Un voyage au Mexique et ses nombreuses ruines préhispaniques, c'est un enchantement pour les pupilles mais aussi pour les papilles avec son incroyable cuisine.
Février 2019
29 jours
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HOLA CHICOS Y BIENVENIDOS A MÉXICO !

Changement total de décor ! Alors qu’au décollage de San Salvador, les volcans et la mer à perte de vue étaient visibles à travers le hublot, il n ’est pas facile de distinguer quelque chose dans la cuvette de Mexico. L’avion descend en dessinant des cercles à cause du relief particulier. Lors d’un virage, je distingue les avions qui nous précèdent ou qui nous suivent mais il est toujours difficile de voir les sommets à cause de cet épais nuage de pollution. Impressionnant de voir à quel point le ciel de Mexico est chargé. Les maisons et autres immeubles proches sont visibles mais plus la distance grandit, plus il faut plisser les yeux pour apercevoir le paysage.

L’escale ne devrait durer que quelques heures. Juste le temps de passer la douane et manger avant de rapidement remonter dans un nouvel avion pour Oaxaca. À l’heure prévue, rien ne s’affiche sur les écrans. Pire, les vols suivants embarquent alors que le mien n’est toujours pas annoncé. En me dirigeant vers le comptoir, j’apprends qu’il est retardé à un horaire pas encore connu. C’est finalement avec près de 6h de retard que je m’installe dans le siège à hauteur des réacteurs. L’arrivée à Oaxaca se fera donc de nuit.

S’il y a une ville que tout le monde semble aimer au Mexique c ’est bien Oaxaca de Juárez. Difficile pour moi avec mon arrivée tardive de bien saisir l ’atmosphère festive qui règne dans ces ruelles colorées. Seul le zócalo, la place principale, est animé avec ses restaurants et bercé par de la musique venant de ses quatre coins. Entre mon hôtel, un peu à l’écart, et le lieu névralgique de la ville, un grand nettoyage a lieu pour effacer les traces de l’immense marché qui s’est tenu quelques heures auparavant. Tranquillement posé en terrasse, je profite de mon plat de fajitas, le premier repas mexicain d’une très longue série. Si la cuisine n’est pas reconnue pour sa légèreté, impossible de ne pas l’aimer vu la variété des saveurs qu’elle offre.

Entre les tables naviguent des mariachis, ces groupes de musiciens devenus un des symboles du pays, qui se font arrêter pour jouer un ou deux morceaux à la demande. Le cliché ne fait qu’un avec la réalité. La musique sonne exactement comme dans les films et je n’ai plus aucun doute possible : je suis bel et bien au Mexique. Fin de cette longue journée passée à attendre, et c’est en longeant la cathédrale illuminée dans cette nuit noire que je regagne mon hôtel.

Le lendemain, je me balade dans les rues à l’écart du zócalo. Homogène au niveau de l’architecture, les bâtiments de la partie historique ne font pas plus d ’un étage avec des murs épais. Quoi de plus normal dans une région régulièrement secouée régulièrement par des séismes. Les rues paisibles se succèdent, les pavés sont toujours présents et les façades colorées sont plus étincelantes que jamais grâce aux rayons du soleil en cette matinée. Des coccinelles circulent ou sont stationnées le long des larges trottoirs qui parcourent le centre historique. Dans le quartier, de nombreuses fresques se succèdent sur les murs. Sur chacune d’entre elles, des dessins ou symboles de la culture mexicaine sont représentés : des chamans aztèques ou mayas, des jaguars, des têtes de morts ou encore Frida Kahlo. Toutes les fresques, plus colorées les unes que les autres, apportent encore plus de gaieté à toutes ces rues où il est agréable de flâner. Je profite pour passer chez le coiffeur. En moins de dix minutes et pour quelques pesos seulement, je retrouve une coupe de cheveux décente et la garantie de ne plus lutter de longues minutes le matin pour essayer de coiffer ma tignasse rebelle.

Le coiffeur m’a refilé un bon tuyau. Si je continue dans la rue en face suffisamment longtemps, j’arriverai devant une série de marches menant à un point de vue sur toute la ville. Oaxaca est relativement plate mais est encerclée de montagnes. D’en haut, la ville est bien plus vaste et étendue que ce que je pensais. Au loin, des avions prennent leur envol et paraissent frôler les sommets avant de prendre de la hauteur. Il est facile de se repérer d’ici. La cathédrale qui trône fièrement en plein milieu du zócalo m’appelle et m’encourage à y retourner pour me remplir de nouveau l ’estomac.

Je descends les premières marches avant de retrouver de nouveau les rues colorées. Je passe devant plusieurs églises aussi propres que bien entretenues. Difficile d ’imaginer dans un pays aussi croyant que les édifices religieux soient en décrépitude. Sur la grande place, l’animation bat son plein. Des vendeurs de ballons Mickey ou Disney côtoient des stands de nourritures avec les incontournables tacos. On trouve aussi des elotes, ces épis de maïs bouillis plongés dans de la mayonnaise avant d ’être recouverts de fromage râpé et de poudre de piment. Sur le papier ça semble alléchant mais de visu, l’appétit ne s’ouvre pas facilement. Une longue file se forme pour pouvoir en déguster un juste à côté des nombreux cireurs de chaussures qui patientent à l’ombre. J’opte de nouveau pour un petit resto qui fait des fajitas et surtout du guacamole. Difficile d ’imaginer qu’avec les mêmes ingrédients, le goût soit si différent. Ça fait un moment que je n ’avais pas pris autant de plaisir à manger et je pourrai passer des heures à m’empiffrer seulement de cette purée verte.

Coté bouffe, Oaxaca se défend plutôt bien. Hormis les plats connus de tous, on peut y manger des tlayudas, de grandes tortillas cuites au barbecue et fourrées avec une purée d’haricots rouges et du fromage. Peu importe l’heure, il y aura toujours des restaurants ouverts et des clients. Les mexicains mangent quand ils ont faim et se fichent des horaires. Ce n’est donc pas une surprise si à 16h, les terrasses sont encore pleines. Pour les boissons, il est dit que le meilleur chocolat chaud du monde se boit à Oaxaca. Il y a aussi une curiosité sur certaines cartes : la cerveza con clamato. La recette est simple, mélanger du citron avec de la bière avant d’y rajouter le clamato, un jus de tomate où des crevettes et fruits de mers ont baigné afin l’aromatiser. Rien que d’entendre la composition, l’envie s’envole subitement. Le coca coule à flot et il n ’est pas rare de voir des Mexicains en boire un litre par personne pendant un repas. Entre la nourriture assez riche et leur goût prononcé pour les sodas, ce n ’est pas vraiment étonnant de trouver autant d’adultes, et même d’enfants, en surpoids ou obèses.

Un premier jour placé sous le signe de la détente mais dès le deuxième, mes occupations deviennent un peu plus physiques lorsque je pars visiter mes premières ruines mexicaines. Monte Alban se trouve sur un replat dans les hauteurs de la ville. On peut y aller, à pied, en taxi ou des bus y montent. Avec un billet de bus, le retour se fait à un horaire précis, mais j’ai l’impression que n’importe quel bus qui redescend fait l’affaire. La route serpente et prend de la hauteur jusqu’à arriver à un grand parking. Les contrôles à l’entrée sont peu poussés et il est juste interdit de sortir de la nourriture une fois dans l’enceinte. Vu le cadre sanitaire mondial en ce mois de Février, quelques affiches appelant à respecter une distance entre les visiteurs sont placardées sur les portes d ’entrée. J’ai comme l’impression que ces affiches ne vont pas disparaître tout de suite …

Monte Alban est un ensemble de ruines assez vaste érigé en haut d ’une montagne. Avant la construction, les premiers bâtisseurs ont dû raboter le sommet pour le rendre plat. Difficile d’imaginer des hommes faire ce travail colossal à la force des bras. La fondation de la cité remonterait au Vème siècle av JC. Peu de preuves et d ’objets ont été retrouvés pour savoir avec exactitude la civilisation à l’origine de la construction de Monte Alban, même si la théorie des Olmèques est la plus envisagée. Par contre, la très grande majorité des ruines datent de l’époque où les Zapotèques occupèrent la cité (entre 200 et 600 ap JC). C’est durant cette période que l’apogée de Monte Alban fut atteinte avec environ 35 000 personnes ayant vécu sur cette zone d’à peine 10 km². Les grosses pyramides étaient plutôt utilisées comme centre cérémoniel alors que les flancs des montagnes, grâce à la construction de terrasses, servirent de résidence pour la population. Parmi les constructions visibles se trouvent un terrain de jeu de balle, des temples, des palais, des lieux de sépulture, des systèmes pour amener l’eau et certainement des structures permettant aux prêtres d’observer le ciel.

Au VIIème siècle, la cité se vida peu à peu avant d ’être abandonnée. Là aussi plusieurs théories s’affrontent. L’une d’entre elles serait que la population grandissante nécessita davantage de ressources et qu’il fallait aller toujours plus loin pour en trouver. Comme les dirigeants et les prêtes qui règnent sont des poids pour la société, en termes de ressources ils ne produisent rien. Le peuple commença à réagir alors qu’une sécheresse de plusieurs années finit de le convaincre que ses dirigeants n ’avaient plus les faveurs des dieux, et précipita la fin de la civilisation zapotèque. Des siècles plus tard, les Mixtèques occupèrent la cité avant de l’abandonner eux aussi juste avant l’arrivée des premiers conquistadores. Voilà en gros ce que j’ai retenu.

Sur le site, complétement sec, la vue est à 360°. Il est facile de comprendre pourquoi les premiers habitants choisirent cet endroit pour s’y installer. Les trois vallées de la région de Oaxaca s’étalent plus bas et Monte Alban offre une vue directe sur chacune. Lorsque l’on imagine des ruines précolombiennes, on pense assez rapidement à la jungle autour, mais ici la montagne a supplanté la jungle. En saison humide, le site doit être bien plus beau. En février, seuls quelques arbustes ou cactus semblent encore vivants. Impossible de trouver de l’ombre pour se protéger un tant soit peu de ce soleil qui brûle littéralement. Je monte plusieurs escaliers qui mènent en haut des structures pour découvrir un nouvel angle de vue sur les ruines. Aucune n’est réellement impressionnante par sa taille ou sa finition mais c’est fou de se dire que des humains ont réussi à déplacer, monter et assembler des blocs de pierres immenses en haut d ’une montagne. Si la volonté avait un prix, ils seraient certainement millionnaires. En plus, tout semble rectiligne et mesuré au millimètre près pour créer un ensemble qui s ’emboîte parfaitement. Vu les moyens technologiques de l’époque, c’est bluffant de voir la précision qui règne dans ces constructions.

C’est avec la peau rougit par les UV de notre astre solaire que je me dirige vers la sortie après deux heures de visite. C’était très agréable de fouler ce sol chargé d’Histoire avec relativement peu de monde. Pas sûr que j’aurais la même tranquillité dans les ruines du Yucatán. Le chauffeur n’accepte pas que je monte dans le bus car j’ai dépassé l’horaire mentionné sur mon billet. Je vais donc rentrer à pied, Oaxaca n’étant pas si loin. Il essaye de m’en dissuader en me disant que c’est dangereux, que les touristes se font attaquer tout en m’encourageant à racheter un billet. Eh, pas bête la bête ! Je refuse évidemment et, après avoir fait le plein d’eau, je m’élance seul sur cette route aussi déserte que brûlante. J’aperçois enfin la ville qui s’étend en contrebas. Sur mon GPS, une rue descend et m’évite de faire un long détour. Mauvaise idée ! Une femme, à l’ombre derrière les barreaux de sa boutique, me dit qu’il vaut mieux pour moi de ne pas m’écarter de la route et de ne pas m’enfoncer dans ce quartier. De retour sur le bitume, il ne me faut pas très longtemps pour arriver dans un endroit plus peuplé. Je recommence à croiser des tuk-tuk et je saute dans le premier qui s’arrête. Il me dépose au niveau d’une barrière qui symbolise la limite de la ville qu’il ne peut pas franchir avec son engin sous peine de recevoir une amende carabinée.

