10 jours pour randonner et se laisser surprendre à chaque contour du chemin : un sourire, un visage, une rencontre...
Juillet 2019
10 jours
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Est-ce le fardeau d'un passé empreint de souffrance ou un futur que tu ne sais pas encore apprivoiser, mais je peine à vivre le présent que tu me proposes. Ta place centrale est occupée par des marchands sénégalais, les taxis sont à l'affût du moindre touriste et les terrasses vides des restaurants s'étirent le long du rivage. J'ai aimé ta rue Banana ainsi que la Casa d'Abel au toit de paille où nous avons passé une nuit. Nous te laissons quelques heures pour commencer notre périple pédestre.

Rue Banana et toit de chez Abel

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La voiture nous dépose au bord de la route et nous nous trouvons au milieu de nulle part en plein "cagnard". Où te caches-tu ? Chaque pas foulé sur ton sol poussiéreux nous rapproche de tes maisons allongées le long de la route. Nous traversons ton village qui a reçu son nom d'un arbre géant ressemblant à un baobab.

 Le géant

Premières impressions capverdiennes : les sourires des enfants, leurs rires, les chants des coqs, les vêtements fraîchement lavés qui flottent au vent. Au loin le bruit régulier du marteau qui frappe des pierres destinées à de futures constructions. Nous continuons notre périple et admirons du sommet de ta vallée les effets d'un trésor caché : l'eau. Discrètement elle jaillit de tes roches et se fraie un chemin dans les entrailles de ta vallée. Grâce à elle, tout vit, se colore, fructifie. Nous n'avons qu'une hâte : nous engouffrer dans cet oasis de fraîcheur. La descente jusqu'à Cidade Vehla se fera dans une nature généreuse et diversifiée; occasion de déguster mangues et autres douceurs. Nous ne manquerons pas un arrêt photo au pied du géant calabaceira. Après un peu plus de 10 kms, nous te retrouvons, toi, Cidade Vehla, l'ancienne capitale pour un repas chez l'habitant.

 Canne à sucre et mangue
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Silvio et Carlos ont été pendant tout ce périple nos guides. Au fil des kilomètres, ils sont devenus des amis.

Sans eux il nous aurait été bien difficile de nous imprégner de cette île.

Nous pouvons toujours nous déplacer d'un endroit à un autre en indépendance. Mais quel privilège de pouvoir être en contact avec la population, pousser un portail pour se reposer sur un banc devant une maison et s'immiscer dans le quotidien des habitants.

Avec Silvio et Carlos, le chemin est tracé, la porte des maisons est ouverte et la table chez l'habitant est achalandée.

Il ne nous reste plus qu'à mettre nos pas dans les leurs et les écouter nous raconter leur Cap-Vert.

Ce sont 2 Coeurs sur pattes remplis de gentillesse et d'attentions.

Silvio est la force tranquille et Carlos le soleil sur terre. Un magnifique duo, professionnel mais aussi attachant.

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C'était mon envie de passer une nuit chez toi, Ja, dans ta montagne. Nos guides Silvio et Carlos ne connaissaient pas ta demeure. Je ne t'oublierai jamais Ja, de Cabral, toi petite femme qui portes sur tes épaules la responsabilité de la maison, du bétail et qui assumes le rôle de maman pour tes soeurs et tes neveux et qui t'occupes encore de ta grand-maman âgée. Ja est fière de nous montrer son bétail et sa maison. Tout est soigneusement entretenu et Ja est une fine cuisinière. Ta chambre d'hôtes est confortable bien que nous nous sommes douchés à l'aide d'un bidon et d'un pot!! Ja vit dans la montagne et quel régal pour moi de pouvoir observer le va-et-vient des habitants de ce petit hameau. Ja nous parle de sa montagne encore verte il y a 3 ans, de l'eau qui coulait, des récoltes.... maintenant, la terre est désespérément altérée ce qui n'enlève rien à la beauté âpre de ces lieux. Je me sens tellement vivre dans ces endroits perdus où seule la nature règne. De plus, après notre randonnée, j'ai découvert dans notre chambre un livre qui m'a accaparé : l'île des femmes : paroles de batukaderas de l'île de Santiago par Cécile Canut. Et ce livre raconte l'histoire de Ja. Etrange sentiment que de lire un livre dont la principale témoin vacque à ses occupations sous mes yeux. Dommage du peu de temps disponible car je ne pourrai que survoler les pages de cet écrit. Mais j'ai déjà un petit aperçu de la vie rude et difficile de Ja. Elle a abandonné ses études pour "remplacer" sa maman partie en ville gagner le " pain des enfants". Ja aime écrire et elle a déjà noirci plusieurs petits cahiers de ses rêves et des parcours de vie d'autres femmes qui pratiquent le batuku....cette échappatoire pour celles qui restent liées à leur destin. Au petit matin, après un délicieux café de Fogo et des oeufs au plat maison, je laisse sur notre lit des crayons et des cahiers pour que Ja puisse continuer d'écrire l'histoire, son histoire et celle de ces femmes de l'île de Santiago. C'est douloureux de quitter Ja et sa montagne. Elle nous prend dans les bras.

