Embarquement immédiat pour des randos au milieu de différents écosystèmes, des villes coloniales et colorées , des paysages exceptionnels et des voyages en bus aussi inconfortables que mémorables.
Janvier 2017
31 jours
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En ce 8 Janvier, je suis de nouveau assis confortablement dans un avion les yeux rivés sur l’écran interactif de mon siège en espérant que le temps passe plus vite. Dans la longue liste de films, je choisis « Zombieland 2 », une comédie horrifique plutôt sympa mais où ça décapite du zombie à la pelle. Une femme vient me voir en me demandant de mettre autre chose car son enfant est assis un siège derrière moi dans l’allée et peut donc voir l’écran. Le voyage commence bien… mais je m’exécute.

Le retour en France n'aura au final duré que la période des fêtes, juste le temps de refaire mon certificat de fièvre jaune et de me racheter un appareil photo, en espérant que cette fois il rentre en un seul morceau et avec moi à la fin du séjour. Une escale de quelques heures à New York est l’occasion de recevoir une remarque pour le moins douteuse de la douanière qui, après avoir vu la photo sur mon passeport, me demande s’il y a quelques années j'étais obèse… Je ne sais pas comment je dois le pendre mais étant donné que c’est elle qui doit apposer le tampon me permettant de rejoindre mon deuxième vol, je me contente de sourire niaisement. C’est la deuxième fois en très peu de temps que je me sens comme une victime soumise ! En me rendant mon passeport, elle ajoute " j'aurai besoin de votre solution miracle". Resourire niais.

J'atterris enfin au Costa Rica, à Alajuela, à quelques kilomètres à l'Ouest de la capitale San José. Je décide de rester ici parce que je suis juste au pied du Poas. Il est possible d'atteindre le cratère et de profiter d'une vue assez incroyable sur ce dernier. Il faut réserver à l'avance un créneau sur Internet et payer directement son entrée en ligne. Sans voiture, il n'y a pas d'autre solution que de prendre l'unique bus qui part du terminal à 9h et nous laisse là-haut aux alentours de 10h. Etant donné que le volcan est très souvent pris dans la brume après 9h du matin, je me pose des questions sur la faculté de réflexion des décideurs… Peut-être que sur un malentendu, ça peut passer !

Le lendemain en regardant en direction du sommet, les premiers nuages englobent déjà le haut de la montagne... En plus pour couronner le tout, le bus part avec 20 minutes de retard. Là ça ne sent vraiment pas bon … Comme j'ai déjà payé, je n'ai plus vraiment le choix. Le bus monte pendant près d'une heure sur le flanc du volcan jusqu'à atteindre un petit cabanon où ceux n'ayant pas encore leur ticket d'entrée peuvent l'acheter directement. La vue sur les immenses plaines du centre de pays se découvre petit à petit.

L'entrée coûte au minimum 15$ pour un étranger, quand un Costaricien ne devra débourser que 2$. Je n'ai rien contre le fait de devoir payer plus en tant que visiteur étranger dans un pays mais là c'est clairement abusé ! Et c'est comme ça dans tout le pays. Quand j'ai regardé pour les différentes activités et parcs où je pouvais aller, tous les tarifs étaient élevés mais la différence était parfois encore plus grande. Du coup, je vais zapper le Costa Rica pour filer directement au Nicaragua.

Ah oui c'est vrai que je devais parler du volcan ! J’ai un trou de mémoire subitement. Quel volcan ? Comme prévu je n'ai absolument rien vu tellement le brouillard était épais. Le bus nous a déposés sur un immense parking et il faut cinq minutes de marche pour arriver au centre des visiteurs, se munir d'un casque de protection. Cinq minutes de marche plus tard, j’arrive sur le bord du cratère. Les seules choses que j ’ai pu voir sont les photos installées devant l’abri de protection pour montrer le paysage dans les nuages et les impacts laissés au sol par les diverses projections du volcan lors des ses soubresauts réguliers. L'odeur de soufre est forte et prend vite à la gorge. Il est conseillé de ne pas rester plus de 20 minutes pour ne pas trop respirer de gaz toxique. Avant même la fin des 20 minutes, rempli de dépit, je tourne les talons et reviens au parking.

Après une heure de descente, direction San José. Entre Alajuela et San José je crois qu ’en dehors de Paris et de l’Amérique du Nord, je n’avais jamais vu autant de fast food au km². Billet pour le lendemain matin en poche, il faut maintenant que je trouve un hôtel. Le coin autour du terminal ne m'inspire vraiment pas confiance. Un sentiment qui s'accentue lorsque je rentre dans un hôtel et que l'on me demande si je veux prendre une heure ou deux. Très naïvement je me rends compte que tous les hôtels de la rue sont en fait des hôtels de passe. Ok, direction le centre-ville. Je galère pas mal à en trouver un qui ne soit ni trop cher ni trop éloigné du terminal mais après deux heures de recherche je tombe enfin sur la pépite. Et par là j'entends un lit et de l'eau tiède.

Le lendemain au moment de rejoindre le terminal à pied, le quartier s'éveille et les activités louches de la nuit commencent tout juste à s'évaporer. Le bus démarre et après quelques heures de route, la frontière se rapproche à grand pas. Ciao Costa Rica ! Un bruit sourd suivi d'une détonation se fait entendre et le bus ralentit jusqu'à s'immobiliser sur le bas-côté. On est en panne et la compagnie de bus annonce qu'il va falloir attendre au moins trois heures avant qu'un autre arrive. C’est bien trop long pour un passager qui se retrousse les manches et part trifouiller le moteur pour résoudre le problème. En moins d'un quart d'heure le bus redémarre et quelques kilomètres plus loin, se gare sur le parking d'un immense bâtiment. On doit confier notre passeport et l ’argent pour payer la taxe d’entrée au second chauffeur. Tous les passagers récupèrent leurs sacs et traversent la frontière à pied.

On attend nos passeports tamponnés au milieu de vendeurs ambulants. Le sésame en poche, je remonte m'installer dans mon siège et découvre sur le bord de la route le panneau souhaitant la bienvenue au Nicaragua.

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HOLA CHICOS Y BIENVENIDOS A NICARAGUA !

Rapidement après la frontière la route longe la rive ouest du Lac Nicaragua. Avec ses plus de 8000 km², c'est le plus grand lac d'Amérique Centrale et le troisième d'Amérique Latine. Au loin, les deux sommets qui forment l'île d'Ometepe pointent hors de l'eau mais restent peu visibles à cause de la légère brume qui plane au -dessus du lac. Rapidement, le bus arrive à Granada mais pas dans un terminal et me dépose en périphérie de la ville. Je dois rejoindre la Plaza de Armas pour trouver dans les alentours un endroit où poser mes affaires pour quelques jours. Pour y accéder, je parcours des rues entières toutes plus colorées les unes que les autres. C'est pour cette raison que Granada est souvent citée comme l'une des plus belles villes coloniales du continent et d'Amérique Centrale, même si Léon au nord du pays et Antigua au Guatemala aspirent elles aussi à ce titre.

Je trouve mon bonheur dans un petit hôtel sans prétention à deux rues seulement de l'immense place principale. Pour être heureux d'être ici, il faut accepter que la clim soit remplacée par un ventilateur brassant de l’air chaud, que tout soit humide, que l'eau soit froide et que le soir quelques bestioles peu désirables fassent leur apparition. Mais sinon, c'est plutôt cool comme endroit avec la grande terrasse pleine de hamacs.

Avant que l'obscurité ne commence à tomber, je fais un premier tour en ville. Comme lors de mon arrivée, les couleurs des maisons sont sublimées avec la lumière qui décline en ce milieu d'après-midi. En me perdant dans ce labyrinthe de ruelles colorées, je me promène dans des rues totalement désertes qui rejoignent les grandes artères piétonnes du centre historique. Des dizaines de restaurants ont installé leurs terrasses extérieures où de nombreux touristes s'attablent, cocktails et bières à la main, pour essayer de se rafraîchir dans cette atmosphère typiquement centre américaine.

En remontant cette longue avenue piétonne qui permet de relier la plage à la Plaza de Armas, je suis rapidement repéré et rejoint par des démarcheurs proposant des excursions pour les agences qui fleurissent dans cette rue très empruntée. Tous proposent la même chose : une demi-journée de navigation pour voir les petits îlots sur le lac, monter en haut du Mombacho, voir le lac de lave au fond du cratère du Masaya, la laguna de Apoyo ou encore aller sur l'île d'Ometepe. Depuis Granada il est facile de faire la plupart de ces activités soi-même ou en louant les services d'un "guide" directement sur place. J'essaye de me dépêtrer des rabatteurs mais ils sont pires que des sangsues... Une fois qu'ils s'accrochent, il faut se débattre pour s'extraire de leurs ventouses !

Je remonte une rue pour enfin arriver sur la place où trône une église accolée à une tour d'où sortent les sons de cloches. Il est possible de monter tout en haut et de pouvoir profiter d'une vue à 360°, car c'est certainement l'un des plus hauts bâtiments de la ville. Granada est totalement plate avec quasiment aucun relief offrant un point de vue. Depuis le haut de la tour, la Plaza de Armas est facilement localisable car la cathédrale est si reconnaissable et visible à des kilomètres à la ronde.

Cette dernière est à l'image de la ville : un peu hors du temps et ultra colorée. Son jaune vif, peu commun pour un édifice de ce type, tranche littéralement avec les toits rouge qui l'entourent et les quelques palmiers qui arrivent à se frayer un chemin au milieu de cet enchevêtrement de briques. Le haut des coupoles, peint en rouge foncé, renforce le contraste et rend le lieu particulièrement unique. De l'autre côté, toujours dominant une multitude de toits, se dressent au loin le volcan Mombacho dont la forme très découpée de son sommet suggère une violente éruption passée. Pas de doute, même si Antigua est vraiment une très belle ville, je pense que Granada la surpasse. Peut -être que le fait qu'il y ait moins de touristes joue aussi, car ils sont généralement plus au sud à San Juan.

En finissant de me balader dans les recoins du centre historique, je continue de découvrir des rues toujours plus colorées. Rouge, bleu, vert, violet … C'est un véritable arc-en-ciel urbain qui a élu domicile dans cette ville. La rue où se tient le marché, bien que nettement plus calme en cette fin d'après-midi, est l'endroit où la population locale se retrouve. C ’est le vrai cœur de la ville où il est possible d'acheter tout et n'importe quoi.

Une fois la nuit tombée, un ring est installé sur la place principale et est accolé à une grande scène. Granada accueille un tournoi international de boxe et tous les concurrents sont issus des pays d'Amérique centrale. Tous les âges et catégories sont représentés, aussi bien pour la boxe masculine que féminine. Evidemment il y a beaucoup de ferveur pour les athlètes nicaraguayens mais aussi beaucoup de fair -play quand ce sont les voisins qui montent sur le ring pour en découdre. Vues mes connaissances en boxe, difficile de dire si le niveau est bon mais c'est plutôt agréable à regarder et l'ambiance est digne d'une fête foraine. Entre les divers stands de fast -food dégageant des odeurs de grillades dans l’air, les animations entre les combats sur la scène et les pistes de danses improvisées ici et là, c'est un air de vacances qui plane au -dessus de la place.

Changement de décor pour les prochains jours. Je quitte ce centre coloré pour m ’enfoncer dans la nature bien plus volcanique toute proche de la ville. Un changement radical que j’attends impatiemment !

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Dès le lendemain de mon arrivée, je prends la direction du Mombacho dans le but d’atteindre son sommet juste à la force de mes jambes. Je dois prendre un bus qui part pour Rivas et demander au chauffeur de me laisser à l'intersection qui mène à l'entrée du parc. Difficile de le trouver et comme aucun terminal n ’est visible, je dois sembler un peu en galère. Un homme délaisse sa brouette remplie de fruits pour venir m ’aider. Le bus que je cherche part en réalité d’une petite ruelle non pavée à quelques rues d’ici. Pour le remercier je lui achète quelques fruits inconnus et pars en quête de la ruelle.

Lorsque le bus me dépose, je pars pour 2h30 de marche. De là il y a environ 7,5 kilomètres jusqu’au cratère nord pour un peu moins de 1 000 mètres de dénivelé. C ’est une rando moyenne, juste ce qu'il me faut pour me mettre en jambe pour les semaines à venir.

Dans un premier temps, je dois suivre la route jusqu'à arriver devant une barrière et payer pour continuer dans la réserve. Pour atteindre cet endroit il a déjà fallu marcher une bonne vingtaine de minutes et la route a commencé à monter doucement mais sûrement. Au moment de payer, j’ai le choix entre deux options : monter à pied pour 3$, en sachant que certains passages sont très abrupts, ou monter à l'arrière d'un camion en compagnie d'une douzaine de personnes pour 15$.

Ni une ni deux, j’échauffe les tendons, ligaments et muscles de mes jambes. Me voilà avalant les premières pentes du Mombacho. Il est encore tôt mais qu'est -ce qu'il fait chaud, pas loin des 30 ° ! Je suis déjà complétement trempé après seulement une petite demi-heure d’effort. Il me reste environ 4 km et devant moi se dresse un véritable mur. J’ai du mal à imaginer un camion monter un passage comme celui -ci. Justement, derrière moi, le vrombissement d'un moteur se fait entendre. Il semble déjà peiner et commencer à puiser dans ses ressources pour hisser plus haut la dizaine de personnes à son bord. Il me dépasse en crachant un nuage noir au visage, qui m'arrache les bronches. Il vient de poser ses roues sur les premiers mètres alors que son moteur s'emballe. Le pot d'échappement laisse échapper continuellement sa fumée toxique alors que le moteur crache ses dernières forces. Malgré le bruit qui fait penser à l ’agonie du moteur, il franchit ce passage et disparaît immédiatement de mon champ de vision au détour d'un virage.

C'est à mon tour de m'attaquer à ce mur. La montée est brève mais extrêmement intense. Avec mon appli GPS je verrai après coup, que ce passage d'à peine 400 mètres, est en moyenne à 42%. Le positif de la chose c'est qu'après m’en être débarrassé, j'ai l'impression de voler lorsque l'inclinaison diminue. Je continue à marcher pendant une bonne heure avant d'apercevoir une silhouette métallique sortir vaguement de la brume.

Quoi ? Encore de la brume ? On pourrait se dire que je n'ai vraiment pas de chance … Sauf que cette fois, j'étais prévenu. Le volcan est complétement végétalisé et fait parti d ’une réserve naturelle au microclimat très humide protégeant l’une des seules forêts nuageuses du pays voire d’Amérique Centrale. Avec l'humidité qui règne ici, l'écosystème est si particulier que beaucoup d’espèces, faune comme flore, sont endémiques et ne se retrouvent nulle part ailleurs. Baignée dans un brouillard et une humidité presque permanente, la végétation est complétement trempée et s'entremêle. Les mousses et les fougères s'en donnent à cœur joie pour pousser et envahir le moindre espace.

Je me suis pas mal plaint de la chaleur pendant la montée mais maintenant il fait bien plus frais. Je suis le sentier autour du cratère, ponctué de plusieurs points de vue aménagés offrant des panoramas. Avec cette brume si épaisse, il m ’est impossible de distinguer quoique ce soit. Je marche en slalomant entre les arbres qui empiètent sur le chemin. Certains passages comprenant des marches en bois sont rendus super glissants. J’ai l’impression d’être comme sur une patinoire. De temps en temps, la brume se dissipe et 1 400 mètres plus bas, le lac Nicaragua et les isletas apparaissent et ressemblent à de centaines de petits points sombres.

De retour au point de départ, toute la brume disparaît, comme par magie, en un claquement de doigt. Je me dépêche d’aller au belvédère le plus proche pour enfin voir le cratère. Il est impressionnant même s’il est difficile de se rendre vraiment compte de sa profondeur car, entièrement tapissé de végétation, la vue est obstruée. Quand on sait que c’est l’un des cinq cratères du volcan et l’un des plus petits, c’est plutôt bluffant.

Il existe deux autres sentiers que l’on peut découvrir avec obligatoirement un guide. Vu la brume présente, j’hésite à faire le sentier d’El Tigrillo. Si c’est pour marcher dans une forêt sans ne rien pouvoir voir, j’ai peur de le regretter. On trouve ici plus de 750 fleurs différentes, plus de 60 mammifères et 28 espèces de reptiles même s’il est presque sûr que le compte n’est pas encore bon. II paraît qu’il y a de nombreux singes hurleurs, des coatis et des paresseux dans cette jungle. Avec la faible visibilité, je réussis seulement à distinguer quelques formes sombres bougeant et passant de branche en branche. Il faut aussi faire attention aux plantes que l’on touche car certaines sont urticantes alors que d’autres sont carrément venimeuses. La réserve est aussi connue pour abriter un nombre impressionnant de champignons hallucinogènes. Avis aux amateurs ! Mais attention, qui dit réserve dit zone protégée, donc il faut aussi se préparer à halluciner sur l’amende plutôt salée qui pourrait tomber.

