine, sur la place des Martyrs. J'ai rarement senti autant d'énergie, autant de force. J'étais touchée, émue et révoltée. L'ambiance était belle, il y avait de la musique, des stands de nourritures mais surtout des milliers de drapeaux aux couleurs du Liban qui flottaient au-dessus de ma tête. Au milieu de la place se dressait un gigantesque bras, le poing fermé, levé en direction du ciel. Sur ce dernier on pouvait apercevoir ثورة qui signifie "révolution".

Le symbole de la Révolution aux côtés de sa sublime Mosquée Mohammad Al Amine 

Quelques minutes plus tard, nous avons rejoins des amis d'Alaa. L'une d'entre eux, Rim, une jeune femme souriante, douce mais qui pourtant reflétait parfaitement cette jeunesse révoltée exigeant ses droits. Je l'admirais. Cette dernière me donna soudainement son drapeau libanais accroché à un long bâton en bois. A cet instant là, une forte énergie s'empara de mon corps et de mon esprit et Alaa me dit " Tu pourras dire à tes petits enfants que tu as participé à la Révolution Libanaise en 2019". Il avait raison. J'étais devenu acteur de ce mouvement pendant quelques minutes et je me senti très fière d'être à leurs côtés. Quelques instants après, les amis d'Alaa quittèrent le lieu où nous étions. Nous les rejoignîmes quelques minutes plus tard. En effet, Rim et des centaines d'autres personnes bloquaient un pont à Beyrouth. Passivement et en faisant acte de présence, je bloquais moi-aussi le pont "General Foaad Chehab".

Il était 23h quand je suis rentrée à la maison. Je m'assis au salon où se trouvait Bassem, mon colocataire. Quelques instants après, nous entamâmes une longue discussion jusqu'à 3h du matin. Cette nuit là, Bassem allait devenir bien plus qu'un colocataire, il devint mon grand frère, une Lumière qui éclaira beaucoup de mes questions.

General Foaad Chehab (gauche)

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Pluie du matin n'arrête pas le pèlerin

Ce matin, ce sont les trombes d’eau qui m’ont réveillée … et pour être honnête je les préfère à mon réveil. La matinée fût grise et pluvieuse, mais ces matinées-là je les aime. L’odeur du goudron mouillé, le bruit de la pluie qui tombent, bref toutes ces choses que nous oublions d’apprécier parce qu’elles nous gênent souvent dans nos activités. Mais aujourd’hui, je n’avais justement rien de prévu, j’avais tout simplement le temps d’apprécier la pluie. J’étais en paix avec moi-même et cela méritait bien un bon thé chaud.

Lorsque le ciel cessa de pleurer et que les nuages décidèrent de coloniser d’autres terres, j’en ai profité pour aller au supermarché. Tout au long du chemin, j’esquivais les flaques d’eau, et pour être franche, ce ne fût pas une mince affaire. Les routes sont dans un état si désastreux que par moment, la route elle-même est une flaque d’eau 😀

Ce qui me plaît le plus lorsque je me rend au supermarché, c’est la route que j’emprunte. Une route que je ne connais que trop bien parce que je l’empruntai déjà lors de mon dernier voyage au Liban. J’aime y retrouver les habitués, ces vieux messieurs assis sur des chaises en plastique, prenant toute la place sur le trottoirs à l’angle de la rue Atallah. Un peu plus haut, il y a la buanderie de François, mais il a l’air d’avoir mis la clé sous la porte. Sur cette route, on y trouve également Thérèse, la dame du magasin de téléphone, lorsqu’elle me voit passer elle me fait de grands signes pour me dire bonjour. Cette femme fait toujours preuve de patience avec moi, car j’ai beau renouveler mon abonnement chaque mois chez elle et ce, depuis le mois de février, je ne comprends toujours pas comment fonctionnent leurs lignes téléphoniques. Je finis toujours par lui dire « Khalas! Khalas ! » puis nous rigolons.

Khalas est un de mes mots préférés, il me semble tellement familier, que par moment je me surprends à l'utiliser au milieu d'une conversation. 😀 Bien que son sens littéraire soit « stop », il est souvent utilisé dans mille autres contextes.


