Ici l'atterrissage est mouvementé, t'es à 900 km de l'Antarctique et à 13 000 km de la France, il fait froid, il vente énormément, on ne fabrique pas de savon et surtout on n’aime pas les anglais. Bref, bienvenue à Ushuaïa. C'est un peu cliché de le dire comme ça mais c'est quand même assez proche de la vérité.
Mon vol matinal depuis El Calafate, décolle certainement de l'un des plus petits aéroports que j ’ai foulé. Pour rallier Ushuaïa par les airs, le voyage dure une bonne heure et demie mais est une excellente alternative au bus. J'aurais pu voyager par la route mais les bus mettent pratiquement vingt heures avec un double passage de frontière avec le Chili et la traversée en "ferry" du détroit de Magellan. Le choix a été facile vu ma folle envie de ne pas perdre une journée entière.
La piste étant parallèle à la rive du Lago Argentino, la vue pendant le décollage est tout simplement splendide, notamment lorsque l'on survole le Rio Santa Cruz avec ses méandres bleu turquoise. Ce fut d'ailleurs un des plus beaux vols au niveau des paysage que j'ai pu faire jusqu'à présent. L'arrivée sur Ushuaïa est aussi majestueuse qu'impressionnante. On survole les montagnes enneigées jusqu'à arriver au -dessus du canal de Beagle. Quand l’avion amorce la descente, il est violemment secoué et tangue dangereusement. En regardant par le hublot, j'aperçois l'aéroport juste en face de moi. Etant donné que nous allons dans le sens opposé, il va falloir faire un 180°. À basse altitude au -dessus du relief et de l'eau, ça risque d’être assez impressionnant avec en bonus les turbulences. Je n'ai jamais vraiment eu peur en avion mais je dois avouer que cet atterrissage a quand même été légèrement stressant, sentiment partagé par la majorité des passagers vu le silence de cathédrale à l’intérieur de la cabine. Je suppose que les plus craintifs ont planté leurs doigts dans les accoudoirs ou, pire, les ongles dans le bras de leurs voisins. L’avion rebondi plusieurs fois sur la piste et s’immobilise sous les applaudissements des passagers. Je débarque alors dans la ville du bout du monde, terme que je vais lire un très grand nombre de fois…
La vue depuis l'aéroport est saisissante. La ville est littéralement construite à flanc des Andes Fuégiennes. Elle sont plutôt étirées mais pas très larges car leurs pentes plongent directement dans les eaux du canal de Beagle. Ushuaïa ne compte que 60 000 habitants, mais c'est la ville la plus importante de la province. Je prends un taxi pour me rendre directement à mon logement, une chambre dans une maisonnette sur les hauteurs de la ville avec en prime une vue sur les montagnes et le canal. Le cadre est idyllique mais ici les nuages et le vent sont omniprésents, entraînant une instabilité climatique. Il n'est donc pas rare qu'en un quart d'heure la météo change du tout au tout.
Je me dirige directement vers l'office du tourisme pour avoir des renseignements sur les différentes activités à faire au départ de la ville. C'est aussi ici que l'on peut faire tamponner son passeport gratuitement. La première après -midi sera consacrée à la découverte de la ville même, le lendemain ce sera une croisière sur le canal et le dernier jour sera l'occasion d'aller explorer en randonnant le Parc national de la Terre de Feu.
En se baladant, la première chose qui saute aux yeux est l'épisode très douloureux pour les argentins de la perte des Malouines. Les Malouines c'est un bout de caillou peuplé de 3000 habitants situé au large des côtes argentines dans l'Atlantique Sud. L'Argentique, contestant la souveraineté britannique sur les îles, lança ses troupes en 1982 dans le but de les conquérir. S'en suivit une guerre d'environ deux mois qui se solda par la victoire britannique. Depuis des revendications ou des slogans anti -anglais ont fait leur apparition sur le territoire argentin et même sur certains billets de banque.