Autant la montée avait des passages vraiment galères, autant la descente est un vrai plaisir. Sur le chemin, je croise une multitude de papillons différents qui, même s’ils ne sont pas de toutes les couleurs, impressionnent par leur taille. Des cris stridents viennent de la cime des arbres. En levant la tête, leurs auteurs apparaissent tout de noir vêtu à l’exception des quelques plumes jaunes de leur queue. Sur les branches qu’ils occupent, de gros cocons fait de feuilles, branches et brindilles, contenant leurs œufs et leur progéniture pendent dans le vide.

Je continue la descente jusqu’à rejoindre enfin l’intersection. J’ai plus de 20 km de marche dans les jambes et j’ai vraiment en tête de retourner à l’hôtel pour buller tranquillement à l’ombre dans un hamac. L’alternative serait de prendre le prochain bus qui déboule et aller jusqu’à Catarina, un petit village sur les hauteurs de la Laguna de Apoyo. Je ne suis qu’à quelques kilomètres de ce dernier, et ce serait dommage de ne pas en profiter. Tant pis, les hamacs attendront ! Le bus arrive et j'embarque en un éclair. Main droite sur l'échelle et juste un pied à l'intérieur que déjà le bus repart dans un énorme nuage noir.

A Catarina, c'est la fête au village. Il y a de la musique et des stands où les artisans viennent vendre leurs créations. C'est la vieille église de couleur orange âgée de plus de 150 ans qui nous accueille perchée sur une petite butte à l'entrée d'un chemin qui mène droit à un mirador. Des gradins ont été aménagés et, en ce début de week-end, tous sont entièrement occupés. D'ici la vue sur la laguna est déjà impressionnante même si elle n'apparaît pas encore entièrement. Bien plus loin, le Mombacho toujours coiffé de nuages, apparaît lui aussi. Il faut payer 2$ pour pouvoir emprunter et suivre un court sentier permettant de rejoindre une série de miradors. Lorsque le soleil arrive à percer la couche nuageuse, la couleur de la laguna change instantanément. L'eau vire alors du bleu - gris au bleu perçant, en embellissant au passage le paysage. Les parois de l’immense caldeira sont elles aussi végétalisées et seules les quelques plages aménagées sur le tour du lac laissent entrevoir une présence humaine dans cette dense forêt.

La laguna de Apoyo est d'origine volcanique. Ce n'est pas un cratère comme ceux présents aux sommets de nombreux volcans mais une caldeira. Ce large cratère d'effondrement à fond plat et aux parois abruptes s'est formé il y a 23 000 ans lorsque le volcan est entré en éruption. Après avoir complétement vidé sa chambre magmatique, ne pouvant plus supporter son propre poids, l’édifice en entier s’est effondré pour former ce paysage. Cette éruption majeure libéra plus de 30 km3 de produits volcaniques, recouvrant et plongeant toute la région dans l'obscurité.

En suivant le sentier aménagé dans cette petite forêt partiellement déboisée à certains endroits, je suis surveillé de près. Des dizaines de singes, cachés à plusieurs mètres de hauteur, peuplent les lieux et suivent les visiteurs. Certains, accablés par la chaleur, se sont trouvés un endroit bien confortable au creux de deux branches pour fermer les yeux et se laisser aller à une activité primordiale : la sieste. Même quand des mômes se mettent à hurler au pied de l'arbre en tentant de les faire bouger, ils restent imperturbables et, en parfait équilibre à 5 mètres du sol, mènent leur activité à bon terme.

L'activité volcanique, toujours présente dans les profondeurs de la Terre, réchauffe les eaux calmes de la lagune où il est possible de se baigner dans une eau entre 26 et 30°. Malheureusement, les plages ont été privatisées par les hôtels et il est impossible de rejoindre un endroit isolé juste pour se poser au bord de l'eau sans payer un droit d'entrée ou de passage. Ils se mettent bien et se font plaisir mais je n’ai aucune envie de payer les 6$ demandés juste pour me poser une demi-heure les pieds dans l'eau.

En cette fin d'après-midi, plus aucun bus pour ma Granada ne passe. J’arrête un tuk-tuk pour qu'il me dépose à l'intersection du Mombacho. J'attends en espérant qu ’à cette heure-ci, un bus venant de Rivas fasse encore le voyage. Comme on dit, patience est mère de vertu, et après une longue attente, un bus pointe enfin le bout de son parechoc. Je sympathise avec Kyle, un texan descendant l’Amérique latine en 5 semaines. On se retrouve le soir pour aller dans un petit restaurant sans prétention. Dans l’atmosphère sombre de la salle, d’où s’élève de la fumée de cigarettes, la musique bat son plein. Je ne sais pas trop comment la conversation a dévié mais on en vient à parler de politique. « D’après toi, je suis démocrate ou républicain? ». La question est aussi soudaine que déroutante. J’opte pour le côté démocrate mais lorsqu’il me montre les photos de ses fusils d’assaut sur son portable, je comprends que mon intuition n’était pas la bonne. Ah le Texas...

Le clou du spectacle dans le coin, mais aussi l’activité touristique n°1 de tout le Nicaragua, consiste à monter de nuit pour voir le lac de lave au fond du cratère du volcan Masaya. Sans véhicule, il est impossible de monter jusqu'au parking aménagé. Pour y aller, je dois passer par une agence. Le départ se fait depuis la place de Granada et je partage le van avec 6 autres personnes venant tous du même hôtel. Ce sont des Digital Nomad qui parcourent le monde tout en travaillant. En tendant l’oreille, j’apprends que certains ne sont pas convaincus par le Nicaragua car… le Wifi n'est pas dingue. Madre Fucking Mia !

En bas du volcan, un gars monte dans le van et nous met un bracelet autour du poignet. On doit ensuite attendre. Seulement, 15 véhicules sont autorisés à monter en même temps et doivent rester là-haut un quart d'heure par mesure de sécurité. On devrait normalement pouvoir monter avec la seconde vague, mais deux voitures remontent toute la file et se rabattent devant nous. Elles peuvent passer mais on reste bloquer pour les vingt prochaines minutes. Les enfoirés ! En négociant, le chauffeur obtient l'autorisation d’aller au centre des visiteurs. C'est une étape optionnelle et on sera les seuls dedans. On a la chance d'être accueilli par un volcanologue qui va nous expliquer les spécificités de cet endroit. Tout le monde s'en fout et je suis le seul happé par son discours et qui pose des questions, au grand dam des autres. Visiblement, aujourd'hui c'est moi le relou/boulet du groupe pour ces voyageurs-travailleurs ! Le musée est quand même assez grand et on a que 10 minutes pour en profiter avant de remonter dans la voiture pour atteindre le parking au niveau du cratère.

Dès que l'on sort, la "Boca del Infierno" se dresse droit devant. Il fait maintenant nuit noire et les lueurs rougeâtres de la lave sont visibles. La lumière dégagée par le volcan éclaire tous les reliefs autour de nous. Je m’approche du rebord tout en remontant mon tour de cou pour protéger un minimum mes voies respiratoires des gaz irritants.

Une fois au bord du cratère, d’où s’échappe une fumée teintée de rouge, le spectacle est grandiose. Même si cela n'a rien à voir avec les images vendues par les agences pour appâter les touristes, la vue reste incroyable. Encore une fois, pour des raisons de sécurité, il est impossible de faire le tour du cratère à pied ou s’approcher trop du bord.

C'est la première fois que je vois du magma de mes propres yeux (mais de loin quand même). Je me souviens alors d'un prof de Géologie en Master qui nous avait dit, en prenant entre autres le Masaya comme illustration, que si un jour on allait là -bas de vraiment en profiter car des lacs de lave visibles sont très rares. Il en existe seulement 8 et la plupart sont temporaires. J ’ai un sentiment particulier car je me sens privilégié alors qu'en réalité je suis entouré de 40 autres personnes pour partager cet instant.

La lave qui bouillonne quelques centaines de mètres plus bas est le seul bruit qui arrive à mes oreilles. Tout le monde reste calme, sans dire un mot et les yeux rivés sur le liquide en fusion dansant au fond de son trou. Même si une seule petite partie du lac est réellement visible depuis notre position, nos regards sont en contact direct avec les entrailles de la Terre. Pour le voir mieux et en entier, il faudrait monter sur le rebord supérieur mais le chemin est interdit d'accès…

Malheureusement, vue la qualité de mon matériel, les photos ne rendent pas vraiment hommage à l’endroit. Sur mes clichés, le lac de lave ressemble plutôt à la lueur d'un lampadaire pris avec un téléphone portable. Tant pis pour les photos. J'ai prévu de revenir le lendemain pour le voir le cratère de jour et marcher sur les sentiers. J'étais quand même au courant de l'existence de ce lieu ô combien fou, bien avant de mettre un pied au Nicaragua.

Ce sont notamment les vidéos de National Geographic sur des volcanologues descendant en rappel sur une plateforme en contrebas pour tourner des images incroyables et terrifiantes qui m ’ont le plus marqué. Quelques mois après ma visite, le funambule Nik Walllenda a tenté et réussi la traversée du cratère sur un fil au-dessus de la lave. Désolé pour les métaphores anatomiquement sous la ceinture mais… même s’il doit avoir un gros souci au niveau psychique, il a dû avoir tellement chaud aux fesses, qu’il faut bien lui reconnaître qu’il a de sacrés cojones !

Le lendemain, comme prévu, je reviens sur le site et m'arrête de nouveau au musée pour en profiter un peu plus avant de regagner le parking plus haut. Contrairement à ce que l’on peut penser, le cratère est bien plus impressionnant de jour. Les gaz qui s'en échappent gâchent un peu la vue mais le trou béant est quand même bien visible. Impossible cette fois de distinguer le lac de lave, mais la morphologie du cratère apparaît. Plusieurs plateformes naturelles sont présentes et tout au fond le lac de 70 mètres de diamètre bouillonne à 250 mètres sous mes pieds.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, des animaux ont fait de cet endroit extrêmement inhospitalier leur lieu de vie. C'est le cas de plusieurs de dizaines de petites perruches vertes qui ont élu domicile dans les parois rocheuses et déchiquetées du cratère. En s'adaptant à la toxicité des gaz émis, elles bénéficient d'un énorme avantage car elles peuvent aller à des endroits inatteignables pour leurs prédateurs et se cacher facilement la journée. Sur les hauteurs, des rapaces et des vautours patrouillent en surveillant du coin de l'oeil s'il n'y a pas moyen de se mettre quelque chose sous le bec.

Le Masaya est constitué de plusieurs ensembles volcaniques embriqués les uns dans les autres. Tous les cratères sont contenus dans une gigantesque caldeira de 20 km sur 6, appelée sobrement « Caldeira de Masaya ». Lorsque l'on monte jusqu'au parking, on se trouve en réalité face à cinq cratères qui appartiennent à deux volcans jumeaux : le Nindiri et le Masaya. Ces derniers vont former le complexe volcanique du Masaya. C'est un peu confus tout ça mais pas de panique, le meilleur arrive !

Le cratère actif, appelé Santiago, et par lequel on désigne communément l'ensemble du complexe n'appartient pas au volcan Masaya mais au Nindiri. Le Masaya est composé de deux cratères, le San Juan et le San Fernando, situés immédiatement à l'est du cratère actif. Ce dernier, avec les deux autres cratères (le Nindiri et le San Pedro) appartient au Nindiri. Toujours là ? C'est bon le plus dur est passé !

Au fil de son histoire, ce complexe a connu plusieurs épisodes éruptifs de différents types. Actuellement l'activité est de type hawaïen qui a pour caractéristique une lave extrêmement fluide permettant notamment la formation et le maintien du lac de lave. Auparavant le complexe s'est parfois comporté comme un volcan de type strombolien (alternance de coulées de lave et de dépôts volcaniques) ou encore, il y a bien longtemps, comme un volcan plinien avec l’émission de nombreuses cendres et d'une immense colonne au-dessus du cratère au cours d’une éruption similaire à celle du Vésuve.

Durant l'époque précolombienne, les indigènes qui habitaient la région vénéraient le volcan tout en procédant à des sacrifices humains pour calmer la colère de leurs dieux. Horrifiés, les conquistadors étaient alors persuadés que le Masaya était la Porte des enfers et avait une aura maléfique. Pour exorciser le Démon, ils firent ériger une immense croix en hauteur sur le bord du cratère, toujours en place aujourd’hui. Les Espagnols, également convaincus que la lave était en réalité de l'or, tentèrent de descendre et d'en récupérer le maximum pour faire facilement et rapidement fortune. Bien évidemment, avec la chaleur importante, les tentatives furent vaines et ils renoncèrent rapidement à leur entreprise.

Du parking, des chemins partent vers l'est et vers les cratères du "vrai Masaya". Une petite montée sur un sentier balisé permet de prendre de la hauteur et d'avoir une vue panoramique sur les différents cratères. Les deux qui constituent le Masaya ont des diamètres d'environ 300 mètres et s'embriquent l'un dans l'autre. Comme il n'y a pas eu d'activité depuis longtemps, la nature a repris ses droits et la végétation a partiellement recolonisé le fond et les flancs. Au loin, un immense nuage de fumée s'élève au-dessus du Santiago cachant la petite camionnette et cabane sur la gauche. Le volcan étant considéré comme dangereux et parfois instable, il est monitoré et surveillé en permanence par une équipe internationale. Cette même équipe qui, munie de masques à gaz, descend régulièrement sur la première plateforme à l’aide d’une tyrolienne.

En haut, une garde surveille les quelques visiteurs. Contrairement au soir, il n'y a que peu de passage en journée. Impossible de faire le tour complet des cratères en suivant les crêtes car le vent a rendu le parcours dangereux si bien que tous les sentiers sont maintenant fermés. Le parc est le plus important du pays, en nombre de visiteurs, alors toutes les précautions sont prises pour ne pas voir un touriste se blesser et faire un scandale par la suite. Le Mombacho est visible au loin avec au premier plan la ville de Masaya et sa laguna.

J'ai repéré un chemin qui semble descendre jusqu'à arriver dans la petite ville de Nindiri, à deux pas de la route qu'empruntent chaque jour des dizaines de bus reliant Managua à Granada. La gardienne m'explique qu'il est impossible de le faire sans guide notamment à cause des crotales qui pullulent en cette saison. Précaution est mère de sureté, mais entre ça, le vent, les chemins escarpés et j'en passe, il est impossible de découvrir le parc tranquillement et en autonomie. Tout est fait pour mener seulement au cratère. Entre ça et le Mombacho qui propose de monter en camion, j'ai l'impression que le Nicaragua prend le chemin du Costa Rica et s'oriente vers un tourisme à l'américaine pour les Américains où tout est accessible sans efforts à condition de bien vouloir y mettre le prix.

Redescendre par la route pose encore problème. Cette fois -ci le gardien des lieux a peur que je me fasse renverser. Il doit y avoir un véhicule toutes les 10 minutes et à part quelques virages, la route n'est qu'une immense ligne droite. Ça commence vraiment à me saouler et j’en ai marre qu'on me prenne pour un enfant de 8 ans … Je ne l'écoute pas et commence à descendre quand même à pied. A peine après un kilomètre à marcher sur cette route déserte, une voiture s'arrête à ma hauteur pour me redescendre. C'est un couple de prof français en vacances et vivant au Costa Rica. Tout comme moi, ils sont frustrés car ils voulaient aussi redescendre via les sentiers et les paysages volcaniques.

Sous la pluie battante, ils me déposent à Masaya, petite ville célèbre pour avoir été il y a deux ans l'épicentre du soulèvement contre la politique du président (dictateur) Ortega et qui a payé un lourd tribut lors des représailles de la Police … Je saute dans le premier bus qui passe en direction de Granada. Dedans, je me retrouve nez à nez avec deux clowns. Ce sont des gamins qui, pour se faire un peu d'argent, improvisent des sketchs en impliquant les voyageurs. Ils parlent rapidement et avec un accent exagéré. J'ai du mal à tout suivre, mais ça a l’air d’avoir du succès auprès des voyageurs.

J’entends plusieurs fois le mot "Chele" et je crois comprendre que ce mot me qualifie mais impossible d'en deviner le sens. Lorsque leur sketch se termine, et après être passé pour demander une pièce auprès de tous les passagers du bus, ils s'installent à seulement quelques places de moi. J'en profite pour leur demander la signification du mot. Alors c'est très simple : "Chele" c'est le verlan de "leche" qui signifie "lait" en français. Comme chacun le sait, le lait est blanc et donc par extension on fait référence à ma couleur de peau. Donc "Chele" signifie juste "Blanc".

C'est un peu comme "Gringo" au final sauf qu'ils me coupent directement : " Non du tout ! "Chele", ce n'est pas péjoratif ici par contre si on te dit "gringo" ça le devient un peu plus ". Du coup dans leur sketch ma personne a sûrement pris un peu chère mais avec du respect ! Pour ma dernière nuit à Granada, je vais me coucher beaucoup moins stupide.

