Profitant de la fin de l'été austral, j'ai pu découvrir le nord de la Patagonie. Cette région est notamment connue pour sa nature préservée, ses lacs et ses nombreux volcans enneigés toute l'année.
Du 17 février au 9 mars 2019
3 semaines
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C'est parti pour le Chili et plus spécialement la Patagonie, région que j'ai déjà eu la chance de parcourir il y a 2 ans . Sauf qu'ici, direction la Carretera Austral et la région des Lacs. En gros le nord de la Patagonie, région très sauvage et l'une des moins densément peuplée du pays.

Alors pourquoi "Un jour sans fin"? Parce que le Chili ça se mérite… il m'aura fallu environ 45 heures de voyage et plusieurs correspondances pour arriver à destination. Ici, aucun clin d’œil cinématographique au film parlant d'une journée qui recommence indéfiniment donc… Pour arriver à destination, à savoir la ville de Coyhaique considérée comme la "capitale" de Patagonie, j'ai la chance d'expérimenter des escales à Sao Paulo, Buenos Aires, Santiago et Puerto Montt. C'est donc déjà bien entamé que j'arrive, plus de 24 heures après mon départ, à Puerto Montt où mon escale dure toute la nuit. L'occasion parfaite d'avoir un premier contact avec la ville, où je repasserai ensuite. Le premier ressenti est vraiment mitigé, la ville est plutôt moche et bien crado. Je monte sur les hauteurs pour arriver chez la personne chez qui je loge.

La maison en question accueille déjà plusieurs personnes dont une Américaine qui descend en vélo toute la Carretera Austral. Elle a vécu au Népal pendant 3 ans et elle sait parler la langue, mais pas un mot en espagnol… Anecdote, elle a déjà visité Blois lors d'un voyage en France. Apparemment c'est une ville "assez réputée" de l'autre coté de l'Atlantique, plus qu'en France même j'ai l'impression !

Je meurs de faim mais à 22h, tout est fermé. Pas grave, Cristian le fils de la proprio me propose de me conduire au Domino's Pizza. Je ne sais pas si c'était vraiment utile de prendre son énorme pick-up pour parcourir les 3 rues qui nous en séparent. Déjà que mon empreinte carbone est franchement pourrie… Pizza engloutie rapidement, bavardages avec mon « chauffeur » qui est étudiant en 6ème année d'école d'ingé un peu plus au nord et je sombre.

J'ai mon vol à midi, un vol court d'environ une heure mais qui nous fera survoler les fjords, les sommets patagons et les volcans encore enneigés. Je sympathise avec mes voisines, qui prennent toutes deux l'avion pour la première fois. Il y en a une qui est terrifiée et se met à paniquer pendant le décollage. Heureusement ça passe et mis à part les turbulences qui la feront stresser, tout à l'air d'aller pour le mieux.

Arrivé à l'aéroport situé au milieu de nulle part, dans une vallée désertique seulement balayée par le vent, et 40 minutes de minibus plus tard je rejoins ma chambre ! Je savais que la ville n'était pas spécialement un incontournable du coin, mais il faut même dire qu'elle est un peu sans âme ! Ici on trouve seulement des magasins de matériels de plein air et des pharmacies. Je pense n'en avoir jamais vus autant. Du coup c'est vraiment le moment idéal pour avoir une gastro ou une grippe, après ce sera trop tard.

Mon bus pour remonter vers le nord ne partant que demain à 15h, j'ai la matinée pour visiter les alentours. Et c'est looooong... A part une montagne massive qui domine la ville et un mirador sur la vallée de la rivière, il n'y a pas grand chose à se mettre sous la dent. Le point positif avec ce temps couvert et les très nombreuses averses de pluie, c'est que je suis sûr d'être en Patagonie. Le point négatif maintenant : l'hiver en France est plus agréable que l'été chilien, c'est à n'y rien comprendre ! Je pourrais même me mettre à tweeter sur réchauffement climatique comme le génie à la peau orange qui occupe la présidence américaine…

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Départ pour Puyuhuapi, petit village de quelques centaines d'habitants à 200 km au nord. Le temps de trajet annoncé est d'environ 3 heures. Tout au long de la route, on croise des dizaines d'auto-stoppeurs qui tentent de négocier pour monter gratos dans le bus, mais ils se font tous recaler. D'ailleurs, ça me fait penser à ces types que j'ai parfois vu, jamais rencontrés ou parlés, qui faisaient la manche pour pouvoir continuer à voyager. Le tout en ayant un appareil photo assez onéreux et/ou une go-pro bien en évidence…

Après 5 heures de route, le bus emprunte un col avec une route en très mauvais état. Entre les torrents d’eau qui dévalent les pentes, les pierres qui ressortent de la chaussée et des cahots à n’en plus finir, le passage du col est plus que délicat, surtout la descente. Enfin Puyuhuapi apparaît. Le village est au bout du fjord du même nom. Je trouve une auberge pour les deux prochaines nuits, située juste au dessus d'un fast-food. Il est plus de 20 h et il faut que je trouve un moyen d'aller au Parc National du Queulat demain matin de bonne heure. Comme je n’ai absolument pas envie de faire du stop et de risquer d'arriver en même temps que tous les mini-bus, il faut que je trouve un chauffeur qui part assez tôt. En deux minutes c'est réglé, le père de l'aubergiste fait l'aller-retour tous les jours à 8 h et 14 h pour la modique somme de 5 €.

À l'entrée, il faut s'enregistrer à l’accueil comme dans tous les parcs du pays. Sauf que là, le gardien n’a pas de matériel informatique à sa disposition. Juste une feuille et un stylo. Le pauvre gratte du matin au soir pour recueillir toutes les informations nécessaires pour faire des statistiques. De là partent quatre sentiers. Le premier mène à l'attraction qui fait la renommée du parc : le Ventisquero Colgante. Il s'agit d'un glacier suspendu en haut d'une falaise et qui se termine en cascade pour former un lac à son pied. Il faut compter environ 2h30 aller-retour pour atteindre le mirador afin d'observer le glacier de haut. C'est celui-ci que je fais en priorité, comme la majorité des visiteurs. C'est une montée d'environ une heure, pas vraiment difficile mais avec les deux jours de pluie précédents, la boue rend les choses un peu plus glissantes. Le but c’est d’essayer de monter le plus rapidement possible en suivant ce sentier difficile pour éviter la foule en haut et être tranquille.