En rentrant à la maison, j’ai remarqué que j’avais oublié de mettre un post-it sur la porte! Depuis le 31 Octobre, je mets chaque jour un post-it avec une petite phrase positive dessus. Je ne suis pas encore levée lorsque Bassem, mon colocataire part au travail, c’est donc ma façon de lui souhaiter une bonne journée. Aujourd’hui, il aura le droit à « Be the energy you want to attract » et un «welcome back home » 😀


"Be the energy you want to attract" 


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Cette soirée-là, nous sortîmes dîner à Gemmayze avec Bassem. Une fois arrivés à la route principale « Armenia Street », Bassem me dit « Ok nous allons attendre ici », je lui demandai donc ce que nous attendions, et il me dit « Le Service ». Ahhhh le Service! j’étais tellement heureuse qu’il en rigola ! Je n’avais jamais pris le Service auparavant et je me réjouissais vraiment d’essayer. Il faudrait peut être que je vous explique ce que c’est non ? Le Service est tout simplement le transport publique libanais, mais attention pas n’importe lequel, pas de grands bus avec des arrêts bien précis… non non… surtout pas. Le service est une voiture aux plaques rouges, il faut arrêter la voiture si elle ne vous a pas klaxonné avant (en général elle vous klaxonne et ralentit lorsqu’elle arrive à votre hauteur). Avant de monter dans la voiture, qui en règle générale est déjà occupée par d’autres personnes, vous leur annoncez le quartier dans lequel vous voulez vous rendre. Le chauffeur décide si oui ou non il va passer dans les alentours. C’est en quelque sorte un taxi qui vous dépose approximativement là où vous voulez.

Le chauffeur, un grand gaillard aux épaules larges mais au regard innocent était parfaitement concentré sur … son téléphone pendant qu’il conduisait. Après avoir envoyé quelques messages, il fit un appel, un appel important je crois. Cela fait partie des autres facultés invraisemblables du libanais : Un oeil sur le téléphone, l’autre sur la route. Mais nous étions arrivés au restaurant sains et saufs.

Bassem commanda pour nous, nous partageâmes nos assiettes, les desserts, puis nos anecdotes! Pour rentrer à la maison nous avons marché tout au long de Gemmayze et Mar Mikhael, les routes étaient bondées mais pas autant qu’avant. Les gens participaient à la Révolution et cela se ressentait.

Bassem durant notre dîner au Swiss Butter  à Gemmayze 


Une fois arrivés à la maison, je préparai du thé chaud au gingembre et nous prîmes place au salon, chacun sur un canapé. Nous étions l'un en face de l'autre comme ainsi dire prêt à passer aux aveux. Cette nuit là, il me raconta son histoire. Derrière la douceur de son regard, et son charmant sourire, Bassem avait traversé beaucoup d’épreuves. Je l’admirai chaque jour un peu plus, et je vis en lui, ce que la vie ne m’avait pas offert, un grand frère.

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Le lendemain matin, je végétai de longues heures dans mon lit, Bassem finit par venir me chercher. Il compris vite que j’étais très mal réveillée, cela pouvait surtout se lire sur mon visage: je fixais le vide, les cheveux en bataille, et dépourvue d’expression. Il me tendit un verre d’eau, puis je me dirigeai à la salle de bain me débarbouiller un peu. J’enfilai mon débardeur, mon pantalon de sport, mes baskets et une jacket. Fin prête, il me tendit une pomme sur le seuil de la porte, nous étions prêts pour une marche et une course de 11km. Sur le chemin du retour, nous nous arrêtâmes à la place des Martyrs. La Révolution se faisait timide en cette fin de matinée, mais les caméras, les journalistes et les manifestants étaient tout de même présents. Cette nuit là, la Révolution réunira des milliers de personnes, des milliers de drapeau, mais une seule patrie...un seul peuple.


Marcher, courir et découvrir  
Dimanche matin, lorsque la Révolution se faisait encore timide   
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Publié le 13 novembre 2019

Aujourd’hui fut une journée spéciale, je me rendais enfin à l’ONG pour rencontrer ses membres et discuter à propos de l’aide que je pourrai potentiellement leur apporter pendant ces prochains mois. 26 Letters est une Organisation Non-Gouvernementale qui permet aux enfants non scolarisés et vivant dans une situation économique précaire d’accéder à l’éducation gratuitement. Plusieurs matières sont donc enseignées dans ce joli petit bâtiment aux façades colorées.