4

Je prends la route pour Rivas dans le but de rejoindre l'île d'Ometepe. Partir d'un haut lieu touristique vers un autre fait que le bus est blindé et les gros sacs à dos s'entassent à même le sol. Trouver une place assise ? Autant oublier de suite ! En montant seulement quelques minutes avant le départ, j'ai du mal à me faufiler pour trouver un espace. Deux heures de voyage plus tard, le bus débarque tout ce beau monde à Rivas, petite ville de passage sur la Panaméricaine. Des taxis conduisent jusqu'à l'embarcadère alors que des bus partent pour la ville côtière de San Juan del Sur.

J'arrive à l'embarcadère alors que le ferry vient tout juste de quitter le quai. Je tourne en rond pendant une heure en attendant que le prochain accoste. Le ferry n ’est plus tout jeune. Il ne peut transporter qu'une petite dizaine de véhicules, parfois moins quand un camion embarque. De toute façon sur l’île, il n'y a qu'une seule « vraie route » et les voitures sont relativement rares. Les habitants utilisent surtout les quelques bus, tuk -tuk ou leurs propres motos. La traversée se fait sur une eau relativement calme, seules quelques vagues viennent s’écraser sur la coque du bateau. Plus les minutes passent et plus le volcan Concepción devient imposant, accompagné sur sa droite par son compère le Maderas. Tous les deux sont coiffés de nuages cachant leur sommet. Vue du ciel, l'île a une forme de 8, chaque boucle étant formée du socle de l'un des deux volcans reliés entres elles par un isthme formé des dépôts volcaniques des éruptions passées.

C'est sûrement l’un des ferrys le plus lent du monde. Une heure pour venir à bout des 13 kilomètres qui séparent la rive de l'île. Pendant toute la traversée, le moteur fait de drôles de bruits en alternant ralentissement et accélération soudaine, le tout bercé par des vibrations continues. Malgré ça, le papy en ferraille tient le coup et accoste à Moyogalpa, la ville la plus peuplée de l'île, sous la gigantesque silhouette du Concepción. Des hommes sautent à l’eau pour agripper les amarres et les attacher au quai.

Rapidement, en recherche d'un hôtel pour les prochains jours, je saute dans un tuk-tuk et, après être un peu sorti de la ville, on emprunte un chemin sablonneux rempli de chaos jusqu’à arriver en plein milieu de la jungle. L'hôtel n'a pas de véritable voisin proche et les chambres donnent directement sur la végétation luxuriante. Adjugé vendu !

Le proprio me fait un rapide debrief sur les différentes activités qu'il est possible de faire sur l'île et insiste sur les deux randonnées pour se rendre au sommet des deux volcans. C'est plutôt bienvenu car j'ai en tête de faire celle sur le Concepción. Il connaît un guide avec qui il travaille et, après un rapide coup de téléphone, il peut m'arranger l'excursion pour le lendemain matin. Il insiste bien sur la difficulté de l'ascension et sur le fait que même en saison sèche, le sommet est toujours recouvert de nuages. Jusqu ’à maintenant, le fil rouge de mes randos c'est clairement le brouillard …

On verra pour les prochains jours, si j’ai la motivation et surtout si le sommet se découvre parfois ! Fin de journée se terminant confortablement installé au fond d'un hamac, en servant de garde-manger à une floppé de moustiques. Le tout en étant bercé par les bruits provenant de la jungle, entrecoupés parfois, par les cris horriblement forts de quelques singes hurleurs ayant élu domicile dans les arbres tout proches.

Sur l'île règne une paisible atmosphère qui ne motive pas à se lever aux aurores pour partir à sa découverte. Et pourtant… les singes hurleurs sont en activité très tôt le matin. Le p'tit déjeuner en leur compagnie est une première pour moi. Je suis en plus surveillé du coin de l'œil par la star à plumes locale. Caché au milieu des feuilles, un geai à face blanche m'observe et se tient prêt pour profiter de ce qu'il y a dans mon assiette si l’occasion se présente. Il est facilement reconnaissable par sa couleur bleue et blanche mais surtout grâce à ses petites plumes au -dessus de la tête qui se relèvent en formant une petite houppette. La réincarnation aviaire de Tintin n'est pas farouche et, profitant du moindre moment d'inattention, se rapproche pour chiper au passage de quoi se rassasier.

Je loue un vélo pour partir visiter l'île plus facilement. Les loueurs sont nombreux et les prix similaires quasiment partout. Louer un vélo ou un scooter ? Comme je n'ai pas prévu d'aller aujourd'hui de l'autre côté de l'île, le vélo sera suffisant.

Celui sur lequel je m’assois pour pédaler est plus que limite, mais le principal est là : les deux roues sont droites et gonflées. En avant toute. La route est relativement plate dans les alentours proches de Moyogalpa, mais pour rejoindre la deuxième boucle de l'île, il faut grimper une côte assez prononcée sur quelques kilomètres avant de redescendre et arriver de nouveau au niveau de la mer. Rapidement après être sorti du village, la route coupe une énorme piste goudronnée. C'est l'aéroport de l'île qui accueille seulement quelques vols hebdomadaires en provenance de Managua. Même si le trafic routier n'est pas très important, faire se croiser la seule route de l'île avec la piste d'atterrissage, reste un dispositif assez curieux. Quand un avion arrive, des agents se placent de part en part pour couper la circulation. Bien dégagée, la vue sur le Concepción est imparable, et c'est certainement l'un des plus beaux cadres possibles pour un décollage. Comme hier, impossible de le voir en entier avec son chapeau de nuages bien en place.

J'ai un bon rythme de pédalage et je rattrape un bus qui vient de redémarrer devant moi. Je me rapproche et essaye de rester le plus près possible derrière lui. Je suis ainsi protégé du vent de face qui m'oblige à pédaler de plus en plus fort sur ces longues lignes droites. Mauvais calcul car lorsque le chauffeur appuie sur l'accélérateur après avoir passé une vitesse, un nuage de fumée noire s’échappe du pot pour m'arriver directement en plein visage. Je lâche l'affaire, mieux vaut affronter le vent plutôt que cette mixture toxique.

La route me fait exactement penser à ce que l’on pourrait mettre sur une carte postale représentant l'Amérique Centrale. Peu de trafic avec seulement quelques motos et tuk -tuk qui circulent, des petites boutiques dans chaque hameau qui vendent du coca et quelques fruits, le tout entouré par l’épaisse verdure visible partout. Je continue de pédaler jusqu'à atteindre le Charco Verde, un petit parc naturel où un sentier et un jardin à papillons ont été aménagé.

A l'intérieur, des dizaines de papillons virevoltent sans se soucier d'un éventuel prédateur. Plusieurs espèces cohabitent ici mais l'une d’elles retient plus mon attention que les autres. Avec ses ailes bleues qui reflètent la lumière, elle ne passe pas inaperçue. Mais pour la prendre en photo c'est une véritable galère. Un panneau d'information explique que durant la journée elle ne se pose que pour se cacher bien à l'abri d'une menace. Au final, impossible de sortir un cliché digne de ce nom, mais heureusement, les autres espèces sont un peu plus calmes et se posent assez régulièrement. L'une d'elles a sur la face externe de ses ailes plusieurs cercles rouges et bleus de différents diamètres servant à simuler des yeux pour impressionner d'éventuels prédateurs.

En suivant le court chemin de randonnée, je traverse un jardin et une forêt jusqu'à arriver à une plage sauvage. En face se dresse le Maderas qui est lui aussi couronné de nuages. La largeur de la plage n’étant de quelques mètres seulement, les arbres ont certaines de leurs branches qui baignent directement dans l'eau du lac. En repartant, je longe une minuscule lagune que quelques échassiers blancs quadrillent en plongeant le bec dans l'eau pour remuer la vase et trouver de quoi se nourrir. Comme toujours, le Concepción se dresse au-dessus du labyrinthe vert.

Je suis soudainement pris d'une grosse fatigue. Ayant abandonné l'idée de monter la côte à la force de mes mollets, je regagne la route pour renter au village. Sur le chemin, je m'arrête quand même à la Punta Jésus Maria, qui est l'une des attractions du coin. Pourtant l'endroit ne paye pas de mine. C'est juste un banc de sable qui s'enfonce dans les eaux sombres du lac, avec à proximité quelques arbres pour se mettre à l'ombre et des petites cabanes proposant de quoi boire ou manger.

C'est apparemment le plus bel endroit de l'île pour assister au coucher du soleil mais je ne vais pas l'attendre. De plus en plus fatigué, je quitte rapidement le lieu. Les quelques kilomètres à parcourir sont pénibles. J'ai l'impression d'être vidé de mes forces. La béquille du vélo qui, jusqu’à maintenant ne présentait aucun souci, se baisse tous les 100 mètres et frotte sur la roue arrière. Je suis obligé de m'arrêter plusieurs dizaines de fois pour la relever. Seulement quelques secondes de répit avant que le frottement ne reprenne.

Je rends le vélo et me dirige vers un loueur de scooters. Demain j'envisage d'aller de l'autre côté de l'île, plus sauvage, pour voir la cascade San Ramon et pourquoi pas aller marcher un peu sur le Maderas, bien trop loin à atteindre en vélo. Il n'en sera rien car la grosse fatigue se transforme en mal de crâne, frissons, toux et fièvre. Je passe une nuit horrible entre les symptômes d'une petite grippe, les moustiques et la chaleur ambiante. Deux jours durant je vais rester cloîtré tantôt dans cette petite chambre, tantôt dans un hamac en essayant de récupérer un maximum avant de repartir.

5

ULe surlendemain, je laisse tomber l'idée d'aller de l'autre côté de l'île et, me sentant légèrement mieux, je me dirige vers l'embarcadère pour revenir sur le "continent". Cette fois ci, un semi-remorque embarque et oblige plusieurs voitures à attendre le prochain départ. Comme à l'aller, les vibrations et les bruits du moteur accompagnent la traversée. Dernier regard en arrière vers le Concepción qui, une fois n'est pas coutume, est toujours bien caché au chaud dans son énorme nuage.

Un taxi pour le terminal de Rivas et un bus plus tard, je débarque à San Juan del Sur, le paradis du gringo en quête d'alcool pas cher, de musique pourrie et de fêtes au droit d'entrée élevé pour un pays comme le Nicaragua. Pourquoi y aller alors ? Parce que le cadre est quand même plutôt agréable et que fête ou pas fête, vu mon état encore un peu bancal, cela ne changera pas grand-chose à mon activité nocturne. En débarquant en milieu d'après-midi et en trouvant très vite mon bonheur pour dormir, je pars directement me balader. Dans cette petite ville, de nombreux bars et restaurants

sont ouverts et les maisons donnant sur le front de mer sont soit des villas soit des hôtels qui ont privatisé des espaces sur la plage. Comme on est dimanche, c'est le jour du Sunday Funday. Cette fête consiste à payer un droit d'entrée pour participer à une fête, généralement dans des bars donnant sur la plage. De nombreux rabatteurs viennent à ma rencontre pour me vendre les différentes options. En gros tu payes 20 $ l'entrée mais les consos ont juste une légère réduction. Si tu es prêt à mettre au moins 50 $, alors là tout est à volonté. Dans les rues, c'est la foire aux Ricains et Canadiens. L'Amérique Centrale est aux Nord-américains ce que le Maghreb est aux Européens : pas cher, du soleil pendant l'hiver, des piscines et la possibilité de faire la fête.

Je bifurque rapidement pour marcher sur le sable et éviter d'autres rabatteurs mais c'est peine perdue. Ils sont partout. Loin de ces discussions, des groupes de pélicans chassent dans les eaux peu profondes qui bordent la plage. En quête de poisson, ils s’envolent et lorsqu’une proie est repérée, ils plongent en piqué pour s'écraser avec fracas dans l'eau et gober le poisson qui n'avait aucune chance de s'en sortir. Au loin, la plage se termine par des falaises de plusieurs de dizaines mètres de haut sur lesquelles une statue de Jésus a été construite et veille sur la ville.

Le chemin est très court mais pentu. Dans les arbres au -dessus de la route, quelques singes sautent de branche en branche. J'arrive au pied de la statue mais je dois payer pour rentrer sur cette petite place servant de belvédère. Des dizaines de personnes sont ici pour profiter de la vue, autant de touristes locaux que d'étrangers. San Juan a été construit au fond d'une baie fermée aux deux extrémités par des petits reliefs. Au milieu de cette étendue bleue, des dizaines de petites embarcations de pêcheurs sont ballotées par les vagues et côtoient les luxueux voiliers qui sont stationnés dans la marina. La lumière de cette fin de journée projette les premières ombres à l'intérieur de la baie.

Au pied de la statue, le message très pieux "Jésus en ti, confio" est écrit en lettres capitales pour ne pas passer à côté. Je rencontre des Québécois qui veulent acheter ici pour créer un nouveau bar et hôtel eco-friendly. C'est assez classique, plus du tiers de la ville est inoccupée ou sert de résidences secondaires. Je suis invité d ’ailleurs à faire la fête ce soir dans LE bar de la ville.

Comme il faut s'y attendre, le soir les abords de la plage sont pris d'assaut pour rentrer dans ces soirées. Les restos profitent de l'événement pour gonfler les prix. Même quand je commande une pizza, j'ai plus l'impression d'être au Panama qu'au Nicaragua. Je zappe les soirées, pour aller marcher sur le sable. Il y a des petits attroupements ici et là alors que la fête bat son plein. Je rentre rapidement parce que je commence à me sentir encore un peu fiévreux. Même pas 23h et le papy que je suis, est déjà étalé au fond du lit.

Tôt le lendemain matin, je ressors pour une nouvelle balade sur la plage. J'ai l'impression qu’hier, l'air marin m'a fait du bien. En plus, comme je ne sais pas encore ce que je vais pouvoir faire de ma journée, c'est l'occasion d'aller à la pêche aux infos sur ce qu'il y a à voir. Enfin plutôt quelles sont les plages les plus sympas pour s'y perdre et s'y baigner.

Mais malheureusement c'est la douche froide… la plage est super crade. Tous les cinq mètres des gobelets, bouteilles de bières et autres emballages plastiques jonchent le sable. Super… Les mecs viennent faire la fête en laissant tout derrière eux. À force d'en croiser tous les dix pas, je décide de profiter de ma balade matinale pour les ramasser. Marcher pour marcher, je me rendrai au moins utile. Je vais dans un des fameux bars qui organisent les soirées pour demander s'ils peuvent me passer un sac poubelle. Le refus est catégorique de la part du patron ! La discussion s'envenime assez rapidement. "Pourquoi ça devrait être à nous de t’en donner un ? " - "Euh peut-être parce que c'est des gobelets et des bières qui viennent de TON putain de bar ". Résultat des courses, il me met dehors. Je tente dans un bar voisin et, malgré l’étonnement, le patron me donne deux petits sacs pour ma « récolte ».

En moins d’une demi-heure de ballade, la pêche a été bonne. Dommage que ce soit ces trucs tout dégeu et pas de vrais poissons… Mes deux sacs sont pleins, et ne pouvant plus rien mettre dedans, je suis obligé de laisser les derniers déchets qui gisent encore dans le sable. Il doit y avoir pas loin de 4 kilos dans chacun d ’eux. En faisant ça, je ne passe pas inaperçu sur cette longue plage. Plusieurs personnes viennent à ma rencontre pour me dire que c'est vraiment bien ce que je fais. L'ironie de la situation c'est que certains portent des t-shirts où est écrit en gros "Sunday Funday". C'est assez énervant. Je ne dis pas qu'ils sont personnellement responsables de ça mais bordel … au lieu de me dire à quel point mon ramassage est cool avant de continuer ton chemin comme si de rien n'était, prends un sac et ramasse ce que tu peux aussi !

En repassant devant le premier bar avec qui la discussion a été plutôt houleuse, je me prends à rêver d’y rentrer pour y déverser le contenu de mes sacs sur la tête de l'autre abruti. En sortant de la plage, je croise deux employés communaux chargés de nettoyer les rues et la plage. Ils me débarrassent de mes sacs et, rempli de dépit, me disent que c'est comme ça tous les lundis, jeudis et samedis. Ils en ont vraiment marre et regrettent l’époque où le tourisme était bien moins développé. "Mais bon c'était quand même bien crade aussi, mais c'était à cause de nous parce qu'on jetait tout et n'importe quoi dans la nature. Maintenant nous nous sommes améliorés, mais ça ne sert à rien vu que c'est devenu pire qu'avant avec les fêtes organisées ".

Il est à peine midi. Je passe reprendre mes affaires pour partir loin d'ici. Cela m'attriste parce que le cadre est super agréable. Mais dès mon arrivée, j'ai senti une atmosphère bizarre. Je saute dans le premier bus pour Rivas et après un changement à Granada, j'arrive après la tombée de la nuit à Managua. Sur le chemin, je réserve en ligne un hôtel parce qu’un passager me l’a conseillé. Apparemment une fois la nuit tombée, Managua craint un peu. Pour une capitale d'Amérique Centrale, le contraire aurait été étonnant. Je verrai si c'est vrai mais dans le doute, autant écouter les recommandations d’une personne qui y vit.