J'arrive en haut en compagnie d'Alvaro, un étudiant infirmier du centre du Chili rencontré dans la montée. C'est assez impressionnant de voir le glacier tomber comme ça, et on se demande comment il fait pour se maintenir en équilibre sans se désagréger complétement. Je suis d'ailleurs témoin d'un énorme craquement qui provoque le détachement d’un gigantesque bloc de glace. Ce dernier chute lentement avant de s’écraser plus bas sur la paroi rocheuse dans un bruit sourd, similaire à un coup de tonnerre.

J’entends que ça parle français dans mon dos. Un couple en voyage en Amérique du Sud depuis un mois nous rejoint. Avec eux, le flux sans fin de randonneurs qui arrivent à la passerelle commence. Avec Alvaro, on décide de descendre, et on a dû croiser pas loin de 100 personnes. C'était donc une bonne chose de ne pas arriver trop tard. Vu la taille de la passerelle, où tu dois pouvoir loger à 20 grand max, tu te poses 1 minute pour regarder, une autre pour prendre des photos et ça doit s'exciter rapidement derrière pour que tu bouges… Avant de revenir vers l'entrée, on bifurque pour arriver au lac. Le glacier est vraiment loin, mais il semble toujours aussi impressionnant. On se pose durant une petite demi-heure en regardant les gens qui s'entassent dans les zodiacs pour s'approcher de la cascade. Il nous reste encore un peu de temps, pour parcourir les deux autres sentiers longs de quelques centaines de mètres. Il n'y a pas grand-chose à voir et c'est franchement inutile si l'on a déjà fait les deux précédents.

Retour en milieu d'après-midi dans le village. Avant d'aller me poser, j'ai vu en regardant mon appli qu'il y avait un sentier menant à un mirador. Il a l'air assez court et la vue sur le fjord doit valoir le détour. Arrivé au point que m'indique le GPS pour le départ, rien du tout. Mais deux cents mètres plus loin, il y a une barrière d'où semble partir un sentier. Ça a l'air d'être une propriété privée. Je tente, au pire, tout ce que je risque c'est de me faire jeter. Effectivement le sentier passe bien chez quelqu'un qui réclame environ 1,20 € pour le "droit de passage". C'est la bonne combine en soi, même si le procédé peut ne pas faire l'unanimité. Vu l'état de la maison, cet argent ne doit pas être de trop pour cette famille.

En 20 minutes, j'arrive au mirador en suivant un sentier qui alterne paysages forestiers et des pâturages vides. En haut, la vue sur le fjord est splendide. Avec les nuages et les quelques rayons de soleil qui transpercent la couche nuageuse, il y a plusieurs nuances de couleurs qui apparaissent sur l'eau. Heureusement que je ne suis pas un grand fan de farniente au soleil, car dans cette région, il pleut en moyenne 322 jours par an. Avoir des nuages ici c'est donc le minimum. En redescendant, je croise un homme sur son cheval qui vient vers moi pour me parler. Alors la communication n'est pas super facile, d'autant que le chilien de base n'est pas vraiment de l'espagnol, alors dans une région où ils n'articulent pas beaucoup… C'est un gaucho, un peuple à l'origine nomade arpentant les immenses plaines de Patagonie mais qui s’est plus ou moins sédentarisé pour vivre avec des troupeaux. En gros ce sont les cowboys du Sud. Les immenses plaines inhospitalières de Patagonie sont leur territoire. Lui vit à Puyuhuapi depuis 73 ans et n'est jamais sorti de la région de toute sa vie. Mais il parle un peu allemand. Comme le village a été fondé par des colons germanophones, très présents dans la région il y a bien longtemps, cette langue n'est plus utilisée que par 4 ou 5 personnes du village.

On redescend ensemble jusqu'aux premières rues longeant le fjord, lui sur son cheval et moi toujours sur mes jambes tout en faisant bien attention à ne pas glisser et m'étaler de tout mon long à cause des rigoles formés par les traces sabots et qui sont cachés par les touffes d’herbes. Arrivée au village, nos chemins se séparent et il rejoint une minuscule maison remplie de charme avec un bateau posé dans le jardin en guise de décoration, ou alors de refuge en cas de dispute conjugale qui sait ?

Dernier soir ici. Le village est plutôt mort car il n'y a eu aucun bus amenant de nouveaux voyageurs dans le coin. Les commerces et les quelques restaurants ferment tôt. Il est donc temps de tester les fameux hot dogs vendues sous ma chambre. Dans la salle il y a de l'ambiance, c'est l'équivalent de la ligue des champions et le match est retransmis sur la télé. Malheureusement, aucune équipe chilienne ne joue mais deux camps se sont quand même formés dans le fast food. C'est plutôt bon enfant, vu que les perdants devront payer quelques bières aux vainqueurs. Je goûte cette merveille de "chien chaud", comme diraient nos cousins d'outre Atlantique, qui ne coûte que quelques bouchées de pain. Comment expliquer le goût de cette saucisse de Strasbourg ultra rouge et surement 100 % naturelle ? Je passe, il vaut mieux ne rien dire et laisser la surprise aux chanceux qui lisent ça et décident de s'y frotter directement là-bas !

Je ne m'attarde pas car demain je dois décoller tôt pour parcourir les quelques 90 km qui me séparent de Puerto Cisnes. Comme il n'y a aucun bus ou transport ce jour là, je vais devoir tout miser sur le stop, en espérant que le temps ne soit pas trop pourri et que la chance soit avec moi pour ne pas attendre trop longtemps. Ou au moins arriver à destination avant la nuit !