Pour mon troisième jour, je sors dans la matinée et me rends au stade de baseball. C’est sur cette avenue que passe le bus qui va dans la petite ville de Mitla. Toujours pas de bus à l’horizon et un homme me conseille de me rendre à quelques rues où des taxis collectifs passent régulièrement. Moins de cinq minutes après mon arrivée je me retrouve compressé entre mon voisin et la portière à l’arrière du taxi. Après 45 minutes de route, il me dépose à Mitla où je dois maintenant prendre un camion/jeep qui monte jusqu’aux cascades pétrifiées. La jeep ne part que lorsqu’elle est pleine ou qu’un minimum de personnes se présentent. Pour le moment, nous ne sommes que cinq. Après une heure d’attente, on embarque tous à l’arrière de la camionnette. La route se transforme rapidement en piste. À l’arrière on est secoué et maltraité lorsque les roues rencontrent les trous de la chaussée. C’est peu dire que les suspensions n’apprécient pas vu les bruits stridents qu’elles laissent échapper à chaque cahot. Comme la piste est désertique, la poussière soulevée par les roues s’engouffre à l’arrière et on en bouffe littéralement. Je ne serai pas étonné d’avoir des courbatures demain, assis au-dessus de la roue, j’ai pu profiter des vibrations sans modération. J’ai sympathisé avec un couple franco-mexicain, Scarlett et Hugo, mais les autres sont restés incroyablement muets pendant tout le trajet.

Devant l’entrée, les jeeps débarquent leurs passagers alors que les cascades ne sont pas encore visibles. Elles le deviennent rapidement après quelques minutes de marche. Il faut croire qu’être muet aide à économiser des forces car ceux de ma jeep partent comme des fusées pour arriver les premiers aux bassins et en profiter en se baignant. Je suis le sentier jusqu’à arriver sur un sol calcaire d’une extrême blancheur. Les cascades pétrifiées ne sont pas encore totalement visibles. Je me tiens à leurs sommets devant deux bassins remplis d’une eau claire tirant sur le vert. J’ai la chance d’avoir un grand ciel bleu qui accentue davantage les couleurs et donne de la profondeur au lieu. Comme un jacuzzi naturel, c’est ici que jaillit l’eau de la source en formant de nombreuses bulles. Les bassins sont naturellement chauffés, entre 22 et 27°C ce qui n ’est pas si désagréable vu la chaleur qui règne dans ces paysages désertiques et montagneux.

Pour bien apercevoir les cascades, il faut prendre du recul en s’éloignant jusqu’à arriver à un promontoire rocheux qui offre une vue dégagée sur le site, la vallée et les sommets environnants. Une énorme masse minérale blanchâtre recouvre et s’écoule en suivant la pente du relief. La couleur contraste énormément avec le sol rocheux sombre qui l’entoure. Comment cette cascade pétrifiée a pris place ici? C’est le même processus que lors de la formation de stalactites. L’eau est saturée en minéraux, ici du carbonate de calcium. Lorsqu’elle s’écoule, ils stagnent en se déposant en plusieurs couches épaisses jusqu’à recouvrir tout le flanc de la montagne. Evidemment pour en arriver à un phénomène d’une telle ampleur, il faut des milliers d’années. On a comme l’impression que la chute d’eau a gelé et qu’elle se retrouve maintenant prisonnière. L’endroit étant très touristique, il suffit d’emprunter les escaliers qui descendent en bas des cascades pour se retrouver rapidement seul.

Les boulets ne sont pas une espèce en voie de disparition. Malgré des panneaux bien visibles, sur la plus grande des deux cascades, deux ploucs essayent de remonter à pied, en prenant appui sur la roche fragile. Ils se retrouvent coincés au milieu de la paroi glissante et inclinée à 70°C. Ils font de grands gestes pour que quelqu’un vienne les aider. Ces gros débiles peuvent toujours se gratter, même si je passe à proximité, je ne ferai pas un pas de plus pour eux. Je crois d’ailleurs que mon sentiment est partagé par les autres personnes sur le sentier car tous se moquent sans retenue de ce ridicule spectacle.

Je passe en dessous de la seconde cascade, bien différente de la première. Si la première est une énorme masse lisse, la seconde ressemble plus à un assemblage de stalactites qui se déversent lentement jusqu’à rencontrer le sol. Je finis la boucle en remontant à travers les arbustes cramés qui bordent le sentier jusqu’à revenir à l’entrée où les jeeps attendent toujours. C’était moins une, la jeep était sur le point de partir. Comme à l’aller, cahots et poussière sont au programme. A Mitla, j’emprunte un taxi collectif avec un groupe d’Italiens. Ils me demandent si je veux faire un détour pour voir le fameux « Árbol del Tule ». Le tronc formerait apparemment des excroissances ressemblant à des animaux. Je ne sais si c’est mon esprit qui est en veille ou s’il faut que je change de lunettes mais je ne vois absolument rien, au contraire de mes compères transalpins. Rien de bien sensationnel mais le cyprès dans le parc central du village est impressionnant. Avec ses 40 mètres de hauteur et un tronc d ’un diamètre de 15 mètres, c’est un peu le champion du monde dans sa catégorie, le Teddy Riner végétal en somme ! On ne connaît pas son âge exact mais il aurait entre 1300 et 3000 ans.

Fin de l’interlude botanique et je rentre à Oaxaca alors que la nuit est déjà tombée. Après un repas aussi bon que diététique, je récupère mes affaires. Je me rends au terminal de minibus pour un départ vers minuit vers la petite ville côtière de Puerto Ángel.

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Installé au fond du minibus, j’ai comme l’impression que les prochaines heures seront inconfortables. Je n’ai pas assez d’espace pour mes jambes et même en les repliant, mes genoux s’encastrent dans le dossier devant. J’ai du mal à comprendre que le voyage en minibus dure seulement 5h30 alors que les gros bus ADO qui sillonnent le pays indiquent presque le double. Rapidement après la sortie de Oaxaca, j ’ai ma réponse. On quitte la grosse route pour une plus petite qui s’enfonce dans la montagne. Ce raccourci a cependant un prix : pendant près de trois heures le bus enchaîne les virages et les lacets pour traverser la chaîne montagneuse qui se trouve entre Oaxaca et la côte. Le chauffeur, se prenant pour la réincarnation hispanophone d’Ayrton Senna, donne à chaque virage de brusques coups de volant.

De temps en temps, il s’arrête pour laisser descendre des passagers au milieu de nulle part, avant de repartir sur les chapeaux de roues. Les répits ne durent pas plus de quelques minutes et les virages se refont sentir rapidement. Le minibus s’est vidé et j’ai maintenant plus d’espace pour me caler confortablement et encaisser les secousses du véhicule. Alors que je passe déjà un assez mauvais moment, la très longue descente jusqu’à l’océan commence. C’est la première fois de ma vie que je ressens le mal des transports. Je ne suis pas sur le point de vomir, mais je sens mon cœur et surtout mon estomac se soulever à chaque changement de direction. Alors que jusqu’à maintenant je ne prêtais pas une attention particulière à ceux souffrant de ce mal, mon indifférence va maintenant se transformer en compassion. Inutile de dire qu’au milieu de ce chaos, trouver le sommeil a été impossible et c’est dans la nuit que le bus me dépose à Puerto Ángel, petite ville bordée par le Pacifique et blottie au fond d ’une baie.

Alors que le soleil va bientôt se lever, je vais sur la plage pour récupérer un peu du trajet. Je ne sais pas si ça fonctionne pour les autres, mais marcher quelques minutes m’a complétement enlevé l’énorme inconfort dans la poitrine. La fatigue est, par contre, bien présente. Des pêcheurs arrivent sur le sable pour détacher leurs embarcations retenues par de gros câbles. Ils embarquent alors que les premières lueurs du jour font leur apparition dans le ciel. J’en profite pour prendre de la hauteur et monter sur le palier d’une église qui domine toute la ville et assister au lever du jour. La baie s ’illumine petit à petit pendant que le village se réveille.

Je cherche comment me rendre à Mazunte, un autre village avec de grandes plages à quelques kilomètres. Des camionnettes parcourent la route qui longe l’océan mais à cette heure matinale, aucune ne semble en service. Un taxi croisé au hasard d’une rue fera l’affaire. Même s’il ne peut pas m’emmener jusqu’à Mazunte, il me propose de me laisser à mi-chemin dans le village de Zipolite. Qu’importe tant que je trouve un endroit où manger et pourquoi pas où dormir si l’endroit me plaît. Avant de me déposer, il m’indique le lieu qui sert « les meilleurs petits déjeuners ».

Je suppose que c’est un Français qui s’est installé ici vu que la carte est traduite dans la langue de Molière. Mon estomac qui criait jusqu’alors famine revit. Une chose m’interpelle : pourquoi l’homme débout juste en face de ma table est-il totalement nu ? Même question pour les nombreuses personnes qui marchent sur le sable dans le plus simple appareil. Après une rapide recherche, je comprends que je suis sur le bord de la plage naturiste la plus populaire du Mexique. S’ils sont heureux en étant dévêtus, ça me va parfaitement mais j’apprécierai grandement que l’homme en face de moi arrête de me regarder alors que ses parties se balancent au gré des vents. Ce n’est pas que ça me choque, mais j’aimerai manger tranquillement sans avoir un aperçu de ce à quoi mon anatomie ressemblera dans 30 ou 40 ans…

Je trouve enfin une camionnette pour Mazunte. Une fois sur place, je tourne en rond pendant de longues minutes à la recherche d’un endroit où dormir. Pas grand-chose me plaît et les prix sont souvent faramineux. Je trouve une petite chambre au-dessus d’une boutique de produits de bien-être. Je n’aime pas trop l’ambiance bobo-hippie qui se dégage des rues. Ce n’est absolument pas une philosophie de vie à laquelle je m’identifie et pire encore, que je supporte. Beaucoup de « hippies » que j’ai déjà croisés m’ont seulement donné envie de les assommer pour ne plus entendre leur fausse modestie. Heureusement, un certain nombre m'a quand même permis de changer de point de vue et modérer mon opinion.

En sortant de la ville, j’emprunte un petit sentier qui monte à travers une forêt avant de déboucher sur les falaises qui se jettent dans l’océan. De chaque côté, la côte est vide et balayée par de puissantes vagues venant s’écraser contre les rochers. La fatigue prend de plus en plus possession de mon corps et je commence à lâcher prise. Je rejoins la petite plage protégée des courants pour me baigner et me prélasser sur le sable dans l’idée de récupérer de cet éprouvant voyage nocturne. Evidemment le soleil étant bien trop agressif pour ma peau fragile, je ne reste pas toute la journée étendu comme une loque sur ma serviette et je rejoins ma chambre pour y dormir quelques heures.

À mon réveil, la grisaille s’est invitée mais ce n’est pas bien grave car fini la plage, je me rends dans la communauté voisine. Située au bord d’une mangrove, une visite guidée permet de découvrir l’écosystème. Les stars ici ont des écailles, une grande gueule remplie de dents pointues et savent parfaitement se camoufler dans l ’eau pour éviter de finir en sac à main. Le guide est obligatoire pour se rendre sur l’île au milieu de la mangrove où les crocodiles viennent dormir et se réchauffer au soleil. Je partage mon bateau avec trois couples de Mexicains. L’une d’eux est terrorisée à l’idée de voir un croco et à la moindre apparition de bulles à la surface de l ’eau, elle se met à hurler comme si quelqu’un lui arrachait le cœur. J'ai du mal à comprendre sa motivation à venir ici pour juste utiliser à outrance ses cordes vocales. Ça m’énerve un peu mais bon, la peur ça ne se contrôle pas. Par contre à cause de ses cris, les crocos sur la berge plongent tous dans l’eau et deviennent invisibles et ça commence à être vraiment lourd. Evidemment le guide s’amuse de la situation et fait exprès de faire tanguer le bateau. Les cris redoublent et les crocos ne refont pas surface. On n’est pas près d’apercevoir une seule écaille sortir de cette eau sombre aujourd’hui…

Une fois sur l’île, je suis un peu rassuré car j’aperçois au loin quatre grosse silhouettes avachies sur le sol. La fille terrorisée ne veut pas s ’approcher et part se réfugier dans le petit bar. Je m’approche le plus possible de l’un d’eux qui est vraiment énorme et effrayant. Ses dents ne dépassent que d’un côté de sa gueule et ses yeux noirs me font froid dans le dos quand il me fixe. Plus impressionnant que jamais, il pourrait se lever d’un coup pour fondre dans notre direction. C’est ce que j’imaginais avant que le guide ne l’excite et le force à bouger. Le mastodonte se lève tout doucement pour se mouvoir dans une démarche pataude. La machine à tuer perd subitement de sa superbe, même si je n’aimerais toujours pas me retrouver tout proche de sa gueule.