Séjourner chez Ja c'est partager la vie rude des Capverdiens. On enlève les masques, les faux-semblants. Bien loin des publicités aguichantes pour un séjour aseptisé, on est plongé dans la réalité. Il ne reste que l'essentiel : le partage. Ja a été mon immense coup de coeur.

Chez Ja 
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Depuis chez Ja nous partons à São Domingos. De là, nous continuerons à pied direction Rui Vaz et São Jorge dos Órgãos. Après avoir traversé de magnifiques cultures, nous grimpons un chemin escarpé pour redescendre sur l'autre versant de la montagne. Quel plaisir de marcher dans la diversité de ces paysages, tantôt austères, tantôt plus doux. A maintes reprises, nous nous arrêtons bavarder avec les locaux. Chacun vacque à ses occupations. Une femme porte de l'eau. Ici c'est un homme qui entretient sa parcelle de légumes. Nous nous arrêtons pour une petite pause bienvenue devant une maison. Comme à beaucoup d'endroits la lessive sèche. Il nous explique comment il a équipé son terrain d'un système de goutte à goutte. Nous sommes accueillis par une gentille famille dans un petit village (Fonte Lima) pour le repas de midi et nous visitons un petit atelier de poterie à proximité.

L'après-midi est consacré à la visite du marché d'Assomada.

Nous n'avons rien, nous sommes pauvres, pourquoi venez-vous chez nous?

Voilà comment nous avons été interpelés par un vieux monsieur dans cette ville.... nous pourrions philosopher des heures....

Sur la richesse, la pauvreté, le don de soi, le secret du contentement, la joie de vivre....

Le Cap-Vert et moi c'est peut-être comparable à ces instants où 2 personnes n'ont pas besoin de se parler, le principal est juste d'être ensemble pour vivre le moment. Alors il n'y a plus de riches ou de pauvres; juste la rencontre de l'autre qui se partage.

J'ai beaucoup apprécié le marché. Depuis la passerelle qui surplombe les étals, quel tableau où chaque vendeuse apporte ses couleurs pour former une oeuvre d'art éphémère!

J'ai aimé aussi les abords du marché où les femmes vendent de tout... même des rouleaux de papier toilette!!

Nous avons parcouru quelques rues, visité l'église où le pape Jean-Paul II était venu...


Le marché 
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Nous posons pour 2 nuits nos valises chez Jeanine. Notre chambre est belle et nous avons une terrasse avec vue sur le lit de la rivière asséchée. C'est un véritable terrain de jeu pour chiens, cochons, chèvres, moutons, coqs et poules. Pour les humains, c'est le chemin qui aboutit aux bords de mer. Donc, nous sommes aux premières loges pour nous familiariser avec tout ce petit monde. Petits-déjeuners et repas du soir seront aussi pris sur cette terrasse. Je regarde ce peuple qui marche du matin au soir et qui est aussi en marche vers leur futur. Mais quel avenir pour ce village si pauvre? Ribeira da Barca, tu me touches tant tu es vraie. Pas de faux-semblants. Non, tu restes authentique. Chaque matin, avant notre rendez-vous avec nos guides, nous nous aventurons dans tes rues, toujours plus loin. Tes enfants nous saluent d'un signe de la main et s'approchent de nous. Ils sont fiers de nous poser une ou deux questions en français, langue qu'ils apprennent à l'école. Les visages de tes habitants s'éclairent d'un grand sourire à notre passage. Ce matin-là, nous avons été encore plus loin, là où tes routes ne sont plus que chemins de poussière et tes maisons plus qu'abris misérables. Même les animaux sont amaigris. Pour la 1ère fois je suis prise aux entrailles devant tant de pauvreté. Et pourtant Ribeira da Barca, tu resteras un de mes grands coups de Coeur . Tu as réussi à me faire passer des rires aux larmes, de l'émerveillement au questionnement...tu es gravée là au fond de moi.

