Dès le lendemain de mon arrivée, je prends la direction du Mombacho dans le but d’atteindre son sommet juste à la force de mes jambes. Je dois prendre un bus qui part pour Rivas et demander au chauffeur de me laisser à l'intersection qui mène à l'entrée du parc. Difficile de le trouver et comme aucun terminal n ’est visible, je dois sembler un peu en galère. Un homme délaisse sa brouette remplie de fruits pour venir m ’aider. Le bus que je cherche part en réalité d’une petite ruelle non pavée à quelques rues d’ici. Pour le remercier je lui achète quelques fruits inconnus et pars en quête de la ruelle.
Lorsque le bus me dépose, je pars pour 2h30 de marche. De là il y a environ 7,5 kilomètres jusqu’au cratère nord pour un peu moins de 1 000 mètres de dénivelé. C ’est une rando moyenne, juste ce qu'il me faut pour me mettre en jambe pour les semaines à venir.
Dans un premier temps, je dois suivre la route jusqu'à arriver devant une barrière et payer pour continuer dans la réserve. Pour atteindre cet endroit il a déjà fallu marcher une bonne vingtaine de minutes et la route a commencé à monter doucement mais sûrement. Au moment de payer, j’ai le choix entre deux options : monter à pied pour 3$, en sachant que certains passages sont très abrupts, ou monter à l'arrière d'un camion en compagnie d'une douzaine de personnes pour 15$.
Ni une ni deux, j’échauffe les tendons, ligaments et muscles de mes jambes. Me voilà avalant les premières pentes du Mombacho. Il est encore tôt mais qu'est -ce qu'il fait chaud, pas loin des 30 ° ! Je suis déjà complétement trempé après seulement une petite demi-heure d’effort. Il me reste environ 4 km et devant moi se dresse un véritable mur. J’ai du mal à imaginer un camion monter un passage comme celui -ci. Justement, derrière moi, le vrombissement d'un moteur se fait entendre. Il semble déjà peiner et commencer à puiser dans ses ressources pour hisser plus haut la dizaine de personnes à son bord. Il me dépasse en crachant un nuage noir au visage, qui m'arrache les bronches. Il vient de poser ses roues sur les premiers mètres alors que son moteur s'emballe. Le pot d'échappement laisse échapper continuellement sa fumée toxique alors que le moteur crache ses dernières forces. Malgré le bruit qui fait penser à l ’agonie du moteur, il franchit ce passage et disparaît immédiatement de mon champ de vision au détour d'un virage.
C'est à mon tour de m'attaquer à ce mur. La montée est brève mais extrêmement intense. Avec mon appli GPS je verrai après coup, que ce passage d'à peine 400 mètres, est en moyenne à 42%. Le positif de la chose c'est qu'après m’en être débarrassé, j'ai l'impression de voler lorsque l'inclinaison diminue. Je continue à marcher pendant une bonne heure avant d'apercevoir une silhouette métallique sortir vaguement de la brume.
Quoi ? Encore de la brume ? On pourrait se dire que je n'ai vraiment pas de chance … Sauf que cette fois, j'étais prévenu. Le volcan est complétement végétalisé et fait parti d ’une réserve naturelle au microclimat très humide protégeant l’une des seules forêts nuageuses du pays voire d’Amérique Centrale. Avec l'humidité qui règne ici, l'écosystème est si particulier que beaucoup d’espèces, faune comme flore, sont endémiques et ne se retrouvent nulle part ailleurs. Baignée dans un brouillard et une humidité presque permanente, la végétation est complétement trempée et s'entremêle. Les mousses et les fougères s'en donnent à cœur joie pour pousser et envahir le moindre espace.