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Il est 7 h du matin. Je me réveille tôt mais c'est plus par précaution. Je veux être sur la route de bonne heure pour ne pas risquer de trouver beaucoup d'autres auto-stoppeurs autour de moi et que ce soit encore plus difficile d’être pris par un véhicule. En plus la nuit a été assez bruyante ! Un enfant dans la chambre voisine est malade et a pleuré une bonne partie de la nuit. Les joies des séjours en auberge… D'ailleurs au petit déj, je rencontre les parents et une de leurs amies. Ce sont des Belges adorant voyager mais depuis deux ans la donne a changé avec le petit. On échange des bons plans vu qu'ils viennent du nord et vont aujourd'hui au Parc du Queulat. Lorsque j'expose mon plan pour la journée, on convient que lorsqu'ils partiront, si je suis toujours en galère avec le pouce levé sur le bord de la route, ils s’arrêteront et m'avanceront au maximum. Plutôt cool, je n'aurai plus qu'à trouver une autre voiture pour arriver à bon port. La journée avant même d'avoir commencé me paraît déjà bien plus simple ! Quelle naïveté...

8 h, à la sortie du village. Bien droit, bras tendu avec précisément un angle de 49° et le pouce dressé vers le ciel. Il est tôt et peu de voitures passent. J'attends une bonne demi-heure mais rien à se mettre sous la dent. Un autre auto-stoppeur poireaute lui aussi mais va dans la direction opposée. A chaque râteau, on se lance un regard plein de compassion. Une dizaine de minutes plus tard, un 4x4 s'arrête. Ce sont les Belges. Ils me laisseront à l'entrée du Parc national et j'aurai déjà parcouru plus de 20 km. A 9 h, il me reste donc 70 km à parcourir avant que la nuit tombe. Je suis plutôt large.

Le lieu n'est pas top pour faire du stop, c'est une succession de virages et la visibilité n'est pas super pour que je sois repéré par les voitures ou les bus allant vers le sud. Avec mes 12 kilos sur le dos, je marche jusqu'à trouver une zone plus dégagée. Depuis la route, il est possible de voir le glacier. Avec le recul, il n'a pas exactement le même aspect que la veille où il était seulement possible de voir la couleur bleutée de l'immense amas de glace. Ce que je prenais pour le ciel hier est en réalité une importante calotte blanche le coiffant. Je continue de marcher à travers une forêt jusqu'à arriver sur une ligne droite bien longue. L'endroit est parfait pour tenter ma chance. Une, deux, trois, quatre, cinq… trente voitures plus tard, je suis toujours au même endroit.

J’ai lu sur Internet qu'il était très courant de faire du stop ici, mais avec le nombre relativement faible de voitures passant chaque jour et le nombre a contrario élevé d'auto-stoppeurs, ce n’était pas toujours évident de réussir à monter dans un véhicule. D'autant plus qu'entre temps, une fille est arrivée et s'est installée juste à côté de moi, prétextant qu'à deux c'est plus facile. Soit mais non… Seul, il n'y a déjà pas toujours de place, alors à deux, ça va nous compliquer encore plus la tâche. Elle m'apprend que ces jours-ci c'est encore plus difficile car d'habitude les pick-up s'arrêtent et peuvent nous embarquer à l'arrière, mais la semaine dernière un backpacker allemand a trouvé la mort dans un accident sur cette route précisément. Les autorités ont donc conseillé aux conducteurs de ne pas s'arrêter pour ne pas être jugés responsables si un malheur devait arriver.

J'envisage sérieusement de reprendre mon sac pour continuer d'avancer et trouver un autre endroit. Quand je m'aperçois que la fille à côté devient dingue et insulte en hurlant les voitures qui ne s'arrêtent pas, j'ai mon signal de départ pour repartir. C'est déjà relou d'attendre, alors si en plus une dingo me perce les tympans…

Au bout de 2 km, j'arrive sur les bords du fjord. C'est déjà beaucoup plus sympa de marcher dans cet environnement. Les paysages sont très photogéniques avec plusieurs teintes de bleus. Cela me fait temporairement sortir de la tête la lourdeur de mon sac que je trimbale depuis déjà pas loin de 7 km... Je fais une pause un peu plus loin à l'ombre. Parce que oui, je crame pas mal ! Mais je ne me plains pas vu que d'après le profil pluviométrique de la région, aujourd’hui j'avais 88,2% de chance de rencontrer mon amie la pluie, ce qui aurait vraiment été un véritable enfer. Je vois passer des dizaines de voitures et aucune ne s'arrête. Certains conducteurs font semblant de ne pas me voir alors que d’autres s'excusent en passant devant moi.

14 h. J'ai décidé d'avancer de nouveau. Cela fait 5 heures que j'essaye de monter dans un véhicule et je commence à trouver le temps franchement long. Soudain, j'entends le bruit d'une voiture qui arrive derrière moi, je lève le pouce sans même la regarder, ça m'évitera d'être déçu. Mais contre toute attente, un klaxon retentit. En me retournant, je vois un camion s'approcher et s'arrêter à ma hauteur. On propose de me prendre et de me déposer à un embranchement entre deux villages, à une vingtaine de kilomètres de ma destination finale. C'est mieux que rien et la motivation me revient instantanément. Par contre… Ils sont trois et occupent toutes les places dans l'habitacle. Où est-ce que je vais monter ? L'un d'eux me dit de le suivre et ouvre la benne du camion pour que je monte dedans. Pas de panique maman, il n’a pas l'air louche et surtout il ne me propose pas de bonbons, ce qui est plutôt un signe encourageant !