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Nous nous remettons en marche direction la grotte d'Aguas Belas, accès par voie terrestre pour terminer notre périple à Porto de Rincão. Non loin de Ribeira da Barca, nous voyons celles que je nomme les cueilleuses de sable. J'avais demandé à notre guide de pouvoir les rencontrer. Nous ne leur parlerons pas mais nous les voyons en contrebas. Même si par leur activité elles endommagent le littoral, la réalité quotidienne de ces femmes me bouleverse. De grands tas de sable sont disséminés sur les bords de mer. Elles soulèvent de lourdes seilles qu'elles déversent ensuite dans un camion. Et tout cela sous un soleil de plomb. L'atmosphère est lourde en ce jour de fin juillet mais aussi devant les conditions de travail et de vie de ces femmes. Nous remontons le chemin et faisons une pause. Une jeune fille va cueillir des mangues et nous en rapporte. Une femme frotte le linge contre une planche tout en nous regardant et des enfants se rafraîchissent dans le réservoir. Nous rencontrons 3 jeunes françaises qui vont aussi à la grotte et qui se sont perdues par 3 fois. Nous continuons notre chemin qui n'est pas si évident que cela. La grotte est belle. Comme je ne suis pas vraiment baignade, je me repose. Nous continuons par des paysages très lumineux avec des montagnes couleur dorées me faisant penser à Lucky Luke. Bon les cactus en moins! Après plus de 10 kms, nous arrivons à ce petit village de pêcheurs (Porto Rincão). La 1ère partie est en construction mais la seconde est authentique me rappelant un peu Tarrafal de Monte Trigo. Les barques sont habillées d'une peinture étincellante. Carlos qui est notre traducteur désire nous emmener encore plus loin sur les rochers. Nous hésitons un peu mais finalement nous acceptons sans regrets tant l'endroit est paisible. Ils ont pris sous leurs ailes les 3 jeunes filles perdues et c'est ensemble que nous avons partagé le repas.

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Serra Malagueta

Tout au long de notre trajet qui nous mène au départ de notre rando, nous voyons des personnes, des familles entières s'activer dans les terres. A grands coups de pioche, elles préparent le terrain qui va accueillir les semences. Quelle espérance que de semer dans cette terre aride! Chacun l'attend, l'espère, celle qui va, goutte après goutte, hydrater les sols. Oui, la pluie va gonfler les semis et les germes pousseront, prémices d'une saison pleine de promesses. Je me mets à rêvasser à ces flancs de montagne qui verdissent, ces ribeiras qui se gonflent d'eau.... oui, la pluie va tomber. La plus grande journée de marche nous attend. Depuis la cabane du gardien, nous allons jusqu'à la vallée de Gom-Gom et le village d'Hortelao. Si c'est la plus longue journée de marche c'est aussi la plus spectaculaire. Je redeviens la petite fille émerveillée qui ne sait plus où poser mon regard tant le paysage qui se déroule sous mes yeux est grandiose. De plus, nous allons rencontrer la famille d'un centenaire qui habite une maison éloignée de toute civilisation : chez Marcelin. Cet endroit éveille en moi beaucoup de souvenirs d'enfance et d'émotion. Au loin, je vois la fumée s'échapper d'une cheminée. Plus nous nous approchons, plus je réalise la beauté de cet endroit. Les bâtiments, les animaux me ramènent maints souvenirs.

Nous sommes invités à nous asseoir un instant. Madame nous montre la cuisine: je la suis et immortalise cet instant où elle brasse du maïs dans un petit chauderon. J'aime ces gestes lents, immuables. L'odeur de la fumée se mêle à celle du repas.

Carlos m'invite de l'autre côté de la maison. Une jeune fille lave le linge... nos regards se croisent et l'émotion me gagne... ce sont des instants chargés de sens et de vie. Seul celui qui les vit peu les comprendre. Me les avoir partagés est un immense cadeau. La descente est ponctuée d'arrêts "dégustation de papayes" que Carlos cueille à l'aide d'une grande perche. Nous terminons notre marche à Hortelao où nous attend une copieuse cachupa.

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Nous voici à Tarrafal. C'est jour de sabbat et nos guides ont leur jour de repos. Nous allons sur la plage de Tarrafal et il faut bienn avouer qu'elle est paradisiaque. Même moi qui n'aime pas l'eau, j'y prends plaisir.


Au bout d'un petit moment, quelque chose m'interpelle : ce que les humains peuvent être stupides!!!

Sur la partie de la plage la plus grande, là où il y a le gardien, les personnes de peau claire. Sur la partie tout au fond où il est écrit "Tarrafal" dans la pierre les personnes de couleur....


Nous verrons aussi Tarrafal le dimanche avec sa plage totalement occupée par les Capverdiens venus en famille. Parties de foot, volley, badminton, repas, rires, tout est partagé.