On retourne sur la berge et, comme l’hystérique s’est enfin calmée, quelques crocos sont à la surface de l’eau et suivent le bateau du regard. Avant de rentrer, je vais faire un tour sur la plage, en évitant de me rapprocher de la mangrove. Le vent s’est levé et les rouleaux qui s’abattent sur la plage sont bien plus violents que ceux de ce matin. D’ailleurs personne ne se baigne. Je ne suis toujours pas sous le charme de ce village et je décide alors de mettre les voiles dès le lendemain. J’hésite entre deux destinations. En venant au Mexique, j’avais comme plan de me diriger vers la péninsule du Yucatán pour visiter les majestueuses ruines mayas. Sauf que depuis ce matin, le Popocatepelt montre quelques signes de réveil en envoyant régulièrement des nuages de cendres dans l’atmosphère. Je suis plutôt séduit par cette idée qui changerait tous mes projets en me faisant rester dans les environs de Mexico et le centre du pays. Face à ce choix cornélien, je ne sais pas comment trancher. Ce sont les bus qui vont décider pour moi. Depuis Pochutla, les bus pour Mexico ne partent pas aujourd’hui alors qu’il y a un bus pour Tutxla en fin de soirée. Pas de changement de plan donc et je vais me rapprocher un peu plus du Yucatán.

Après un trajet sur le marchepied à l’arrière d’une camionnette, je débarque à Pochutla, trouve le terminal, prie pour qu’il reste des billets pour le départ de ce soir et trouve un restaurant où passer les cinq heures restantes avant l’arrivée du bus. Pour une fois tout se goupille plutôt bien. Tout du moins jusqu’à ce que je rentre à l’intérieur du bus. On se croirait au pôle nord et tout le monde est couvert de la tête aux pieds comme si on allait directement en Laponie au mois de décembre. Sous les tropiques, je vais devoir dormir avec une écharpe, un pull en laine d’alpaga et une couverture. Rien à voir avec la nuit précédente, malgré le froid de la climatisation, je dors comme un bébé. On m’a dit que dans le Chiapas, il y avait des groupes qui ont démocratisé le racket pour financer leurs organisations en attendant les bus à certains péages. J ’ai bien vu quelques hommes sur le trajet, mais aucun n’est monté dans le bus pour faire la quête. Après plus de 12 h de bus, j’arrive en milieu de matinée à Tuxtla, la capitale du Chiapas.

3

Le Chiapas, limitrophe du Guatemala à l’extrême Sud-Est du Mexique, est une province énigmatique. L’héritage maya y est très présent et leurs descendants nombreux. C’est grossièrement ici que commence « l’Amérique Centrale », non pas que l’influence nordaméricaine se perde complétement mais l’atmosphère ressemble bien plus à ce que l’on peut trouver dans les pays plus au sud. La température y est chaude, l’humidité grimpe en flèche et les jungles luxuriantes y sont monnaies courantes.

La recherche d’un hôtel à Tuxtla n’est pas de tout repos, les chambres étant bien trop chères pour ce qu’elles sont. Capitale et centre économique du Chiapas, il n ’y a pas grand-chose à voir et à faire si ce n’est déambuler sur l’énorme place de la cathédrale et l’avenue commerçante avec les boutiques et fast-foods. Mais, à seulement quelques kilomètres du centre, se trouve un, si ce n’est le plus impressionnant canyon du Mexique. Il y a 35 millions d’années, le canyon del Sumidero a été inlassablement creusé par le fleuve Grijalva pour former ses gigantesques falaises. Il y a deux façons de le visiter. Par le haut en suivant une route panoramique longeant le précipice ou en bateau via des excursions. Facile d’accès, des collectivos sillonnent la ville et l’un d’eux y conduit directement. J’embarque pour me retrouver quelques minutes plus tard devant un péage. Passé 9h, il est obligatoire d’être véhiculé pour pouvoir emprunter la route et je dois donc rebrousser chemin.

Je me rabats sur la visite en bateau en rejoignant Chiapas de Corzo, une petite ville d’où des embarcations sortent en fin d’après-midi quand la lumière embellit les paysages. Sur le quai, j’apprends que plus aucun bateau n’est autorisé à sortir à cause de conditions difficiles. Euh… quoi ? Pas de nuages et le vent souffle à peine et c’est trop dangereux de naviguer ? Cette journée sent vraiment la défaite à plein nez. Un gars m’accoste pour me proposer d’intégrer son tour qui part bientôt pour arriver au mirador offrant la meilleure vue sur le canyon. La journée est en partie sauvée.

J’ai retenu deux anecdotes liées au canyon. On commence avec l ’historique qui décrit le sort tragique des indigènes qui, cernés par les Espagnols alors en pleine conquête du Nouveau-Monde, sautèrent de la plus haute falaise directement dans la rivière pour tenter d’y échapper. La deuxième, bien plus légère, prête à sourire. Récemment, un scandale a éclaté lorsque qu’une vidéo a été tourné dans le canyon. Une vidéo un peu particulière car il s’agissait d’un film X. Dans ce pays si croyant, ce qui a vraiment déclenché la colère de certains c’est que le gouvernement du Chiapas ait utilisé ce tournage pour promouvoir touristiquement le canyon. Tollé général chez les cathos !

Au péage, un homme monte dans le bus et nous donne des bracelets permettant de circuler librement. C’est un bien grand mot car seuls les arrêts à des miradors sont autorisés. La température baisse au cours de la montée. On passe aisément de 30 à 20°C en haut. Le vent se lève et quelques bourrasques sont aussi de la partie. Les deux premiers miradors donnent un avant-goût mais ne sont pas très impressionnants. La vue étant bouchée par des arbres, le canyon n’apparaît que partiellement. Ce n’est qu’à partir du troisième qu’elle devient bien plus intéressante. Chacun des points de vue offre une perspective différente. Les bateaux semblent minuscules et ne dessinent que de petits points sur l’eau. Le dernier mirador offre une vue sensationnelle. On a tous le souffle coupé devant la hauteur de l’immense précipice. La vue à 180° plonge sur un méandre. La lumière du soleil baigne le haut du canyon alors que le fond reste dans l ’ombre, donnant une atmosphère toute particulière. Dans le petit bar qui accueille les touristes, j’en profite pour goûter une tortilla fourrée au mole, une pate au chocolat et au piment. Sans être immonde, je n’en garderai pas un grand souvenir.

Le lendemain, je prends un bus pour me rendre à San Cristobal de las Casas. La route monte sans fin durant toute la première partie. À droite, les plaines s’étalent à perte de vue. Le vieux bus crache ses dernières forces et se hisse enfin au sommet du col après une heure d’intenses efforts. À San Cristobal, j’arrive dans l’hôtel que j’ai réservé pendant le trajet. À la réception, la femme m’annonce le plus simplement du monde qu’elle ne me donnera pas l’accès à la chambre sauf si je paye le double de ce que le site annonçait. Le ton monte et ne reste pas cordial très longtemps. D ’autant plus que j’ai déjà payé en ligne. Elle m’annonce que le remboursement ne sera pas possible. Elle a complétement perdue la boule la mamie ! Elle me dit de repasser plus tard quand je serai plus « enclin à la discussion » pour voir son chef. Lorsque je reviens, deux heures après, le chef est là. Sans sourciller il m’explique que s’il me rembourse, il aura une pénalité sur le site. Mais je m’en bats les cacahuètes mon gars ! Le ton remonte rapidement et, avec l’énervement, des mots français viennent régulièrement ponctuer mes phrases. Et ce ne sont pas les plus jolis de la langue de Molière… Mais il cède et c’est bien là le plus important.

San Cristobal est une ville coloniale. Quoi ? Je vais devoir encore décrire les mêmes choses que précédemment ? Effectivement mais ici, il y a quelque chose en plus, comme un poids historique, les habitants étant majoritairement des indigènes. Le Chiapas a une histoire récente assez lourde. C’est dans cet état que le mouvement zapatiste, des guérilleros luttant pour les droits des indigènes et des minorités, a vu le jour. Un conflit armé éclate quand des milices paramilitaires, constituées elles aussi d ’indigènes, se forment et commettent des exactions et des assassinats avec le soutien de l ’état mexicain. La popularité de l’armée zapatiste est telle que des graffitis militants fleurissent sur les murs aux quatre coins de la ville. Sans surprise, le portrait de Zapata, père spirituel de la révolution mexicaine, revient souvent.

Contrairement à Oaxaca, la ville est assez vallonée et offre plusieurs points de vue au sommet de quelques églises et collines. Ici, on oublie aussi les températures estivales et le ciel bleu. La situation géographique provoque une baisse du thermomètre et les vestes sont de sortie lorsque la nuit tombe. Il pleut aussi beaucoup, même si étant encore dans la saison sèche, je n’aurai pas le bonheur de goûter aux averses aussi soudaines que brutales caractéristiques de la région. La place principale est remarquable avec son église jaune et son immense croix brune en son centre. Les rues sont plus colorées les unes que les autres et sont sublimées par les rayons du soleil couchant. Un nombre impressionnant de vendeurs ambulants passent avec leurs brouettes, chariots, vélos ou sont juste assis sur le trottoir, leur marchandise déballée sur une couverture à leurs pieds. Les prix sont souvent dérisoires et, malheureusement, il est possible de voir des cireurs de chaussures d’à peine une dizaine d’années. La vie est dure dans le Chiapas, l’un des états les plus pauvres du pays.

À un saut de puce en collectivo, se trouve l’église du village de San Juan Chamula, un lieu haut en mystère et en spiritisme. Le catholicisme est toujours la religion de la population locale mais elle l’a quelque peu adaptée. Vestimentairement, c’est aussi différent de San Cristobal. Les hommes portent un gilet en laine de mouton noire alors que les femmes la portent comme jupe. Dans le village, les maisons colorées ne sont pas dans leur meilleur état et des chiens, chats, chèvres et poulets se baladent librement dans les rues. De l’extérieur, l’église ressemble à tant d’autres au Mexique avec sa façade lumineuse et colorée. Des stands de nourriture montés sur des vélos occupent la place de l ’église. Pour rentrer, il faut payer un droit d’entrée et on me met bien en garde : les photos sont strictement interdites à l’intérieur. Des témoignages racontent l’agressivité de certains fidèles envers ceux ayant eu le malheur de transgresser cette règle.

À l’intérieur, il me faut quelques secondes pour m’habituer à la pénombre. Il n’y a pas de fenêtres et les seules sources de lumière viennent des milliers de bougies placées sur des autels et au sol. Ce dernier est recouvert d’aiguilles de pin et de cire. Une seule bougie qui tombe et le feu peut se propager en un éclair. De nombreuses statues de saints et du Christ sont présentes dans des vitrines. À la différence de celles dans nos églises, la douleur sur le visage est très réaliste. Il est souvent pâle, ensanglanté et avec une expression faciale effrayante. Un peu ce à quoi ses derniers instants ont dû ressembler. L’air est surchargé en encens et même après plusieurs minutes, c’est toujours aussi désagréable de respirer. Le silence qui règne dans les lieux saints, est remplacé par un brouhaha. J’entends des prières chuchotées, de la musique et ponctuellement des bruits rauques. Pas de bancs à l’intérieur, les fidèles sont assis en groupe par terre.

Dans cette église, ce ne sont pas des prêtres qui officient mais des chamans conduisant des rituels spécifiques. Aujourd’hui, il n’y en a pas et ce sont les nouveaux arrivants qui animent eux-mêmes leur rituel. Ils alignent et allument de nombreuses bougies alors qu’une personne récite sans pause des prières en tzotzil, la langue maya du Chiapas. Quand une bougie s’éteint, elle est tout de suite rallumée. Après de longues prières, l’élément clé du rituel intervient. Chacun prend un Coca ou un soda avant de le boire le plus vite possible. Une fois la canette vide, aussi soudains que bruyants, les rots pleuvent. Je suis interloqué d’entendre des dizaines de personnes balancer des rots sans gêne à l’intérieur d’une église mais pour eux, roter permet d’extraire le mal de son corps. Si Christine Boutin est en visite ici, il faudra sûrement prévoir un kit de réanimation. Aujourd’hui aucun chaman ne mène de cérémonie et il n’y aura pas de sacrifice de poulet. Ce rituel a lui aussi un sens : purifier l’âme du ou des fidèles. Ce fut aussi difficilement explicable qu’intéressant comme visite. Un moment aussi inattendu, étrange que flippant où j’ai eu l’impression d’être plongé dans une autre époque.