6

Managua, la capitale du Nicaragua, est souvent délaissée au profit de Granada et Léon qui sont situées respectivement à 45 et 90 km. À cause de son manque d'identité, ce n'est pas une ville qui fait vraiment rêver. Avec ses 2 millions d'habitants, c'est le cœur du pays mais on ne peut pas dire que ça soit son âme. Étendue et chaotique, elle ne se parcourt pas à pied mais bien en taxi ou en Uber. C'est une métropole qui rassemble les côtés propres à l'Amérique Latine mais on sent aussi, dès son entrée, une influence plus « occidentale ». Les panneaux publicitaires géants sont alignés, se succédant tous les 15 mètres en vantant les derniers produits Hi -Tech. En dessous, des panneaux bien plus modestes et fragiles les accompagnent. Ils sont aussi en nombre : invitation à changer ses pneus, à vérifier la pression, changer des pièces ou juste laver sa voiture. Cette jungle et fourre-tout publicitaire représente bien ce que les pays « moins développés » vivent : le modeste côtoie la mondialisation.

Autre représentation de cet aspect dans la rue, où des voitures âgées de plusieurs dizaines d'années partagent la chaussée avec le dernier modèle de luxe des grandes marques américaines. Pareil pour les petites tiendas alimentaires qui tranchent avec les centres commerciaux gigantesques à étages où les plus grandes marques de Fast Food sont toutes représentées. Exactement comme chez nous en fait.

Managua est en bordure du lac Xolotlan. Un peu vallonnée et pas mal polluée, elle a été reconstruite rapidement après le terrible et mortel tremblement de terre de 1972. Toute une partie de la ville, dont le centre, a été purement et simplement rayée de la carte. 10 000 morts et deux semaines d'incendie plus tard, la reconstruction s'est opérée en périphérie de la ville, laissant le centre presque à l'abandon. La cathédrale, condamnée, vieillissante et survivante, est posée au milieu d'une vaste place sans rien autour, si ce n'est quelques nouveaux parcs et une promenade aménagée au bord du lac.

Des sculptures sur des ronds-points ou des places semblent être les seules constructions modernes du centre. Le Nicaragua aime pas mal représenter les icônes de son histoire et idéologie, à l'image de la silhouette de Sandino ou du portrait géant du camarade Chávez. Le Nicaragua est un allié idéologique et indéfectible du Venezuela, de Cuba et de la Bolivie, même si cette dernière avec la chute d'Evo Morales ne semble plus vraiment s'accorder à l'heure actuelle. Quelques traces de street -art se mêlent également ici et là mais pas grand-chose à se mettre sous la dent. Mention spéciale quand même, à cette clôture en béton sur laquelle "l’Inspecteur Gadget" prend son envol.

Quelques jours suffisent pour voir Managua. Ce n'est certes pas une étape indispensable, mais c'est toujours intéressant de connaître l'autre face d'un pays au travers de sa capitale. Je suis surtout venu poser mes valises à Managua car c'est un bon endroit pour rayonner et notamment découvrir les lagunes, le cratère, les paysages et le lac de la péninsule de Chiltepe à une dizaine de kilomètres au nord. Pour y accéder, direction le minuscule terminal proche de l'université. Ça n'en est pas vraiment un mais plutôt une succession de hangars en tôle d'où partent des vans vers les différentes localités au Nord. Je ne dois pas prendre l'un d'eux mais bel et bien attendre sur le bord de la route qu'un plus gros bus passe pour Ciudad Sandino. Lorsqu'il arrive, ça se bouscule pour monter et pour avoir une place assise. Arrivé, je dois immédiatement prendre un second bus qui doit me laisser devant un centre de loisir au bord du lac de Xiloa. Avant d'aller piquer une tête, je passe au bureau touristique pour me renseigner sur la façon de rejoindre le point de vue sur l'Apoyeque. Ils me passent un numéro à appeler tout en me disant que le mieux c'est de prendre un guide qui pourra me véhiculer jusqu'à là-bas. Apparemment c'est plutôt galère d'y aller par ses propres moyens sans véhicule.

La personne au bout du fil est un guide d'état mais demande 90 $ pour m'accompagner à la journée… Ok, donc non ! Je vais donc galérer seul pour rejoindre le chemin, le suivre et essayer de ne pas me perdre. Je retourne à l ’entrée pour attendre de nouveau sur le bord de la route qu’un bus arrive. Pas de chance, il est passé il y a 10 minutes et le prochain ne sera pas là avant au moins une heure. Je me mets en route pour rejoindre à pied la Panaméricaine. Quelques minutes après, j’entends une voiture arriver dans mon dos. Avant même que j’ai eu le temps de me poser la question, je lève le pouce comme un réflexe. Vu le nombre de voiture passant dans le coin, je n ’aurai pas cinquante occasions.

La voiture ralentit, s’arrête et me prend à bord. J’explique la situation à l’homme derrière le volant. Malheureusement, il va vers Managua, à l ’opposé de mon objectif. Mais il me dépose à l’intersection et me dit quel bus prendre et surtout où descendre. Je monte dans le bus pour parcourir à peine 5 kilomètres. C’est toujours ça de pris surtout que le soleil est fort rendant l’air extrêmement sec, en plus d’être brûlant.

Quand je descends à Brasiles, quelques tuk-tuk sont là en guise de comité d’accueil. Même s’ils ne peuvent pas m’emmener jusqu’au hameau d’où part le sentier à cause du sable, ils peuvent m’avancer de trois kilomètres. C’est toujours mieux que rien. Sur la route, le tuk-tuk est chahuté dans tous les sens par les énormes pierres dispersées un peu partout sur le chemin et qui font littéralement sauter les roues à chaque passage. Après un trajet mouvementé et deux autres kilomètres à pied à travers des paysages très secs et où la végétation est presque totalement cramée, j’arrive enfin au village. Le sentier part en slalomant entre les arbres. Au final rien de très compliqué aussi bien pour venir jusqu’ici et suivre le sentier, que pour arriver en haut du cratère. À mon avis, les 90 $ demandés semblent quand même quelque peu (beaucoup) exagérés.

Avec un peu moins de 4 kilomètres de marche pour un dénivelé de 300 mètres jusqu’au bord du cratère à 518 mètres d’altitude, la randonnée n’est pas des plus difficiles. Mais avec la température en ce début d’après-midi et surtout dans des zones boisées où le vent ne pénètre pas, la chaleur rend quand même les choses un peu moins simples. Une heure après, j'aperçois plusieurs antennes qui se dressent à seulement quelques centaines de mètres de là. Arrivé à leur niveau, un homme sort d'une cabane à ma rencontre. C’est le gardien du lieu mais aussi le technicien qui s'assure que les antennes fonctionnent parfaitement. Tout seul pendant plusieurs jours à ne rien faire, il connaît les sentiers par cœur. En suivant les crêtes comme il me l'a conseillé, je découvre l ’immense dépression. La couleur de l'herbe brûlée contraste avec celle bleu émeraude de l'eau en contrebas. Il n'y a pas un chat qui traine dans le coin. Les seuls à m'accompagner sont les oiseaux à huppette que j’ai déjà rencontré à Ometepe.

Cette péninsule est, géologiquement parlant, très intéressante. C'est en fait un complexe volcanique avec plusieurs édifices différents imbriqués les uns dans les autres. Chiltepe est un volcan bouclier, ce qui se traduit par une faible altitude est des pentes très peu prononcées. Mais à l'intérieur on retrouve des dômes de lave solidifiés qui sortent de terre comme de petite colline ainsi que deux lagunas : Apoyeque et celle de Xiloa. La première est en fait une caldeira alors que l'autre est un maar. Même si elles ont globalement la même tête, à savoir un lac au fond d'un trou, elles se sont formées différemment. Le maar de Xiloa fait suite à une énorme explosion qui a pulvérisé l'édifice en entier et a creusé le cratère alors qu'une caldeira, comme celle d'Apoyo, fait suite à l'effondrement de l'édifice une fois la chambre magmatique vidée. Dans les deux cas, les explosions ont été très violentes et il n'est pas exclu qu'elles puissent se reproduire dans les années / siècles à venir. Vu que localement de nombreux séismes sont enregistrés, les autorités surveillent de près ce volcan potentiellement dangereux. Managua serait directement menacée car elle n ’est située qu’à quinze kilomètres sur la rive en face. En cas de glissement de terrain, un tsunami lacustre pourrait être généré et raser, encore une fois, une partie de la ville.

C'est vrai que redescendre par l'autre chemin offre une vue différente et spectaculaire. Au premier plan les eaux du lac Xolotlan et en arrière -plan, le Momotombo qui dégage en continue un nuage blanc de gaz. Juste à ses pieds, entouré par les eaux du lac, se trouve le Momotombito qui signifie littéralement "Petit Momotombo". Je dois marcher encore pas loin de 11 kilomètres pour retourner sur la Panaméricaine et ensuite rentrer à Managua. Je suis les chemins poussiéreux de couleur ocre qui longent les clôtures des champs laissés en friche et où les hautes herbes jaunissantes ont tout colonisé. Vue la chaleur qui règne, peu d'animaux sont visibles pendant les heures chaudes de la journée. Par contre les carcasses… Entre celles d'oiseaux et de petits mammifères, c'est la foire aux ossements. Sur le chemin, une longue colonne vertébrale gît, sous le soleil. J'espère ne pas croiser les congénères sans pattes et venimeux de son ancien propriétaire.

J'avance sans être trop sûr du chemin qu'il faut suivre. Il y en a une multitude qui partent dans toutes les directions et je me perds parfois en arrivant dans des culs-de-sac. Un tracteur passe sur ces mêmes chemins et s'étonne de me trouver ici. C'est sûr qu'il ne doit pas croiser de touristes tous les jours dans ce coin paumé. Il m'embarque sur le marchepied, usé et pas très bien fixé, jusqu'à me déposer devant un chemin. En le suivant jusqu'au bout, je devrai revenir directement dans le village. C ’est ma première expérience de tracteur-stop. Moins rapide et confortable mais très dépannant !

J'aperçois au loin une barrière qui bloque le chemin. En l'enjambant, je réveille un homme qui, à l'ombre d'un arbre, montait la garde. Armé d'un fusil à pompe et me questionnant avec un ton sec, il me demande ce que je fais ici et surtout d'où je viens. Les propriétaires des champs l'ont engagé pour surveiller la zone car ils ne veulent pas de passage sur leurs terres. Vu ce qu'il a entre les mains, je fais attention à ce que je réponds sans faire trop le malin face à lui. Plus les secondes passent, plus il s'énerve. Ce n'est quand même pas de ma faute s'il dormait au lieu de faire son taf… Finalement, tout est bien qui fini bien.

Le temps passe lentement en marchant sur ce chemin sableux et poussiéreux. Je rejoins enfin un village et vois un bus stationné qui semble attendre. Malheureusement, il n'est pas près de partir et je dois finir à pied jusqu'à arriver à une station-service qui fait aussi office d'arrêt de bus. En cette fin d’après-midi, j'étais pratiquement à sec d'eau. Le bus arrive, me ramène à Managua où je vais passer ma dernière nuit avant de partir dès le lendemain pour Léon, un peu plus au nord.

7

Mon dieu mais qu'est-ce qu'il fait chaud ici ! Voilà la première phrase que je me suis dit en sortant du bus. Même pas un pas dehors et la chaleur m'écrase littéralement. Selon les Nicaraguayens eux-mêmes, Léon est l'endroit du pays où les températures sont les plus élevées. J'aurai beau prendre des douches froides, rester le plus possible à l'ombre et allumer tous les ventilateurs disponibles que je continuerai de cuire. En plein après -midi c'est à peine supportable.

Pourtant pas très grande, León est la deuxième ville du pays. Dès le terminal, c'est une armée de jeunes en vélo-taxi qui se dirigent vers les nouveaux arrivant en se jetant dessus comme le ferait un lion avec sa proie. Il faut négocier le tarif de la course. Vu que les prix varient en fonction de l'accent, ils peuvent rapidement flamber. Je me monte à l'avant et mon adolescent de chauffeur pédale difficilement sous le soleil et sur les pavés.

Pendant le trajet, je retrouve ces maisons colorées typiques d'Amérique Latine qui me sont maintenant familières et que j'adore voir. Depuis Granada, je n'en ai pas vu une seule. D'ailleurs entre León et Granada c'est un peu la guerre pour savoir qui va rafler le prix de la plus belle cité du pays. Comme presque partout dans les villes de ce continent, de nombreux détritus sont éparpillés sur le sol, s'entassent sur le bord des trottoirs et s'envolent quand les bourrasques de vent se font sentir.

En arrivant à l'hôtel, mon portable vibre alors que la notification de ma boite mail apparaît sur l'écran. Les résultats de mon concours viennent de tomber. Je repense à la semaine passée à Coyhaique, où m'enfermant volontairement dans un petit chalet pour bosser et finir mon dossier parfaitement, je suis toujours confiant quant au résultat. La chute est rude. Mon nom n'apparaît pas dans la liste. Le pire de tout a été quand j'ai vu ma note… Franchement une semaine enfermée pour tout finaliser, des jours et des heures passées le soir sur mon dossier pour le refaire entièrement après le vol de tous mes fichiers au Chili avant la date butoir, juste pour ça … Je tombe de très haut et surtout je suis dans l'incompréhension totale face à cette note qui peut juste se traduire par " Ton dossier, ce n’est pas juste de la merde. C'est ce qui est produit après une intoxication alimentaire". Je reste de longues minutes groggy, assis sur mon lit, sans bouger et en ruminant en boucle que mes efforts ont juste été une belle perte de temps.

Je dois me changer les idées. Partir à la découverte des rues de Léon, c'est tomber sur de nombreuses églises, toutes plus différentes les unes des autres. Jaune, blanche, rouge, il y en a pour tous les goûts. Passé 16h, les églises ne sont plus ouvertes et seuls quelques fidèles frappent aux portes pour entrer.

Ayant vu des photos datant d'à peine quelques années, la cathédrale me semblait sale, de la mousse noire s'étant incrustée sur la façade autour des ouvertures. Aujourd'hui, elle est méconnaissable. Elle est d'un blanc presque parfait et des statues de lions gardent ses entrées. Que ce soit dedans ou dehors, j'ai presque peur de la salir en la touchant.

Ou même en marchant dessus, vu qu’il est possible d'accéder au toit et de profiter de la vue sur le Parque Central, sur la ville entière et sur la chaîne de volcans qui domine l’arrière-plan. Des sculptures dans le style gréco -romain entourent les cloches de la façade tout en soutenant les voûtes au -dessus. Pour ne pas salir le toit, il est interdit de marcher sur les coupoles qui ressortent du sol, et pour accéder à la partie arrière, il est obligatoire de retirer ses chaussures.

Sur la place en face de la cathédrale, se trouve le musée de la Révolution. C'est un passage obligé à Léon si on veut connaître et comprendre l'histoire mouvementée de ce pays au cours du XXème siècle. Léon est considéré comme le berceau de la Révolution et d'une longue lutte contre la dictature des Somoza qui s'est étalée sur près de 40 ans. Le père et ses deux fils ont contrôlé le pays d'une main de fer et en 1961, le FSLN (Front Sandiniste de Libération Nationale) s'est structuré pour mettre fin à ce règne de terreur.

Le bâtiment a été laissé tel quel. Aucune ou alors très de peu de rénovation pour ce lieu rempli d'histoire, où un musée a émergé en son centre, fait avec les moyens du bord. Les papys qui tiennent le musée et qui guident les visiteurs dans les différentes pièces sont des anciens guérilleros révolutionnaires. Ici pas de fioritures pour la décoration. Les cadres sont parfois cassés et la peinture est défraichie. L'ensemble est sobre et brut, à l'image des impacts de balles encore visibles sur certains murs.

Je choisis la visite guidée avec Alex, un français que j'ai rencontré dans l'entrée du musée. Notre guide sera Marcello, un petit homme avec un béret fixé sur la tête, qui nous accueille avec un immense sourire aux lèvres. C'est à travers ses yeux et sa mémoire que l'on va revivre cette période mouvementée. Lui donner un public est le début d'un voyage dans le temps. Il s'excite, s'exalte et nous fait revivre avec enthousiasme son histoire. Avant de parler de lui, il pose le contexte. Dans les années 20, Augusto Sandino, un homme issu d'un milieu plutôt modeste, décide de se révolter contre la pauvreté du pays mise en place par le gouvernement avec l'appui des Etats -Unis. Il ressent une humiliation de voir que le pouvoir en place vole la liberté du peuple. Avec une vingtaine d'hommes, il se lance pendant quelques années dans la lutte armée contre les troupes du pouvoir renforcées par des régiments de Marines américains.

En 1934, sur l'ordre de l'ambassadeur américain au Nicaragua, il tombe dans un piège en allant signer des accords de paix en vue de la réconciliation. Il est assassiné par Somoza, le chef de la garde nationale, qui s'autoproclamera par la suite président. Une lignée familiale et dictatoriale est en marche. Des années plus tard, Carlos Fonseca fonde le FSLN, un parti révolutionnaire et socialiste.