Les couleurs de l'eau, ta plage (surtout la partie du fond), le retour des pêcheurs, le carillon de ton église, les Capverdiens rassemblés le dimanche après-midi, tes restos avec la musique m'ont beaucoup plu.

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Pénitencier de Chão Bom et Ribeira da Prata

Après un copieux petit déjeuner pris sur la terrasse du restaurant Sol et Luna (nous logeons dans la maison de la propriétaire), nous reprenons notre marche direction Chão Bom et son pénitencier destiné aux opposants politiques.

Etrange sentiment de toucher les murs des cellules, les fermetures des portes....il n'y a pas de place pour les mots. Seuls les noms de ceux qui ont laissé leur vie pour la liberté des autres ont droit de parole.


Nous reprenons le temps présent et le chemin vers Ribeira da Prata et sa plage de sable noir.

Le village s'étire le long de la route. Un air de funaná emplit la rue. Les vaches s'approprient tous les espaces y compris le devant de la porte. Une impression de grande pauvreté se dégage. Là aussi il y a une autre sorte de prison; celle de l'alcool.


Nous finirons notre périple par une note plus agréable : la plage.

Elle est mignonne, paradisiaque dans son écrin de verdure. Son sable noir est fin.

Nous rencontrons un pêcheur qui est sorti en mer juste pour les besoins de la famille. C'est dimanche. Il a le temps. Nous discutons un moment.

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Après avoir encore une fois guetté le retour de tes pêcheurs, leur embarcation chargée de la manne marine, nous te quittons Tarrafal pour rejoindre en fin d'après-midi Praia par la côte est.


Porto Formoso, Achada Monte, Calheta de São Miguel, Santa Cruz seront l'occasion de s'arrêter quelques minutes.


Les Rabelados : vivre de l'Essentiel avec juste l'essentiel


Vous, la communauté des Rabelados, avez éveillé en moi beaucoup d'interrogations. Avant mon départ, j'ai lu le livre de Françoise Ascher, les Rabelados du Cap-Vert : l'histoire d'une révolte.

Comment venir chez vous et ne pas être intrusive? Je me devais de comprendre vos choix et vos défis. En fait, à l'instant où Tchetcho nous a accueillis, j'ai ressenti une atmosphère paisible. Avec humilité, il nous a présenté un coffret dans lequel se trouvent de petits livres : la Bible et un manuel contenant leurs directives. Il désigne la Bible et nous explique que pour eux seule cette Parole a autorité sur leur vie. Il nous parle de l'histoire, de leur histoire, ponctuée de souffrance et de choix.

A sa suite, nous parcourons le village composé de maisons en bois, paille et cisal. A l'intérieur de leur demeure, le mobilier est sommaire et se résume à l'essentiel.

Tchetcho nous invite à découvrir leurs oeuvres : toiles, cartes, céramiques et objets sculptés.

Je serais bien restée encore un moment auprès de ce peuple hors du commun, chaleureux et paisible.


La bananeraie

Nous nous baladons à l'intérieur d'une bananeraie géante. Moi qui suis admirative devant ces arbres, j'en prends plein la vue avant de rejoindre Praia.




Arrivés à Praia, nos guides regagnent leur foyer.

Désirant encore profiter de chaque instant, nous nous dirigeons vers le phare.

Georges, le gardien, nous accueille avec bonne humeur et se mue en guide des lieux : la terrasse qui peut être louée pour des mariages puis le sommet du phare. L'endroit est simple, un peu hors du temps, mais Georges n'est pas avare d'explications et nous savourons ces quelques minutes en sa compagnie.

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Dernier jour de notre périple....

Nous voici dans l'anonymat de tes rues du Platô, nous parcourons le dédale d'allées de ton marché de Sucupira puis flânons sur tes plages de Prainha et Quebra Canela.

Nous savons qu'il faudra bientôt rejoindre ton aéroport, ultime destination.

Cette issue ne m'enchante guère et je désire encore une fois m'imprégner de cette atmosphère que seul le Cap-Vert sait offrir. Mélange de douceur, mélancolie et joie.

Nous quittons ton centre historique, tes rues commerçantes et plongeons dans tes quartiers populaires.

Aussitôt, les mains se lèvent pour nous saluer, les sourires se dessinent sur les visages. Nous nous improvisons supporters d'un match de foot; ni des jaunes, ni des rouges. Juste du jeu.

Voilà le Praia que j'aime...

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Au moment où j'écris ce carnet 2 ans se sont écoulés...

Mais je revis chaque instant comme si c'était hier. Tout est resté si présent dans mon Coeur. Gravé à jamais.

Je dédie ce carnet à Silvio, Carlos et Ja