Dès le lendemain, je me rends à la sortie de la ville pour prendre le collectivo qui va à Comitan. Plus les kilomètres passent et plus je me rapproche du Guatemala. À Comitan, une petite ville calme où le temps s’écoule tranquillement, je suis l’un des seuls touristes, ce qui change pas mal de San Cristobal. Dès le lendemain, un combi m’amène dans le village de Las Palmitas, tout proche des cascades del Chiflón. Alors que le temps est maussade, il faut moins de dix minutes pour que tous les nuages disparaissent comme par magie laissant place à un grand ciel bleu. La chaleur fait aussi son apparition et le combi se transforme peu à peu en un four. La petite ouverture qui compense la défaillance de la climatisation du bus est salvatrice. C ’est sous la fournaise que je descends dans le village. Après quelques pas je reconnais deux voix qui me semblent familière. Scarlett et Hugo sont attablés autour d ’un café servi dans un boui-boui. La surprise est agréable et je vais me sentir moins seul dans le parc. Après un cours chemin à travers les champs, on arrive tous les trois devant l ’entrée, sous l’œil avisé et orangé d’un énorme iguane qui monte la garde. Ses épines dorsales hirsutes lui donne un air agressif alors que le basilic posé à quelques mètres de là paraît bien plus avenant avec sa crète sur la tête.

On suit le sentier balisé où de petites pancartes explicatives et de sensibilisation sont installées à intervalles réguliers. À côté de certaines, des messages d ’encouragement accompagnés d’un décompte en mètres est même affiché. Franchement juste pour marcher à peine un demi kilomètre, c’est un petit peu exagéré. Comme je l’ai déjà écrit, vu comment les latinos aiment marcher, je ne suis pas non plus très étonné de trouver ce genre de messages ici. Par contre le sentier est beaucoup trop balisé et bétonné et les aménagements sont aussi bien trop visibles, en faisant perdre au parc son côté nature. Plusieurs tyroliennes sont disséminées tout au long du chemin et des gamins bruyants passent en hurlant à faire exploser les tympans. Il fait chaud, très chaud en cet après-midi. Malgré la rivière bleu turquoise qui s’écoule à côté de nous, ce n’est pas l’envie d’y plonger qui nous motive. On passe devant plusieurs cascades jusqu’à arriver au clou du spectacle : el velo de la Novia. 120 mètres de haut et un promontoire aménagé juste en contrebas pour être aux premières loges.

L’immense quantité d’eau se fracasse sur les rochers et la vue est incroyable. C ’est le seul endroit du parc où l’on doit partager l’espace avec d’autres visiteurs. Les gens font demi-tour pour aller se poser au bord de la rivière auprès des nombreux barbecues. Mais pour nous, le programme n’est pas vraiment le même. Un sentier s’enfonce dans la végétation et mène jusqu’en haut. C’est maintenant que le plus dur commence mais les encouragements ont totalement disparu… On lutte entre la pente et la chaleur étouffante. Malgré ces légères difficultés, on arrive vite en haut, passant devant encore deux autres cascades. On est totalement seuls sur cette butte qui surplombe la dernière chute d’eau. En plus des cascades, la vue sur la jungle et les montagnes vaut elle aussi le détour. Après la descente et une baignade dans cette eau aussi bleue que froide, j’abandonne mes deux comparses au milieu de la rivière.

Le lendemain, de nouveau dans un collectivo, je rejoins un parc national à quelques kilomètres de la frontière guatémaltèque. Le paysage est composé de plusieurs grands lacs de tailles et couleurs différentes. Devant ces étendues d ’eau, on se croirait plus au Canada qu’au Mexique. Il y a moyen de faire un tour en barque mais aujourd’hui, il n’y a absolument personne sur la rive. En discutant avec le garde resté dans sa petite cabane, j’apprends que je suis le seul touriste de la journée et qu’en cette période, je devrais l’être pour le temps restant. Il appelle via son talkie-walkie le central pour qu’un tuk-tuk vienne me chercher et m’emmener au second lac.

Une fois arrivé, le jeune chauffeur me dit que je peux me promener vers le lac. La balade se résume seulement à descendre les marches jusqu’à l’embarcadère. Il n’y a aucun sentier qui longe la rive pour en faire le tour. Je remonte la route goudronnée pour prendre un peu de hauteur et après quelques virages, une zone est assez dégagée pour permettre de voir le lac en entier. Pour continuer il faut encore que j’attende un tuk-tuk sur cette route déserte. Ce qui risque d’être long. Heureusement, un bon samaritain en pick-up passe et s’arrête pour m’embarquer à l’arrière. Il me dépose au bord du lac international dans le petit village de Tziscao. Le lac fait à peine quelques centaines de mètres de diamètre mais est traversé en son centre par la frontière entre le Guatemala et le Mexique.

Des stands vendent des souvenirs du pays du quetzal. Même si ce n’est que pour quelques pas, ça fait du bien de revoir un panneau où est inscrit « Bienvenidos a Guatemala ». De nouveau sur la route principale qui traverse le village, je grimpe dans le premier van qui arrive. Comme dans la Guajira en Colombie, des stations services clandestines sur le bas-côté permettent de faire le plein. Des bidons, de toutes tailles, sont alignés sur les étagères contenant le liquide de contrebande venu tout droit du Guatemala.

Le collectivo me laisse à une intersection déserte. Autour de moi, il n ’y a que des champs à perte de vue et une route que je m’empresse de suivre. Tout au bout, un panneau indique le site archéologique de Chinkultic. Ce ne sont clairement pas les ruines les plus connues du Mexique et pourtant, elles valent le détour. Quelques structures sont visibles mais dispersées sur deux niveaux. Un jeu de balle couplé à une grande plateforme en bas alors qu’au sommet d’une colline se dresse l’acropole qui offre une vue sur le sud du Chiapas, ses plaines et ses lacs. Quasiment à pic de la colline, le cenote ayant donné le nom à ses ruines apparaît, Chinkultic signifiant « cenote en escalier ». Ses eaux sombres cachent de nombreux mystères et il est considéré comme sacré par les Mayas. Lors de diverses fouilles pour sonder les profondeurs du cenote, de nombreuses poteries et restes humains ont été trouvés. C’est depuis l’endroit où je me tiens, à côté de l’acropole, que les offrandes aux dieux étaient jetées directement dans le cénote. Plutôt content de mes premières ruines mayas mexicaines, et surpris par ce décor assez particulier, je retourne me poster sur le bord de la route.

Le lendemain je décide de retourner à Tuxtla. Le départ ne se fait pas avant 16h, je profite du temps restant pour me rendre à Tenam Puente, un autre site archéologique à seulement quelques kilomètres de la ville. Je suis tout seul dans le collectivo lorsqu’il me dépose sur le parking désert. Plutôt une bonne nouvelle, je devrais avoir les ruines pour moi tout seul. C’est une bonne mise en bouche avant de rejoindre les sites plus importants et bien plus fréquentés dans la péninsule du Yucatán. Comme pour Chinkultic, Tenam Puente est délaissé des circuits touristiques du Chiapas. C’est un petit site d’une trentaine d’hectares sur lequel une soixantaine de ruines cohabitent avec la jungle. Contrairement à hier, ici la nature reprend un peu ses droits. Les arbres poussent et se développent entre les blocs de roches des pyramides. Il y a trois jeux de balle répartis aux trois coins du site. La partie la plus impressionnante est cachée par un véritable mur de marches qui s’étend sur plus d’une centaine de mètres de long. Il faut franchir cette une muraille protectrice qui sépare la vaste clairière de la zone boisée.

Derrière se trouve la pyramide la plus haute du site avec ses 20 mètres. Pour y monter, il faut prendre l’escalier extrêmement raide. Les marches irrégulières sont si étroites qu’il me faut marcher en crabe. La vue plonge sur une autre pyramide érigée dans ce quartier contenant les temples et les résidences des dirigeants. La descente est aussi galère que la montée et je comprends maintenant pourquoi on met en garde avant de redescendre les escaliers. Le moindre faux pas et c ’est la dégringolade assurée pour arriver en plusieurs morceaux des dizaines de marches plus bas.

À Comitan, j’ai juste le temps de récupérer mes affaires avant de me rendre dans un petit hangar pour prendre un nouveau collectivo. Le trajet s’annonce pénible. Blotti contre la porte latérale, je dois lutter avec les paquets qui me tombent dessus toutes les cinq minutes, me tirant à chaque fois violemment de mes pensées, ou pire, de mon sommeil léger. Je suis de nouveau dans le centre de Tuxtla après la tombée de la nuit et je n’ai pas la force de prendre directement un bus de nuit. Des bus partent tôt le lendemain pour Pichucalco. Mauvais calcul car demain, le seul bus ne part qu’en soirée. Depuis mon arrivée au Mexique, je ne me suis jamais vraiment octroyé une journée « cool » et mon corps me fait savoir que ce ne serait pas une mauvaise idée. Aujourd’hui est donc mon ultime break avant la dernière ligne droite qui me mènera, en théorie, jusqu ’à Cancún.

4

Il est 23 heures quand je monte dans le bus de nuit pour Pichucalco. Une route directe relie les deux villes, mais vu les nombreux virages qui apparaissent sur l ’écran de mon GPS, je ne suis pas sûr qu’un bus de cette taille se risquerait en s’aventurant sur cette route montagneuse et tortueuse. On fait un long détour, plus de 150 kilomètres, qui permet de rouler sur une route en bon état. Je suis en plein milieu d’un rêve lorsqu’on s’arrête dans un endroit isolé. Des hommes montent à bord et passent en revue les passagers. À mon niveau, l’un d’eux met sa main sur mon épaule et me secoue tout en braquant sa lampe torche directement dans mes yeux. Aveuglé, et pas très réveillé, je n’aperçois que sa main et l’arme qu’il porte à la ceinture. Drôle de réveil. Je me questionne sur l’identité de ce type. Est-ce qu’il fait partie de l’un de ces fameux groupes qui arrêtent les bus pour réclamer un « péage » auprès du chauffeur et des passagers ?

Lorsqu’il baisse sa lampe, je peux lire sur son gilet pare-balle « POLICIA ». Ce n’est pas forcément une super nouvelle, étant donné que les flics mexicains ne sont pas non plus des modèles d’exemplarité dans le domaine de la corruption. Le détour du bus nous a fait brièvement entrer dans le Veracruz, un état où la violence est présente et où des barrages de police sont montés sur les routes passant la frontière de l’état. Le policier me demande mes papiers, d’ouvrir mon sac pour le fouiller et veut savoir si j’ai de la drogue sur moi. Il passe aussi en revue les autres passagers mais ne s’attarde sur aucun d’entre eux. Seul le blanc-bec du bus a eu droit à un mini interrogatoire en pleine nuit.

On arrive à Pichucalco, une ville perdue au milieu de la montagne, à 5h30. Déserte, seuls quelques vendeurs s’activent pour sortir leurs fruits sur le trottoir devant leurs boutiques. Avec mon gros sac sur les épaules, difficile de me motiver pour la rando. Au coin d’une rue, un panneau se balançant indique un hôtel. Un homme assoupi se tient dans le hall. L’avoir tiré de son sommeil en frappant l’a peut-être rendu de mauvaise humeur et je crains qu’il ne m’envoie balader. C’est tout le contraire qui se produit. Les yeux encore dans le brouillard, il arbore un sourire radieux au moment de me souhaiter la bienvenue.

Impossible d’avoir une chambre, il faut que j’attende le début d’après-midi. Il me demande si je suis habillé comme ça parce que je vais grimper le Chichonal et m’invite à laisser mes affaires dans une petite pièce à côté. Autour d’un café, pour essayer de me réveiller et de prendre quelques forces pour la journée, il m’explique comment me rendre jusqu’au volcan. Sans être très compliqué ça s’annonce quand même galère. Il faut prendre le combi qui va à Ixtacomitan, en descendre et traverser le village pour prendre un deuxième combi en partance pour Chapultenango. Mais l’aventure ne s’arrête pas là. Depuis ce village reculé, il faut attendre que des 4x4 communautaires partent pour me rendre au départ du chemin qui mène au sommet du volcan. La jeep c’est seulement si j’ai de la chance, sinon je dois marcher plus de 8 kilomètres. Il semble content que je m’intéresse au coin où il a grandi.

Il y a pas mal de touristes qui viennent ici mais la majorité sont mexicains. Il me raconte comment, enfant, il a vécu l’éruption de 1982. Il se souvient des séismes quelques semaines et jours précédant le réveil. Lors de l’évacuation en catastrophe de son village sur les flancs du volcan, il se souvient qu’ils étaient pris sous une pluie de cendres, de roches et qu’au loin il vit d’énormes panaches s'échapper du volcan. Son récit fait froid dans le dos. C’est donc un véritablement colosse que je m’apprête à découvrir.

Je monte dans le collectivo et tout se passe bien jusqu'à Chapultenango. La route se fraye un chemin à travers une végétation dense et alterne les portions goudronnées et les chemins remplis de trous. Difficile de croire que je suis dans un village qui a été complétement détruit il y a 40 ans. On est loin de tout, mais les habitants n’ont pas perdu leur ingéniosité pour promouvoir le tourisme dans leur paisible village. Devant l’église, comme dans de nombreuses villes du monde, une sculpture a été érigée montrant le nom du village. À chaque lettre, la couleur change et l’œuvre prend les couleurs d’un arc-en-ciel. Juste à côté, des bornes d’arcade occupent l’espace sous un préau. Je ne sais pas si elles fonctionnent encore mais ça fait plus de 15 ans que je n’en avais pas vu.