Marcello nous montre une photo d’un groupe sur laquelle un jeune garçon pose fièrement avec une arme presque aussi grande que lui. Avec ce sourire sur le visage, il n'y a pas de doute possible : ce garçon de 15 ans est celui qui nous parle en ce moment même. S'en suit les récits de ses combats et des luttes avec ses frères du FSLN durant la dictature du dernier Somoza mais aussi de la nouvelle révolution et de la lutte les opposant aux antirévolutionnaires issus de la garde des Somoza et soutenus financièrement par les Etats-Unis et la CIA. De toute façon, dès qu'il y a eu une déstabilisation dans cette région du monde, on est toujours sûr que le pays de l'Oncle Sam est dans le coup.

Ses yeux se mettent à briller lorsqu'il nous raconte comment, lui et son groupe, ont réussi à prendre le bâtiment dans lequel on se trouve au prix de terribles combats de rues. Sa voix se fait un peu plus discrète quand il évoque certains de ses compagnons qui ont perdu la vie en désignant plusieurs portraits et photos accrochés aux murs. Ils semblaient tous très jeunes, entre 16 et 20 ans.

Il nous emmène ensuite sur le toit du bâtiment pour profiter de la vue. On marche tout doucement sur des tôles qui gondolent et vacillent à chacun de nos pas. On est proche du grand plongeon ! Cela ne semble pas très solide mais Marcello marche d'un pas lourd et décidé. Limite le vieux briscard saute dessus avec un air amusé. Il en a vu d'autres et, toujours sourire aux lèvres nous dit que " ce n'est pas deux ou trois tôles ballantes qui vont me faire peur".

La fin de la visite se passe dans la cour où plusieurs fresques ont été peintes sur les murs. C'est devant celles qui montrent les principaux héros de la révolution nationale et les héros des révolutions de toute l'Amérique latine, que notre brave Marcello lève le bras en faisant le "V" de la victoire. "Hasta la victoria, siempre". Le plus dingue dans tout ça, c'est que le président actuel, Daniel Ortega, a lui aussi la même histoire que Marcello. Mais quand en 2018 il a réprimé dans le sang des manifestations et s'est accroché au poste de président, il a à son tour basculé dans cette soif de pouvoir et dans la dictature.

En ressortant du musée, on tombe rapidement sur une place où des lignes tracées au sol délimitent un terrain de basket mais où à cette heure -ci, seulement quelques jeunes font du skate. Sur le mur, il y a une très longue fresque qui commémore le 23 Juillet 1959. Un passant qui nous voit fixer le mur, vient à notre rencontre et s'improvise guide pour nous expliquer les quelques fresques autour de nous. Les étudiants aussi luttaient pacifiquement contre la dictature, mais ce jour-là, le régime de Somoza ordonna de réprimer coûte que coûte la manifestation en ouvrant le feu. De nombreux étudiants moururent sous les balles des militaires. Plus loin, il ne reste quasiment rien d’une fresque qui représentait un serpent à deux têtes, symbole de l'impérialisme américain et de la CIA, contre le peuple nicaraguayen.

Enfin, de l'autre côté de la rue, sur le mur de la caserne des pompiers, la fresque la plus célèbre de la ville brille par ses couleurs criardes. C'est aussi ma préférée car elle est pleine de symboles. Sur fond des couleurs nationales, la silhouette de Sandino remplie de clin d'œil à la lutte armée, écrase de son pied l'Oncle Sam dessiné avec les traits d'un chien. Pleine de significations donc !

Après avoir mangé dans une petite cafétéria dont l'entrée ne fait pas rêver mais où les locaux se pressent, on décide de prendre la direction de Las Peñitas, petit village sur la côte. Il y a autant de touristes que de locaux qui se baignent dans les puissants rouleaux de l ’océan Pacifique, bien mal nommé. L'ambiance sur le bord de mer est tranquille et il n'y a pas grand-chose à faire à part profiter des vagues. Quelques surfeurs ici et là s'adonnent à leur passion et profitent de la taille des vagues pour s'entraîner. Quant à nous, les vagues se cassent à notre hauteur, nous envoyant valser avec force quelques mètres plus loin. On rencontre une famille de Léon et on sympathise avec Dylan, le jeune père. Il nous propose de venir avec eux au bout de la jetée pour assister au coucher du soleil, sous le regard rempli de doute de sa femme. Et pour cause, ils sont déjà 5 dans leur petite voiture et on doit encore trouver suffisamment d'espace pour deux autres personnes, les plus grands qui plus est ! Heureusement le voyage ne dure que deux minutes.

On arrive sur un super point de vue avec un gros rocher surmonté d'une croix. Au loin, le soleil rasant commence à disparaître derrière la ligne d'horizon. Mais ce n'est pas suffisant pour Dylan qui veut atteindre le rocher. Vu la violence des vagues, c'est au son de la voix de sa femme le sermonnant, qu'il s'élance et atteint un premier rocher intermédiaire. Sauf que les vagues étant de plus en plus fortes, il n'arrive pas à revenir et la panique gagne la famille. Cependant, lors d'une accalmie, il parvient finalement à regagner la plage pour se prendre une véritable soufflante.

Ils ne peuvent pas nous ramener jusqu'à Léon vu que la police est régulièrement sur la route. Pas de soucis on va prendre un taxi pour rentrer. On en croise seulement un mais qui semble quasiment plein. Le chauffeur s'arrête et nous embarque quand même. On est donc de nouveau quatre sur la banquette arrière dans un taxi plus tout jeune qui risque de voler en éclats à chaque passage sur un dos d'âne. On croise la police juste à l'entrée de Léon, mais cela ne semble leur poser aucun souci et ils nous laissent passer.

8

On décide le lendemain d'aller au Cerro Negro. C'est un très jeune volcan à seulement quelques kilomètres de Léon. Sur ces pentes sablonneuses, une activité s'est développée et attire des dizaines de touristes chaque jour : la luge des sables ou Volcano Boarding. Après avoir grimpé le volcan jusqu'à son sommet via un sentier qui serpente sur un côté, il est possible de dévaler un flanc juste avec une planche en bois. En 2002, un Français a descendu cette pente pour établir un record de vitesse en vélo. Il a atteint les 170 km/h. Le cadre de son vélo s'est rompu et même s’il s’en est sorti, les conséquences ont été lourdes : entre la vie et la mort pendant un moment et des dizaines de fractures.

Pour le faire, il faut passer par une agence. En soit c'est largement possible d'y aller en stop et à pied mais apparemment, il n'est pas garanti de pouvoir louer une luge dans la cabane d'entrée du parc. On choisit l'agence "Quetzaltrekkers" qui reverse une partie de la somme pour aider les "enfants des rues" en finançant entre autres des programmes scolaires, apportant des fournitures et de l'aide alimentaire.

On part de bonne heure le matin car on doit rentrer sur les coups de midi avec un groupe international : 2 Allemands, 4 Guatémaltèques, 2 Américains et 3 Français. Tout le monde est à l'heure sauf les Guatémaltèques. C'est avec 35 minutes de retard qu'ils arriveront la fleur au fusil. On sent que la guide monte déjà en température. A l'arrière d'un camion où des bancs ont été aménagés, on sort de Léon en suivant des routes goudronnées en parfait état jusqu'à bifurquer pour emprunter une piste sableuse. On s'enfonce petit à petit dans la campagne et il n'est pas rare que le camion chasse parfois de l'arrière mais aucun frein ne sera effleuré durant tout le voyage.

On descend du camion au pied de ce cône noir. Il tient évidemment son nom de sa couleur caractéristique, étant le seul dans les alentours de Léon à être aussi noir. Pas très grand avec ses 728 mètres de haut, il est le plus jeune volcan d'Amérique Centrale, avec le volcan mexicain Paricutín. Sa formation remonte seulement à avril 1850. Depuis, ce ne sont pas moins de 23 éruptions qui ont eu lieu, allant d'une éruption peu explosive avec de simple coulées de lave à des explosions importantes ayant relâché énormément de débris dans l'atmosphère. Une de ses principales caractéristiques est que lors de certaines éruptions, pendant que les cratères sommitaux libérèrent des cendres, des fractures sur les flancs et la base de l’édifice s’ouvrèrent en déversant la lave pour donner des coulées.

Après la récupération de nos luges, on se met en route. Monter avec une luge de cette taille est un peu pénible et encombrant alors on la cale entre nos dos et nos sac. Ça nous donne l'allure d'oiseaux déployant les ailes. Le problème avec cette configuration c'est qu'il n'est pas possible de marcher côte à côte et surtout, lorsqu'il y a du vent, la prise à l'air étant plus importante, on est rapidement freiné. Le chemin part de la base et serpente au milieu de cette fragile roche noire qui s'effrite sous nos pas. On évolue dans un paysage lunaire, où il est difficilement imaginable de trouver de la vie. Pourtant de nombreux lézards chassent les insectes qui s’aventurent imprudemment ici. Pour se protéger un peu de la chaleur, ils s'enterrent dans le sable pendant les heures les plus chaudes du jour et ainsi survivre dans cet environnement hostile.

La pente est assez peu inclinée et seules quelques grosses bourrasques de vent levant du sable peuvent poser quelques petits soucis. En plein soleil et sans aucune zone d'ombre, on se protège comme on peut des rayons agressifs. On arrive sur un premier replat qui offre une belle vue panoramique. Plus bas on voit bien la surface que les différentes coulées ont recouverte. Ce noir tranche avec le vert de la plaine sur lequel il s'étale. La végétation n'a pas encore réussi à repartir sur ce sol, mais si l'activité se calme longtemps, il y a fort à parier qu'en quelques années, le paysage changera radicalement.

Pour certains, ça commence à être difficile de monter. Les quatre du Guatemala ont l'air de souffrir. Ils continuent tant bien que mal et finissent par nous rejoindre. L'ascension se poursuit. On passe tour à tour devant les différents cratères bien cachés à l ’abri des regards. Les couleurs sont incroyables. Le noir est sublimé par les autres couleurs laissées par les produits des entrailles de la Terre. Du rouge, du blanc et quelques traces de jaune viennent se mélanger à la noirceur du sol. On arrive finalement à la zone d'où s'élancent les luges. Avant de passer aux choses sérieuses, on fait un petit détour pour surplomber le cratère principal. La vue se dégage encore sur cette immense plaine rongée par les anciennes coulées noires, et où un petit cône se dresse timidement.

On récupère nos luges. Le look est ridicule mais nécessaire pour nous protéger du sable pendant la descente. Une énorme combinaison jaune, trois fois trop large pour moi, un tour de cou et de grosses lunettes de protection forment ma tenue. Au moins on est tous plutôt raccord avec la luge. Les consignes nous sont données. Il ne faut surtout pas appuyer ses pieds sur l'avant de la luge sinon on va freiner jusqu’à s'arrêter dans la pente.

En position, assis sur le large morceau de bois, je fais face à cette importante pente. Première fois que je fais du Volcano Boarding. La pente est très inclinée avant d'arriver sur un petit replat pour finir par s'incliner de nouveau fortement. 3,2,1... je m'élance. J'essaye immédiatement de m'allonger le plus possible sur ma planche pour prendre de la vitesse tout en essayant de suivre la trace des passages, plus ou moins visibles, de la veille. Le bruit est assourdissant et la visibilité très réduite avec ses milliers de grains de sable qui virevoltent dans tous les sens devant mes yeux. J'ai l'impression de filer à vive allure pendant que la planche bouge dans tous les sens. Je sens que je commence à sortir peu à peu de la trajectoire. J'essaye d'étendre mes jambes de tout mon long au -dessus du sol, mais sans beaucoup abdos, pas facile de maintenir cette position. Mon pied droit effleure le sol et la planche se met légèrement en travers. J ’arrive à rattraper le coup et à la remettre de suite dans l'axe. Première alerte.

Sur le côté, à l’écart, la guide s'est positionnée pour prendre des photos. En quittant la piste des yeux à peine une seconde, c’est déjà trop tard. Je n’ai pas vu venir une bosse et mon pied s'enfonce de nouveau dans le sable, bien plus franchement cette fois.

Immédiatement la planche se met à 90° et, même en essayant de rattraper le coup, je sais instantanément que c'est foutu. La minuscule bosse sur laquelle j'arrive m'envoi en l'air en me désarçonnant de ma planche. Pourtant, malgré la vitesse, l’atterrissage n'est absolument pas rude, le sable amortissant merveilleusement ma gamelle. Je suis tombé juste devant la guide qui a su remarquablement immortaliser cet instant.

En me relevant, je crache le sable que j'ai plein la bouche et me rallonge sur ma planche. J’essaye de reprendre le plus rapidement de la vitesse. Cette fois-ci, tout se passe bien et j'ai l'impression de mieux contrôler la planche. En même temps, vu ce qui s ’est passé avant, ce n'était pas très difficile. Je m'arrête en bas sans freiner, la pente se chargeant de le faire pour moi. Heureux et avec du sable partout, qui mettra plusieurs douches pour totalement s’en aller de mes cheveux, je me relève pour m’écarter avant l’arrivée du suivant.

Entre la guide qui prenait des photos et un accompagnateur filmant nos passages, on peut se découvrir en action sur leurs écrans. Et le moins que l'on puisse dire c'est que, pour les vidéos, le rendu est plutôt décevant. En relisant le paragraphe sur ma descente, j'ai l'impression d ’avoir été un véritable casse-cou en prenant des risques à vive allure. En fait pas, mais alors pas du tout ! Histoire de se faire une idée, j'avais l'impression d'avoir piloté une Formule 1 mais sur la vidéo j’apparais plutôt au volant d’une vielle Twingo à 3 roues. C’est quand même fou cette fausse sensation de vitesse alors que je dois être environ à 40 ou 50km/h. Le casse-cou de l'extrême vient de perdre de sa superbe…

Avant de partir, pour ceux qui le veulent, il est possible de remonter en haut pour faire une seconde descente. On nous prévient quand même que la planche ira beaucoup moins vite car le plastique en dessous s'est bien abimé avec l'abrasion du sable sur lequel il glissait. Du coup je décide de ne pas remonter alors qu'Alex y retourne et confirmera, qu'effectivement c'était largement moins bien. C'était quand même vraiment très agréable. Cette glisse, et cette sensation de vitesse, dans un paysage hors du commun est vraiment une expérience à faire. Surtout que vu la nature du terrain, elle est sans risque de blessures même pour les moins doués. J'en suis la preuve vivante. Effectivement, pour les phobiques du sable, il vaudrait mieux éviter.

Après le Cerro Negro, on veut se faire une dernière journée sur un volcan avant de partir chacun de notre côté. Léon est le coin parfait pour ça vu que les candidats sont nombreux. Le San Cristobal, est un beau challenge car c ’est le point culminant du pays. Sinon il y a le Momotombo, qui fumait au loin quand j ’étais sur l’Apoyeque, ou encore le Telica que j’avais prévu de faire. On se renseigne quand même auprès de différentes agences sur les tarifs et les possibilités. J ’avoue que ma préférence va au Momotombo, avec son nom super cool, sa difficulté d’ascension et le fait qu’il soit actif. Presque toutes proposent le Telica et le San Cristobal, mais seulement une pour le Momotombo. On abandonne cette option mais je laisse quand même mes coordonnées à l’agence pour qu'elle me prévienne si elle trouve suffisamment d’autres grimpeurs pour organiser l’excursion. On jette notre dévolu sur le Telica qui est assez impressionnant avec son immense cratère. Sans agence, on se donne rendez -vous au terminal le lendemain à 6h.

Le soir, les habitants aiment aller dehors profiter de la fraîcheur de la nuit. Pour se mettre bien à l’aise, ils n’hésitent pas à sortir quelques chaises ou des fauteuils qu’ils installent sur le trottoir devant leur porte. Peu importe si ça gène et qu’il est maintenant impossible de marcher sur le trottoir, ils sont confortablement installés pour profiter comme il se doit de la soirée. Des stands de rue proposant de la nourriture installent aussi des tables sur les trottoirs. La musique est à fond pour garder le rythme et servir frénétiquement les nombreux clients qui forment une longue file d’attente. Au menu des grillades, des tortillas et toujours le fameux Gallo Pinto, mélange de riz-haricots rouges fris qui se mangent aussi bien le soir qu'au petit déjeuner.

A 6h du matin, nous voilà dans un bus en direction du petit village de San Jacinto. On est les seuls touristes à l’intérieur et pour une fois, on a de la place pour nos jambes. À cette heure-ci, il n'y a personne à l'accueil pour nous faire payer l'entrée. Comme cet argent va directement à la communauté de ce village qui vit au pied du volcan, on donne la somme à une dame qui tient l’épicerie en plein air, pour qu’elle le donne à la personne en charge. On se lance en suivant un chemin qui passe à proximité d'une mare de boue où de la vapeur s’échappe, signe que l'endroit est bel et bien géologiquement vivant.

