Je suis devant la guesthouse à 8h30 comme convenu. J’ai réservé avec la même agence que l'année dernière pour traverser Java. Elle n’a pas de bureau dans cette ville mais la propriétaire de l’auberge est sa partenaire. Normalement, des frais sont retenus mais, par chance, quelqu’un a ramené un scooter avant-hier, m’évitant de payer 90€ de transfert. Devant la guesthouse, pas le moindre signe de ma monture. Deux Français attendent aussi leurs motos. Ayant peur de se faire arnaquer, ça dure des plombes et le ton monte. La femme est mal à l’aise et vient me voir en me disant qu’elle risque de ne pas être disponible avant un moment à cause des deux relous et m’offre le petit déjeuner dans le restaurant voisin. J'attends une heure mais ça ne m’arrange pas car je voulais le récupérer tôt pour partir directement visiter la région pour apercevoir le dangereux Merapi trônant au nord de la ville. Il est bientôt 10h et avec les nuages qui arrivent, c’est mort pour aujourd’hui. Après un rapide état des lieux, on me donne enfin les clés.
J’ai repéré sur une carte des endroits offrant des vues dégagées sur le Merapi, le volcan emblématique de l'île voire même du pays. En m’écartant de la route principale, je me gare devant une sorte de barrage retenant l’eau de deux rivières. Entre les parcelles cultivées, la végétation est foisonnante. J’ai l’impression de déambuler dans un grand jardin où de nombreuses personnes se retrouvent pour passer du temps ensemble. Je ne reste pas longtemps en bas et je me hisse en d’une dalle en béton. La vue est bouchée et le volcan se cache derrière d’épais nuages même si son sommet émerge au-dessus de cette couche blanche. Il est fendu et forme une dépression en V d’où s’échappe une immense colonne de fumée qui stagne quelques secondes avant de se dissiper. Avec le soleil, difficile de voir les détails et cette matinée est malgré tout décevante.
En même temps, c’est plutôt normal vu qu’il est déjà plus de 11h et la météo ne laisse que peu de place aux miracles. Je dois rester à distance, une zone d’exclusion de quatre kilomètres a été mise en place suite aux dernières éruptions. En 2010, il a quand même tué plus de 350 personnes et a littéralement rayé plusieurs villages de la surface de la Terre.
Deux échecs de suite en deux tentatives. Je suis vraiment saoulé et je n’ai même pas l’espoir que ça se dégage dans l’après-midi. Je monte à un village offrant un nouveau point de vue et où une armada de jeeps attendent des touristes pour les mener dans les zones sinistrées et difficiles d’accès. Je refuse poliment leurs invitations. Pas rancuniers, tous me klaxonnent et me saluent lorsqu’ils redescendent en colonne alors que je prends des photos depuis le bord de la route. Je n’ai pas trop le choix et je reste une nuit de plus à Yogyakarta. C’est potentiellement du temps de perdu et il va me falloir rouler plus longtemps dans les jours qui viennent pour rattraper ce retard imprévu. Demain, ce sera la dernière tentative et je croise les doigts pour enfin arriver à apercevoir entièrement le volcan.
Je me balade en ville du côté du palais du sultan. Les vendeurs de fruits ou de souvenirs sont un peu plus insistants ici. Tout autour, de nombreuses ruelles appartenant auparavant à l’enceinte du palais où résidait la cour sont maintenant habitées. Quelques toiles ou autres créations artistiques sont accrochées aux portes et fenêtres. Sans être laissées à l’abandon, les façades blanches sont souvent envahies par la végétation et la peinture s’écaille. Malgré tout, quelques rues plus loin, les maisons changent et dévoilent le niveau social bien plus élevé de leurs propriétaires.