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Ce jour là, je repris le bus pour la première fois après six long mois pour me rendre à l’ONG. Inutile de vous dire que j’étais toute contente de retrouver ce bon vieux bus n°2. Après avoir marché une petite quinzaine de minutes et avoir traversé Mar Mikhael, je me trouvai à l’angle de la rue Michel Bustros et Armenia Street. Et là, je devais attendre. L’attente fut pénible comme à son habitude. C’est donc assise sur de petites marches en béton que j’attendis mon bus, sous le regard inassouvi de certains automobilistes. Je n’aime pas attendre le bus, ni à Genève mais encore moins ici. Après dix longues et interminables minutes, mon bus était enfin arrivé. Je leva mon bras et fis signe de la main. Il s’arrêta. Je fouillai dans mes poches pour trouver un billet de 1000 livres libanaise. Ah enfin! Je le dépliai et le tendit à un homme assit à côté du conducteur. Avant même de recevoir mon ticket, le bus démarra et je m’accrochai fortement à un siège. L’homme fit signe à une femme de se pousser sur le siège d’à côté pour que je puisse m’asseoir. Il l’avait compris, j’étais maladroite. Quelques minutes passèrent, et il se retourna pour me demander ce que je faisais là, dans son bus. J’étais un peu surprise par sa question, je ne comprenais pas trop ce que je pouvais bien faire d’autre dans un bus à part être conduite à une destination. Je lui répondis que son bus me déposait exactement là où je le voulais. Il rigola puis alluma une cigarette. Après mûre réflexion, je crois que je compris le sens de sa question , il devait sûrement se demander ce qu’une jeune femme venue d’ailleurs pouvait bien faire dans le transport publique le plus piètre du pays. Mais moi, je l’aimais ce bus, car il me permettait de voir Beyrouth sous un autre angle. Cette fameuse Beyrouth vulnérable, défaite par la guerre mais aussi par la corruption qui rongeait chaque jour un peu plus certains quartiers.

Le bus numéro 2, qui relie plusieurs quartier de Beirut 

Sois humble et modeste, et tu vivras en paix.

J’avais une demi heure d’avance lorsque j’arrivai devant les portes de l’école. Je m’assis donc sur le trottoir et repris la lecture de mon livre. Soudainement, je fus interrompue par un vieux monsieur, il me parla en anglais et me montra une petite chaise à l’entrée d’un atelier. Tout en souriant il me dit « Come and sit here please ». Je lui rendis son sourire puis je le suivis dans son petit atelier aux mûrs délabrés. Il s’appelle Wafi mais tout le monde l’appelle Abouziad (le Père de Ziad). Il a 77 ans, est couturier et il a une vielle machine à coudre des années soixante. Pleins d’habits étaient suspendus sur des cintres au-dessus de nos têtes. Il en poussa quelques uns et une vielle télévision apparue sur une étagère. Il me tendit un thé chaud aux herbes, sourit puis fronça les sourcils en direction de l’étagère : « l’école ouvre dans 20 minutes ». Il rigola et me dit « c’est la montre de mon père qui me donne l’heure » et pointa en direction de cette dernière. Une petite montre carrée et détériorée flottait sous l’étagère, mais aussi vieille soit-elle, elle fonctionnait parfaitement.

Abouziad dans son atelier de couture  

Abouziad me fit remarquer que c’était l’heure de me rendre à l’école. Je me levai, le remerciai et lui promis de repasser cette semaine. Lorsque je passai les portes de l’école, German et Tamar m’accueillirent avec de beaux sourires, et me souhaitèrent la bienvenue en espagnol. L’école était petite et simple mais habillées de belles couleurs. Nous parlâmes pendant plus d’une heure de la situation et la vulnérabilité de ces familles. J’avais la gorge serrée, j’étais triste, touchée et en colère. Le 99% des enfants qui participent à ce programme sont syriens. Ils fuient l’insupportable de la guerre dans leur pays, pour épouser la pauvreté que le Liban leur offrait.

Tamar me regarda et subitement me dit « Ali et Hussein! ». Elle vit mon étonnement sur mon visage, puis regarda German en souriant « Ils vont l’aimer je crois ». German rigola et me dit « Ca y est, nous avons ta famille d’adoption ». Je devais attendre mercredi pour rencontrer ces deux petits garçons, leurs parents et leur petite soeur.