On traverse et longe de nombreux champs qui viennent d'être récemment récoltés, mais aussi des zones boisées. Malgré cela, la majorité des paysages rencontrés ressemble plutôt à de vastes prairies avec quelques arbres ici et là. On alterne entre montées et descentes avant d'attaquer l’ascension finale. Au milieu des bois, la pente est maintenant environ de 30 % et notre rythme diminue. Il faut marcher 11 kilomètres depuis l ’entrée pour atteindre le cratère et monter plus de 960 mètres de dénivelé. Ce n'est pas une randonnée très difficile mais sa longueur sous la chaleur la rend quand même fatigante. À plusieurs reprises on se perd en loupant les embranchements. Il nous faut l'intervention de plusieurs paysans pour que l'on se remette dans la bonne direction. L'un deux, qui nous a repérer à au moins 200 mètres de distance, nous sifflera et nous fera de grands gestes pour nous avertir et nous montrer la bonne voie. On touche enfin au but.

Derrière la paroi devant nous, une fumée blanche s’élève dans le ciel. Plus que quelques minutes et on sera face au volcan. On sort enfin de ce labyrinthe rocheux pour tomber nez à nez avec le maître des lieux. Son cratère est immense et l ’épaisse fumée blanche qu'il dégage en cache le sommet.

Une petite présentation s’impose. Le Telica est un stratovolcan de 1 061 mètres d’altitude. Très actif, il rentre régulièrement en éruption. Son immense cratère de 120 mètres de profondeur, a un diamètre d’environ 700 mètres. Certainement dû à une forte explosion, il a un aspect égueulé, le bas du cratère étant plusieurs dizaines de mètres en dessous du sommet. Tellement actif qu’en Juillet 2020, soit six mois après notre passage, il est rentré en éruption en crachant des cendres qui ont recouvert les alentours proches. Rien de bien méchant, mais il est quand même sous surveillance car on trouve dans des écrits du XVIème siècle les récits d’une grosse explosion qui, si elle se reproduisait aujourd’hui, aurait des conséquences catastrophiques.

On avance jusqu'à atteindre le bord du cratère. C’est seulement lorsque l’on ne se trouve à quelques mètres de ce bouillant précipice, qu'il est possible de prendre réellement conscience de ses dimensions gargantuesques. C'est un endroit incroyable même si l'air sursaturé de soufre nous prend à la gorge. Je m'allonge au bord pour simplement mettre ma tête au-dessus du vide et essayer de voir le fond. Ici, contrairement au Masaya, il n ’y a pas de lac de lave mais seulement des roches incandescentes tapissant le fond. Avec une telle épaisseur de fumée, rien n'est visible. Des bruits venant des profondeurs, similaires à ceux d’une cocotte-minute qui évacue la pression, se font entendre. Personnellement, même si le Masaya est surnommé « la bouche du diable ou des enfers », je trouve que ce surnom collerait bien mieux au Telica. On reste une bonne heure à seulement profiter de l'endroit tout en reprenant des forces pour le retour, qui s ’annonce long et particulièrement pénible en plein soleil.

Cette fois, le miracle se produit : on ne se perd pas. On marche depuis deux heures quand, devant nous, un nuage de poussière se forme sur le chemin. On est en train de rattraper un homme à cheval accompagnant son troupeau de vache. C ’est ce même homme qui nous a sifflé quelques heures auparavant. On discute le reste du trajet avec lui, enfin on essaye, sur des sujets actuels du pays. C'est un farouche opposant à Ortega et ici, comme personne ne peut nous entendre, il ne se fait pas prier pour raconter tout ce qu'il a sur le cœur. Malgré tout, je lâche rapidement la conversation. La poussière que le troupeau de vaches soulève juste devant nous, rentre dans mes voies respiratoires lorsque je respire et m'irrite la gorge en me faisant tousser sévèrement. Alex arrive à tenir un peu plus longtemps mais doit lui aussi s'avouer vaincu.

Entre la sueur et le sable, chaque cm² de ma peau à l'air libre est maintenant recouvert d'une grosse couche de poussière. Au moment de monter dans le bus pour rentrer, je ne ressemble à rien. Enfin si, juste à un gars extrêmement crasseux. Au moins ça me permet d’avoir de l’espace vu que personne ne veut être mon voisin de siège. En même temps, qui voudrait s'asseoir à côté d'un mec qui empeste et qui donne l'impression de ne pas s'être lavé depuis des jours ?

Alex prend un bus pour partir à Matagalpa alors que je reste ici encore une nuit avant de me diriger vers la cote Nord-Ouest du pays. On essayera de se recapter si nos routes se recroisent. Avant de rentrer à l’auberge, petit détour dans la rue pour prendre ma portion de Gallo Pinto. Je ne traîne pas. Les 22 kilomètres de marche d ’aujourd'hui m'ont littéralement mis sur les rotules et je m’effondre dans un hamac sur la terrasse pour un repos bien mérité.

9

Départ en matinée de Léon pour un long trajet sans fin : 38 km me sépare de Chinandega. Des "expresso" font la liaison. Ce sont de petits vans où s ’entassent une vingtaine de personnes ou marchandises encombrantes. Je fais le voyage dans un van surchauffé à plus de 35 degrés, sans clim, serré et blotti contre d'énormes sacs de fringues entourés de film plastique. Comme chacun le sait, être contre du plastique chaud ça rafraîchit beaucoup… Heureusement le trajet ne dure qu'une petite heure, mais bloqué en plein soleil pendant 20 minutes sans air à cause de travaux sur la route, la vingtaine d'âmes en peine à l'intérieur se sont vite transformées en fontaines.

Proche de Léon et pas très attractive au niveau architectural et historique, il est facile de comprendre pourquoi il n'y a pas de touristes par à Chinandega. Après 5 minutes de marche à la recherche d'un hôtel pour la nuit, je tombe sur un panneau au nom évocateur écrit en rouge vif : "Hôtel California". Je rentre en espérant être accueilli par "The Eagles" en personne mais non, l'hôtel est vide. Pour moins de 10 $ la chambre, je ne fais pas la fine bouche. Pas le temps de me la couler douce dans ma nouvelle demeure, direction la petite ville de Corinto sur la côte. Pendant tout le trajet, le van croise et double des camions chargés de conteneur. C'est le plus gros port commercial du pays et c'est par ici que tout transite car sur la côte Atlantique, coté infrastructures c'est le néant. Quand j'arrive, la ville est complétement déserte, si ce n'est le balai incessant des vélos taxis. En se rapprochant des imposantes clôtures et portails du port, j'aperçois que pratiquement la moitié de la population travaille à proximité du port.

La plage est longue mais sans endroits où se baigner avec plus de 60 cm d'eau. Des rochers cassent les vagues quelques mètres avant le sable et seuls quelques gamins jouent dans l'eau et se précipitent vers les rares promeneurs pour demander quelques pesos. La baignade se résume très rapidement à juste tremper les pieds dans l'eau. Quand on est un 31 janvier et que l'on pense à tous ses potes restés dans le froid hivernal français, c'est déjà mieux que rien. Ce sont les habitants qui occupent les habitations donnant sur le bord de mer et non pas des villas ou hôtels. Toutes les maisons sont faites avec des matériaux de récup. Je n'ose même pas imaginer la chaleur qu'il doit faire dedans, si bien que tous passent le temps dehors dans un hamac.

La nuit à Chinandega c'est le calme plat. Les gens vivent avec le soleil et passé 20h, c'est dans un No Man's Land que je marche pour trouver de quoi manger. Tout est fermé à part le Subway et quelques supérettes. Je suis seul au monde dans la pénombre de ces rues silencieuses. En règle générale en Amérique Latine, il est déconseillé de faire cela mais au Nicaragua, le sentiment d'insécurité n'est pas vraiment présent. C'est assez incroyable d'ailleurs car jusqu'à maintenant j'ai fréquenté les terminaux de jour comme de nuit, des marchés blindés et toute une partie à pied de Managua et je confirme …rien.

Chinandega était seulement une courte étape avant de prendre la direction du nord vers Potosi, petit village dans la péninsule de Cosingüina, isolée par les eaux du Golfe de Fonseca. Ce n'est pas très loin, environ 75 km, mais il faut entre 2 et 3h de bus pour y arriver. Le bus ne part pas du terminal mais d'un petit marché situé à l'opposé de la ville, une information que, bien évidemment, j’ignorais. Après avoir marché jusqu’au mauvais terminal pendant vingt minutes, j'opte pour un vélo -taxi pour retraverser la ville. Il est à peine 8h30 mais la chaleur est belle et bien au rendez-vous. Le pauvre gars pédale comme un dingue pour trois malheureux pesos… et ça toute la journée et probablement comme il le dit lui-même "jusqu'à ma mort". Quand on en croise certains avec trois passagers parfois bien en chair, je n’ose même pas imaginer la galère que ça doit être pour pédaler.

Coup de chance, le bus est déjà là quand il me dépose. Moins de chance, il est déjà blindé. J'abandonne l'idée de trouver un siège avec assez d'espace et je m'installe au fond du bus. Trop grand, je vais passer le voyage recroquevillé sur moi -même avec la tête contre le plafond et mon énorme sac en équilibre entre les jambes. Sans trop de surprises, je suis le seul gringo dans le bus. Du coup quand je monte, je deviens un peu malgré moi le gars un peu exotique. Ce qui est franchement bien dans ces situations c'est qu'il est ultra facile d'engager la discussion avec n'importe qui. Je me retrouve à parler avec presque tout le monde qui m'entoure : une lycéenne qui rentre chez elle, l'ayudante, la grand -mère qui me donne des clémentines à grignoter et un rasta de la côte Atlantique pour n ’en citer que quelques un. Avant même de partir, c'est l'habituel défilé des vendeurs ambulants. Avec la densité de personnes au m², pour qu'ils puissent progresser et atteindre la porte de sortie, on devient malgré nous des contorsionnistes professionnels.

Le rasta ne s'arrête jamais de parler avec son mélange d'anglais et d'espagnol pas facile à suivre. Mais quand il décide de mettre sa musique sur son portable, ça devient la fête à l'arrière. Tout est relatif, vu l'espace disponible. Ce n'est certes pas une piste de danse mais les gens bougent au moins les épaules en rythme et rient ensemble. Rien à faire, je voyage depuis plus d'une heure et demie dans un confort sommaire dans une chaleur étouffante mais personne n'a encore râlé. Pour relativiser, amis des villes, pensez bien que ces gens-là doivent se taper ce genre de trajet quasi quotidiennement …

Le travail des ayudantes n'est pas de tout repos. Outre le fait qu'ils parcourent le bus en long, en large et en travers, ils doivent aussi s'occuper de monter sur le toit pour charger, décharger et fixer solidement les marchandises des passagers. Au cours du voyage, l ’un d’eux va monter pas loin d'une dizaine de fois sur l'échelle et, alors que le bus roule à vive allure, rester sur le toit pour perdre le moins de temps possible pendant les arrêts. Lors des quelques accalmies, il se repose agrippé à l'échelle et à moitié dans le vide.

Au bout de deux heures de trajet, suffisamment de gens sont descendus et je peux m'asseoir sur une banquette. Plus que 15 km et ça sera enfin la fin. Devant le bus, se dresse maintenant un chemin de terre poussiéreux et totalement défoncé. C'est la pire demi-heure du trajet et heureusement que je suis assis sinon ça aurait été vraiment éprouvant de cogner le plafond toutes les 5 secondes. Même pas besoin de prendre la peine de chercher un hôtel, le bus me dépose directement devant le seul du village !

Je ne suis qu’à quelques minutes de la plage, littéralement une mer d'huile, avec aucune vague visible à sa surface. Sur la plage, seuls quelques pêcheurs rentrent de leur sortie matinale en poussant leurs embarcations sur le sable pour les mettre à l'abri de la marée montante et troublent la tranquillité du lieu. La plage est immense et je distingue des montagnes à l'horizon. La plage est une longue et fine bande de sable totalement déserte qui s'avance sans fin dans l'eau. Pour y arriver il faut que je passe sous deux pontons et quelle ne fut pas ma surprise d'être accueilli par trois gars pas très avenants, qui me crient des ordres tout en se dirigeant vers moi armés d'AK-47… Oula, dans quoi je me suis encore fourré !?

Ce sont des militaires qui gardent la plage en surveillant cette zone stratégique. La terre que l'on voit au loin appartient au Salvador et celle à l'est au Honduras. Le coin est parfait pour des trafics en tout genre. Pour rejoindre la plage voulue, il faut que je refasse tout le chemin en sens inverse jusqu'à arriver à une caserne et demander l ’autorisation de traverser la base. Quand j'arrive à hauteur du garde, il n'est pas sûr d ’avoir le pouvoir de me laisser continuer. Je dois alors aller voir son supérieur, qui lui par contre à l'air de se foutre royalement de ma présence et me laisse passer sans me poser aucune question.

Sur le sable, je croise deux autres équipages de pêcheurs. L'un d'eux n'est composé que de trois personnes et ils galèrent vraiment à sortir le bateau hors de l'eau, le hisser sur la plage et le fixer pour la nuit. Je passe devant des maisons au milieu des arbres à la lisière de la plage, où un ancien poste de radio en fin de vie crache péniblement des chansons de reggae. Lorsque je me pose et parcours du regard l'immense plage, il ne doit y avoir en tout et pour tout sept personnes. Quand on se pose ici, pas de vigilance à avoir pour éviter de se prendre le ballon des gosses à côté, être recouvert de sable quand quelqu'un passe à côté de la serviette ou encore des gens qui hurlent en se parlant. Ici, le seul mot d'ordre c'est de se reposer et profiter en ayant comme seul fond sonore le bruit des vagues qui se cassent sur le bord et celui du vent qui agite les branches des palmiers.

Une fois dans l'eau, difficile de faire la fine bouche. Malgré le manque de vagues, c'est agréable de barboter dans une eau pas loin des 30°C. Vue la transparence de l ’eau, en restant totalement immobile, quelques poissons viennent nager autour de moi. C'est une après-midi qui me change de la semaine précédente, et à partir de maintenant, je ne m'autorise aucun effort. Je pourrais rester des heures dans l'eau sans que rien ne vienne me tirer de cet instant de détente… sauf peut-être cette étrange démangeaison que je sens grandissante en bas de la jambe.

Démangeaisons qui se transforment en brûlure douloureuse. C'est tellement soudain que je n'ai aucune idée de ce qui a bien pu se passer. En tournant sur moi-même pour chercher une explication, je découvre juste à ma droite une masse translucide et gélatineuse qui flotte en s'éloignant doucement. Il me faut quelques secondes pour que je percute que le vieux sac plastique à la surface est une méduse et que cette douleur est la suite de sa piqûre. Quelle agréable surprise ! Petit point science. En réalité les méduses ne piquent pas mais lorsqu'elles rentrent en contact avec la peau, les centaines de cellules à leur surface appelées cnidocytes vont être stimulées. En réagissant elles vont s'ouvrir en projetant une sorte de mini harpon, le nématocyste. C'est ce dernier qui va injecter un venin et provoquer la réaction urticante ou la sensation de brûlure. Désolé mais même dans une situation pareille, il faut faire preuve de précisions !

En sortant de l'eau j'applique du sable mouillé et frotte sur l'endroit douloureux pour détacher les éventuels restes de tentacules qui seraient restés bien accrochés à ma peau. Je pense qu’on a tous déjà entendu que pour apaiser une piqûre de méduse, il fallait verser de l'urine dessus. Alors vous croyez en ce que vous voulez mais… je pense que c'est une légende et surtout, et j'insiste bien là -dessus, je n'ai absolument aucune envie de m'uriner sur la cheville.

Après quelques minutes sans bouger, la douleur se stabilise tout en restant présente. Par contre dès que je pose le pied par terre, ça me lance dans tout le bas de la jambe. Sans mouvement, elle semble pulsative suivant le rythme de mes battements cardiaques. Le plus embêtant dans toute cette histoire c'est pour ma randonnée au bord de l'immense cratère du Cosingüina juste derrière la plage. Vu comment je me traîne juste pour faire les quelques kilomètres jusqu’à l'hôtel, la ballade risque d'être compliquée.

Le bout de la plage s'est transformé en terrain de foot éphémère. Tous les mômes du village sont là avec leurs supporters. Je m'assois quelques minutes pour profiter du beau jeu et des gestes techniques que les adversaires s'efforcent de réaliser pour se mettre en avant. Comme j'ai toujours mal, je m'éclipse rapidement pour rentrer à l'hôtel où j'espère pouvoir trouver du vinaigre blanc pour apaiser cette sensation de brûlure. En repassant dans la base, un homme sort de nulle part et vient à ma rencontre. Il me demande sur un ton sec mon identité. Mais qu’est-ce que ça peut bien lui faire à celui-là ? C'est en fait un officier migratoire du Nicaragua. La base n'est pas seulement militaire, mais également la frontière. Je suis donc officiellement sorti du pays sans autorisation. Il me demande de le suivre à l'intérieur pour quelques vérifications, mais sans mon passeport, la partie ne s'annonce pas si facile. Je lui donne toutes les informations pour qu'il les rentre sur son ordinateur du même âge que moi. Il faut vingt minutes pour tout renseigner et vérifier que toutes les informations concordent. Pour autant l'ambiance n'est pas oppressante, malgré son ton un peu direct, il fait juste son boulot. Son collègue assis à côté de moi me parle pour faire passer le temps. Seuls deux sujets vont occuper ce moment d'attente : ce que je pense de son pays et surtout le base-ball. Autant dire que pour la deuxième partie je suis plutôt auditeur que participant.