Lorsque la porte s’ouvre, je vois qu'il y a déjà 9 personnes dans le camion. C'est incroyable, à ce moment précis j'oublie les 5 dernières heures et je savoure cet instant auquel rien ne m'avait préparé ce matin. Tous sont Chiliens. 90 % des gens que j'ai rencontré jusqu'à maintenant sont des voyageurs locaux qui profitent de la fin des grandes vacances pour découvrir le Sud de leur si grand pays. Dans une benne de camion ce n’est pas l'idéal pour communiquer, entre le bruit du vent et les sursauts de la route qui font claquer les portes métalliques. Pareil pour le confort, ce n’est pas super cosy vu qu'il faut passer un col, le même que pour rejoindre Puyuhuapi, avec une vingtaine de lacets et une route toujours aussi défoncée. A chaque nid de poule, on vole et ce sont les parois de la benne qui nous servent d'amortisseurs ! Après 45 minutes de trajet, nouvel arrêt. On pense qu'un onzième passager va nous rejoindre mais non, le chauffeur nous annonce qu'il y a une cascade à deux minutes de la route et qu'il s'est arrêté pour que ceux qui sont intéressés puissent aller la voir. Le coup de bol, je suis tombé dans le seul camion de chantier du coin où le gars derrière le volant est chauffeur ET guide touristique.

Une fois reparti, il faut seulement dix minutes au camion pour arriver à l'embranchement. Terminus, tout le monde descend. Sauf moi. En discutant avec les autres, tous vont à Coyhaique. Rempli d’espoir et les yeux scintillants, je m’empresse de demander au chauffeur sa destination. Je suis le plus heureux du monde lorsqu’il prononce le nom de "Puerto Cisnes". C'est convenu et je remonte dans la benne, maintenant privatisée rien que pour moi. C’est reparti pour environ 40 minutes de route. Le revêtement est de nouveau en asphalte et je peux m'allonger de tout mon long dans la benne pour essayer de faire une petite sieste. Seule la température m'empêche de m'endormir. Étalé sur le sol, je regarde le ciel et les nuages défiler. Bien emmitouflé dans mon manteau, je me dis que je suis quand même chanceux de la tournure qu’ont pris les choses et je savoure le moment, capuche sur la tête pour amortir les rares sursauts de la route.

Quand la porte s'ouvre, ce n'est pas Puerto Cisnes que j'ai devant les yeux mais un entrepôt vieillot avec tout autour des machines de chantiers, des épaves de voitures et des tonnes de grillages entassés à même le sol. Qu'est-ce que c'est que ce délire ? Maman, je retire ce que j'ai dit… le gars était peut-être louche au final ! En réalité, c'est un centre où est stocké tout le matériel nécessaire pour l'élevage de saumons. Les trois qui m'ont pris en stop sont des ouvriers d'une saumoneraie et sillonnent le fjord tous les jours pour vérifier si tout va bien ou si une de leurs nombreuses installations nécessite une réparation. Petit arrêt d'une vingtaine de minutes où je rencontre deux Vénézuéliens qui ne prennent pas de pincettes pour évoquer la situation de leur pays ayant entraîné leur fuite. C'est donc à grand coup de " Maduro, hijo de la gran puta " (je ne pense pas qu'il soit vraiment nécessaire de traduire ça, même pour les inconscients ayant pris allemand au collège), que j'apprends leurs histoires. Apparemment, les Colombiens et les Chiliens sont sympas avec les immigrés, les Équatoriens un peu moins et les Péruviens pas du tout. D'ailleurs à l'évocation du Pérou, les insultes pleuvent de nouveau.

Enfin arrivé à Cisnes, j'ai même la chance d'être déposé juste en face de la porte de l’hôtel. Le grand luxe ! Je descends devant les yeux étonnés de la propriétaire qui ne devait pas vraiment s'attendre à ça. Il est 16h30 et je suis enfin dans ma chambre. Journée épuisante mais expérience gratifiante. Ce n'était pas la première fois que je faisais du stop, mais chaque journée est toujours différente. La chance était finalement avec moi, même si à un moment j'ai cru que je n'en verrai jamais le bout. Puerto Cisnes est le chef-lieu de la commune de Cisnes qui regroupe les deux côtés du fjord et le parc national du Queulat. Dire qu'ici la densité de population n'est pas folle est un euphémisme : 16 000 km² pour quasiment 5 000 habitants. En gros ça fait un tiers d’humain au kilomètre : 0,3 hab/km ! A titre de comparaison la Mongolie c'est 1,9 hab/km.

Direction le mirador de la Virgen sur les hauteurs de la ville avant que la lumière décline. Il y a un panneau explicatif à l'entrée qui met en garde ceux qui n'ont pas une bonne condition physique. Tu parles ouais, trente mètres de dénivelé et cinq minutes de montée plus tard, je peux voir la petite ville dans sa totalité. Le moins que l'on puisse dire c'est qu'elle est vraiment isolée du reste du monde. Coincée entre les eaux froides du fjord d'un côté et la forêt verdoyante à perte de vue de l'autre, seules les montagnes d'où je suis arrivé tranchent avec le reste du paysage. Puerto Cisnes est en réalité une oasis froide et humide où la vie et les activités humaines pullulent dans des domaines bien précis. Bien loin des clichés des oasis du désert donc. Le terme "isolée" est peut-être un peu exagéré, mais la première grande ville est quand même à 194 km par la route.

En redescendant, je me dirige vers le fjord pour voir le coucher de soleil. L'idée est bonne mais avec les nuages, le rendu n'est pas génial. À de rares moments, les rayons arrivent à traverser les nuages et à embellir le paysage. Le tour de la ville est vite fait, mais c'est plutôt agréable de se balader entre les maisons de bois typiques, l'église aussi en bois et l’hôpital qui contraste avec son architecture moderne et en dur. Comme partout sur les côtes chiliennes, des systèmes d'alarme sont disposés un peu partout en ville. En cas de séisme et/ou tsunami, l'alerte est donnée et la population doit fuir et se réunir aux points de rassemblement situés en hauteur. Mais ce système n'est pas infaillible. En 2010, un tsunami faisant suite à un énorme séisme a fait au moins 500 morts. J'ai souvent demandé comment ils font pour vivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Ils m'ont répondu qu'ils vivaient avec et qu'ils se relevaient après. C'est vrai qu'ici entre les éruptions, les tsunamis et les séismes, ça ne doit pas être toujours simple à gérer. C'est d'ailleurs le Chili qui a le record de la plus forte magnitude enregistrée en 1960 à Valdivia : 9,5 sur l'échelle de Richter.