Je me suis pas mal plaint de la chaleur pendant la montée mais maintenant il fait bien plus frais. Je suis le sentier autour du cratère, ponctué de plusieurs points de vue aménagés offrant des panoramas. Avec cette brume si épaisse, il m ’est impossible de distinguer quoique ce soit. Je marche en slalomant entre les arbres qui empiètent sur le chemin. Certains passages comprenant des marches en bois sont rendus super glissants. J’ai l’impression d’être comme sur une patinoire. De temps en temps, la brume se dissipe et 1 400 mètres plus bas, le lac Nicaragua et les isletas apparaissent et ressemblent à de centaines de petits points sombres.
De retour au point de départ, toute la brume disparaît, comme par magie, en un claquement de doigt. Je me dépêche d’aller au belvédère le plus proche pour enfin voir le cratère. Il est impressionnant même s’il est difficile de se rendre vraiment compte de sa profondeur car, entièrement tapissé de végétation, la vue est obstruée. Quand on sait que c’est l’un des cinq cratères du volcan et l’un des plus petits, c’est plutôt bluffant.
Il existe deux autres sentiers que l’on peut découvrir avec obligatoirement un guide. Vu la brume présente, j’hésite à faire le sentier d’El Tigrillo. Si c’est pour marcher dans une forêt sans ne rien pouvoir voir, j’ai peur de le regretter. On trouve ici plus de 750 fleurs différentes, plus de 60 mammifères et 28 espèces de reptiles même s’il est presque sûr que le compte n’est pas encore bon. II paraît qu’il y a de nombreux singes hurleurs, des coatis et des paresseux dans cette jungle. Avec la faible visibilité, je réussis seulement à distinguer quelques formes sombres bougeant et passant de branche en branche. Il faut aussi faire attention aux plantes que l’on touche car certaines sont urticantes alors que d’autres sont carrément venimeuses. La réserve est aussi connue pour abriter un nombre impressionnant de champignons hallucinogènes. Avis aux amateurs ! Mais attention, qui dit réserve dit zone protégée, donc il faut aussi se préparer à halluciner sur l’amende plutôt salée qui pourrait tomber.
Autant la montée avait des passages vraiment galères, autant la descente est un vrai plaisir. Sur le chemin, je croise une multitude de papillons différents qui, même s’ils ne sont pas de toutes les couleurs, impressionnent par leur taille. Des cris stridents viennent de la cime des arbres. En levant la tête, leurs auteurs apparaissent tout de noir vêtu à l’exception des quelques plumes jaunes de leur queue. Sur les branches qu’ils occupent, de gros cocons fait de feuilles, branches et brindilles, contenant leurs œufs et leur progéniture pendent dans le vide.
Je continue la descente jusqu’à rejoindre enfin l’intersection. J’ai plus de 20 km de marche dans les jambes et j’ai vraiment en tête de retourner à l’hôtel pour buller tranquillement à l’ombre dans un hamac. L’alternative serait de prendre le prochain bus qui déboule et aller jusqu’à Catarina, un petit village sur les hauteurs de la Laguna de Apoyo. Je ne suis qu’à quelques kilomètres de ce dernier, et ce serait dommage de ne pas en profiter. Tant pis, les hamacs attendront ! Le bus arrive et j'embarque en un éclair. Main droite sur l'échelle et juste un pied à l'intérieur que déjà le bus repart dans un énorme nuage noir.
A Catarina, c'est la fête au village. Il y a de la musique et des stands où les artisans viennent vendre leurs créations. C'est la vieille église de couleur orange âgée de plus de 150 ans qui nous accueille perchée sur une petite butte à l'entrée d'un chemin qui mène droit à un mirador. Des gradins ont été aménagés et, en ce début de week-end, tous sont entièrement occupés. D'ici la vue sur la laguna est déjà impressionnante même si elle n'apparaît pas encore entièrement. Bien plus loin, le Mombacho toujours coiffé de nuages, apparaît lui aussi. Il faut payer 2$ pour pouvoir emprunter et suivre un court sentier permettant de rejoindre une série de miradors. Lorsque le soleil arrive à percer la couche nuageuse, la couleur de la laguna change instantanément. L'eau vire alors du bleu - gris au bleu perçant, en embellissant au passage le paysage. Les parois de l’immense caldeira sont elles aussi végétalisées et seules les quelques plages aménagées sur le tour du lac laissent entrevoir une présence humaine dans cette dense forêt.