La situation peut prêter à sourire mais avec la jambe toujours aussi douloureuse, je m'en serai bien passé. Pour résumer les trois dernières heures : un accueil chaleureux par des militaires armés, une piqûre de méduse et une attente dans un poste migratoire pour défaut de papiers… Qui dit mieux ? Il va vraiment falloir que j'aille vite me coucher avant qu'il m'arrive encore un truc de dingue. En rentrant, pas de vinaigre et ma cheville a doublé de taille. Si je ne récupère pas rapidement pendant la nuit, la rando va être un véritable supplice.

Au programme aujourd'hui, 18 km aller-retour pour environ 900 mètres de dénivelé. À 6h mon réveil sonne et je saute hors de mon lit prêt à en découdre. Bonne nouvelle, la piqûre semble s'être un peu résorbée et ma cheville a légèrement dégonflé. Ça reste toujours douloureux quand j'appuie dessus mais ça devrait le faire. C'est plein d'optimisme que j'enfile mes chaussures même si au moment de nouer les lacets, je comprends qu'il va falloir serrer les dents et marcher avec précaution. Le sentier n'est pas difficile à trouver car il démarre directement en face de la base. Le soleil commence à se lever sur la campagne encore endormie et je croise seulement quelques personnes qui descendent vers le village pour monter dans le premier bus partant pour Chinandega. Les deux premiers kilomètres sont complétement plats mais sur un chemin sablonneux. Comme à chaque pas je m'enfonce, je mets moins à contribution mon pied amoindri. Devant moi au loin s'élève un nuage de poussière que je rattrape pas après pas. Je sais ce qui provoque ce nuage et je ralentis pour ne pas être dans le sillage du troupeau de vaches en route pour passer la journée à paître sur les hauteurs. Mes poumons se rappellent parfaitement du retour du Telica. Le troupeau bifurque à gauche, me laissant la voie libre. Le chemin commence alors à grimper plus sérieusement et à se rétrécir.

J'avance à travers les champs et passe devant quelques maisons isolées. Je continue aussi de temps en temps à croiser des cavaliers descendant au village pour y aller vendre leurs maigres récoltes. Le jour est maintenant bien levé et les champs ont laissé place à une forêt qui devient de plus en plus dense au fur et à mesure de ma progression. Le sentier fait des zigzags pour contourner les petites ravines qui se sont formées sur les flancs du volcan. En l'espace de quelques dizaines de mètres, il disparaît et je me retrouve soudainement au milieu de dizaines d’arbres et buissons sans aucun indice sur la direction à suivre. Je reviens sur mes pas pour voir si je n'ai pas raté un embranchement mais rien à faire, le sentier semble s'être volatilisé. Je sors le GPS et voit qu'effectivement je ne suis plus du tout sur le sentier. Je me dirige vers le tracé indiqué sur mon appli. Je dois continuer tout droit dans la forêt tout en essayant de m'en écarter le moins possible et en slalomant entre les arbres et parfois les petits canyons que je rencontre sur mon chemin.

Je me rappelle aussi que, dans la Guest House de Léon, un homme qui était monté déjà pas mal de fois m'avait dit de faire attention aux serpents même si ce n ’est pas vraiment la saison. Dans les buissons autour de moi, ça s ’agite pas mal mais ce ne sont que des iguanes qui détallent lorsque je m'approche un peu trop près. Certains sont d'ailleurs énormes, bien loin de nos petits lézards occupés à se prélasser au soleil.

Au bout de vingt minutes à galérer pour avancer difficilement dans la végétation, je ne sais plus du tout où je suis et mon GPS n'arrive plus à indiquer ma position exacte. Le Chele que je suis est complétement perdu au milieu de nulle part. En plus de tout ça, le soleil ne me réchauffe plus mais me brûle maintenant. Il est à peine 8h30 et le thermomètre doit déjà flirter avec les 30°C. Il n'y a pas un souffle de vent qui se faufile à travers les arbres. J'ai plutôt l'impression d'être dans un four que dans une forêt. Le ressenti étouffant de la chaleur est tel qu'à chaque pas en avant j'ai l'impression de me liquéfier en devenant peu à peu la réincarnation humaine des chutes du Niagara.

Mes réserves d'eau fondent comme neige au soleil avec les minutes, ce qui va vite devenir problématique si je ne retrouve pas mon chemin. Je continue d'avancer dans une direction en espérant retomber à un moment ou un autre sur un chemin. Et contre toute attente, ça fonctionne. Je retombe directement sur un sentier en contrebas où la seule difficulté pour le rejoindre est de descendre la petite falaise qui m’en sépare. Résultat de cette petite escapade : beaucoup de sueur et une bonne vingtaine de griffures aux bras et aux jambes.

La dernière partie est une montée assez prononcée. Il m'aura fallu environ 2h30 pour arriver au bord du cratère depuis mon point de départ. C'est fatigué et dégoulinant que j'atteins le mirador aménagé pour profiter de la vue sur l'impressionnant gouffre. D'ici, je distingue en arrière-plan le golfe et les îles que se partagent (difficilement) le Honduras et le Salvador. Le fond est occupé par un lac massif d'un bleu profond. Un sentier permet de faire un demi-tour du cratère avant de redescendre par un autre chemin. Durant ce petit parcours, la vue n'évolue pas beaucoup et le meilleur panorama est finalement visible depuis le mirador situé là où le sentier débouche. Je me pose, reprends quelques forces, soulage un peu mon pied et les griffures avant de me remettre en chemin.

Petit point géologique et historique de l’endroit. La péninsule qui s'enfonce dans le Golfe de Fonseca est entièrement formée par le Cosingüina, enfin plutôt par sa base. Relativement facile à atteindre à cause de sa faible altitude, il n'a pas toujours eu cet aspect d'immense cratère contenant un lac en son sein. Jusqu'en janvier 1835, il est fort probable qu’il devait avoir une forme plus ou moins conique classique des stratovolcans. Mais après de nombreuses secousses, il entra en éruption le 20 janvier en relâchant dans l'atmosphère environ 10 km³ de débris volcaniques et de cendres. Ces dernières obscurcirent pendant quatre jours le Salvador, le Honduras et une grande partie du Nicaragua tout en brûlant tout dans un rayon de 12 km autour du cratère. Par miracle, vu l'ampleur de la catastrophe, l ’éruption ne fit officiellement que 8 morts.

On estime qu'avant l'éruption, le volcan avait une altitude d ’environ 3000 mètres. Suite à sa violente éruption plinienne, le type le plus dévastateur et dangereux à cause de son explosivité et de la quantité de matière projetée dans l'atmosphère (comme celle du Vésuve en 79), il perdit plus de 2100 mètres d'altitude pour culminer à 872 m comme on peut le voir aujourd'hui. L'éruption a en plus eu un impact mondial car durant les quelques mois qui suivirent, la température moyenne sur Terre baissa de 0,75 degrés. Avec deux autres volcans indonésiens (le Tambora et le Krakatoa) et un américain (le Katmaï), il détient le record d'explosivité des 200 dernières années. Même s'il est endormi, le monde n'est donc pas à l'abri d’un réveil soudain et destructeur de ce colosse.

Bizarrement, ce volcan est boudé par les touristes qui visitent le Nicaragua, alors qu’il est facilement accessible et offre des paysages assez différents de tous les autres cracheurs de cendres du pays. Je ne vais pas me plaindre, parce qu’à part avoir croisé quatre autres français, c’était très agréable de déambuler totalement seul dans cet environnement.

J’entame ma dernière bouteille d’eau et me mets en chemin pour les deux prochaines heures de descente jusqu’au village. Juste avant d'y arriver, ce dernier est secoué par les deux activités les plus importantes de cette petite collectivité. On est dimanche midi et la messe bat son plein. Un autre attroupement a également lieu sur le terrain de sport voisin de l'église pour assister à une partie de baseball, le sport roi au Nicaragua. Ça crie, ça court et ça célèbre lorsqu’un joueur arrive à rentrer en marquant un point. Certains sont sur le pas de l'église pour suivre l'office dominical d'une oreille mais quand ça s'excite un peu trop dans la petite tribune improvisée, ils sortent rapidement pour voir ce qu'il se passe.

Le retour à Léon n'est pas de tout repos. Après un changement à Chinandega j'arrive à la tombée de la nuit. Le marché qui entoure le terminal est terminé depuis peu de temps et seules quelques personnes sont encore affairées pour plier bagage et installer les bâches de protection pour leur marchandise qui reste sur place la nuit. Avec mon gros sac au milieu de ses allées jonchées de pages de journaux ou de restes de fruits et légumes invendus, les vélos taxis me tournent longuement autour pour m'embarquer. Au bout de mon dixième refus, ils lâchent enfin l'affaire et retournent au terminal voir si quelqu'un de plus réceptif s'y trouve. Je ne sais pas vraiment où je vais, j'ai juste l'adresse d'un hôtel qui semble assez sympa que l’on m'a conseillé. Il est excentré, dans des rues assez peu éclairées mais l'intérieur est cosy. Je pose mon sac ici pour quelques jours et j'espère que l'agence va me rappeler pour pouvoir grimper sur le Momotombo. D'un autre côté, j'espère aussi que ça ne sera pas pour de suite parce qu'avec la rando d'aujourd'hui, ma cheville est redevenue bien douloureuse.

10

Le lendemain, je prends la route pour Puerto Momotombo. Même si 50 km séparent les deux villes, il faut prendre un bus jusqu'à La Paz, se faire déposer à un croisement et attendre un autre bus ou un tuk-tuk pour enfin arriver dans le petit village au bord du lac Managua. Étonnamment, malgré la lenteur des transports, les changements sont fluides et je n'attends jamais plus de 10 minutes à chaque fois.

Dans ce village isolé, se cache un site classé à l'Unesco dont personne n'entend parler et qui est très peu visité. Léon Viejo est un ensemble de ruines datant de l'époque coloniale. C'était l'une des toutes premières colonies en Amérique Centrale car fondée en 1524, à peine 30 ans après la « découverte de l'Amérique » par Cristobal Colón. Je traverse le village en suivant les panneaux directionnels jusqu'à arriver devant l'entrée du site gardé par un gigantesque portail… clos. Le site est fermé seulement aujourd’hui et le gardien me confirme qu’il n'y a pas moyen d'entrer. J'attends pour voir si comme en Équateur, en échange d'un petit billet, il fermera les yeux mais non, le type tourne les talons et file dans son hamac pour continuer sa sieste.

Pas le choix, je dois rester ici jusqu'à ce qu'un bus repasse pour me ramener jusqu'au croisement pour que je puisse faire du stop. Je me redirige vers le centre mais cette fois -ci en décidant de longer les bords du lac jusqu'à arriver sur une grande plage déserte. Juste avant la plage en elle-même, plusieurs petits bars sont ouverts. Un homme arrose et tasse le sable devant et comme tout bon rabatteur, me vante la qualité de son établissement dans lequel, comme dans tous les autres d'ailleurs, il n'y a personne. Avant d'aller me poser tranquillement devant une bière, je vais marcher le long de la plage. La couleur de l'eau n'est clairement pas une invitation à la baignade vu les sacs plastiques, gobelets et autres déchets qui flottent à la surface. Comme sur la rive en face se trouve Managua, tous les déchets jetés là-bas peuvent facilement se retrouver aussi de ce côté du lac.

En arrière-plan, à moins de 7 km, se dresse le fumant Momotombo que j ’avais déjà pu voir lorsque je suis allé dans la péninsule de Chiltepe. Le sommet est partiellement masqué à cause de l'épaisse fumée qu'il dégage sans discontinuer et qui se retrouve pile dans mon axe de vision. Ici et là tout au long de la plage, de petites embarcations en bois se font balloter au gré des vagues se formant à la surface de l'eau. Elles ne doivent plus être de première jeunesse car, mises à part leurs peintures totalement écaillées ou même inexistantes, plusieurs d'entre elles sont perforées et inondées. Vue la pollution qui semble affecter le lac, je ne sais pas si se nourrir des poissons remontés depuis ces eaux est vraiment une bonne idée. Je suppose que quand on n ’a pas le choix c'est ça ou crever de faim.

Je laisse une chance au rabatteur et m'installe dans son bar. En discutant un peu avec lui, je lui demande s'il ne connaît pas quelqu'un qui pourrait me servir de guide pour monter au Momotombo, vu que l'agence n'a toujours pas trouvé d'autres intéressés. Il connaît deux personnes susceptibles de m’accompagner. Celui que j’arrive à joindre me dit que ça serait possible malgré quelques difficultés. Même si pour le moment il ne crache pas de projectiles susceptibles de nous réduire en miette, vue l'émission de gaz, il serait assez dangereux de monter et d'atteindre le rebord du cratère sans protections adéquates. Le compromis serait alors de s'arrêter une centaine de mètres plus bas, mais sur un autre flanc pour ne pas être pris dans le nuage de fumée. Ça paraît être un bon compromis, surtout qu'aucun masque à gaz n'est disponible comme avec les agences. D'ailleurs ces dernières n'étaient pas toutes d'accord sur le fait de pouvoir monter là -haut, certaines prétextant qu'il était beaucoup trop dangereux de s'aventurer sur le volcan, alors que d'autres m’ont avancé le contraire. Je pense que comme toutes m'ont proposé l'excursion sur le San Cristobal, bien plus chère et facile à organiser, ça devait plus les arranger que si je choisissais le Momotombo.

Autre difficulté, et non la moindre, comme on doit partir à pied depuis le village, il faut marcher environ 9 km pour arriver au pied du volcan, faire l'ascension et revenir au point de départ. Pour prendre son temps, il faudrait partir vers 5h du matin mais comme je loge à Léon cette option n'est pas possible. Enfin, il faut un permis pour monter et la personne qui gère ça n'est pas disponible. Je crois que le message est clair : le rendez-vous avec le volcan au nom le plus cool de tout le pays n'est pas possible. Avant de partir, le propriétaire me demande si je suis déjà allé à la laguna de Asososca. Je n'avais même pas percuté que j'étais juste à côté. En regardant sur ma carte, on dirait qu'un sentier part du croisement où le bus m'avait déposé. Voilà qui va sûrement sauver mon après -midi.

J'ai la flemme d'attendre le bus qui ne semble jamais arriver et je saute dans le premier tuk-tuk que je croise. Pendant les 20 minutes nécessaires pour atteindre l'entrée, je suis une piste de sable empruntée seulement par quelques pick -up ou motos. Lorsque j'arrive au niveau des premières maisons isolées, un portail massif me barre la route et m'empêche d'aller plus loin. L'endroit est désert et il semble qu'il n'y ait pas âme qui vive dans les environs. Seul un bruit intermittent en provenance d'une petite cabane arrive jusqu'à mes tympans. En m'approchant, je vois enfin quelqu'un dans un hamac mais qui est extrêmement occupé à ronfler et sûrement à tenter de battre le record du monde de décibels. Miracle, son portable sonne et le tire de ses rêves. En me voyant, pas de bonjour, juste un « 2$ l'entrée ». Pas très bien réveillé certes, mais il ne perd pas le nord.

La laguna est un peu plus loin en contrebas. J'entends au loin des cloches retentir, sûrement un troupeau de vaches tout proche. J'amorce une descente très pentue mais depuis laquelle il est déjà possible d'apercevoir un cercle bleu au pied du volcan entouré d'une épaisse végétation. Plus j'avance et plus les cloches se rapprochent. Un troupeau, toujours emmené par un cow-boy, entame à son tour la descente. Je me retrouve bloqué au milieu du chemin en équilibre sur une pierre avec une vingtaine de chevaux essayant de se frayer un chemin sur ce sol instable. À chacun de leurs pas, des pierres se détachent et finissent leur chemin plus bas. À chaque respiration, la poussière qu'ils soulèvent me rentre directement dans les sinus, m'irrite la gorge et me brûle les poumons. J'attends qu'ils soient loin devant pour me remettre en route et atteindre le bord du lac.

Depuis la berge, le cowboy a délaissé la surveillance de ses bêtes pour s'adonner à une autre activité moins agréable : ramasser les déchets qui souillent les rives du lac. Malgré plusieurs panneaux bien visibles incitant à ne pas jeter ses détritus n'importe où, sa pêche est malheureusement bien fructueuse. Quand je lui demande si ce sont les touristes en rentrant des treks qui laissent leurs saletés ici, il me répond que non. Au contraire car ce sont les gens vivant non loin d'ici qui ont pris l’habitude de les jeter là depuis de nombreuses années et certains ont encore du mal à changer. Il ne reste ici que le temps nécessaire à ses bêtes de s'abreuver avant de repartir dans un nouveau nuage de poussière. L'eau est totalement transparente et à travers je peux voir que le lac gagne en profondeur assez rapidement. Le cadre est idéal pour se baigner mais malheureusement j'arrive aussi à distinguer pas mal de déchets et d'emballages plastiques accrochés aux branches qui tapissent le fond vaseux du lac.