Juste à côté, le Taman Sari est lui aussi visitable. Un peu vieillot, il abrite des bassins dans plusieurs cours intérieures. Lieu de promenade ou de méditation, ce palais de l’eau se retrouve parfois fermé au public quand le sultan décide d’y passer la journée. Vu sa taille, la visite ne prend pas plus d’une dizaine de minutes. J’échappe miraculeusement aux séances de selfie, passant juste derrière des Allemands qui se sacrifient à ma place. Même si ça semble agréable de voir l’attention que l’on nous porte, c’est en réalité parfois assez pesant car certains n’attendent pas notre accord pour prendre une photo. Ils arrivent à notre hauteur, tapotent l’épaule et « volent » un selfie. Je sais qu’il n’y a rien de méchant ou d’irrespectueux mais ce n’est pas super agréable quand on est tranquillement posé.
J’en profite pour repasser la soirée dans le centre. Assis sur un banc, je suis accosté plusieurs fois par des hommes me parlant en français lorsqu’ils apprennent ma nationalité. Visiblement, les profs de langues de l’Alliance Française locale font un taf remarquable. Des spectacles animent les trottoirs. Un homme aveugle chantant à gorge déployé côtoie un groupe dansant au rythme de la musique qui sort des enceintes qu’ils trimballent.
Vu que le Merapi est très actif, il n’est pas rare que des traînées de lave rougeoyantes soient visibles sur son flanc. Je cherche une webcam et n’en croit pas mes yeux : il est totalement dégagé et une coulée s’échappe du cratère. Sans réfléchir, je grimpe sur mon scooter et repars au barrage de ce matin. Avec mon appareil photo, je n’attends pas de miracle mais je veux absolument voir ça de mes propres yeux. Comme un idiot, je n’ai pas pris de veste, tellement habitué à ce qu’il fasse tout le temps chaud. Mais la nuit, avec l’altitude en plus de la vitesse, je grelotte. En essayant de ne pas y penser, j’en viens même à regretter la surchauffe quasi continue que je me tape tous les jours. Soit la webcam n’est pas du tout à la bonne date ou heure, soit Usain Bolt s’est réincarné en nuages mais je ne vois rien à part des masses plus claires au milieu de cette nuit noire. De nouveau dégouté, parce que j’ai quand même roulé une trentaine de minutes, je repars et le GPS me fait passer par des routes de campagne peu éclairées.
De nouveau à proximité de la route principale, j’attends patiemment que mon feu passe au vert. Je démarre et vérifie à ma droite. Grand bien m’en a pris car un fou furieux arrive lancé comme une balle. Sa vitesse doit avoisiner 100 km/h. L’abruti me klaxonne pour me prévenir qu’il ne va pas ralentir, me forçant alors à piler. Il me frôle en passant à moins d’un mètre. Je suis tellement énervé que mes majeurs se lèvent instantanément dans sa direction alors que je l’insulte en hurlant à plein poumon. Il est arrêté un peu plus loin et j’espère qu'il m'entend et, plus encore, qu’il va descendre pour venir à ma rencontre. Je m’imagine déjà lui éclater mon casque dans sa sale tronche tout en continuant de l’insulter. S’il m’avait renversé, je ne suis pas certain que ma vie aurait été en danger mais c’est sûr que ça m'aurait flingué pour quelques semaines. Mon pic d’adrénaline fait que je pourrais facilement vriller. Visiblement aussi stupide que peureux, il reprend sa route. C’est juste un idiot congénital qui ne mérite pas que je lui fracasse les dents. Je rentre plus calmement à Yogyakarta, mon rythme cardiaque ayant quand même pris quelques battements par minute dans cette histoire.
Le réveil sonne à 6h pour un départ trente minutes après. Je prends la même direction qu’hier et cette fois, malgré quelques nuages, le Merapi est enfin visible. La fumée qu’il dégage est intense et j’ai bien du mal à imaginer habiter dans un village installé à ses pieds. Ça doit être un véritable enfer de vivre avec cette peur constante du réveil du colosse. Je continue en passant par des routes pourries permettant d’enjamber les rivières totalement à sec en cette saison sèche pour passer de mini-vallée en mini-vallée. Je déboule dans un chemin chaotique et hésite à continuer ou à faire demi-tour. Balloté comme rarement, une carrière déserte apparaît devant moi. Il n’y a que de la jungle tout autour mais ce gouffre offre une vue directe, inespérée mais surtout totalement dégagée sur le volcan.