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Publié le 10 décembre 2019

Ca y est ! Nous y sommes ! Aujourd’hui, mon voyage à Beyrouth prend enfin le sens dont je voulais lui donner ! Je vais rencontrer les enfants dont je m’occuperai pendant ces prochains mois. Ce matin-là, je me levai bien avant que mon réveil ne sonne, l’enthousiasme s’empara de tout mon esprit malgré la grippe, la fièvre et la toux.

J’étais assise dans le bus, regardant Beyrouth défilée sous mes yeux lorsque je pensai à tout ce qu’elle m’offrait au quotidien. J’aime Beyrouth, ce qu’elle me procure, ses rues, son chao, sa révolution, mais surtout toutes ces interactions qui m’enseignent chaque jour un peu plus à valoriser la vie telle qu'elle est. C’est lorsque l’inconnu mène la danse et que mes repères s’envolent, que je suis heureuse. Je me rends compte que sortir de ma zone de confort me permet de me rapprocher de la femme que je souhaite devenir : libre et indépendante.

Je suis arrivée à l’école à 9h30, Tamar et German doivent m’emmener chez les enfants à 9h40. Je les attendais depuis une dizaine de minutes, lorsqu’arriva une adolescente. Elle me demanda timidement si les cours avaient lieu aujourd’hui. Je n’en savais rien, je l’invitai donc à s’asseoir avec moi en attendant les deux responsables. Hayet a 14 ans, elle est syrienne et comme la majorité des siens, elle a dû fuir le conflit qui ravage son pays depuis 2011. Un petit bout de femme, qui, il y a sept mois auparavant, arrêta le programme de 26 Letters pour subvenir économiquement aux besoins de sa famille. Son histoire me fendit le cœur, l’injustice dont elle subit, elle et des milliers d’autres enfants au quotidien me rappela « pourquoi j’étais là ». German et Tamar arrivèrent et ils furent très heureux de la revoir. Je les laissai quelques minutes, le temps des retrouvailles. En attendant, je suis allée dire bonjour à Abouziad, le couturier qui se trouvait au coin de la rue. J’arrivai à l’heure du thé puisqu'il me reçu avec une tasse bouillante de thé chaud. Il m’invita une fois de plus dans son petit atelier et nous mangeâmes quelques chocolats suisses que j'avais apporté.

Tamar me fit signe de la main, il était temps de partir. Je serrai la main d’Abouziad qui me remercia pour les chocolats. Je lui souris, et fis coulisser la petite porte de son atelier. En temps normal, les enfants suivent les cours à l’école, mais à cause de la situation politique du pays et la révolution qui en était à son 21e jours consécutifs, il était préférable pour eux de rester en sécurité dans leurs quartiers. Nous marchâmes 20 minutes dans de petites rues étroites aux odeurs orientales. Nous nous enfoncions de plus en plus dans un quartier qui n’avait pas l’habitude d’accueillir des étrangers. En effet, tous les regards étaient rivés sur Tamar, German et moi. Je me sentis observée et ce ne fut pas agréable mais ils finiraient bien par s’habituer à ma présence, car ce quartier allait devenir mon deuxième foyer.

Nous arrivâmes au pied d’un immeuble rénové, mais l’appartement où vivaient les enfants et leurs parents était au rez-de-chaussée, un local tout petit, aménagé avec le strict minimum. Ce fut le père, Sahleh qui nous ouvra la porte, un bel homme à la peau couleur caramel et aux yeux verts. Deux petites marches rouges étaient installées au seuil de la porte pour pouvoir descendre au niveau de leur salon. Des tapis recouvraient toute la surface de la pièce, de petits matelas et coussins verts étaient installés contre les parois et une seule armoire était dressée au coin de la pièce. J’enlevai mes chaussures, puis descendis dans leur salon. Une femme se tenait debout au coin de la pièce, elle tenait une magnifique petite fille dans ses bras et sans jamais cesser de sourire, elle nous serra la main puis nous fit signe de nous asseoir. Soudainement, je senti une petite main se poser sur mon épaule, c’était Hussein. Derrière lui, son petit frère Ali. Tous les deux me dirent bonjour en anglais, puis se cachèrent aussitôt derrière leur maman.