Le lendemain, après la première grasse mat du séjour, à savoir 10h, je suis surpris par un phénomène qui est normalement courant ici mais que je n'ai pas encore vraiment eu l'occasion d'expérimenter : la pluie. Alors non je ne suis pas un masochiste qui préfère qu'il pleuve des cordes lorsque je visite un endroit, mais je suis ici depuis 4 jours et je n'avais pas encore vu une seule goutte d'eau. Comme dit auparavant, normalement le dieu de la pluie s’exprime presque quotidiennement ici. Tu m'étonnes que ça soit vert partout dans le coin ! L'averse dure moins d'une heure et je peux partir en direction de "Las dos lagunas". Sur le plan que j'ai récupéré à l'office de tourisme, il est indiqué que la ballade fait environ 10 km et que c'est une boucle. Je décide de la faire dans le sens opposé à ce qui est marqué sur le dépliant. Je préfère suivre la route bitumée pour commencer sur 4 km et me garder les sentiers en pleine nature pour la fin.

Justement sur la route, je croise des gens dans une situation que je connais maintenant. Ils attendent depuis 3h qu'une voiture s'arrête pour qu'ils puissent monter. Le problème c'est que comme Puerto Cisnes est au fond du fjord dans un cul-de-sac, seules les voitures qui y vont ou partent empruntent cette route. Ce n'est donc absolument pas un lieu de passage. La situation risque d'être compliquée pour eux. Après quelques kilomètres, j'arrive à l'endroit où un sentier devrait partir rejoindre les lacs. Seulement, impossible de le trouver, tout ce que je vois sur le bas-côté ce sont des clôtures barbelées pour éviter le passage. Après une vingtaine de minutes à hercher en vain, je fais demi-tour et revient au point de départ. Super les 8 km sur une magnifique route ! Je recroise les auto-stoppeurs, je relativise et me dit qu'il y a pire que moi. D'ailleurs le soir-même en allant manger dans le centre, je les aperçois de nouveau.

De retour dans le village je trouve le point de départ pour accéder au mirador donnant sur les lacs. Il faut environ 20 minutes pour l'atteindre mais avec la pluie le chemin est extrêmement boueux. Bien aménagé, il y a des troncs d'arbres disséminés aux endroits les plus délicats pour marcher tout en restant relativement au sec. Arrivé au mirador, la vue est superbe. Un lac, des forêts partout, des montagnes avec des nuages au-dessus et aucun signe de constructions humaines. Cette vue c'était vraiment l'image que je me faisais de la Patagonie avant de venir. Je pourrai rester longtemps ici à ne rien faire, mais le vent est vraiment froid et me force à décamper rapidement. Au moment où je m'apprête à descendre du mirador, un bout d'emballage plastique s'envole de ma poche et va se coincer dans un arbre dans la pente… Un peu d'exercice ça ne peut pas me faire de mal. Quand je suis en bas de l'arbre je me dis que ça ne va pas être difficile de grimper mais il est quand même très fin et risque de plier un peu sous mon poids. J'espère vraiment qu'il ne va pas casser. Je n'ai jamais vu en vrai un paresseux grimper à un arbre mais je pense que la bestiole doit être bien plus gracieuse que moi dans cette situation. Une fois le maudit bout de plastique récupéré, je regagne le centre avec l'idée de louer un kayak une ou deux heures pour voir le fjord différemment.

Sur le chemin, je croise un homme qui vient me parler. Mon espagnol n'est toujours pas super mais je ne pige pas un mot de ce qu'il me dit. Mais ralentis et articule mon gars ! Il faut avouer que le chilien ce n'est plus vraiment de l'espagnol, entre l'accent et les mots qui diffèrent, c'est presque devenu une langue à part entière. Comme on est dimanche, ça risque d'être compliqué de trouver un loueur ouvert mais il me jure d’en connaître un qui est toujours apte à louer. C'est donc accompagné d'un beau bébé d'1 m 90 avec une fourche dans les mains que je vais chez le loueur. Concrètement, c'est quoi le plan maintenant ? S'il refuse, il lui met un coup de fourche et je prends le kayak ? Evidemment, c'est fermé. Mais quelle surprise ! Mais cet homme a de la suite dans les idées et me propose une autre solution. Il a une barque et peut m'emmener faire un tour. Moi ce que je voulais c'était surtout pagayer un peu. Il veut même prendre sa guitare pour me chanter des chansons une fois sur l'eau. Ouais bon… Ce n’est pas la peine de te donner tout ce mal pour me séduire, je ne suis pas intéressé. Je décide d'aller sur une plage à deux kilomètres de là, mais le type m'accompagne toujours et essaye de me convaincre. Il est gentil mais le bougre s'accroche!

Finalement seul, je me pose sur les bords du fjord et passe le temps à regarder les tâches quotidiennes des gens qui vivent et travaillent ici. Du capitaine propriétaire de son petit bateau de pêche à l'employé de l'élevage de saumon, toutes les tâches ont l'air difficiles avec le froid et l’humidité qui règnent constamment ici. Sans parler du vent qui balaye ces eaux glaciales. Et dire que l'on est en plein été ! Je n'ose même pas imaginer ce que ces personnes doivent endurer pendant les longs mois d'hiver. Pour dire à quel point il fait froid même à cette période, les cheminées sont allumées pour réchauffer les habitations et les gens vivant à l'intérieur.

