Aujourd'hui, nous allons changer le style. Les évènements ne seront pas racontés de façon chronologique. Ils ne seront pas au présent. Cette fois-ci, ils serviront à appuyer la description d'un pays et de ses traditions que peu d'occidentaux ne connaissent au final. La différence avec les autres histoires que nous avons écrites est sûrement le fait d'avoir plus de recul, plus de compréhension de l'Ouzbékistan et de cette région du globe. Le prochain récit sera également de cet aspect avec un regard plus global de l'Asie Centrale.
L'objectif est simple. D'une part, de partager avec les gens qui liront ces lignes le ressenti que nous avons eu, d'essayer de les convaincre intimement de venir découvrir par eux-mêmes la passionnante histoire d'une région qui a vu une multitudes de civilisations différentes, avec des cultures différentes, venir peupler ses terres. Aujourd'hui celà se ressent à travers les merveilles architecturales qu'on peut trouver dans les villes et les vestiges Ouzbeks, la beauté des plaines, montagnes et autres déserts qui te font perdre toute notion d'un "train-train" quotidien. Cela se ressent également à travers la gentillesse et la fierté d'un peuple désormais libre depuis 27 ans. D'autre part, à un niveau plus personnel, pour ne jamais oublier ce qu'on ressent actuellement. Parce qu'on est un peu bête et qu'on se laisse distraire, convaincre, influencer, détourner par les différentes choses qui se passent dans une vie.
Aujourd'hui, nous sommes dans le train pour Tachkent, la capitale Ouzbèke. Nous venons de visiter en une dizaine de jours les trois villes jadis au centre de l'ancienne route de la soie : Samarcande, Boukhara et Khiva. On est parti à 19h32 et on arrivera vers midi demain. Je n'ai pas d'heure exacte à communiquer, mes expériences polonaises et transsibérienne ne me laissent aucun doute, les trains de l'ancienne Union Soviétique ne sont jamais à l'heure. "Que vient faire l'ex URSS ici?"... Il faut savoir que l'Asie Centrale à un lien fort avec la Russie depuis le 18eme Siècle avec notamment du marchandage d'esclaves (spécialité de la région de Khiva). En 1918, toute la région (et ces petits pays que tu connaîtras bientôt comme ta poche) se fait bouffer par la révolution bolchévique et devient la RÉPUBLIQUE SOVIÉTIQUE ET SOCIALE DU TURKESTAN (RSS). Ils ont vécu sous tutelle russe pendant un moment, jusqu'en 1992 en fait, date de la création de la nation de l'Ouzbékistan. Ils se détachent petit à petit de la Russie mais aujourd'hui la plupart des infrastructures sont anciennement russes, les trains, les voitures et les immeubles principalement. La nourriture a également un accent russe avec ses soupes à l'aneth et à la pomme de terre ou ses raviolis. C'est grâce aux russes si on ne mange pas que de ce satané mouton. Plus important, les russes sont aussi responsables de la plupart des rénovations des sites plus ou moins anciens. Parmi eux, on peut citer le Registon de Samarcande, un des plus beaux monuments d'Asie Centrale et sûrement le plus impressionnant. C'est le truc musulman que tu verras sur la majorité des guides ou si tu tapes "Ouzbékistan" ou "route de la soie" sur Google.
Samarcande, Boukhara et Khiva sont, à l'image du pays, à forte tendance musulmane. On y trouve un patrimoine riche en mosquées de toutes les tailles, d'une multitude de minarets toujours plus haut et des madrasas plus ou moins récents. Pour expliquer brièvement, un minaret c'est une tour avec un mec en haut qui chantonne la prière, et un madrasa c'est une sorte de résidence étudiante Coranique. Je te vois venir avec des enfants-soldats dans ta tête, lâche TF1 et détends-toi, c'est un peu comme une licence avec une spécialisation Islam. Après tu peux continuer et faire médecine ou droit si tu veux. D'ailleurs on va tout de suite enlever les petites craintes qu'auront certains. La région est sûre! Ça finit en "Stan" mais ce n'est pas la guerre, le gouvernement bien qu'autoritaire et répréhensible sur bien des points, surveille fortement la montée de toute forme d'extrêmisme quelconque. Les frontières du pays sont grandes ouvertes désormais, les tensions avec les pays voisins se dissipent petit à petit. Notamment avec le Tadjikistan et le Kirghizistan. Personnellement, ce que nous retenons c'est surtout des gamins dans les rues, des fois plusieurs dizaines, de cinq, six, dix, quinze ans... Allant à l'école seuls, traînant dehors le soir, jouant sans soucis. Nous retenons également l'accueil des gens, chez eux, dans la rue, toujours à t'aider, t'aborder, rigoler, se moquer gentiment de toi. L'Ouzbèk n'est pas timide comme le Kirghize, il vient à ta rencontre, te sollicite, il fait sauter toute réticence ou hésitation en toi. Malgré le monde qui séparent nos vies, leurs visages marqués, ridés, usés par le vent, l'hiver glaçant et l'été brûlant, leur dents dorées, ils offrent tout ce qu'ils peuvent offrir, nourritures, trajet, hébergement, conseils et toujours avec le sourire. Un des regrets, pour nous, restera de n'avoir rien emporté de chez nous en retour, le crève-coeur! On a rencontré un voyageur au Kirghizistan qui avait acheté des replicas en porte-clé de la tour Eiffel pour offrir aux gens. Quelle bonne idée ! Je ne sais pas si je prendrai la même babiole mais l'idée très certainement.