C’est ici que je dois trouver le 4x4 qui me laissera au bord du chemin. Malheureusement, ils ne partent qu’en début d’après-midi. Soit je reste bloqué quelques heures, soit je me motive pour marcher les 8 kilomètres qui me séparent du sentier. C’est vite décidé ! Je me mets en chemin en suivant la route qui monte et qui descend suivant la topographie du terrain. Je n ’arrive pas encore à distinguer le volcan, tous les sommets se ressemblent et rien n’indique qu’un cratère se cache dans ce paysage. Je marche déjà depuis une heure et je ne croise que très peu de monde ou véhicules sur cette route. J’ai déjà pas mal avancé quand derrière moi, un gros bus klaxonne. Je n’en crois pas mes yeux. Comment un aussi gros véhicule arrive à passer sur ce chemin défoncé et en partie inondé. Le chauffeur me dit « Al Chichonal ? Pour 5 pesos je t’y dépose ». 0,20€ pour faire les trois derniers kilomètres. Je n ’hésite pas une seule seconde. Depuis le premier rang, j’assiste à la maîtrise du chauffeur alors que l’on passe sur des parties très accidentées ou lorsque l’on traverse un pont à peine plus large que le bus.

Avec la courte nuit ponctuée de nombreux réveils et cette première heure de marche, je sens déjà la fatigue gagner mon corps avant même d’avoir débuter l’ascension. En face de moi, le volcan dessine un creux dans le paysage. Quelques nuages s ’accrochent aux pics à droite du cratère. Il ne manquerait plus qu’après tout ce chemin, je ne puisse rien voir une fois en haut. Cette idée peu plaisante me force à accélérer la cadence pour éviter de me retrouver dans un épais brouillard. Le sentier passe sur des terres privées, et les propriétaires demandent un droit de passage. La femme qui récupère l’argent est aussi aimable qu’une porte de prison et me crie dessus. Les bois et forêts se succèdent rapidement dans la première partie avant que je m’enfonce dans un petit canyon en suivant le lit d’une rivière. À sa sortie, un groupe d’hommes attendent pour réclamer eux aussi leur dû. Ce péage est deux fois plus cher que celui réclamer par la femme à l’entrée. Ils me proposent de m’accompagner pour éviter que je me perde une fois en haut. Vu que le chemin est visible et va tout droit, je pense que je ne devrais m’en sortir. Ils insistent de longues minutes avant de lâcher l’affaire et de me laisser passer.

La dernière ligne droite est pentue mais plutôt courte. Je marche en slalomant au milieu des hautes herbes. Plus que quelques mètres et j’aurai une vue sur le cratère. La fatigue me quitte instantanément lorsqu’une fois au sommet, au bord de ce gigantesque gouffre, je prends conscience de la puissance destructrice du volcan. L ’immense cratère devant moi moi s’est formé à la suite de l’éruption de 1982. Avant ça, cet espace était comblé par un ou plusieurs dômes de lave qui ont été pulvérisés. Maintenant, le cratère fait un kilomètre de large pour 300 mètres de profondeur. Tout au fond, un lac vert émeraude occupe le centre. Sa couleur est incroyable et contraste énormément avec les roches blanches qui l’entourent. Au sein même du lac, plusieurs tons de vert se côtoient. Le vert au centre a une teinte plus uniforme alors que les bords ont un dégradé tirant sur un vert légèrement plus clair. En bas, à côté d’une petite butte bien plus foncée que le reste, des fumerolles dégagent une grosse quantité de gaz. Le volcan est bel et bien vivant.

El Chichón, ou Chichonal, est un volcan situé dans une zone peu peuplée à la frontière entre le Chiapas et le Tabasco. Culminant à 1050 mètres, il est la conséquence de la subduction de la plaque des Cocos sous la plaque Caraïbes. La plaque qui s’enfonce provoque une fusion partielle dans le sous-sol et le magma remonte jusqu’en surface. En 1982, il a connu une éruption violente ayant eu des répercutions à l ’échelle de la planète. Depuis Novembre 1981, de nombreux séismes secouèrent la région mais les autorités n’y prêtèrent que peu attention. Le 28 Mars 1982, le volcan se réveilla en expulsant des cendres jusqu’à 17 km d’altitude. Cette activité ne provoqua pas d’évacuation et se poursuivit jusqu’au 3 Avril, où la première des trois grosses explosions eut lieu. Son intensité est estimée entre 4 à 5 fois plus forte que la bombe atomique larguée à Nagasaki.

Ce jour-là, la nuit tomba plus tôt. Les cendres atteignirent la stratosphère à 35 km d’altitude et plongèrent le Chiapas et les états voisins dans une période d ’obscurité. Autour du volcan, les populations n’ont pas pu faire grand-chose pour s’échapper ou se protéger. Pris de court par les lahars et les nombreuses nuées ardentes, 8 villages furent totalement détruits et 3 500 personnes moururent lors de cette éruption. Pour les nuées ardentes, il faut s’imaginer des murs de gaz, cendres et roches lancés que rien ne peut arrêter. Avec 60 mètres de haut, 750°C et une vitesse de 150 km/h, les nuées ardentes du Chichón furent responsables de la grande majorité des pertes humaines. Les pertes matérielles furent aussi colossales. En plus des villages, de nombreuses terres et plantations dont dépendaient les habitants furent purement et simplement détruites. Dans un rayon de 10 kilomètres, tout n’était que désolation. Les cendres firent plusieurs fois le tour de la Terre avant de stagner dans l’atmosphère en formant un voile opaque filtrant les rayons du soleil. Ce phénomène provoqua une baisse de la température globale moyenne de la Terre de 0,5°C durant les deux années suivantes.

Un chemin abrupt suit les pentes intérieures et permet de rejoindre le fond du cratère et d’aller au bord du lac. Je me lance dans la descente de ce volcan actif tout en croisant les doigts pour qu’il ne le devienne pas davantage au cours des prochaines heures. Vu l’inclinaison de la pente, des passages entre 50 et 60%, je décroisse les doigts car j ’ai besoin de la totalité de mes mains pour m’accrocher et éviter de chuter sur les rochers qui parsèment le chemin. Petit à petit, le lac s’aplatit mais la couleur ne change pas. Seul le passage d’un nuage devant le soleil lui permet de devenir plus terne ou au contraire bien plus étincelant.

Après un quart d’heure d’efforts, je touche enfin le fond. Un groupe de jeunes se prépare à aller se baigner. Je pensais qu’un lac d’une telle couleur et, si proche d’émanations gazeuses, devait être forcément acide, mais ils ont l’air de profiter de leur baignade. Seuls des cris lorsqu’ils rentrent dans l’eau déchirent le silence qui règne ici-bas. C’est sûrement à cause de l’eau glaciale. En m’accroupissant au bord je comprends que c’est le contraire. L’eau doit être au moins à 40°C, réchauffée naturellement par l’activité volcanique. À côté des fumerolles, l’eau devient très chaude et je ne peux plus y plonger ma main sous peine de me bruler sérieusement. L’odeur de soufre me prend à la gorge mais pourtant, j’ai un mal fou à détourner le regard de la surface de l’eau et du rebord du cratère au-dessus de moi. Je ne crois pas avoir déjà vu quelque chose comme ça. Me dire que sous mes pieds, une nouvelle chambre magmatique se remplit doucement, me fait me sentir tout petit. Bien étrange sensation que de se sentir vulnérable alors que le paysage est apaisant.

Après de longues minutes passées au fond, je me motive à remonter la pente. Je sais pertinemment que ça ne sera pas une partie de plaisir quand les premières inclinaisons se dressent devant moi. La fatigue ayant refait son apparition, j’accuse le coup durant cette montée harassante. La chute de mon portable, qui s’explose mais survit miraculeusement, quelques mètres plus bas m’offre quelques moments de bonus dont je me serai bien passé.

Avant de redescendre par le chemin et revenir à la route principale, je jette un dernier regard par-dessus mon épaule sur le cratère et l’incroyable lac qu’il referme. La descente est facile et rapide. Je recroise les hommes qui, maintenant qu’un service de guide ne m’est plus utile, portent à peine attention à mon passage. J’arrive enfin sur la route, tout boueux à la suite d’une gamelle légendaire sur le bord d’une rivière dont moi seul ai le secret. J’attends patiemment qu’un 4x4 arrive mais comprends, après une longue attente, que leur passage est aléatoire. Je me remets en route pour les 8 kilomètres retour. Cette marche est interminable et sans grand intérêt maintenant que le temps est couvert et pluvieux. Cette fois mon sauveur n’est pas un bus mais un jeune motard, qui me propose de monter pour me déposer à Chapultenango. Il refuse toute « récompense » mais devant mon insistance, il est bien obligé de céder. Il m’a quand même évité plus d’une heure de marche supplémentaire.

Pendant le retour, je sens mes yeux se fermer tous seuls et je lutte pour ne pas sombrer dans le sommeil. La fatigue est maintenant telle que j ’ai du mal à rester cohérent dans mes pensées et mon espagnol ressemble à celui d ’un enfant de trois ans qui vient à peine d’apprendre à parler.

À l’hôtel, après une douche et des achats de provisions pour le soir, je m ’effondre sur le lit et part instantanément pour un voyage aussi agréable que nécessaire au pays des rêves. Plusieurs heures passent et la nuit est déjà bien avancée lorsque je me réveille. Maintenant que le cerveau a récupéré, c’est mon estomac qui me fait bien comprendre que je n’ai pas vraiment mangé depuis un bon moment et qu’il faut y remédier. Juste le temps d’avaler quelques gâteaux et je me rendors comme une masse.

5

Le lendemain matin, après un changement de bus à Villahermosa, j’embarque pour Palenque, très connu pour ses ruines. J ’arrive au milieu de la jungle où la chaleur et l’humidité sont au rendez-vous, mais je ne me rends pas directement aux ruines. Je saute dans le premier collectivo que je croise pour Ocosingo pour qu'il m'emmène à Agua Azul. La route qu’il emprunte est reconnue comme étant l’une des pires de la région car elle serpente sans fin en longeant des canyons. Partout autour, la végétation règne en maître absolu et recouvre chaque parcelle de terrain. Il me laisse à une intersection où des taxis collectifs attendent d’être remplis pour partir. Il se gare sur un terrain vague et je suis les panneaux jusqu’à ce qu’un bruit de chute d’eau me parvienne aux oreilles. C’est mieux de venir quand la surface turbulente de l’eau est baignée par les rayons du soleil. Elle prend alors une couleur turquoise donnant à l’eau un aspect laiteux.

En partant de Palenque, le temps était radieux. Maintenant c’est couvert et les nuages empêchent le soleil de se montrer. Je n’aurai donc pas la chance de voir cette couleur si impressionnante. À la place, l’eau est bien plus foncée mais le cadre reste quand même impressionnant. De nombreuses chutes se succèdent et des zones de baignades sont aménagées. Un chemin longe la rive et offre autant de miradors naturels que le site compte de cascades. Le lieu est très touristique et, même si aujourd’hui ça ne se bouscule pas au portillon, de nombreux restaurants et vendeurs de souvenirs occupent les bords du sentier bétonné. Heureusement, passé les premières cascades et miradors, il est plus facile de trouver un endroit à l’écart des autres pour se baigner et profiter.

Le retour est interminable. Le taxi refuse de partir même si je paye plus. Il faut quarante minutes pour que le chauffeur prenne pitié de moi et décide de me remonter. Là aussi, la longue attente est bizarre. Très peu de véhicules passent en direction de Palenque. Un automobiliste s’arrête et explique que des villageois bloquent la route un peu plus loin, empêchant quiconque de passer. Un jour comme un autre dans le Chiapas. Je tends le pouce à chaque fois qu’une voiture apparaît dans la ligne droite. Un 4x4 s’arrête avec deux hommes à son bord. Le chauffeur, originaire du Guatemala, me raconte comment il s’est repenti de ses actions passées en devenant pasteur et œuvre maintenant pour le bien des autres. Il n'entre pas trop dans les détails mais j'ai l'impression que c'est un ancien membre d'une Mara. L’homme sur le siège passager est son assistant et tous les deux rentrent à Cancún après une mission de plusieurs semaines. Encore un trajet bizarre à parler de religion, un de mes fils rouges durant tout mon voyage.