La laguna de Apoyo est d'origine volcanique. Ce n'est pas un cratère comme ceux présents aux sommets de nombreux volcans mais une caldeira. Ce large cratère d'effondrement à fond plat et aux parois abruptes s'est formé il y a 23 000 ans lorsque le volcan est entré en éruption. Après avoir complétement vidé sa chambre magmatique, ne pouvant plus supporter son propre poids, l’édifice en entier s’est effondré pour former ce paysage. Cette éruption majeure libéra plus de 30 km3 de produits volcaniques, recouvrant et plongeant toute la région dans l'obscurité.
En suivant le sentier aménagé dans cette petite forêt partiellement déboisée à certains endroits, je suis surveillé de près. Des dizaines de singes, cachés à plusieurs mètres de hauteur, peuplent les lieux et suivent les visiteurs. Certains, accablés par la chaleur, se sont trouvés un endroit bien confortable au creux de deux branches pour fermer les yeux et se laisser aller à une activité primordiale : la sieste. Même quand des mômes se mettent à hurler au pied de l'arbre en tentant de les faire bouger, ils restent imperturbables et, en parfait équilibre à 5 mètres du sol, mènent leur activité à bon terme.
L'activité volcanique, toujours présente dans les profondeurs de la Terre, réchauffe les eaux calmes de la lagune où il est possible de se baigner dans une eau entre 26 et 30°. Malheureusement, les plages ont été privatisées par les hôtels et il est impossible de rejoindre un endroit isolé juste pour se poser au bord de l'eau sans payer un droit d'entrée ou de passage. Ils se mettent bien et se font plaisir mais je n’ai aucune envie de payer les 6$ demandés juste pour me poser une demi-heure les pieds dans l'eau.
En cette fin d'après-midi, plus aucun bus pour ma Granada ne passe. J’arrête un tuk-tuk pour qu'il me dépose à l'intersection du Mombacho. J'attends en espérant qu ’à cette heure-ci, un bus venant de Rivas fasse encore le voyage. Comme on dit, patience est mère de vertu, et après une longue attente, un bus pointe enfin le bout de son parechoc. Je sympathise avec Kyle, un texan descendant l’Amérique latine en 5 semaines. On se retrouve le soir pour aller dans un petit restaurant sans prétention. Dans l’atmosphère sombre de la salle, d’où s’élève de la fumée de cigarettes, la musique bat son plein. Je ne sais pas trop comment la conversation a dévié mais on en vient à parler de politique. « D’après toi, je suis démocrate ou républicain? ». La question est aussi soudaine que déroutante. J’opte pour le côté démocrate mais lorsqu’il me montre les photos de ses fusils d’assaut sur son portable, je comprends que mon intuition n’était pas la bonne. Ah le Texas...
Le clou du spectacle dans le coin, mais aussi l’activité touristique n°1 de tout le Nicaragua, consiste à monter de nuit pour voir le lac de lave au fond du cratère du volcan Masaya. Sans véhicule, il est impossible de monter jusqu'au parking aménagé. Pour y aller, je dois passer par une agence. Le départ se fait depuis la place de Granada et je partage le van avec 6 autres personnes venant tous du même hôtel. Ce sont des Digital Nomad qui parcourent le monde tout en travaillant. En tendant l’oreille, j’apprends que certains ne sont pas convaincus par le Nicaragua car… le Wifi n'est pas dingue. Madre Fucking Mia !