"Mais si t'es en Asie et que les russes sont venus pendant quasi un siècle, pourquoi c'est l'Islam partout?"
Primo, il faut savoir que la région de l'Ouzbékistan et du Turkménistan sont différentes du reste de l'Asie Centrale, plus sédentaire, ce qui explique que ces deux pays ont plus de villes et de vestiges d'époque que leurs voisins. Une maison en pierre résiste mieux au temps qu'une tente en mouton. Implacable.
Deuxio, on est au cœur de la route de la soie, qui jadis reliait la Chine à l'Europe en passant par le Nord de l'Afrique et le Moyen-Orient. Chacun se retrouvaient vers Samarcande, Boukhara et Khiva pour échanger épices, soie, herbes, bijoux. Les arabes sont venus squatter aux 7eme siècles et ils ont apporté avec eux l'Islam, les mathématiques, l'alphabet et d'autres sciences avec eux. C'est à Samarcande qu'on a vu les plus beaux mausolées et mandrasas réservés pour les savants de l'époque, notamment au Registon. Concernant le marchandage, il y a encore quelques caravansérails, sorte de dôme où les marchands se retrouvaient.
Ces 3 villes sont le témoignage d'une histoire forte et enivrante. Semblables en bien des points et pourtant si différentes. Samarcande est un appel à la grandeur avec le Registon et la mosquée Bibi Khanoum encrées dans une ville plus récentes. Boukhara vit toujours des voyageurs dans son centre historique et ses dalles piétonnes. Des écharpes, des tapis, des bijoux.. Khiva est peut-être la plus romantique avec sa citadelle et ses petites ruelles, on s'y est perdu volontier. Malgré le fait qu'elles ont toutes été rénovées.
"Rénovées? Elles ont été détruites?" Oui, plusieurs fois, et pour plusieurs raisons! On commence par la plus importante avec l'invasion de Genghis Khan au 13eme siècle. Le mec a fait un carnage dans toute l'Asie centrale. C'était un tyran. Samarcande fût rasée et reconstruite à l'identique par Émir Timur avec quelques bâtiments en plus comme le Registon et la mosquée Bibi Khanoum, qui est au nom de sa femme pour sa femme. Ensuite, c'est une région propice aux tremblements de terre, ce qui a fait pas mal de dégâts, et là merci aux russes d'avoir rénovées et entretenues les fondations, surtout qu'elles ne sont pas très droites.
"Et maintenant?" Maintenant, ça devient peu à peu une usine à gaz touristique, même si on reste loin des masses de monde qu'on peut trouver dans d'autres régions. C'est beau, les sites sont préservés mais il ne faut pas oublier de sortir de ces zones pour aller voir le vrai style de vie des Ouzbèks. Peu de gens vivent dans ces lieux qui servent de vitrines du pays pour les étrangers, même si ce sont restés avant tout des lieux de culte oú l'on va prier de temps à autre. À Samarcande, les rues extérieurs étaient cachées par des portes en métal entourant les routes neuves. À Boukhara, il fallait marcher un peu avant d'apercevoir des locaux et à Khiva, les guides conseillent l'intérieur de la citadelle alors qu'en prenant nos vélos, on a pu voir de superbes petites maisons en terre, des écoles, des mosquées plus intimes. On se fait facilement inviter par l'habitant pour un thé comme à Kokand ou pour une voire (plusieurs) vodka, comme lors de notre escapade de 48h dans le désert au dessus de Nurata et au bord du lac Aydarkul.
Il est désormais 11h. Le train est censé arriver bientôt. On a été mangé un Plov dans le wagon restaurant hier soir. Un Plov c'est un gros riz légèrement épicé avec des bouts de carottes, d'oignons et de bœufs mijotés. Un mélange d'Europe de l'est et de moyen-orient. Simple et efficace. Le restaurant fait plus cantine populaire que bar TGV. On a ensuite regagné notre couchette pour rejoindre nos colocataires d'un soir. Une jeune famille Ouzbèke avec un marmot de six mois. Il nous a cassé les noix une bonne partie de la nuit. Les parents ont été gentils, on leur pardonnera facilement. Les enfants passent, les adultes plus ou moins vieux s'arrêtent dire bonjour, Aurore se fait prendre en photo avec des mecs du train, je suis un peu jaloux, pourquoi pas moi? on lit, on écrit, on regarde les divers paysages défiler sous les bruits des roues métalliques sur les rails en attendant d'arriver à Tashkent. C'est pour ça que j'aime les voyages en train. Les rencontres éphémères, le petit moment de ta vie que tu partages avec des gens que tu ne connais pas mais dont tu veux apprendre et découvrir le plus possible, le temps qui passe lentement, l'atmosphère qui s'en dégage est si particulière. Notre arrivée à Tachkent est proche et marque la fin d'une fabuleuse première étape en Asie Centrale qui en appelle beaucoup d'autres.
Samarcande / Boukhara / Khiva