Le soir à l'auberge, je rencontre un Français parti faire le tour du monde en solitaire pendant un an. Il vient du nord du Chili et file au sud, on s'échange donc nos bons plans. Au fil de la discussion, il me raconte son itinéraire et s'arrête sur la Nouvelle-Zélande. Selon ses dires, c'est sympa mais pas autant que le Chili. Ce dernier semble bien plus authentique. En bref, ça a été une déception pour lui. Visiblement le l’île du Sud est victime d'un phénomène mondial : l'invasion de touristes chinois. Les conséquences ne se sont pas faites attendre : un cadre moins naturel et une flambée des prix. Ce n'est pas le premier à me dire ça et c'est bien dommage, car moi qui rêve d'y aller pour la nature et la tranquillité…

Puerto Cisnes c'est terminé. J’ai un ferry demain pour une traversée de 9 heures pour rejoindre l'île de Chiloé. J'ai lu que la navigation dans le fjord était vraiment calme mais les quelques heures de traversée du Pacifique pouvaient parfois soulever des estomacs. En y repensant, je me demande ce qui a bien pu pousser le gars qui a donné le nom à cet océan. A ce niveau là, ce n'est même plus une erreur mais une bourde royale !

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Il est 6h du matin lorsque j'embarque sur le JACAF. Celui-ci vient d'un petit port plus au sud, mais c'est à Puerto Cisnes que la majorité des camions descendent ou montent. Après une heure à attendre dans le froid, de nombreux passagers s’installent à leur tour dans les sièges à l’étage. Direction la ville de Quellón sur l'île de Chiloé. Ce n'est pas un trajet direct car le bateau s'arrête dans la ville de Melinka, petite fourmilière humaine isolée sur une île balayée par les vents violents du Pacifique.

La traversée se fait en deux temps. La première partie dure environ 6 heures et consiste à naviguer dans les bras des fjords jusqu'à arriver dans un archipel. Le ferry n'est pas très grand et ressemble plutôt à l'intérieur d'un avion : des dizaines de sièges alignés avec au fond une cafétéria. Il est plutôt tentant de passer le plus de temps possible dehors pour échapper au brouhaha de la salle, étant donné que les Chiliens ne sont pas les plus silencieux quand ils parlent entre eux. Sans compter tous les enfants qui vont et viennent en courant et en hurlant…

Aujourd'hui le temps n'est pas super, le vent souffle vraiment fort et il est glacial. Je reste quand même un peu de temps sur le pont ce qui me permet d'apercevoir de nouveau le glacier au loin. Partout autour, les montagnes donnent l'impression de sortir directement de l'eau, s'étirant pour aller chatouiller les nuages. Tout est calme, la mer n'est pas encore démontée et l'on ne ressent aucun mouvement du bateau à l'intérieur. J'essaye de dormir mais avec ma chance légendaire en transport, je suis entouré d'enfants. Les parents ne disent absolument rien, sûrement heureux d'avoir enfin quelques minutes de paix. Après quelques heures, le Pacifique est enfin en vue. On traverse un bras de mer pour rejoindre l'archipel des Guaitecas où le bateau fera une pause. La pause ne dure qu'une vingtaine de minutes, le temps de décharger quelques passagers et véhicules, mais surtout le ravitaillement pour la communauté de Melinka. Là pour le coup, les habitants sont vraiment isolés de tout, à au moins 4/5 heures de bateau de la première ville importante, si bateau il y a vu que celui-ci ne passe que 2 à 3 fois par semaine.

Melinka ne compte que 1 400 habitants mais à cette période, comme c'est la fin des grandes vacances, tous les membres des familles viennent repasser du temps sur l'île. La ville a l'air plutôt agréable et s'étire le long d'une colline. Toutes les maisons arborent des couleurs différentes. Même la petite église est peinte en bleu ciel. Le soleil s'est levé ce qui donne encore plus de charme à ce petit village, mais les jours de grisaille ou de pluie, la vie ne doit pas être du tout facile facile. J'ai hésité à m'arrêter ici mais en regardant les bateaux qui passaient en allant vers le nord, je devais attendre quasiment 3 jours pour continuer ma route. Et trois jours dans ce village sur cette minuscule île…

Les choses sérieuses peuvent maintenant commencer. Pendant quelques heures, le bateau se lance à l'assaut du Pacifique. Petit à petit, la houle augmente et le navire vacille de gauche à droite balloté par les vagues qu'il rencontre. Aussi loin que je me souvienne, je n'ai jamais été malade en transport et ce n'est pas aujourd'hui que ça va commencer. Par contre pour d'autres personnes, la traversée n'est plus une partie de plaisir, notamment pour un de mes voisins de siège qui est passé d'une couleur de peau relativement foncée à un teint fantomatique. Dehors où je compte passer le reste du trajet à me dorer la pilule sur le pont supérieur, je discute avec un membre d'équipage qui m'avoue qu'aujourd'hui est un jour un peu plus mouvementé que la moyenne mais que parfois, le bateau ne sort même pas du port pour des raisons de sécurité.

Je débarque à 18h, après douze heures de navigation. Je me dirige directement au terminal de bus pour acheter mon billet pour Puerto Montt le plus tôt possible demain matin. Il faut encore 5 heures de voyage pour y arriver avec un passage en bac pour sortir de l'île. Après la traversée, je n’ai pas une folle envie de me faire encore plusieurs heures de voyage. Quellón n'est pas une super belle ville et seul le bord de mer avec son petit port rempli de bateaux de pêche baignés par les rayons du soleil couchant vaut le coup d’œil. D'ailleurs les rues sont totalement désertes sauf la promenade le long de la baie.

L'île de Chiloé est un haut lieu du tourisme dans le sud du Chili, mais pas sa partie sud. Généralement les gens vont à Castro et rayonnent ensuite dans toute l'île qui est apparemment un paradis pour les amoureux de la nature et des églises en bois. Parce que oui, il y a des passionnés d'église en bois venant de très loin pour profiter et vivre leur passion.