La maman des enfants, Najua, nous prépara du café qu’elle disposa au milieu de la pièce. Puis, Hussein s’assis à côté de moi et me fixa sans aucune émotion apparente. Hussein a 7 ans, il a le regard triste, et ne montre quasiment aucune émotion mis à part la colère. Cependant, il sera par la suite le plus affectueux de tous. Après quelques heures passées avec eux, le cœur débordant d’amour, je m’étais amourachée à cette belle et humble famille. Avant de quitter la pièce, la famille m’invita à dîner chez eux le lendemain.

De gauche à droite : Hussein, Ali, celle du milieu vous la connaissez ;P, ensuite il y a la petite Helen et leur maman Najua  


Sur le chemin du retour, je m’arrêtai dans une petite papeterie à quelques minutes de mon appartement. Un monsieur m’accueillit très chaleureusement et me proposa son aide. Je lui dis que je cherchais des cahiers, des stylos et des livres pour des enfants de 4 et 7 ans, ainsi que des crayons de couleurs. Guy, est libanais d’origine arménienne et est l’heureux propriétaire de cette papeterie sur Mar Mikhael. Il me vit prendre des cahiers Spiderman et Batman et me demanda quel genre de maîtresse j’étais pour acheter à mes élèves des cadeaux personnalisés. C’est en rigolant que je lui répondis que j’étais le « genre de maîtresse » à n’avoir que deux élèves. Il se leva, et m’invita à m’asseoir à sa place, à la caisse. Puis me posa tout pleins de question. Nous parlâmes 45 minutes, sur lui, le Liban, la Révolution, moi et le rôle de maîtresse improvisée qu’on m’avait octroyé pendant quelques mois. Il me félicita et me remercia de « prendre soin des autres ». Soudainement, il partit à l’arrière de la boutique et me laissa seule. Quelques secondes plus tard, il revint en tenant dans ses mains un petit tableau blanc qu’il m’offrit gentiment en guise de « dévouement aux autres ». J’étais très touchée par ce beau geste, car une maîtresse sans tableau blanc, n’est pas vraiment une maîtresse n’est-ce pas ?

Guy deviendra un ami, et un excellent conseillé pour que mes cours d’anglais soient plus didactiques.


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C’est donc le lendemain à 17h que Sahleh, m’ouvrit la porte. Il me serra la main et me désigna l’ascenseur. Nous arrivâmes au dernier étage lorsqu’une odeur de viande grillée me parvint. Najua était accroupi par terre et coupait des oignons. Elle se leva puis me pris dans ces bras et ce, sans jamais cesser de sourire. Elle faisait partie de ces personnes sur terre qui vous rassurait avec un simple sourire. Elle cuisinait dans le local de l’ascenseur car, c’est le seul endroit où elle a vraiment de la place. Elle m’invita à m’asseoir sur un cube métallique à l’extérieur à côté d’un petit barbecue. Je me retrouvai sur le toit de l’immeuble, où étaient entrelacés des dizaines de câbles, et cuves d’eau. La vue était incroyable, seules les silhouettes des paraboles, des cuves d’eaux et de centaines de câbles étaient perceptibles et contrastaient avec ce beau ciel orangé de fin de journée. La petite Helen, âgée d’un an et demi était paisiblement assise à côté de moi pendant que j’aidais (maladroitement) au barbecue.

Après une petite heure, Ali et Hussein qui étaient à l’école arabe arrivèrent et à ma grande surprise furent content de me voir. J’ai eu le droit à des câlins, et des bisous. Autant vous dire que je signe tout de suite pour ce boulot ! Najua et son mari prirent les assiettes déposées par terre. Pendant ce temps, je pris Helen dans mes bras, elle me fixait avec ses grands yeux marrons et j’en conclu qu’elle était aussi belle que sa mère. Nous descendîmes du toit pour retourner chez eux, au rez-de-chaussée. Najua sortie une nappe en plastique puis la disposa par terre au centre du salon. Elle disposa toutes les assiettes dessus, ces dernières débordaient de bonnes choses : tomates, oignons et viandes grillée, frites « fais maison », une salade fattouch sans oublier le fameux pain libanais. Tous ce qu’elle avait préparé étaient un vrai délice, un vrai dîner à la syrienne.