Il y a un chemin qui permet de faire le tour de la lagune, et comme il n'est pas très emprunté, il reste un peu sauvage et permet de se perdre en pleine nature. Les paysages ne varient pas beaucoup et le chemin alterne entre des passages à l ’ombre et d’autres en plein soleil. De certains endroits, il est possible de voir sur les flancs d ’une montagne un énorme trou qui rappelle un cratère. Seulement il semble être trop parfait et est en réalité un gouffre qui s'est formé sur le côté du volcan d ’El Hoyo, « Hoyo » signifiant d’ailleurs « trou ». Je repars dans cette courte mais intense montée pour rejoindre la cabane de la Belle au bois dormant puis la route. J ’attends patiemment au carrefour et passe le temps en fixant le bitume qui semble mener tout droit au Momotombo. Si proche mais pourtant maintenant bien loin. J’ai toujours des regrets dans la tête de ne pas pouvoir l’approcher de plus prêt et de le voir de plus haut, mais ils sont rapidement gommés par l’arrivée d’un tuk-tuk dans lequel j’embarque. Une fois n'est pas coutume, le trajet jusqu'à León n'est pas de tout repos car il faut que j’attende un bus à l'intersection puis encore deux autres changements pour enfin rentrer. Ici l'ayudante, le fils du chauffeur d’à peine 9 ans, maîtrise déjà le travail à la perfection.

Il ne me reste qu'un jour à passer à León avant de me diriger vers les montagnes du Nord proches de la frontière hondurienne et de quitter le pays. N ’ayant rien de prévu pour cette dernière journée, je décide donc de retourner à la plage de Las Peñitas pour profiter une dernière fois des rouleaux de la côte nicaraguayenne. Je passe l ’après-midi sur le sable, un verre à la main, bercé par le son des vagues et du reggaeton qui sort des quelques restos ouverts. Le dernier bus de la journée pour León allant bientôt partir, je me poste sur le bord de la route en attendant son arrivée.

Lorsque je l'aperçois, je lui fais un signe de la main. Impossible de monter à l'intérieur. Le bus ne s'arrête pas à ma hauteur mais de façon à ce que je puisse monter par l'arrière. Il y a tellement de personnes que je ne peux même pas rentrer par cette porte aussi. Il faut que je monte sur le marchepied, que je m'accroche comme je peux à l'encadrement de la porte ou à un élément de la carrosserie qui l'entoure tout en partageant cet espace réduit avec trois autres personnes. Chaque dos d'âne que le bus rencontre me fait contracter tous les muscles de mon corps pour ne pas lâcher prise. J'ai une vue incroyable sur le sillon inter-fessier de la personne devant moi. C’est vrai que la situation n’étant pas déjà assez cocasse, il fallait que j’hérite de cet incroyable spectacle…

Je ne sais pas comment il est possible que d'autres personnes puissent encore monter à bord mais lorsque le bus commence à ralentir je comprends qu'il va me falloir encore plus me tasser. L'ayudante, qui partage aussi le marchepied, m'explique qu'au prochain arrêt il va falloir que je saute et courir rejoindre la porte à l ’avant pour grimper à l'intérieur. On ralenti et le signal de départ est lancé lorsqu’il me crie « Adelante Chele » avant même que le bus soit à l'arrêt. Je saute sur la route et sprinte vert la porte pour l'atteindre avant que le bus ne reparte sans moi en me laissant au milieu de la campagne.

Je ne sais pas s’il vaut mieux pour moi de rester accroché à l'arrière ou être ici car je n'ai plus aucun espace. Je suis dans les marches avec une dizaine d ’autres personnes. Avec la chaleur étouffante et le manque d’espace, impossible pour moi de faire un seul mouvement. Comme je tourne le dos à la route, je ne peux pas anticiper l ’arrivée de la moindre bosse que le bus prend sans ralentir. Vu comment les roues semblent décoller, je devrai m’envoler et m’exploser dans le plafond. Mes voisins me compressant sans ménagement, je reste totalement immobile. Enfin un point positif à cette promiscuité. Dans cette situation, on est très loin du respect des gestes barrières qui sont de plus en plus évoqués pour contrer le nouveau virus venu de Chine. D'ailleurs, je suis prêt à parier que faire monter un chinois qui tousse dans un bus bondé, et le problème du manque d’espace est très rapidement réglé !

Le bus s'arrête encore quelques fois pour faire monter des voyageurs sans que personne n’en descende. L'espace, déjà extrêmement restreint, se fait tellement rare que chaque minute passée dans cet inconfort semble durer le triple. On se tasse dans les allées ce qui me permet de remonter d'une ou deux marches jusqu'à me retrouver au niveau du chauffeur. Sur ces vieux bus le levier de vitesse est une sorte de gigantesque bâton qui sort du sol juste à côté du conducteur et c'est précisément à cet endroit que je me trouve maintenant. Il lui est donc très difficile de passer les rapports et je dois une nouvelle fois me contorsionner. C'est pour cette raison que je me retrouve avec un pied au sol et l’autre sur le tableau de bord afin qu’il puisse passer les vitesses quasiment entre mes jambes…

Je réussis quand même à trouver suffisamment d’espace derrière pour éviter de le gêner. Heureusement ça n'a duré que quelques minutes et on arrive rapidement à León. Pleinement conscient d'avoir certainement vécu un moment aussi rare qu’improbable, je suis littéralement exténué par cette demi-heure de trajet. Maintenant, si un jour je dois subir les transports en commun, je pense être suffisamment armé pour les supporter sans m’en plaindre.

En attendant, ce soir est un jour important car c’est le Superbowl. Kansas City affronte San Francisco. Vue l'influence américaine au Nicaragua, c'est l'événement sportif à ne pas rater. Les bars sont pleins et, touristes comme locaux, tout le monde se presse pour s'attabler devant les écrans géants. Je tombe dans un bar que de nombreux Californiens ont choisi comme point de ralliement. Dommage pour l'ambiance vu que c ’est Kansas City qui sort vainqueur. C’est la grise mine à l’intérieur. Après plusieurs jours passés à León, ce fut une bien belle façon de dire au revoir à cette magnifique ville.

11

Finies les longues plaines côtières bordant le Pacifique et les chaînes volcaniques. Il faut trois heures de route pour rallier Matagalpa depuis León. Changement total de décor et de climat car la route prend peu à peu de l'altitude jusqu'à finir par serpenter sur les routes sinueuses de la Cordillère centrale. Plus de plaines cramées par le soleil, ici se sont des reliefs verts remplis de végétation qui défilent de l ’autre côté des vitres du bus.

Pas un seul blanbec dans les parages. Enfin si, pour les Nicaraguayens de la côte, les habitants des régions montagneuses sont surnommés "Chele" vu qu'ils sont un peu plus clairs de peau. La ville est construite dans une cuvette. Une cathédrale imposante et une église rose sont les deux seuls bâtiments qui attire l’œil. Je commence à sentir que l'on se rapproche du nord du pays, bastion de la guérilla sandiniste lors de la guerre contre la dictature. Des fresques avec la silhouette de Sandino, celui de Fidel ou Chavez ornent plusieurs murs.

Sur mon application GPS, il y a un mirador qui a l ’air facilement atteignable depuis le centre. Pour accéder, il suffit de suivre l'interminable route qui part vers l'Ouest et qui s'enfonce dans la montagne. Une fois en haut, grâce à la construction d ’une plateforme d’observation à plusieurs étages, Matagalpa apparaît en contrebas étirée de tout son long au pied d'un autre massif montagneux plus élevé. D'ici je remarque une grande croix sur l'un des sommets en face. En regardant de nouveau mon GPS, je vois qu'un chemin un peu à l'écart de la ville y mène. Je ne l'avais pas repéré et comme la vue depuis là-haut doit être plutôt sympa, cette ballade va m'occuper pour la matinée de demain.

Je me fais déposer devant un portail d’où part un chemin. Un vieil homme sort d’une maison voisine pour rejoindre la petite cabane en bois à l'entrée afin que je m'enregistre. La page du jour est complétement vierge de signature. Je vais donc être le premier aujourd'hui à découvrir le parc. En réglant le droit d'entrée, le petit papy me donne un conseil rempli de paranoïa. "Si jamais tu vois 2 ou 3 jeunes qui viennent vers toi pour te demander des renseignements, méfie-toi et surveille tes affaires". Visiblement, je devrai faire en sorte de ne pas être très avenant envers celui qui voudra me demander quelque chose. Je pense que c'est plutôt dans mes cordes !

Après trois kilomètres de marche à travers une forêt, des petites rivières et quelques cascades pour 150 mètres gagnés, me voilà au pied des escaliers qui mènent à la croix blanche et bleue. Derrière, il y a une immense statue de la Vierge soutenue par une étrange sculpture représentant un homme assez mal proportionné. La vue est bien plus impressionnante qu'hier. Sur des kilomètres à la ronde, les reliefs montagneux déchirent l'horizon. Je repars par le même chemin pour rentrer dans le centre -ville et rejoindre le terminal. Je pars à Estelí où j’arrive quelques heures plus tard alors que le soleil commence à décliner. Le terminal étant à plusieurs dizaines minutes de marche de la place centrale, j'essaye de prendre un taxi en faisant signe dès que l'un d’entre eux passe. Ils sont tous plein et je me résigne à faire la route à pied.

Comme le hasard fait bien les choses, en cherchant un hôtel je tombe sur des affiches annonçant un match dont le coup d’envoi est dans deux heures. L’équipe locale, championne en titre, accueille son dauphin le grand club du Managua FC. Après avoir sorti 2€, j’ai un ticket bien au chaud dans ma poche. La boutique officielle est implantée à deux pas de l’entrée et le gardien qui monte la garde, interloqué de me voir ici, me prévient que le niveau n’est pas super et d’être indulgeant avec son équipe.

C’est vrai que le niveau n’est pas fou, mais ce n’est pas une purge non plus. Au moins ça joue en se créant des occasions. Des vendeurs ambulants passent continuellement dans les gradins et vendent des grosses poches de chips. Si l ’acheteur est gourmand, ils versent en bonus beaucoup de ketchup à l’intérieur. Un bon repas bien diététique ! Estelí prend deux buts et joue assez mal et les gradins s’excitent avant de se vider à moins de dix minutes de la fin du match. Comme plus de 50% des spectateurs ont déjà quitté les lieux, les sifflets seront moins douloureux pour les joueurs au coup de sifflet final.

Le lendemain, je me mets en quête d’une fabrique de cigares. C’est une des spécialités du Nicaragua et surtout du département d’Estelí. Avec Cuba, c’est un des pays réputés pour la confection de cigares. Ce que je ne savais pas, c’est qu’aujourd’hui est un jour férié ici car on célèbre le saint protecteur de la ville. Tout est fermé et des défilés ont lieu un peu partout. C’est bruyant, ça joue, crie et ça s’amuse. C’est la fête, mais moi je suis perdu au milieu sans savoir où aller. Je réussis à voir par miracle, au travers d ’une vitre d’un petit hôtel, des cigares en vente. Super sympa, le réceptionniste me bricole une boîte pour pas que je les éclate complétement dans mon sac pendant la suite du voyage.

Pas de projets et les agences proposent soit la visite d’une ferme à tabac ou une excursion au Canyon de Somoto. J’avais justement en tête d’aller voir ce canyon voisin du Honduras, avant de franchir la frontière. Mais je préfère y aller par mes propres moyens. J’arrive à Somoto dans l’après-midi. À peine 20 000 habitants mais c’est la capitale de la région. Petite ville où il n’y a que quelques restaurants et hôtels ouverts. Je demande au proprio de mon hôtel, s’il ne connaît pas un guide pour aller au Canyon. Son beau -frère est guide et tient une petite agence aux portes du canyon. Il viendra me voir plus tard pour m’expliquer les différentes options pour que je puisse choisir celle qui me convient.

Somoto est, un peu comme León, un épicentre des revendications sandinistes. Dans ce centre-ville, des fresques plus colorées les unes que les autres attirent le regard. J ’ai même l’impression d’avoir changé de pays en me retrouvant au Venezuela. Sur les murs, ici, la vraie idole c’est Chávez. Son portrait apparaît bien plus souvent que Sandino. Un petit parc avec une fontaine en son centre entourée d’une épaisse végétation, une église blanche et une montagne d'ananas à même le sol et le tour est vite fait. Je vois un garage encore ouvert et, au culot, je vais voir le gars qui travaille à l'intérieur pour savoir s'il a en sa possession une plaque d'immatriculation et s'il peut me la vendre. Il pense pouvoir me trouver ça pour 40 $ mais essaye de m'embarquer dans une excursion pour aller faire un tour dans la montagne et visiter un autre canyon. Ce n'est qu'à cette condition que j’aurai la plaque. Une peu étrange comme proposition … Je ne sais pas dans quoi il veut m'embarquer là, mais je le sens moyen. Tant pis, la collection attendra.

Le soir, comme convenu le guide passe pour m'expliquer ses tours. Le plus basique est une marche d’une heure pour voir le canyon depuis des miradors. Les deux autres options permettent de parcourir le canyon à pied et à la nage, une sortie canyoning de 4h ou 7h. La première option est parfaite, et on convient d'un rendez -vous le lendemain matin pour qu'il passe me chercher.

Ce matin, le temps n'est franchement pas top. Beaucoup de nuages et un vent frais. Le jour parfait pour passer des heures dans une eau froide à l ’abri des rayons du soleil grâce aux parois verticales du canyon. Un groupe passe devant nous, super équipé et vêtu de combinaisons contre le froid. J'en profite pour demander si l'eau est vraiment froide et en guise de réponse j'ai le droit à un magnifique et réconfortant " Aujourd'hui elle est froide… mais bon, t'es un mec non ?" Je ne suis pas spécialement fan de cette question. Savoir si je suis bien un homme m’importe peu, mais je comprends surtout que je peux oublier la combinaison. C'est en maillot de bain, chaussure et gilet de sauvetage que je marche jusqu'à arriver sur une petite plage de galets.

On entre à l'intérieur tout en progressant sur les rives jusqu'au moment inéluctable. Il va maintenant falloir se jeter à l'eau et continuer à la nage tout en sortant pour contourner ou sauter certains obstacles. Mon entrée dans l'eau n'aurait pas pu être plus ridicule. En marchant sur des rochers immergés et glissants, je perds l'équilibre et chute dans la rivière. Au moins, je n’aurais pas mis dix minutes pour renter. L'eau est à environ 16 degrés et mon corps se raidit d’un coup alors que ma peau se contracte. Si des Bretons lisent ces lignes, ils vont bien se marrer mais étant plutôt frileux, l'expérience est douloureuse.

Passé le choc thermique, j'arrive à me réchauffer sans jamais m’arrêter de bouger et en nageant le plus possible. De chaque côté, les parois atteignent des hauteurs de l'ordre de 25 à 30 mètres de haut. C'est impressionnant de voir comment l'eau a grignoté cet endroit en modelant les roches. On alterne entre nage et quelques contournements jusqu'à arriver au fameux grand saut, une sorte d'escalier naturel offrant différents paliers pour sauter. Il y en a pour tous les goûts : des sauts depuis deux mètres de hauteur et jusqu'à 20 mètres. Je monte à 20 mètres pour voir ce que ça fait mais … C'est tellement haut et effrayant que je me demande comme on peut sauter d’ici sans se briser tous les os du corps.

Je choisi un palier intermédiaire à 11 mètres. Ça semble toujours aussi haut. Le guide m'indique la zone où je dois atterrir. Pour donner encore plus de confiance, il y a juste à côté de la zone, des rochers qui tapissent le fond. 3,2,1... je déconnecte tout et mes pieds quittent le rocher. Je sens tellement la gravité qui me fait accélérer pendant la seconde et demi où je suis en chute libre. Un peu déséquilibré vers l'arrière, je n ’atterris pas les pieds en premier mais plutôt sur les fesses qui prennent assez chères lorsqu'elles rencontrent la surface de l’eau. Un mini plat à 11 mètres de hauteur, ça réveille quand même pas mal.

C'était le dernier grand moment avant d'atteindre une barque qui nous ramène sur une petite plage et retourner jusqu'à l'entrée. C'était une bonne petite séance, et malgré la température glaciale de l'eau, on arrive un petit peu à s’habituer mais en souffrant quand même du froid. Je regrette presque de ne pas avoir choisi l'option de 7 heures. De retour chez le guide, une assiette de Gallo Pinto pour reprendre des forces m ’est servie.

Je réunis mes affaires et après avoir éviter l’hypothermie je lève le camp pour le Honduras. En sortant de la maison, je vois le bus qui vient de partir... Super timing, plus qu'une heure à attendre pour grimper dans le prochain. Par chance, moins de 10 minutes après un taxi arrive, avec un canapé sur le toit et légèrement en surcharge vu le bas de caisse proche de la route. Je lui fais signe, je grimpe et mes jambes me crient (encore) au secours pour le manque d'espace.