Aujourd'hui nous avons dû nous replier, l'histoire nous rattrape : une bombe de la Seconde guerre mondiale menace d'exploser. Le secteur est évacué, nous abandonnons truelles et artefacts pour échapper au danger !! Mais, tout est sous contrôle, la ville bombardée par les anglais en 1944 a l'habitude de faire face à ce genre de menace.
Nous en profitons pour vous partager notre entretien exclusif avec Thomas Chenal, Responsable d'opération au Saint-Mont, ingénieur d'études pour la ville de Besançon, archéologue et topographe.
Quel a été ton parcours ? Comment en es-tu arrivé à faire de l'archéologie ? Et à faire ce que que tu fais aujourd'hui ?
J'étais passionné, en CE1 j'hésitais entre être garde-forestier et archéologue, en CE2 j'avais tranché, je serai archéologue.
De 14 à 18 ans j’ai eu mes premières expériences archéologiques : reconstitution de mammouth, ours et autres animaux préhistoriques dans un club de préhistoire local du Doubs, découvertes de la protohistoire lors d’un stage au musée de Belfort, fascination devant mes premiers artefacts et premières fouilles à Mandeure :
A 18 ans, le chantier où j'avais passé mes étés (Mandeure) m'a poussé à aller voir d'autres sites. Et, après mon Bac (S, option SVT) je suis allé fouiller partout sur toutes les périodes : préhistoire, protohistoire, gallo-romain, médiéval… J'avais hâte d'être à la fac, et encore mieux en master !
A la Fac ça a été le déclic :
J’ai voulu travailler à fond et tout faire pour y arriver. Bien sûr, je n'étais jamais seul ! Avec la synergie, les amitiés, les inimitiés, je découvrais quelque chose de nouveau qui me nourrissait, élargissait ma vision du monde et me faisait avancer dans mes questionnements.
Avec l’archéologie j’ai découvert un domaine tellement vaste que pour approcher un phénomène tu es obligé d'être le spécialiste de plein de choses ! C'est une gymnastique mentale perpétuelle :
J’ai aussi pris conscience de ma responsabilité car l'archéologie est destructive. Puis, j'ai eu l'occasion de voyager. Il y a eu l'Irlande, l'Italie, la France, la Croatie. Et là, ça a pris une autre dimension : une équipe internationale, le monachisme colombien, les premiers monastères en Occident…. J’ai eu mes premières responsabilités ; on me faisait confiance sur le terrain.
Je suis aussi parti au Brésil, en tant que responsable topographe, j'avais 21 ans. Mais, pour la première fois, j'étais tout seul… au milieu de l'Amazonie : c’était beaucoup de pression entre les responsabilités, le contexte étranger, la nouvelle langue…
Une petite anecdote ?
C'était en Amazonie avec des animaux partout… quelques jours avant la fin du chantier, j'étais avec un guide, il s'était un peu éloigné, je ne le voyais plus, je prenais mes points topo, puis d'un coup je n'ai plus rien entendu : pas un oiseau, pas un insecte, rien. Comme un sentiment de vide. J'entends un froissement dans l'herbe sèche. Je me retourne et je vois un losange noirâtre avec un gros point au milieu : C'était un énooooorme serpent qui avançait, se déroulait comme s’il n’avait pas de fin… Je crie au guide : « Aqui esta um Cobra ! ». Mais, je n'entends et ne vois plus rien. Donc le guide regarde, et il me dit :" Je le vois, je le vois, écaille verte, on ne voit pas sa tête".
Il faisait bien 4-5 mètres mais nous n’avons jamais connu sa taille réelle. Le guide balance une grosse branche dessus, part en courant avec la machette me laissant seul avec mon petit couteau ! Je lui ai très rapidement emboîté le pas... La forêt amazonienne est un monde à part, où tu te plantes, tu meurs, tu te coupes, tu ne cicatrises pas : tu ne peux pas être imprudent.
Cette expérience était dure psychologiquement mais je crois que cela m’a appris le courage, la patience et l’abnégation et c’est aussi ça l’archéologie.
En master, j'ai choisi de travailler sur le Saint-Mont parmi d'autres sujets.
C’était un challenge pour reprendre les données d’un site réputé impossible à reprendre. Alors je me suis attelé à la tâche : avec des amis nous avons fait 3,5 hectares de topographie sous la neige, le vent et la pluie. En M2 j'ai fait des sondages. A partir de 2014, j'ai eu les autorisations de fouilles, et c'était parti pour une fouille programmée!
A l’issu de mon master, j’étais recruté Ingénieur d’étude contractuel au CNRS, au laboratoire de Artehis de Dijon. Puis lorsque le PCR (Programme Commun de Recherches) sur les premiers monastères d’Occident a été clos pour travailler aux publications, j'ai été recruté par la ville de Besançon et, j'ai continué à être chercheur associé au CNRS. Le travail que j'y fais complète le contexte rural du Saint-Mont par un travail sur la topographie urbaine, sur la genèse et l'évolution de la ville jusqu'à Vauban.