À partir de maintenant, je vais enchaîner les ruines mayas pour le temps qu’il me reste. Les jours passent et la situation semble de plus en plus tendue dans le monde et en France. Heureusement, face à la menace du coronavirus chinois, la Ministre de la Santé a fait poser des affiches dans les aéroports français invitant les voyageurs à faire attention. Ouf, on est sauvé ! C’est rassurant de savoir que les politiques se préoccupent vraiment de cette potentielle bombe à retardement. Les chiffres ne sont pas top et les rumeurs d’un confinement national sont de plus en plus présentes, tout ça parce que les dirigeants n’ont pas pris au sérieux cette menace inconnue et préoccupante. En tout cas au Mexique, personne ne semble inquiet et la vie suit son cours, même si depuis quelques jours, les cas se multiplient.

De bonne heure, je me rends au coin de la rue où des collectivos partent régulièrement pour les ruines. Dès l’ouverture, il y a déjà du monde et ça me change des sites plus modestes que j’ai visités. Le climat est humide et la végétation est luxuriante. Je me prépare à beaucoup transpirer quand il va falloir monter les nombreux escaliers. À l’entrée, il y a quelques guides officiels et d’autres en freelance. Comme une nuée s’abattant sur une proie, ils viennent tous à ma rencontre. Les prix vont du simple au double. Quitte à visiter des ruines, autant le faire avec un guide pour que j ’en apprenne plus sur cette civilisation, leur quotidien, leurs croyances et leur organisation. Si je le fais ici, je devrais être tranquille pour les sites que je visiterai après.

On passe devant des vendeurs de souvenirs, de fruits et d’anti-moustiques. Un homme me fait un signe de la main avec des « Pssst » insistants. « Est-ce que ça te tente d’essayer les champignons et de t’offrir une visite différente ? ». Juste pour clarifier les choses, les champignons en question ne sont pas nos bons vieux champignons de Paris mais bien hallucinogènes. J’aime bien découvrir et essayer de nouveaux trucs mais si c ’est pour me retrouver en face d’une hallucination de jaguar et fuir en hurlant au milieu des ruines, je préfère passer mon tour. Le guide m’encourage à reconsidérer ma position. Ah oui j’ai pris le type en freelance à seulement 35 € au lieu des 90 € demandés par les autres… Comme on dit, on a les services que l’on paye. Je suis mauvaise langue, car mine de rien, c’est quand même quelqu’un de très calé et une bonne source d’informations. Il m’emmène quand même parfois vers ses potes vendeurs sur le site pour que j ’achète des statuettes ou autres souvenirs.

Certaines ruines sont au cœur de la jungle qui commence à regagner du terrain. Des pierres sont recouvertes de mousse et les arbres envahissent certains bâtiments. J’ai comme un sentiment d’exploration en pénétrant dans ce lieu, en tournant autour des ruines et en m’enfonçant dans la végétation. La visite est sportive et les escaliers ont dû être taillés pour des géants vu qu’ils m’arrivent presque au genou. Avec la chaleur, chaque montée est pénible.

Palenque connut son apogée au VIIème siècle et domina une large partie du monde Maya sous le règne de Pakal, le souverain le plus célèbre de la cité. Elle s ’est développée mais a gardé une taille modeste, bien loin de Chichen Itzá ou Tikal. Les archéologues ont quand même mis au jour près de 1400 bâtiments mais estiment que seul 10% de la ville ont été fouillés.

Le temple des inscriptions sort peu à peu de la brume. C’est sûrement la structure la plus significative des ruines. Lorsque Pakal mourut, ayant pris le pouvoir à l’âge de 12 ans et le laissant 68 ans plus tard, son fils aîné ordonna la construction du Temple où est enterré son père. Une dalle scellée permet d’atteindre le tombeau dans les profondeurs de la pyramide. Selon la légende, l’humidité à l’intérieur serait telle que les murs pleurent l’ancien souverain. Pour éviter sa détérioration, il est impossible de pénétrer à l ’intérieur mais une reconstitution du sarcophage est visible au musée à l ’entrée du site.

On passe ensuite dans le palais, un vaste ensemble de bâtiments où de la peinture est encore visible sur les murs. Des fresques et des sculptures complètent les décorations. Une colline domine le palais avec à son sommet les Temples de la Croix et du Soleil. Un escalier s’enfonce à travers les arbres pour y monter. Bâtis sur des plateformes, ils ont chacun des sculptures et des chambres intérieures expliquant les rituels destinés aux dieux. Juste avant d’emprunter le grand escalier, le guide me laisse tout seul. Il m ’a bien expliqué ce que j’allais voir mais, n’ayant pas la motivation de monter, il m’abandonne en me souhaitant chaleureusement une bonne ascension. D’en haut, la vue sur le palais est superbe et mérite bien les efforts pour monter comme pour redescendre avec ces marches inégales en taille et largeur. Après un passage dans la jungle, où les bâtiments ne sont pas visibles et laissés en l’état pour ne pas bouleverser l’environnement des animaux qui y vivent, je prends la direction de la sortie.

De nouveau dans le centre-ville, je me motive pour aller visiter les ruines de Toniná. Il faut prendre un collectivo jusqu’à Ocosingo, et espérer que les barrages soient levés. Trop d’incertitudes alors je laisse tomber l’idée et m’oriente vers d’autres ruines toutes aussi intéressantes. De nombreuses agences proposent une excursion pour les ruines de Yaxchilan à la frontière du Guatemala. Y aller seul est envisageable mais comme elles ne sont accessibles qu’après une demi-heure de lancha sur le fleuve, j’abandonne l’idée, les tarifs étant bien trop élevés pour une seule personne.

Le soleil n’est pas encore levé lorsque le guide passe me prendre. On s’arrête dans d’autres établissements pour récupérer trois autres couples. L’accès aux ruines est déjà tout un voyage en soi et donne à l’excursion un petit goût d’aventure. Après 3 heures de route, on se gare au bord du fleuve à Frontera Corrozal. Un bac fait la liaison avec la rive opposée. Juste en face, le Guatemala est de nouveau visible. On grimpe dans une lancha pour descendre le Rio Usumacinta, la frontière naturelle entre les deux pays. De chaque côté, la forêt apparaît toujours plus dense et s’éveille aux cris des singes hurleurs nous souhaitant la bienvenue. Affalés sur la berge ou partiellement dans l ’eau, quelques crocodiles se réchauffent au soleil.

Il faut marcher à l’ombre des grands arbres pour qu’un premier temple apparaisse. Seulement des pierres les unes sur les autres et le vert de la jungle autour. Je me sens comme dans les films mettant en scène l’archéologue qui ne se sépare jamais de son fouet. Comme Indiana Jones, je fais attention où je mets les pieds pour ne pas déclencher un mécanisme qui nous mettrait en mauvaise posture. Je sors de mon scénario hollywoodien lorsque je pénètre dans le long couloir plongé dans le noir qui débouche sur une grande clairière. Entre temps, en éclairant le plafond, des dizaines de chauves-souris dorment en attendant la venue de la nuit pour sortir de nouveau. Les principaux édifices sont disséminés aux quatre coins de la Grande Place et, avec des temples, des fresques, des stèles et des voûtes, il y en a pour tous les goûts.

Yaxchilan était un peu la Suisse de l’époque car c’était autant l’allié de Calakmul que de Palenque. Lorsque les deux puissances s’affrontaient, elle ne prenait pas part aux hostilités. Cependant, lorsqu’il fallait déglinguer la cité voisine de Piedras Negras, ils s’allièrent avec Calakmul. En échange ils leur demandèrent de trahir Palenque et les aider à mener une guerre contre eux. Entre temps, Tikal, ennemie de Calakmul mais aussi alliée de Palenque et de Piedras Negras, s’engage à détruire Yaxchilan pour protéger ses alliées. Avec ces nombreuses batailles, les réfugiés furent nombreux et les cités temporairement désertées. Bref, un joyeux chaos !

On arrive au pied de l’escalier partiellement écroulé qui mène à un bâtiment imposant en haut de la colline. L’arbre qui a poussé au milieu de la montée gâche un peu la vue, mais je distingue un quadrillage sur le toit du bâtiment. Avec les rayons du soleil, le quadrillage servait de calendrier pour semer et récolter les cultures. Un homme assis, enfin ce qu’il en reste, est sculpté et domine l’escalier. De nombreux sentiers partent dans la jungle mais faute de temps, il est impossible de les explorer. À l’entrée, on remonte dans cette fragile embarcation pour débarquer quelques kilomètres plus haut.

Après une pause déjeuner, on se dirige vers Bonampak, un petit site par la taille mais immense par son intérêt. De l’autre côté de la clairière, un large escalier, parsemé de quelques temples, portent les stigmates des années d’oubli. En rentrant dans plusieurs temples, je tombe nez à nez avec des peintures miraculeusement conservées sur les murs. Des scènes de guerre, de combat, de rites religieux, de soumission ou d’autosacrifice occupent chaque centimètre du revêtement. Difficile en voyant ça d’imaginer les Mayas comme un peuple pacifique, c’est même tout l’inverse !

Le retour jusqu’à Palenque est long. Toujours moins long que pour les dizaines de personnes que l’on dépasse avec de gros sacs sur les épaules marchant sur le bas-côté. C’est la route que suivent les migrants d’Amérique Centrale espérant atteindre les Etats-Unis. À Palenque, j’hésite à prendre un bus de nuit pour Mérida ou m’arrêter à Campeche et visiter les ruines d’Edzná. Impossible de vérifier en ligne les horaires de départ. Une immense panne de réseau paralyse la région et il n’y a aucun moyen d’avoir du Wifi ou des données. Au terminal, je prends finalement un billet pour Campeche et attends l’heure du départ en m’empiffrant de guacamole sur une terrasse.

Le trajet va être glacial et je serai à Campeche très tôt le lendemain matin. Dans la jungle, je n’ai pas pu donner de nouvelles à mes parents et avec la panne, j’imagine que ça doit être la panique à la Casa. Lorsque le bus sort de la zone impactée, mon portable vibre de longues secondes. J’avais raison ! De nombreux messages et notifications me signalent qu’ils ont essayé de me joindre à plusieurs reprises. Pas facile tous les jours d’être parents. Après les avoir rassurés, emmitouflé dans mon gros pull péruvien, je m’enfonce petit à petit dans les bras de Morphée jusqu’à ce que les lumières s’allument brutalement annonçant l’arrivée à Campeche.

Il est 4h30 du matin et évidemment les collectivos ne partent que dans la matinée. La journée s’annonce très longue. Après un trajet de nuit où dormir n ’a pas été si simple, je vais visiter les ruines, la ville et repartir le soir même pour Mérida. Si la nuit a été compliquée, c’est surtout à cause des topes, ces immenses dos d’ânes si fréquents sur la route qu’ils rallongent drastiquement le temps de trajet. Le chauffeur, ayant tendance à ne pas relâcher l’accélérateur, les soubresauts m’ont souvent réveillé. Je suis épuisé, l’excursion de 12 heures à Yaxchilan la veille n’aidant pas, je pars à la recherche d’un hôtel proche du terminal pour y passer quelques heures. De nuit, avec les mecs un peu louches qui traînent, ce n’est pas une zone agréable à visiter.

Je tente de négocier avec le premier car je ne veux dormir que quelques heures avant de lever le camp. Il refuse catégoriquement. Je n’insiste pas et en repartant, un gars derrière une porte en barreau m’interpelle. Je n’avais pas vu que c’était aussi un hôtel. Il accepte pour 5 € de m’ouvrir si je pars avant 9h. Le lieu est glauque, vraiment très glauque. Les murs sont défoncés, les portes branlantes et j’ai l’impression de marcher dans un bâtiment quasiment désaffecté. Mais qu’est-ce que je fous là moi!? La chambre n’est pas mieux. Un sommier en béton et un matelas. C’est tout. Même un hôtel de passe aurait un plus haut standing. Bon, avec le recul, c’était peut-être quand même bel et bien un hôtel de passe…

Mon réveil sonne et j’émerge pour partir rapidement. Les quelques heures de sommeil m’ont totalement revigoré. Je retourne au terminal pour déposer mon sac dans la petite pièce qui sert de consigne avant de traverser une partie de la ville rejoindre les collectivos. C’est la première fois au Mexique que je suis aussi serré et la nostalgie de certains trajets me revient rapidement en mémoire. On est serré les uns contre les autres et bouger s’avère être une tâche compliquée. Tu mets un chinois qui tousse là-dedans et c’est la panique assurée ! Après vingt minutes de trajet, le collectivo me dépose avec deux autres Français au bout d’une longue ligne droite déserte débouchant sur les ruines.