Ushuaïa n'est pas une belle ville. C'est juste un carrefour touristique important notamment pour les départs des croisières vers l'Antarctique ou pour les gens qui veulent faire un tour dans la ville la plus australe de la planète. C'est également un port important ce qui ne l'a rend pas, d'un point de vue esthétique ou architecturale, vraiment agréable. Néanmoins, elle reste assez atypique et en marchant dans le centre, la modernité et les bâtiments plus anciens s'accordent plutôt bien. Le véritable point fort de la ville c'est la promenade le long du port et du canal, là où le cadre environnant prend le dessus sur la ville. Je me dois de relativiser parce que sur les trois jours, je n'ai pas vraiment réussi à profiter réellement de cette promenade, à cause du vent qui compliquait un peu les déplacements à pied. Dans le port se trouve l'épave du St Christopher qui a notamment appartenu à l'US Navy puis à la Royal Navy avant d'être cédé à un promoteur argentin. Lors d'une opération de remorquage, il s'échoua et plutôt que d'essayer de le sortir de ce mauvais pas, il fut décidé de l'abandonner. Maintenant c'est une attraction touristique pour les curieux. C'est également le long du port que se situe le célèbre panneau indiquant que l'on se trouve au bout du monde.
Malgré tout, si l'occasion se présente, il ne faut pas hésiter à y aller mais surtout pas au détriment d'autres destinations dans son voyage. Malgré ce que j'ai pu dire, je n'ai pourtant pas vraiment de regrets à m'être aventurer jusqu'ici notamment à cause de l'atmosphère qui s'en dégage - j'arbore d’ailleurs toujours fièrement mon t-shirt Hard Rock Café acheté ici - mais après coup je pense qu'être resté trois jours, et de ce fait, de ne pas avoir eu le temps d'aller à El Chaltén et randonner autour du Fitz Roy à la place, a été une bien belle erreur.
Le côté "je prends le touriste pour un pigeon" m'a aussi beaucoup refroidi mais bon, l'économie de la région repose là-dessus. Il est donc difficile d'en vouloir aux gens qui essayent de te vendre "la croisière du bout du monde", "la bière du bout du monde", "l'hôtel du bout du monde", "l'araignée de mer du bout du monde" etc. Je trouve que c'est déjà super lourd à lire alors imaginez entendre ça continuellement …
Une des activités incontournables est la navigation sur le canal de Beagle. Découvert en 1830 par les Britanniques à bord du navire HMS Beagle, il relie le Pacifique à l ’Atlantique et se situe à 150 km au nord du Cap Horn. Sa rive nord est argentine, tandis que la sud est chilienne. C'est d'ailleurs durant une de ces expéditions à bord de ce bateau que le jeune Charles Darwin fera ses preuves en tant que naturaliste.
Je me rends au port de plaisance afin de réserver une croisière pour la demi-journée. Il n’y a que l'embarras du choix puisqu’environ une dizaine de petits cabanons vendent des excursions aux touristes. Après en avoir comparé trois, je me rends compte que celles proposées pour la demi-journée sont à peu près semblables. Selon le vendeur c'est mon jour de chance et comme j'ai une bonne tête (sûrement de pigeon ou plus vraisemblablement de vainqueur car bien malade à cause des températures et du vent omniprésent) il me fait 10 % de réduction si je réserve une excursion pour aujourd'hui. J'ai le choix entre un départ à 12h ou un autre à 13h30. Le ciel n'étant pas très dégagé j'opte pour la seconde en espérant que sur le chemin du retour je puisse profiter du coucher de soleil sur les montagnes vu que la nuit tombe vers 17h.
13h30. J'embarque alors que le vent souffle fort. Il fait super froid sur le pont. L ’après-midi promet d’être mouvementé ! Même amarré, le bateau tangue à chaque bourrasque. Évidemment il n'y a plus de places à l'intérieur, je m'installe donc sur le pont supérieur à l'arrière du bateau, en essayant de me mettre un peu à l'abri des rafales.