En bas du volcan, un gars monte dans le van et nous met un bracelet autour du poignet. On doit ensuite attendre. Seulement, 15 véhicules sont autorisés à monter en même temps et doivent rester là-haut un quart d'heure par mesure de sécurité. On devrait normalement pouvoir monter avec la seconde vague, mais deux voitures remontent toute la file et se rabattent devant nous. Elles peuvent passer mais on reste bloquer pour les vingt prochaines minutes. Les enfoirés ! En négociant, le chauffeur obtient l'autorisation d’aller au centre des visiteurs. C'est une étape optionnelle et on sera les seuls dedans. On a la chance d'être accueilli par un volcanologue qui va nous expliquer les spécificités de cet endroit. Tout le monde s'en fout et je suis le seul happé par son discours et qui pose des questions, au grand dam des autres. Visiblement, aujourd'hui c'est moi le relou/boulet du groupe pour ces voyageurs-travailleurs ! Le musée est quand même assez grand et on a que 10 minutes pour en profiter avant de remonter dans la voiture pour atteindre le parking au niveau du cratère.
Dès que l'on sort, la "Boca del Infierno" se dresse droit devant. Il fait maintenant nuit noire et les lueurs rougeâtres de la lave sont visibles. La lumière dégagée par le volcan éclaire tous les reliefs autour de nous. Je m’approche du rebord tout en remontant mon tour de cou pour protéger un minimum mes voies respiratoires des gaz irritants.
Une fois au bord du cratère, d’où s’échappe une fumée teintée de rouge, le spectacle est grandiose. Même si cela n'a rien à voir avec les images vendues par les agences pour appâter les touristes, la vue reste incroyable. Encore une fois, pour des raisons de sécurité, il est impossible de faire le tour du cratère à pied ou s’approcher trop du bord.
C'est la première fois que je vois du magma de mes propres yeux (mais de loin quand même). Je me souviens alors d'un prof de Géologie en Master qui nous avait dit, en prenant entre autres le Masaya comme illustration, que si un jour on allait là -bas de vraiment en profiter car des lacs de lave visibles sont très rares. Il en existe seulement 8 et la plupart sont temporaires. J ’ai un sentiment particulier car je me sens privilégié alors qu'en réalité je suis entouré de 40 autres personnes pour partager cet instant.
La lave qui bouillonne quelques centaines de mètres plus bas est le seul bruit qui arrive à mes oreilles. Tout le monde reste calme, sans dire un mot et les yeux rivés sur le liquide en fusion dansant au fond de son trou. Même si une seule petite partie du lac est réellement visible depuis notre position, nos regards sont en contact direct avec les entrailles de la Terre. Pour le voir mieux et en entier, il faudrait monter sur le rebord supérieur mais le chemin est interdit d'accès…
Malheureusement, vue la qualité de mon matériel, les photos ne rendent pas vraiment hommage à l’endroit. Sur mes clichés, le lac de lave ressemble plutôt à la lueur d'un lampadaire pris avec un téléphone portable. Tant pis pour les photos. J'ai prévu de revenir le lendemain pour le voir le cratère de jour et marcher sur les sentiers. J'étais quand même au courant de l'existence de ce lieu ô combien fou, bien avant de mettre un pied au Nicaragua.
Ce sont notamment les vidéos de National Geographic sur des volcanologues descendant en rappel sur une plateforme en contrebas pour tourner des images incroyables et terrifiantes qui m ’ont le plus marqué. Quelques mois après ma visite, le funambule Nik Walllenda a tenté et réussi la traversée du cratère sur un fil au-dessus de la lave. Désolé pour les métaphores anatomiquement sous la ceinture mais… même s’il doit avoir un gros souci au niveau psychique, il a dû avoir tellement chaud aux fesses, qu’il faut bien lui reconnaître qu’il a de sacrés cojones !