Le lendemain, j'arrive vers midi à Puerto Montt. Lors de mon escale, j'avais trouvé la ville pas terrible mais c'était sous la pluie et la nuit commençait à tomber. Alors de jour et sous le soleil, c'est mieux mais ce n'est pas encore vraiment ça. C'est encore un peu crade par terre et le front de mer a une odeur d’algues en décomposition. C'est justement sur cette promenade qu’est installée l'attraction locale : une statue géante d'un couple assis en train de s'enlacer. Tout le monde attend pour pouvoir se prendre en photo avec. Durant mes voyages, j'ai vu des choses incroyables mais relativement peu de statues ou bâtiments affreux, mais là… ça a sûrement dû être récompensé par la légion d'horreur. Madre de Dios ! Qu’est ce que c'est moche ! J'imagine que pour trouver l'inspiration, le sculpteur a demandé à ses enfants de le dessiner avec sa femme pour qu'il puisse ensuite s'en servir comme modèle. Le résultat est atroce, le visage de l'homme est totalement raté. On peut aimer ses enfants, mais si à chaque fois qu'ils font un dessin, une statue est érigée… on est mal barré !

Dès que l'on prend de la hauteur, des maisons colorées apparaissent. Malgré certaines un peu délabrées, l'océan et les montagnes en fond, rendent le paysage agréable. Il y a notamment un belvédère près d'une église qui permet d'avoir une vue à presque 360°. Pour y accéder il faut remonter plusieurs rues. Les chiens errants sont le seul signe de vie dans ces allées. Pas très engageants au premier abord, ils restent indifférents en me suivant vaguement du regard.

Depuis le belvédère, à l'opposé de la baie se dresse le volcan Calbulco. Ce volcan est très surveillé car il est rentré en éruption récemment, le 26 mai 2015 exactement. Lors de cette dernière, il déposa des cendres dans les villes environnantes tout en provoquant l'évacuation de plus de 40 000 personnes. D'ailleurs, j'aurai l'occasion dès le lendemain de le voir sous un meilleur angle en compagnie de son voisin, le volcan Osorno. Pour y aller, il faut être motorisé ou passer par une agence. Je compare les prix, l'excursion à la journée coûte environ 35 € alors qu'un jour de location de voiture presque le double. C’est surement ça le prix de la liberté ! Le choix est vite fait. Je vais réserver le tour dans la seule agence que j'ai repérée, une petite cabane sur la promenade. Le gars me précise bien qu'il peut faire un temps pourri et que je dois bien avoir ça en tête avant de réserver et payer. Super rassurant !

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Le tour part de la cabane de l'agence. Il pleut des cordes et j'ai en boucle dans la tête la fameuse phrase du vendeur d’hier. De toute façon comme ce n'est pas remboursable, qu'il pleuve ou pas, il faut aller. On est une dizaine dans la camionnette et je suis le seul étranger. Du coup avant même de sortir de la ville, on me pose des questions sur mon voyage et si j'aime le coin. Tous viennent de Santiago ou de Valparaiso sans exception. On me dit que normalement les villes du coin sont sûres sauf entre décembre et février vu que tout le monde descend de Santiago pour les vacances. Apparemment, pas de vacances pour les "bandits" !

Le guide est tout jeune, il est encore étudiant à l'université, c'est un job d'été pour pouvoir payer ses études. Inspirées du système américain, elles coutent un bras ici. Au cours de la journée, il y a 5 stops de prévu. Le premier intervient moins de 30 minutes après notre départ. On part pour un petit lac où il est possible d'observer des oiseaux depuis un bateau. Avec la pluie, on a juste pu apercevoir des canards. Vraiment une sortie atypique donc ! Passons, c'était sûrement sympa dans l'idée mais là c'était surtout inutile et je ressors trempé. Au moment de partir, un gars me réclame 5 € pour le bateau. Apparemment ce n'était pas compris dans le package. Super…

On repart et le temps commence à se découvrir. Je suis soulagé parce que voir seulement des nuages alors qu'un des plus célèbres volcans du Chili est là, étrangement ça ne m'enchante pas plus que ça. Le bus nous dépose aux Saltos de Petrohue, certainement le lieu le plus visité de la région. Ici une rivière dévale des rapides et passe entre des parois rocheuses formées par les anciennes coulées du volcan. Ce dernier trône majestueusement en arrière-plan, correspondant parfaitement à l'idée que l'on se fait d'un volcan avec sa forme conique quasi-parfaite. C'est d'ailleurs pour cela que certains le surnomme le "Mont Fuji Chilien".

Le site se présente sous la forme de plusieurs sentiers qui partent vers les plates-formes au-dessus des chutes d'eau ou alors descendent en suivant la rivière. En s'éloignant par ses derniers, il est possible d'arriver sur une rive où l'eau a retrouvé son calme. Je me pose tranquillement sur un rocher quelques minutes pour apprécier le lieu. J'entends des voix et je comprends seulement après quelques minutes que je dérange. En effet, un groupe est arrivé dans l'intention de réaliser un véritable shooting photo pas très loin de l'endroit où je suis. Enfin shooting, disons qu'avec leur perche et portable, ils prennent des dizaines de selfies. Vu comment ils se sont adressés à moi, autant dire que j'ai fait semblant de pas comprendre et que j'ai surtout pris extrêmement mon temps pour partir d'ici.

Après cet arrêt, on rejoint le lac Todos los Santos par lequel on peut rejoindre l'Argentine et San Carlos de Bariloche via plusieurs bateaux et transferts en bus. Ici on va naviguer sur le lac pour mieux voir le volcan. La balade n'est pas franchement un incontournable mais c'est plutôt sympa de le voir depuis le lac. Il y a un autre volcan juste à côté que l'on ne voit que très peu car caché par le relief. Il s'agit du Puntiagudo, volcan ayant un sommet en pointe, le seul élément que l'on arrive à apercevoir lorsque l'on fait demi-tour sur l'eau. La balade terminée, le bus nous emmène dans une petite ville au bord du lac Llanquihue et au pied du volcan. C'est la pause déjeuner et je suis le seul à avoir ramené de quoi festoyer, exactement comme le gars m'a dit hier. Les autres se dirigent vers l'intérieur du restaurant et quand les prix tombent c'est la douche froide. 25 € pour un pauvre plat et une boisson.