Le Merapi a une forme particulière avec son côté pyramidal qui s’est construit sur un édifice plus ancien et maintenant aplati. Une quantité astronomique de fumée s’échappe de la brèche qui balafre le sommet du volcan. Dans la continuité de la route, au milieu du village, la scène est incroyable et on se rend facilement compte à quel point la menace est réelle et palpable. Les habitants ont l’air si tranquilles que ça en devient flippant. Curieusement, tout le monde vit normalement sans prêter attention à ce qui se passe plusieurs centaines de mètres plus haut. Après tout, ils sont habitués et certains sont même nés ici alors ils savent quand s’inquiéter lorsque leur imprévisible voisin s’énerve.
Je grimpe sur un talus où des toiles d’araignées tapissent les nombreux trous qui s’enfoncent par centaines dans la terre meuble et brunâtre. Je croise les doigts pour que leurs locataires ne sortent pas en même temps. Dans cet endroit isolé de tout, je croise un homme qui, miraculeusement, parle anglais. Agrippé au guidon de son scooter, il transporte un énorme tas de feuilles solidement attachées derrière lui. « Si tu veux une vue encore plus spectaculaire, il faut que tu ailles au Bukit Klangon » me dit-il avant de m'expliquer la route à suivre. Je retiens juste que je dois redescendre et tourner plusieurs fois à droite. Je devrais alors voir des panneaux et il ne me restera plus qu’à les suivre. Easy !
Sans surprise, je me perds plusieurs fois en suivant des chemins en sale état, même si bien loin des horreurs sur lesquelles j’ai parfois roulé l’année dernière. L’endroit recherché n’est plus qu’à quelques kilomètres et l’angle sur le volcan est très différent. Je suis juste en dessous et dans la ligne de mire du cratère perforé d’où partent les nuées surchauffées. Il n’y a que quatre kilomètres qui m’en séparent. La vue est incroyable et le Bukit est en réalité un parc familial où des groupes viennent se balader, profiter de la nature et manger dans l’un des nombreux stands installés près du parking rempli de scooters.
Je vois mieux que jamais la déformation créée par les coulées pyroclastiques des différentes éruptions mais surtout le dôme de lave solidifié aussi fragile que dangereux. C’est de lui qu’émane la fumée. Posé à l’équilibre au bord du vide, il s’effondre lorsque la pression devient trop forte en se désintégrant dans un panache surchauffé. Debout sur un pont servant de mirador, je suis hypnotisé et je ne reviens pas d'enfin le voir d’aussi près. D’où je me trouve, je m’imaginais une zone d'exclusion plus importante. J’en profite pour marcher un peu dans la jungle qui m’entoure mais impossible d’apercevoir quoique ce soit avec les arbres qui bordent le sentier. Je me dis à plusieurs reprises que s’il rentre en éruption, moi comme les humains du coin, on est tous foutu. J’ai confiance au système de surveillance indonésien et, même si ça me paraît invraisemblable, j'oscille entre deux pensées : c'est vraiment génial ou bien trop flippant.
Il faut que je redescende de mon nuage parce que la route m’attend et la météo empire. Moins de cinq cent mètres après être reparti, un panneau indique « Kinahrejo ». Impossible de me rappeler, mais ce nom me dit quelque chose. Ce n’est que le soir, que je me souviens que c’est l’un des villages qui a été dévasté en 2010. Du coup, dans le parc, j’avais plutôt raison d’avoir un sentiment partagé !