On fait dans un premier temps une petite boucle dans le port de plaisance qui offre des points de vue sur la ville et les montagnes. La première partie est donc dédiée à voir Ushuaïa depuis le milieu du port, position idéale pour faire quelques photos souvenirs, d'autant plus que les nuages sont un peu moins présents. Oui mais voilà, un groupe de japonais a embarqué et mitraille dans tous les sens et sans interruption. On passe de quelques photos en guise de souvenirs à plusieurs centaines…
On arrive après quelques minutes de navigation à la Isla de los Lobos, île servant de refuge pour toute une colonie de lions de mer. Apparemment c'est l'heure de la sieste et ils sont majoritairement recroquevillés les uns contre les autres pour se tenir chaud. La chose la plus surprenante est le bruit qu'ils font. C’est un véritable concert à base de bruits rauques couvrant même le bruit des moteurs.
Après cette petite pause mélodieuse, le bateau se dirige vers le Phare des Eclaireurs. Ce phare est considéré comme le phare du bout du monde (et oui encore) mais c'est faux. Il existe plus au sud et surtout à l'Est de la Terre de Feu un phare habité surnommé, à juste titre cette fois, "le phare du bout du monde". En approchant, le bateau ralentit et se met à l'arrêt, se laissant secouer par la houle. C'est cette dernière qui est responsable de l'annulation de la fin du trajet car jugée "trop dangereuse" pour s ’aventurer en haute mer. Le phare n'est pas vraiment impressionnant mais il représente apparemment l'un des incontournables.
Je suis toujours sur le pont supérieur et je commence à avoir vraiment froid, mais toujours pas de place à l'intérieur. Je relativise car ma nouvelle voisine a l'air totalement frigorifiée. Visiblement, être en t-shirt ne protège pas super bien du vent… Bon je suis quand même mauvaise langue car elle arborait une gigantesque chapka ! Ouf, la pneumonie la guette mais le principal c'est que ses oreilles ne seront pas sujettes aux gelures ! La dernière heure de navigation avant de rentrer au port se fait avec le soleil se couchant derrière les sommets. Il fait de plus en plus froid et maintenant que les rayons du soleil ont disparu, rester sur le pont est vraiment difficile à supporter.
Le lendemain matin, je prends un bus pour aller dans le parc national de la Terre de Feu situé à 10 kilomètres de la ville. Vers le port, sont stationnés sur un terrain vague plusieurs minibus. Je suis le seul à bord et le trajet dure une vingtaine de minutes. Le plus gros de l'hiver étant passé, la route est défoncée et parfois recouverte de boue à cause des importantes averses qui balayent régulièrement la région. On s'arrête seulement pour payer l'entrée du parc et déclarer ma nationalité. Le chauffeur me dépose à une intersection et me dit qu'il sera de retour dans 5h, mais que le point de rendez -vous est l’hôtel que nous avons dépassé. Il me fournit également un plan avec les chemins de rando. Malheureusement, les balades phares des Cerro Guanaco et Condor sont fermées.
Pour commencer je pars dans un sous-bois en direction de la Laguna Negra. Dans le parc, il est interdit de s'écarter des sentiers pour la préservation de la flore autochtone. Il commence à neiger puis à pleuvoir, si bien que j’entrevois déjà la bonne vieille journée galère à l’horizon… J'arrive au lac et l'eau est vraiment très sombre et contraste avec les sommets enneigés en arrière-plan. Cette couleur qui a donné le nom au lac est due aux nombreuses tourbières que l'on trouve dans les environs. Demi -tour car il est seulement possible d'atteindre un promontoire autour de ce lac. Je me dirige vers le mirador de la Baie de Lapataia, qui offre le point de vue le plus célèbre du parc. Pour ça il faut que je suive un chemin boueux emprunté par les voitures avant d'atteindre le sentier. La boue l'ayant rendu très glissant, je marche comme si j'étais sur un lac gelé.