Ce soir-là fut une des plus belles soirées.

La préparation du dîner sur le toit de leur immeuble  
Le délicieux dîner que Najua prépara en cette belle soirée  
Publié le 25 décembre 2019


Le voyage ne vous apprendra rien si vous ne lui laissez pas aussi le droit de vous détruire. C'est une règle vieille comme le monde. Un voyage est comme un naufrage, et ceux dont le bateau n'a pas coulé ne sauront jamais rien de la mer.

Nicolas Bouvier est de loin mon écrivain préféré, et nombreuses sont ses paroles que j’ai notées sur un bout de papier. C’est essentiellement à travers ses textes, que l’envie de voyager me raisonna comme une envie envoutante de découvrir le monde. En réalité, ce que j’y trouvai véritablement à chaque fois, au-delà de la magie du pays, c’était un petit bout de moi-même. Le voyage est en règle général agréable, pourtant il est souvent englouti par un courant de surprises, car au plus profond de son essence, le voyage est avant tout une véritable leçon de vie. Si vous tolérez ses aléas, vous vous autorisez à grandir.

A quelques jours de mon départ, j’étais encore très incertaine quant à mon voyage. Le Liban s’abîmait chaque jour un peu plus, laissant le doute plané dans mon esprit. Puis, sûrement par peur que le regret ne m’envahisse, je décidai de m’aventurer dans les eaux troubles du pays des cèdres. Il est malheureux de constater que ce si beau pays oblige ses enfants à s’en aller, laissant ainsi des familles déchirées, des premiers amours oubliés, et des souvenirs parfois égarés dans la colère. C’est en étant immergée au cœur de la Révolution, que je plongeai mon regard candide dans celui d’une jeunesse révoltée.

Nombreuses furent les questions, et nombreux furent les doutes traversant mon esprit. L’atmosphère changeait peu à peu, et chaque jour le Liban se présentait comme un tableau éphémère dont l’incertitude flottait dans chaque rue. Certains matins, le chao semblait si calme qu’il laissait supposer un peuple affaiblit par le désespoir. Pourtant chaque dimanche soir, le peuple libanais reprenait son combat, mais au fil des jours la violence remplaça le combat pacifique que ce pays avait su se construire. Et nous le savons tous, lorsque la violence est invitée, il est difficile de lui demander de partir. Ce fut exactement dans ces moment-là, que je songeais à partir.

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Aujourd’hui, je dois me rendre chez la famille El Shawakh, et comme chaque matin, je traverse Mar Mikhael et une partie de Gemmayzeh pour prendre mon bus. Ce matin-là, le barbier de l’angle était fermé, Gui n’avait pas ouvert sa papeterie, la rue était soudainement calme et les trois stations-services de Mar Mikhael étaient fermées. Un ruban rouge et blanc était enroulé sur chacune de leur pompe à essence. Le pays était malheureusement mobilisé par l’arrêt soudain des banques.

Cependant, malgré la crise économique et les stations services fermées, mon bus n°2 ne manqua pas à l’appel. Hussein, Mohamad et Rabih sont les heureux et désinvoltes chauffeurs de la ligne 2. Et tous les trois connaissaient mes habitudes. Je n’avais plus besoin de leur demander de s’arrêter à la station service de Dinnawi qu’ils s’arrêtaient machinalement. Ce matin là, Hussein, m’invita à m’asseoir à côté de lui. Une vue chaotique de la conduite libanaise s’offrait à moi au premier plan : scooter en contre-sens, scooter avec trois passagers, scooter remontant les files en tapant contre les rétroviseurs, arrêts soudains de services et taxi en pleins milieu de la route, et tout cela sans un soupçon de colère de la part des automobilistes. Les libanais étaient toujours d’un calme inquiétant au volant de leurs voitures. Peut être par habitude.

Hussein, qui en plus de cela gérait à la perfection chacune de ses mains-d’oeuvre décida de me montrer des photos de sa famille : sa mère, son père, ses deux frères, trois de ses neveux, sa tante, quelques selfie de lui et son chat gris. Tout cela, sans jamais cesser de conduire sur l’avenue principale de l’Indépendance. Je crois, que pour la première fois de ma vie, je devins encore plus blanche que je ne le suis déjà, je devins translucide. 😛