Prochaine étape, le village de Selo situé de l’autre côté du volcan où je compte passer la nuit. Il est située dans les nuages au sommet du col entre le Merapi et son jumeau, le Merbabu. Bien plus massif mais surtout inactif depuis 200 ans, j’avais prévu de le grimper il y a deux ans mais la météo et les orages m’en avaient découragé. Sur la route, je m'arrête en chemin pour me prendre un nasi goreng et des fruits alors qu’une femme incroyable s’apprête à repartir. Accompagnée de ses trois enfants, le plus âgé doit avoir 6 ans et le plus jeune quelques mois, elle démarre son imposant scooter. L’ainé est assis à l’arrière tandis que le cadet est bizarrement installé à l’avant entre ses jambes. Le nourrisson est drapé dans un vêtement et est maintenu contre le corps évidemment de sa mère. Bien sûr, aucun n’a de casque, à croire que le danger n’existe pas dans ce pays. Elle remarque mes regards et me retourne un sourire. Vivement que j'en ai trois pour essayer de faire pareil même si je risque de me heurter à un entourage frappé par des crises de tachycardie !
Je rate la bifurcation et me retrouve en plein milieu des rizières, traversant des villages de plus en plus isolés. Sur la route, impossible de distinguer le col où je me rends pourtant à une dizaine de kilomètres droit devant. Les nuages sont si bas qu'ils recouvrent entièrement les deux volcans. Au fur et à mesure de la montée, le froid se fait plus mordant. J’imagine que la nuit risque d’être fraîche là-haut. Vu les litres de sueurs que j’ai éliminé en quelques jours seulement, ce n’est pas pour me déplaire. Les véhicules anciens sont nombreux et beaucoup de pick-ups transportent des tôles et des matériaux de construction. Il n’est pas rare d’en voir échoués en plein milieu de route.
A quelques minutes de Selo, des petites cabanes en bois abandonnées au plancher affaissé et parfois troué, bordent la route. Malmenées par le vent et les rudes conditions climatiques, elles offrent une vue directe sur le Merapi. J’ai une chance incroyable car les nuages se volatilisent pendant quelques minutes, laissant entrevoir la partie supérieure de la montagne. Sous cet angle nouveau, il paraît moins menaçant malgré la fumée qui s’en élève toujours mais semble bien plus massif. Je me retourne de l’autre côté vers le Merbabu mais il est complétement prisonnier des nuages. Les villages construits à ses pieds, s’extirpent difficilement du brouillard qui grignote inlassablement ses pentes.
On est dimanche et de nombreux randonneurs attendent sur la place principale un transport pour repartir de cet endroit froid et inhospitalier emmitouflés dans ce brouillard épais. Il faut que je trouve un hôtel et ce n’est pas ce qui manque par ici. Pourtant, dans les rues, les portes sont souvent closes. Un homme sort d’un jardin et m’invite à monter à l’étage d’une maison transformée en guesthouse. La chambre est basique mais le balcon donne sur ce que je suppose être le Merbabu. J’imagine que demain matin, s'il n’y a pas de nuages, je devrais en prendre plein les yeux. En cette fin de journée, je n’ai pas grand-chose à faire alors je roule jusqu’au début du sentier situé au-dessus d’un village. Il y a deux voies qui mènent au sommet du Merbabu et elles ne sont distantes que de deux cents mètres. Il faut un permis et être en groupe pour suivre l’une d’elles alors je me dirige vers l’autre en espérant pouvoir passer entre les mailles du filet. Une vieille dame toute petite et très souriante, me fait de grands signes pour m’indiquer où me garer. Ayant du mal à communiquer, un randonneur qui s’apprête à débuter son ascension se dévoue pour traduire. Visiblement, ici, pas besoin d’autorisation et être seul ne pose aucun problème. Des motos peuvent même me monter au premier camp, épargnant ainsi plusieurs kilomètres pas très intéressants.
Sur l’avenue principale, je me fais arrêter par des passants voulant prendre photos et selfies. Contrairement aux deux dernières années où j’avais beaucoup de demandes, c’est la première fois que ça m’arrive cet été. À part pendant les randonnées, j’ai l’impression d’attirer moins l’attention, ce qui n’est pas plus mal. Là, c'est un père qui veut que je pose avec son fils comme si j'étais Messi ! Et c’est normal qu’il y ait confusion car à part la taille, le talent, le compte bancaire et le style de vie, on a la même couleur de cheveux ! Je commande un Nasi Goreng non épicé qui se transforme vite en un plat spécialisé dans les brûlures d'estomac mais totalement mangeable avec un litre d'eau à côté.