Me voilà surplombant la fameuse baie. Le nom de la baie vient de l'amérindien et signifie "la baie du bon bois". Dommage que le ciel ne soit pas plus dégagé. C’est ici qu’arrive et se termine la Ruta 3, la route la plus au sud de l'Argentine, mais surtout la fin de la Transaméricaine. Cette route permet de relier cet endroit avec le nord de l'Alaska, en ne s'arrêtant qu'à un seul moment lorsqu'il faut franchir la jungle du Darién au Panama.
Je descends ensuite vers la plage bordant la baie et continue sur un chemin permettant d'aller tout au fond de celle-ci. Il faut compter environ 5 kilomètres pour l'aller-retour. Cette partie est très variée car on traverse tour à tour une forêt australe, puis des prairies pour enfin se retrouver sur une plage de galets. Je suis totalement seul. J'ai pris un sentier peu balisé et plutôt laissé à l'état sauvage. Tout au long du sentier on peut apercevoir des mouettes de Magellan souvent par couple, le mâle étant blanc alors que la femelle à un plumage qui tend vers le marron. Lorsque j'ai traversé le sous -bois, il m'a semblé apercevoir un renard de Magellan mais le temps d'essayer de m'en approcher, la bestiole avait pris la fuite.
Arrivé à la limite du sentier, je me pose quelques minutes sur la plage et en profite enfin pour me m'asseoir au bord de l'eau. J’aperçois derrière moi un tas de déchets… C'est quand même fou que même au milieu de nulle part, on en trouve. Je n ’en ai pas vu ailleurs dans le parc, alors peut-être qu’ils ont été rejetés par l'océan ? Je rebrousse chemin et remarque qu'il manque parfois quelques arbres ici et là. Cette impression s'intensifie jusqu'à arriver au début d'un sentier appelé Castorera.
Le castor n'est pas un animal qui se trouvait à l'état sauvage dans la région. En 1946, 25 couples ont été introduit afin de "produire" de la fourrure. Mais ces derniers se sont retrouvés sans prédateurs naturels et dans des conditions de développement idéales pour la prolifération de l'espèce, si bien qu'ils ont fini par coloniser tous les écosystèmes de la région faisant des ravages et réduisant certaines zones en cimetière d'arbres. C'est d'ailleurs ce type de paysage que l'on aperçoit depuis le sentier. Il y a des dizaines de troncs d'arbres morts et au milieu se trouvent les barrages et les tanières des responsables. Je suis resté quelques minutes silencieux afin d'espérer en voir un sortir mais rien. Ceci dit, une famille arrivant avec ses enfants courants partout n'a sans doute pas vraiment aidé ! L'heure tourne et je suis encore à une heure et demie de marche pour revenir au point de rendez-vous du bus.
Sur le chemin, toujours aussi boueux, je passe à proximité de la Laguna Verde, qui tient elle aussi son nom de la couleur de l'eau. Comme le vent s'est calmé, la réflexion sur l'eau des alentours est quasi parfaite. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'avec le retour du soleil, il commence à faire chaud, mais je pense que les trois personnes en train de se baigner plus bas ne sont pas de mon avis. Je m'installe en terrasse et profite une dernière fois des paysages sauvages du parc. J'ai connu pire comme vue pour récupérer d'un effort. Les petites montagnes au fond avec au premier plan les eaux du Rio Lapataia sont les bienvenues après une quinzaine de kilomètres de marche. Cependant à part la petite montée pour aller à un mirador, je n'ai rencontré aucune difficulté aujourd'hui si ce n'est de rester debout dans les descentes remplies de boue. Le bus arrive, nous ramasse pour nous redéposer dans le centre -ville. Ce qui devait finir par arriver arriva, et on finit embourbé sur un bas -côté après avoir croisé un autre bus. Le chauffeur tape au maximum dans le moteur du vieux minibus, qui se met à fumer, pour s'arracher et rejoindre la "route". S'en est donc terminé de la Terre de Feu car mon vol retour pour El Calafate est programmé le lendemain midi.