Le lendemain, comme prévu, je reviens sur le site et m'arrête de nouveau au musée pour en profiter un peu plus avant de regagner le parking plus haut. Contrairement à ce que l’on peut penser, le cratère est bien plus impressionnant de jour. Les gaz qui s'en échappent gâchent un peu la vue mais le trou béant est quand même bien visible. Impossible cette fois de distinguer le lac de lave, mais la morphologie du cratère apparaît. Plusieurs plateformes naturelles sont présentes et tout au fond le lac de 70 mètres de diamètre bouillonne à 250 mètres sous mes pieds.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, des animaux ont fait de cet endroit extrêmement inhospitalier leur lieu de vie. C'est le cas de plusieurs de dizaines de petites perruches vertes qui ont élu domicile dans les parois rocheuses et déchiquetées du cratère. En s'adaptant à la toxicité des gaz émis, elles bénéficient d'un énorme avantage car elles peuvent aller à des endroits inatteignables pour leurs prédateurs et se cacher facilement la journée. Sur les hauteurs, des rapaces et des vautours patrouillent en surveillant du coin de l'oeil s'il n'y a pas moyen de se mettre quelque chose sous le bec.
Le Masaya est constitué de plusieurs ensembles volcaniques embriqués les uns dans les autres. Tous les cratères sont contenus dans une gigantesque caldeira de 20 km sur 6, appelée sobrement « Caldeira de Masaya ». Lorsque l'on monte jusqu'au parking, on se trouve en réalité face à cinq cratères qui appartiennent à deux volcans jumeaux : le Nindiri et le Masaya. Ces derniers vont former le complexe volcanique du Masaya. C'est un peu confus tout ça mais pas de panique, le meilleur arrive !
Le cratère actif, appelé Santiago, et par lequel on désigne communément l'ensemble du complexe n'appartient pas au volcan Masaya mais au Nindiri. Le Masaya est composé de deux cratères, le San Juan et le San Fernando, situés immédiatement à l'est du cratère actif. Ce dernier, avec les deux autres cratères (le Nindiri et le San Pedro) appartient au Nindiri. Toujours là ? C'est bon le plus dur est passé !
Au fil de son histoire, ce complexe a connu plusieurs épisodes éruptifs de différents types. Actuellement l'activité est de type hawaïen qui a pour caractéristique une lave extrêmement fluide permettant notamment la formation et le maintien du lac de lave. Auparavant le complexe s'est parfois comporté comme un volcan de type strombolien (alternance de coulées de lave et de dépôts volcaniques) ou encore, il y a bien longtemps, comme un volcan plinien avec l’émission de nombreuses cendres et d'une immense colonne au-dessus du cratère au cours d’une éruption similaire à celle du Vésuve.
Durant l'époque précolombienne, les indigènes qui habitaient la région vénéraient le volcan tout en procédant à des sacrifices humains pour calmer la colère de leurs dieux. Horrifiés, les conquistadors étaient alors persuadés que le Masaya était la Porte des enfers et avait une aura maléfique. Pour exorciser le Démon, ils firent ériger une immense croix en hauteur sur le bord du cratère, toujours en place aujourd’hui. Les Espagnols, également convaincus que la lave était en réalité de l'or, tentèrent de descendre et d'en récupérer le maximum pour faire facilement et rapidement fortune. Bien évidemment, avec la chaleur importante, les tentatives furent vaines et ils renoncèrent rapidement à leur entreprise.
Du parking, des chemins partent vers l'est et vers les cratères du "vrai Masaya". Une petite montée sur un sentier balisé permet de prendre de la hauteur et d'avoir une vue panoramique sur les différents cratères. Les deux qui constituent le Masaya ont des diamètres d'environ 300 mètres et s'embriquent l'un dans l'autre. Comme il n'y a pas eu d'activité depuis longtemps, la nature a repris ses droits et la végétation a partiellement recolonisé le fond et les flancs. Au loin, un immense nuage de fumée s'élève au-dessus du Santiago cachant la petite camionnette et cabane sur la gauche. Le volcan étant considéré comme dangereux et parfois instable, il est monitoré et surveillé en permanence par une équipe internationale. Cette même équipe qui, munie de masques à gaz, descend régulièrement sur la première plateforme à l’aide d’une tyrolienne.