Pas de réveil comme prévu à 6h, les mosquées s’en sont chargées bien avant… Malgré la journée éprouvante qui s’annonce, je suis debout peu après 5h. Depuis le balcon, la vue est incroyable. J’ai l’impression que le Merbabu est tout proche mais il est si imposant que le sommet est à plusieurs kilomètres de la base. La randonnée n’est pas spécialement difficile en termes de dénivelé mais elle reste longue car les montées sont entrecoupées par de longs passages plats.
Comme si elle ne dormait jamais, la vieille dame est déjà là et m'accueille chaleureusement. Pour cinq euros, je gare mon scooter et elle appelle quelqu’un pour me conduire au premier camp en moto. Le chemin qui monte et s’enfonce entre les champs est quand même très abrupt et j’espère qu’il n’aura pas une vieille moto déglinguée qui aura du mal à supporter nos poids pour avancer. Sans casque, faut pas déconner non plus, il accélère comme une brute pour s’arracher du parking et suivre la route si étroite qu’il est impossible de croiser une autre moto. Le bitume laisse rapidement place à un chemin emprunté par les paysans et sa conduite devient moins fluide. Une fois au milieu de la forêt de nuages, ça devient plus compliqué. Des ornières boueuses et profondes nous font tanguer et décoller de la selle. Il est à peine 6h30 quand il me dépose au camp où trois Indonésiens qui viennent de se réveiller se réchauffent autour d’un feu.
Ça monte fort dès le début avant que le chemin ne débouche sur un vaste plateau. La première partie se déroule au cœur d’une forêt humide avant de laisser rapidement place à une zone où les arbres sont dispersés que les Indonésiens appellent « Sabana ». Avec des arbustes et des hautes herbes, j’ai l’impression d’avoir changé de continent et de marcher en plein coeur de l’Afrique. Au sud, le Merapi se dévoile majestueusement alors qu’au nord, les volcans jumeaux Sindoro et Sumbing apparaissent au-dessus d’un tapis nuageux. Le Merapi est vraiment impressionnant et paraît encore plus imposant que jamais même si sa partie active semble bien plus modeste. Je ne m’attendais pas à voir un paysage aussi beau. Mais tout ça se mérite et je continue de prendre péniblement de la hauteur. Mon rythme est loin d’être incroyable. Je ressens pas mal de fatigue à force de me lever presque tout le temps à 6h et mon organisme commence à avoir du mal à encaisser. Honnêtement, je savais très bien qu’à Java les randos étaient physiques parce que les volcans sont hauts et flirtent souvent avec les deux ou trois milles mètres. Vu leur forme conique, les pentes sont très prononcées et demandent des efforts plus intenses.
Un chalet triangulaire, servant de refuge de secours, est construit sur une colline et surplombe le camp n°3 accueillant une quinzaine de tentes. Une voix robotique se déclenche quand je passe devant délivrant un message incompréhensible. Le camp est visité par des macaques qui fouillent les tentes à la recherche de nourriture. Peureux, ils détallent rapidement lorsqu’ils croisent un humain mais n’hésitent pas à revenir furtivement dès que la voie est de nouveau libre. Je comprends maintenant pourquoi il est recommandé d’être trois pour s’aventurer ici car la montée après le camp est si raide que des cordes ont été installées sur une centaine de mètres. Même en s’aidant de ces dernières, c’est difficile de se hisser sans glisser et perdre du terrain au passage.