Edzná est moins connu et on doit être moins de dix sur le site. Les iguanes par contre sont bien plus nombreux et pullulent en se déplaçant dans les buissons faisant craquer les feuilles sur leur passage. Edzná est considérée comme l’une des villes mayas les plus remarquables pour ses avancées technologiques, notamment en ce qui concerne le système de distribution de l’eau. Les canalisations étaient utilisées pour irriguer la cité et les terres toute l’année mais aussi comme moyens de défense lorsqu’elle était assiégée. Si les ruines ne sont pas immenses, elles couvrent quand même 25 km². Seule une petite partie est ouverte au public, mais c’est un endroit plein de charme. Comme pour d’autres ruines, certains bâtiments n’ont pas été complétement nettoyés et la végétation envahit de nouveau les pierres milléniales. En plus de ça, la cité présente des styles architecturaux assez hétérogènes inspirés des anciennes cités du Guatemala et des plus récentes au Yucatán.

Un immense ensemble d’escaliers formant des gradins, appelé Nohochna, a sûrement servi pour accueillir du public lors des évènements ayant eu lieu sur la place principale. En face des gradins, une autre place est entourée par plusieurs bâtiments, notamment des temples. La pyramide principale à cinq étages comprend des niches, chose très rare chez les Mayas, et un temple au sommet. Il est impossible de monter sur la pyramide principale pour ne pas la dégrader mais depuis le haut du Temple de la Lune, la vue est impressionnante. Difficile d’imaginer la construction de cet édifice avec les moyens de l’époque et le casse-tête que ça a dû être. Tout autour, des temples, des bâtiments non rénovés et de nombreuses stèles complètent le site.

Je me balade depuis presque deux heures et la chaleur et le manque d’ombre se font sentir. Il fait 39 °C aujourd’hui et ça devient de plus en plus dur de rester en plein soleil. Le retour à Campeche est rapide et avant de retourner au terminal, je décide de faire un tour dans le centre historique. C’est coloré. Très coloré. Mais il fait encore trop chaud et je n ’ai plus la motivation de continuer à me balader. Tout ce que je veux, c’est trouver un endroit frais et me reposer. Je suis rassuré car pour une fois, je ne suis pas le seul à souffrir, les locaux évitent eux aussi de sortir et longent les murs à l’ombre. Le bus pour Mérida ne part pas tout de suite mais je reste dans le terminal. Je n’ai plus aucune énergie. Avec plus d’une heure de retard, je monte dans le bus.

Le trajet est à l’image du précédent, les topes s’enchaînant avant d’entrer enfin sur une autoroute. À Mérida, la plus grande ville et capitale du Yucatán, je tourne en rond avant de trouver mon bonheur. La chambre n’est pas folle mais comparée à celle de Campeche, c’est un 5 étoiles. C’est vrai aussi que ce n’était pas très dur…

Dès le lendemain, j’enchaîne directement sur les ruines d’Uxmal. J’arrive dans la région Puuc où de nombreuses cités ont vu le jour et se sont développées à la fin de la Période Classique alors que celles du Chiapas et Guatemala déclinaient. Je suis content d’avoir pris une visite guidée à Palenque et une excursion à Yaxchilan. J’ai maintenant les informations nécessaires pour visiter les sites tout seul sans être démuni. Associées aux panneaux explicatifs, les visites sont au final facilement compréhensibles. Dès l’entrée d’Uxmal c’est la claque. La Pyramide du Devin se dresse devant les visiteurs avec ses 40 m de haut, 80 de long et 55 de large. Avec ses dimensions gargantuesques et surtout sa forme arrondie unique dans le monde maya, elle en impose. Cinq structures se superposent et s’encastrent les unes dans les autres pour la former.

Juste derrière, le quadrilatère des nonnes offre des détails que je n ’avais encore jamais vus. Des mosaïques sculptées directement dans les façades et de nombreux masques de dieux décorent les murs. Le lieu est encore calme, peu de visiteurs mais il y a un groupe d’élèves en sortie scolaire. Les guides et profs ont du mal à les canaliser. Ça me fait penser que dans quelques jours, une fois rentré, je vais à mon tour retrouver les cohortes d’ados.

En continuant, j’arrive devant la grande pyramide. Elle paraît moins haute qu’à l’entrée mais elle est construite sur une butte. Pour atteindre le sommet, il faut laisser son vertige de côté au risque de rester bloqué dans la montée. Plusieurs personnes en panique n’arrivent plus à redescendre. Il faut dire que les marches sont très raides, mais ce n’est pas non plus l’Everest. Au sommet, le Temple des Perroquets offre une belle vue sur l’ensemble du site. A part quelques bâtiments, c ’est la jungle à perte de vue. C’est quand même un peu décevant car la végétation est complétement grillée. En saison sèche, la jungle perd de sa superbe et le cadre entourant les ruines n ’est pas aussi beau que j’imaginais.

Au final, je commence à saturer des ruines. J’aimerais en découvrir plein d’autres mais il faut me rendre à l’évidence. Les visites deviennent redondantes et l’émerveillement du début laisse place à une petite indifférence. Même si dans chaque site, certaines structures sont incroyables, je passe de moins en moins de temps à chercher les détails. Une pause s’impose avant de visiter Chichen Itzá, l’une des sept nouvelles merveilles du monde. Je sais pertinemment que le site va être pris d ’assaut par des bus de touristes pour qui ce sera l’unique sortie en dehors des plages de Cancún, mais j ’ai quand même envie de le découvrir de mes propres yeux.

6

À Mérida, je me pose une journée entière à ne rien faire. Enfin, je passe chez le tatoueur et en moins de deux heures l’affaire est pliée. C’est dommage de ne pas profiter de chaque moment pour mes derniers jours, mais ça va faire deux mois et demi que je suis reparti avec un rythme plutôt intense et la fatigue recommence à s’accumuler. Un bus me laisse à Pisté, aux portes de Chichen Itzá. Le site ouvrant à 8h, si je veux éviter la foule et les grosses chaleurs il faut que j’y sois avant l’ouverture. D’autant plus que j’ai trois kilomètres de marche.

Je me lève à 6h pour arriver sans trop tarder. Une courte file d’attente s’est déjà formée. Je suis dans les vingt premiers et je devrais profiter du site tranquillement. D’énormes bus arrivent pour déverser les touristes en provenance de Cancún, certainement le pire endroit de la région. Les groupes et leurs guides passent devant les files d’attente provoquant l’exaspération de beaucoup. Ils semblent croire que tout leur est dû, mais ils se font violemment rembarrer à l’entrée avant de repartir la queue entre les jambes. La file s’étire au loin car les gens respectent des espaces. Des distributeurs de gel sont installés près des guichets et les guides portent des masques chirurgicaux. En ce 17 Mars, c’est le début d’une nouvelle ère : le coronavirus est maintenant dans tous les esprits.

Chichén Itzá est l’une des plus importantes villes mayas et la plus connue du Mexique. Classée au Patrimoine mondial, c’est difficile de passer à proximité sans la visiter. Les ruines sont composées de deux zones à l’architecture bien distincte. Une zone centrale construite vers le Xème siècle et contenant les structures les plus majestueuses présentant la marque des Toltèques et une zone Sud du VIIème siècle bien plus dans le style traditionnel Puuc des Mayas du Yucatán. Depuis le large chemin, j’aperçois au loin le toit carré et plat d’une pyramide. Image emblématique du Mexique, visible sur les plaques d’immatriculation du Yucatán, la pyramide de Kukulkan est le bâtiment le plus imposant de Chichén Itzá. Elle est dédiée à Kukulkan donc, le serpent à plumes, l’une des plus importantes divinités de Mésoamérique.

J’ai déjà vu des centaines de photos, mais arriver face à elle, au milieu d’une grande place encore humide par la rosée du matin, est quelque chose d’assez incroyable. C’est le même sentiment que j’avais ressenti lorsque le soleil se levait sur le Machu Picchu. Est-ce que c’est parce que ce sont deux nouvelles merveilles du Monde ? Possible, mais ces bâtiments sont tellement remplis d’Histoire, qu’il est difficile de ne rien ressentir une fois planté devant eux.

Personne autour de moi, je suis seul face à elle. Jamais je n’aurai cru possible de l’avoir entièrement au moins une fois en photo sans aucune autre personne dans le cadre. Je prends le maximum de clichés avant que la foule n’arrive. Je m’assois et, intrigué par cette pyramide, j’ai du mal à décrocher mon regard. Comment les Mayas ont -ils bien pu construire une structure aussi parfaite ? D’autant plus que lors des équinoxes, le soleil projette une ombre sur les escaliers qui dessine le corps d’un serpent ondulant en descendant la pyramide jusqu’à atteindre les têtes de serpent sculptées en bas des marches. Elle est nommée « Pyramide de Kukulkan » en référence au serpent à plume. À trois jours près, j ’aurais peut-être pu assister à ce phénomène. Je me repose la question. Comment ont-ils pu construire cette structure pour arriver à un résultat si précis ? C’est encore un des mystères restant à élucider.

J’arrive au Temple des Guerriers. Il ne reste que des dizaines de colonnes qui devaient soutenir le toit. Au sommet, une petite statue allongée apparaît mais n’est pas facilement visible à cause de l’angle où je me trouve. Il s’agit de la représentation d’un chac mool, un intermédiaire entre un dieu et un homme, tenant sur son ventre et entre ses mains un récipient où était déposé le cœur des sacrifiés.

Avant de quitter la zone centrale, je vais faire un tour sur l’immense terrain de balle, le plus grand de tout le monde Maya. Avec près de 170 mètres de long et 65 de large, il est probable que les joueurs utilisaient des battes en pour faire passer la balle dans l ’anneau en haut des murs. C’est ici que serait visible une fresque détaillant la mise à mort du capitaine d’une équipe par le capitaine adverse.

Je suis un chemin pour arriver dans une zone boisée plus tranquille. Des marchands installent leurs stands tout au long du sentier qui sépare les deux grandes zones en alignant les souvenirs sur des nappes. La majorité des gens sont encore massés autour de la pyramide permettant à l’endroit d’être encore relativement désert. Une pyramide répondant au doux nom de « L’ossuaire du prêtre » arbore deux têtes menaçantes de serpents en bas des marches. Elle a été construite sur une profonde caverne. Au sommet, une ouverture permet de descendre sous terre et atteindre sept tombes contenant de nombreuses offrandes en cuivre, coquillages et jade. Pas très loin, deux temples en mauvais état sont construits sur des petites buttes, jouxtant un bâtiment carré constitué d’une seule pièce. La façade est lourdement décorée par des mosaïques symétriques et des frises avec des masques du dieu de l’eau, des serpents, des tortue et un crabe. Ce sont les espagnols qui le nommèrent « la Iglesia » en pensant qu’un bâtiment aussi décoré, servait probablement de lieu de culte.

Je repasse devant les vendeurs. Leur nombre a doublé et la relative tranquillité des lieux s’est maintenant évaporée. Tous m’accostent pour me montrer leurs masques bien plus beaux que ceux du voisin. Il n’y a que l’embarras du choix parmi les nombreuses pyramides miniatures, les bijoux en jade hors de prix et les masques de toutes les couleurs. Impossible d’avancer. Heureusement, et contrairement à beaucoup d’autres endroits, ils semblent comprendre les termes « non » et « pas intéressé ».

Avant de m’en aller, je passe devant le cénote sacré, ce grand trou d ’eau qui servait pour les cultes dédiés à Chaac. Des objets précieux étaient jetés dans le puits en guise d’offrandes avant que les sacrifices humains ne soient introduits lors de la période Post-Classique. Les sacrifiés étaient majoritairement des guerriers et parfois de jeunes filles ou enfants. Selon la légende, le sacrifié était d’abord purifié en prenant un bain de vapeur avant d’être jeté en haut d’une plateforme surplombant le cénote au petit matin. S’il était toujours en vie à midi, il était repêché afin que les prêtres puissent écouter le message transmis par le dieu.

Il est quasiment 11h et il y a maintenant du monde partout. La chaleur, jusqu’alors supportable commence à devenir de plus en plus oppressante et l’humidité est toujours aussi importante. Il est temps de partir. Même la journée de pause depuis Uxmal n’a pas suffi à me remotiver complétement pour visiter de nouvelles ruines et la saturation est de nouveau très proche. Dans un lieu aussi touristique, les idiots sont de sortie, alors que dans des sites peu visités, il fallait vraiment les chercher. Aucun regret d ’avoir visiter Chichén Itzá, mais ici tout est (trop) aménagé et le charme du site opère moins. Heureusement, l’imposante pyramide sauve la visite. Même si c ’est un incontournable, je pense que des sites comme Palenque et Edzná offre une expérience bien plus « authentique » que Chichén Itzá. Sans oublier les majestueuses ruines de Tikal, certainement les plus beaux et incroyables vestiges de la civilisation Maya. Cette merveille du monde est donc bien incroyable mais pas aussi merveilleuse que d'autres sites.