En haut, une garde surveille les quelques visiteurs. Contrairement au soir, il n'y a que peu de passage en journée. Impossible de faire le tour complet des cratères en suivant les crêtes car le vent a rendu le parcours dangereux si bien que tous les sentiers sont maintenant fermés. Le parc est le plus important du pays, en nombre de visiteurs, alors toutes les précautions sont prises pour ne pas voir un touriste se blesser et faire un scandale par la suite. Le Mombacho est visible au loin avec au premier plan la ville de Masaya et sa laguna.
J'ai repéré un chemin qui semble descendre jusqu'à arriver dans la petite ville de Nindiri, à deux pas de la route qu'empruntent chaque jour des dizaines de bus reliant Managua à Granada. La gardienne m'explique qu'il est impossible de le faire sans guide notamment à cause des crotales qui pullulent en cette saison. Précaution est mère de sureté, mais entre ça, le vent, les chemins escarpés et j'en passe, il est impossible de découvrir le parc tranquillement et en autonomie. Tout est fait pour mener seulement au cratère. Entre ça et le Mombacho qui propose de monter en camion, j'ai l'impression que le Nicaragua prend le chemin du Costa Rica et s'oriente vers un tourisme à l'américaine pour les Américains où tout est accessible sans efforts à condition de bien vouloir y mettre le prix.
Redescendre par la route pose encore problème. Cette fois -ci le gardien des lieux a peur que je me fasse renverser. Il doit y avoir un véhicule toutes les 10 minutes et à part quelques virages, la route n'est qu'une immense ligne droite. Ça commence vraiment à me saouler et j’en ai marre qu'on me prenne pour un enfant de 8 ans … Je ne l'écoute pas et commence à descendre quand même à pied. A peine après un kilomètre à marcher sur cette route déserte, une voiture s'arrête à ma hauteur pour me redescendre. C'est un couple de prof français en vacances et vivant au Costa Rica. Tout comme moi, ils sont frustrés car ils voulaient aussi redescendre via les sentiers et les paysages volcaniques.
Sous la pluie battante, ils me déposent à Masaya, petite ville célèbre pour avoir été il y a deux ans l'épicentre du soulèvement contre la politique du président (dictateur) Ortega et qui a payé un lourd tribut lors des représailles de la Police … Je saute dans le premier bus qui passe en direction de Granada. Dedans, je me retrouve nez à nez avec deux clowns. Ce sont des gamins qui, pour se faire un peu d'argent, improvisent des sketchs en impliquant les voyageurs. Ils parlent rapidement et avec un accent exagéré. J'ai du mal à tout suivre, mais ça a l’air d’avoir du succès auprès des voyageurs.
J’entends plusieurs fois le mot "Chele" et je crois comprendre que ce mot me qualifie mais impossible d'en deviner le sens. Lorsque leur sketch se termine, et après être passé pour demander une pièce auprès de tous les passagers du bus, ils s'installent à seulement quelques places de moi. J'en profite pour leur demander la signification du mot. Alors c'est très simple : "Chele" c'est le verlan de "leche" qui signifie "lait" en français. Comme chacun le sait, le lait est blanc et donc par extension on fait référence à ma couleur de peau. Donc "Chele" signifie juste "Blanc".
C'est un peu comme "Gringo" au final sauf qu'ils me coupent directement : " Non du tout ! "Chele", ce n'est pas péjoratif ici par contre si on te dit "gringo" ça le devient un peu plus ". Du coup dans leur sketch ma personne a sûrement pris un peu chère mais avec du respect ! Pour ma dernière nuit à Granada, je vais me coucher beaucoup moins stupide.