Il ne me reste que 300 mètres de dénivelé mais cette montée est intense et surtout interminable. Je sens tous les muscles des jambes se contracter en rythme. Je dois me faufiler dans des crevasses que l’eau a creusées lorsqu’elle a dévalé les pentes du volcan. Des marches ont été taillées directement dans le sol mais sont plus un obstacle qu’une aide précieuse. La vue est toujours aussi folle et j’arrive sur le dernier grand replat avant le sommet. Un couple que j’ai doublé plus tôt arrive et s’installe à côté de moi. Essoufflés et à bout de force, ils me racontent que c’est leur endroit préféré avant d’avouer qu’ils détestent toujours autant le grimper. En regardant vers le haut, le sommet a disparu dans le brouillard, ce qui scelle la fin de ma matinée. Pas besoin de continuer, je préfère rester ici et profiter de la vue qui s’offre à moi plutôt que de crapahuter pour rien.
Le village où j’ai passé la nuit se trouve sur les pentes du Mérapi, endroit peu enviable d’un point de vue sécurité. Pourtant, en jetant un rapide regard, il est facile de comprendre pourquoi il n’y a pas beaucoup de risques à y vivre. Entre le cratère et le village, il y a une muraille rocheuse qui se dresse telle une barrière protectrice. À l'heure actuelle, même si les nuées ardentes étaient orientées vers Selo, elles pourraient alors être déviées et épargner les villages de la zone. Malgré tout, ça n’empêche pas que lors d’importantes éruptions, il faut évacuer la zone à cause des retombées de cendres.
Je me retrouve avec plusieurs groupes dans la descente. Entre ceux qui ont beaucoup de mal à avancer en se cramponnant à la corde de peur de tomber et d’autres pas du tout affutés physiquement, on piétine en file indienne. C’est parfois la panique et les tensions montent entre les différents membres. Je repère une autre trace et suis trois gars bien équipés aux visages dissimulés derrière leurs tours de cou pour se protéger de la poussière et du soleil. Évidemment, je tombe à plusieurs reprises mais, dans les parties pentues, avec l’aide de la corde, je descends rapidement. À peine le refuge dépassé, les nuages arrivent en force et il est seulement 9h30 lorsque le brouillard me rattrape. Confirmation qu’il faut se lever au milieu de la nuit pour espérer mettre toutes les chances de son côté et profiter des randonnées. Mon sommeil est en PLS. Je suis un peu sceptique sur ma faculté à tenir dans la durée en alternant rando très tôt le matin et plusieurs heures de scooter dans la même journée. J’ai l’impression qu’incessamment sous peu, la flemme et le besoin de me reposer vont l’emporter !
De retour au camp de base, des ojeks attendent à côté de leurs motos. Je ne suis pas motivé pour redescendre avec l’un d’eux mais à y repenser, je vais gagner plus d’une heure que je pourrais mettre alors à profit en dormant avant de prendre la route. En demandant à un gars s'il peut me descendre, je ne pensais pas déclencher un conflit parmi les trois qui se proposent. Pendant qu’ils débattent en s’écharpant, je monte à l’arrière d’un autre qui est resté en retrait.
Je regagne le village dans le froid et le brouillard absolu qui règne au fond de la vallée. Je n’ai pas atteint le sommet mais avec les vues que j’ai eues durant toute la rando, je suis quand même très content. De retour au restaurant qui risque de me retransformer en dragon, j’insiste bien sur le « Not Spicy ». C’est quand même intense mais bien moins que la veille.
Sur mon scooter, je prends la direction de Wonosobo mais vu l’heure peu avancée de la journée, j’opte pour m’arrêter au pied du Sumbing, l’un des deux jumeaux volcaniques du centre de Java. Sur le papier, il y a peu de kilomètres mais il ne faut jamais se fier à ce nombre et le multiplier au moins par deux pour obtenir le temps de voyage en minutes. Je ne sais pas où je vais dormir ce soir mais, à moins de trouver un endroit sympa sur la route, je m’embarque pour plusieurs longues heures de voyage. En plus, je tousse toujours autant et j’ai la gorge en feu tellement elle est irritée par les gaz d’échappement bien trop nombreux dans les parages. Oui je radote mais j'ai vraiment mal…