Il ne me reste que trois jours avant mon vol retour et avec neuf visites de site archéologique, je ne pense pas en refaire d’autres. Mon seul regret est de ne pas avoir pu me rendre à Calakmul, la fameuse cité perdue dans la jungle, qui aimait se battre avec tout le monde. Tant pis, j’en reste là alors que j’emprunte le chemin menant à la sortie. Je me retourne une dernière fois pour jeter un ultime regard vers ce chef d’œuvre historique et architectural avant de franchir le tourniquet et de sortie.

7

17 Mars. Une date historique et qui marque. Ma sortie de Chichén Itzá coïncide à quelques heures près à l’entrée en vigueur en France du confinement. La question qui se pose à moi maintenant c’est de savoir si mon vol d’ici 3 jours sera maintenu ou si je vais me retrouver bloqué au Mexique pour un temps indéfini à cause de l ’annulation du vol entre Cancún et Montréal. Pour le moment, il n’y a pas de changement alors je ne m’inquiète pas plus que ça. J’ai une pensée pour mes potes et proches qui rentrent dans une période assez incertaine. Je commence à me préparer aussi mentalement à l ’idée de passer des 10 mois de liberté absolue, où je bougeais tous les 2 ou 3 jours, à celle de rester enfermé sans sortir pendant un bon moment.

En sortant de Chichén Itzá, je marche de nouveau pendant les trois kilomètres qui me séparent de Pisté. Je rejoins un arrêt de bus et monte dans le premier en direction de Mérida. Je descends dans la petite ville de Kantunil, 55 kilomètres plus loin. J’attends qu’un collectivo parte pour arriver à Izamal, la ville jaune. Son surnom parle de lui-même. Le ton est monochrome et toutes les rues, façades et bâtiments sont peints en jaune. Il y a plusieurs explications à cette couleur. En 1993, quand le Pape Jean-Paul II visita la ville, les habitants auraient peint les murs aux couleurs du Vatican. D ’autres versions circulent, sans que je sache si elles sont exactes : par exemple, le jaune ferait référence au maïs, ingrédient très important pour les populations Mayas locales ou alors il servirait dans une stratégie visant à combattre les invasions de moustiques, et ce grâce à la réflexion de la lumière.

Avec un thermomètre qui frôle les 40°C cet après-midi, me balader dans ces rues colorées n’est pas une mince affaire. C’est lassant de toujours se sentir poisseux. Une chose est sûre, si certains s’acclimatent parfaitement à ce type de climat, il me faut bien plus de temps. Au niveau des villes mexicaines, Izamal est certainement ma plus belle découverte, même si Oaxaca et San Cristobal rivalisent avec elle. La ville est à taille humaine et a un côté plus authentique que les deux autres.

À force de flâner et de me perdre dans les rues, j ’arrive à un croisement où un panneau indique une pyramide. En plein centre d’Izamal se trouve la pyramide de Kinich-Kakmo. Étant à double élévation, sa hauteur totale s’élève à 34 mètres et fait d’elle la troisième plus haute pyramide du Mexique, devançant même la pyramide de Kukulkan. Après avoir grimpé quelques marches seulement, la ville disparaît derrière moi. La pyramide, pas très bien rénovée, se grimpe facilement, à condition de faire attention aux marches instables. Ce n’est pas la seule dans la ville, trois autres se cachent parmi les rues et bâtiments car Izamal était un grande centre religieux dédié au dieu Itzamna. Quand les Espagnols arrivèrent, il ne restait plus que des ruines et quelques habitants. Ils utilisèrent les pierres des édifices Mayas pour bâtir leur nouvelle ville.

Je redescends et reviens sur la place principale face au couvent de San Antonio, un des plus anciens du continent et le symbole de la ville. Construit sur une ancienne pyramide, il est surélevé par rapport au reste de la ville. Le style et l ’aspect d’Izamal sont très homogènes car tous les bâtiments datent de l’époque coloniale. Si on rajoute à cela les nombreuses coccinelles et des encadrements de portes décorés, les photographes sont aux anges. Impossible de visiter le couvent pour « raisons sanitaires ». Devant les grilles, des calèches attendent les touristes pour les emmener faire un tour. C’est le summum du kitsch, mais ça a l’air de fonctionner.

Finalement, je reprends un collectivo qui me ramène à Kantunil. On aperçoit par la fenêtre le bus pour Valladolid qui arrive. Le chauffeur se gare sur la chaussée pour le ralentir suffisamment afin de nous laisser le temps de le rejoindre et monter. Je me réveille juste avant la tombée de la nuit à Valladolid, les topes n’auront pas eu raison de mon sommeil cette fois-ci. Valladolid est la jumelle de Mérida, en plus petite. Coloniale et colorée, elle a bien moins de charme qu’Izamal mais dans chaque restaurant est à tomber. Il ne me reste qu’un jour plein avant de rejoindre Cancún. Le lendemain matin, je vais au cenote Zaci, en plein centre-ville pour profiter du calme matinal pour me baigner. Impossible de passer. Les autorités, à cause de l ’épidémie prenant de l’ampleur ont décidé de fermer le cénote. Tant pis, je vais louer un vélo et me rendre dans un autre à l’écart de la ville mais avant, je demande confirmation de l’ouverture aux gardes. Ils m’apprennent que tous les cénotes de la province sont fermés.

Le dernier vrai jour du voyage commence à bien sentir le roussi. Je n’avais évidemment pas du tout imaginé terminer ce bourlingage à travers l’Amérique Latine de cette manière. Comme il est encore tôt, je passe en revue ce que je peux faire pour trouver un plan B. Il y a bien les ruines d’Ek Balam pas très loin mais, comme dit plus tôt, les visites archéologiques ne sont plus ma priorité. Une solution, plus lointaine, serait de rejoindre Las Coloradas sur la côte Caraïbes pour voir les marais salants. Le nouveau plan sonne plutôt bien et je saute dans le premier bus pour Tizímin. Une fois à destination, j’apprends que l’unique bus pour Las Coloradas ne part qu’en fin d’après-midi et ne fait qu’un arrêt express avant de revenir. Trouver un taxi collectif est ma seule option à présent. Une dame m’indique l’intersection où je dois me rendre et, effectivement, un taxi est bien stationné. Le chauffeur passe le temps en dormant sur la banquette arrière. Il ne partira que dans une heure à moins d ’avoir plusieurs personnes qui se présentent avant.

Trois femmes arrivent les bras chargés de vivres. Le chauffeur se réveille et, avant même d’avoir pu caler tous les sacs, saute derrière le volant prêt à partir. Ce n’est qu’à quelques kilomètres du village qu’il annonce à tout le monde que l’accès à Las Coloradas est interdit aux non-résidents. Il savait très bien que je ne pourrai pas rentrer avant même de démarrer mais s’est bien gardé de me le dire pour que je paye les trajets ! Il me demande de bien parler espagnol pour que les flics me prennent pour un Mexicain en cas de contrôle. Euh… Je ne sais pas s’il a remarqué mais même avec une concentration maximale, il y a de bonnes chances pour que je me fasse griller. Il conduit bien mieux qu’il ne réfléchit. Un miracle se produit pourtant et les flics me laissent passer. Ma prononciation et mon teint de peau n’ayant pas changé depuis les cinq dernières minutes, je suppose que le flic est soit conciliant soit totalement sourd.

Je descends devant un portail où des hommes masqués attendent. Comme il s ’agit d’un domaine privé, l’entrée est payante et un guide est obligatoire pour rentrer et marcher au milieu des salines. La visite est assez courte et pas si intéressante. J’apprends rapidement l’histoire de l’endroit, des informations sur les flamants roses et le secret de la couleur de l’eau. D’ailleurs, c’est la seule chose qui ne déçoit pas ici. Ce rose fait de contrastes semble irréel. Ce n’est pas totalement naturel mais le paysage est juste féerique. C’est quand même bien trop peu pour justifier un voyage aller-retour de plus de trois heures depuis Valladolid.

Avant de rejoindre la place ensablée de l’église où le bus ne devrait pas tarder à arriver, je vais sur la plage. Après le jaune vif d’Izamal, le rose profond des salines voilà l ’eau turquoise de la Mer des Caraïbes. C’est une invitation à la baignade. Des dizaines de petits bateaux ballotés au gré des vagues, sont alignés et attachés côte à côte, à proximité des restes d’une tortue de mer.

Après un changement à Tizímin, et un passage rapide à l’hôtel pour récupérer mon sac, je prends mon bus pour Cancún. Deux heures de voyage plus tard, je pose le pied dans la dernière ville du voyage. C’est difficile de me dire qu’il touche réellement à sa fin vu tout ce que j’ai pu vivre. Je suis vite ramené à la réalité quand tous les chauffeurs de taxi arrivent en masse à la sortie en hurlant pour se faire remarquer. Je n’ai pas une belle image de Cancún et la seule nuit que je vais rester ici ne me permettra pas de savoir si mon impression est justifiée ou non. C’est une ville immense et bien moins safe que lesautres de la péninsule, comme en témoignent les flics à chaque intersection.

Avant de quitter le terminal, je réserve mon billet pour l ’aéroport le lendemain à 9h. Avec un départ à midi, je préfère être large car ce n ’est pas le jour de rater son vol. Pour noyer la tristesse de la fin du voyage, quoi de mieux que d'ingurgiter plusieurs bols de guacamole? Bon peut-être pas la meilleure idée car je me sens pas très bien pour le reste de la soirée et prie secrètement pour ne pas être malade lors de mes vols retours.

Le lendemain matin, je suis refoulé au moment de monter dans le bus sans comprendre ce qu’il se passe. Le bus qui s’apprête à partir est celui de 10h. Saperlipopette ! J’ai complétement zappé qu’en passant de Valladolid à Cancún, il y avait un décalage horaire. Comme je n’ai plus de crédit sur la carte SIM, le téléphone n ’a pas capté le signal et n’a pas fait le changement d’heure automatique. C’est la loose et je ressors de là en trombe à la recherche d’un taxi. Une fois d’accord sur le prix, une véritable fortune, je pars enfin pour l’aéroport. Sur la route, il m’explique qu’il ne craint pas le nouveau coronavirus et que « Le Mexique était l’épicentre de la dernière grosse épidémie de grippe mortelle et on sait donc maintenant parfaitement gérer ce genre de situation ». D’accord. On en reparlera dans quelques mois car je ne partage pas tellement son optimisme.

J’enregistre mon bagage, passe le contrôle de sécurité et enfin la prise de température. Quelques malchanceux qui ont affolé les thermomètres sont isolés sur une chaise et attendent. Lorsque les roues quittent le sol, je jette un coup d’œil à travers le hublot pour apercevoir l’immense étendue d’eau turquoise sous les ailes. Une expérience de 10 mois vient de se terminer et j’ai énormément appris sur les pays traversés, les différentes cultures et surtout sur moi-même et ma faculté à gérer des situations inédites. J ’essaye de penser à tout ce que j’ai pu vivre ces derniers mois mais mes pensées ne peuvent se détacher du futur très proche qui s’annonce, lui, bien moins reluisant.

Lorsque j’atterris à Montréal, j’ai l’interdiction de sortir de la zone internationale. Heureusement, je n’ai que quelques heures d’escales et je ravive mes souvenirs en mangeant une bonne vieille poutine. Rien à faire, même si ce truc a le nom d ’un président russe que je désapprouve, il est décidemment toujours aussi bon d’en manger. Lorsque, dans l’avion à moitié rempli, l’hôtesse annonce que l’embarquement est terminé, les deux sièges à côté de moi sont inoccupés. Les gens commencent à se lever pour changer de place et occuper d’autres sièges plus spacieux. Si je veux éviter que quelqu’un, porteur ou non du virus, vienne juste à côté de moi je dois trouver quelque chose pour les décourager. La seule stratégie qui me vient en tête à ce moment précis est de … tousser fort et longtemps. Pas super classe mais terriblement efficace.

Avec trois sièges pour soi, un vol se passe toujours mieux. On atterrit sur une piste presque vide. L’aéroport est complétement désert et tous les guichets sont fermés. Le silence qui règne dans ces halls est pesant et l’on se croirait vraiment dans un film catastrophe. Je n’ai croisé personne pour vérifier mon identité ou simplement prendre ma température. On est en pleine épidémie et en confinement strict et n’importe qui peut rentrer en France. Incroyable à quel point ce pays dirigés par ces ploucs est en retard sur des questions pourtant simples. Après dix mois de voyage, une nouvelle épreuve m'attend et pas des moindres : plusieurs semaines en confinement tout seul dans 40m².