C'est sur la plage avec mon pique-nique à l'arrache que je me recharge en énergie. Il y a des endroits largement moins agréables pour se poser au calme. Depuis la berge, on voit bien que le volcan est de travers et semble s’affaisser sur lui-même à droite. Du coup pour grimper, il vaut mieux s’attaquer au flanc gauche, la pente sera bien plus douce. Des jeunes en groupes à une centaine de mètres se déshabillent et vont se baigner. La définition même du courage parce que moi je suis en manteau et je n'ose même pas mettre un pied dans l'eau de peur qu'instantanément ma circulation s'arrête.

On repart en début d'après-midi, direction le volcan, enfin. On va pouvoir aller marcher un peu dessus et pour ceux qui ne veulent pas "randonner" au moins profiter de la vue. J'attendais cette partie avec une certaine impatience depuis ce matin.

On met quarante minutes pour monter jusqu'à la station de ski. A ce moment le guide demande qui veut randonner jusqu'à un cratère situé un peu plus haut et là, seul trois ploucs lèvent la main. Les autres ne veulent pas mais c'est d'accord pour juste faire quelques pas pour prendre des selfies. C'est donc officiel, on va bloquer tout le monde pour au moins une heure. Superbe ambiance, certains font un peu la tronche. Bon si tu voulais juste aller sur le bord du lac, il fallait le dire avant qu'on parte.

Il y a deux solutions, soit monter à pied jusqu'au cratère, soit prendre un télésiège qui arrive juste à côté, mais qui coûte environ 15 €. Hop première solution même si le guide me dit que ce n'est pas idéal car il faut 45 minutes pour y arriver. Moins de 30 minutes plus tard je suis devant le cratère. J'ai fait le début de la montée en compagnie d'un jeune couple de Santiago. La fille a l'air de galérer un peu mais son copain trouve les mots justes quand un groupe qui redescend passe devant nous, "Si les petits vieux y sont arrivés, il n'y a aucune raison que nous non". Ça ne marche pas pour elle, on est à plus de 2 000 mètres et elle aurait le mal des montagnes. Je les abandonne pour arriver là-haut tout seul.

Le cratère Rojo, nom donné à cause de la couleur rouge de ses produits éruptifs, est un cratère secondaire. Ici toutes les couleurs se mêlent les unes aux autres : le noir et le rouge de la lave solidifiée et d'autres projections, le bleu du lac, le vert de la végétation plus bas et pour finir le blanc des neiges éternelles au sommet. Enfin éternelles… Pour combien de temps encore ? C'est pour le moment le lieu le plus beau où je suis allé depuis que j'ai commencé ce voyage. C'est quand même fou de se dire qu'il y a quelques années, de ce cratère surgissait des matériaux venant directement des profondeurs et exprimant la colère de ce monstre maintenant endormi. Je continue de monter quelques centaines de mètres pour avoir davantage de recul et voir entièrement le cratère. Il est petit mais avec les gens marchant autour faisant office d'échelle, il prend de suite une allure bien plus spectaculaire. Ils sont minuscules et nul doute que même un cratère aussi peu important pourrait faire des dégâts.

Le retour est long notamment à cause du trafic aux abords de Puerto Montt. Je passe le reste du trajet à parler avec le couple de nombreux sujets et je m'aperçois que le Chili, ce pays que je mets presque sur un piédestal n'est pas si rose. Etudes, santé, corruption etc... Tout part à vau l'eau. Eux repartent demain, c'est dommage ils avaient l'air plutôt d'accord pour faire d'autres excursions mais me conseillent sur la route à prendre pour rejoindre les villes de Puerto Varas et Frutillar où je compte me rendre le lendemain. Pour Puerto Varas, rien de plus simple. Il faut aller au terminal de bus et prendre un des nombreux collectivos qui partent ou attendre n'importe où sur la route et faire signe au chauffeur pour qu'il s'arrête. C'est ça qui est cool en Amérique Latine, tout est simple en réalité.

Il faut une vingtaine de minutes pour arriver là-bas. Tout le monde dans les blogs ou dans les guides conseillent Puerto Varas pour explorer la région, plus petite et plus authentique comme ville mais également bien plus chère. Le temps est bien couvert aujourd'hui et le seul intérêt que je trouve à faire dans cette ville est d'aller au mirador pour voir les volcans sur le lac. Je remonte illico presto dans un collectivo pour me rendre à Frutillar, un village bâtit par des colons allemands . Il est d’ailleurs encore possible de parler allemand dans certains villages et de retrouver une certaine ambiance européenne au niveau de l'architecture, notamment les façades et le ponton s'avançant sur le lac, l'endroit le plus photographié de la ville.

Pour une fois je suis vraiment content qu'il y ait beaucoup de nuages. L'atmosphère qui se dégage du lac est assez mystique : du gris à perte de vue. Que ce soit la couleur de l'eau, le ciel, le volcan ou la couche nuageuse, tout est en nuances de gris. Seul le haut du volcan est apparent au-dessus des nuages, et flotte tel un OVNI. La vue est hypnotisante et semble figée. Rien ne bouge. Seul un kayakiste vient troubler cette carte postale en filant à toute allure sur l'eau. Je reste sur la plage un long moment profitant de mon dernier jour dans le coin.

Après une brève visite de la ville, qui n'a pas vraiment un intérêt fou, je rentre à Puerto Montt et achète mon billet pour me rendre à Pucon le lendemain matin.

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Je pars de Puerto Montt vers 7 h du matin. Pas très bien réveillé et avec la fatigue du voyage qui commence à se faire sentir, je m'en vais finir ma nuit dans le siège inconfortable du bus. Arrivant en avance au terminal, je patiente en somnolant sur un banc à l'écart. Au moment de me lever, je récupère mon petit sac que j'avais laissé sous le banc à mes pieds et je remarque qu'il est ouvert. Tiens c'est bizarre, il a l'air plus léger aussi. Ah bah oui, mon ordinateur a disparu. Pas le temps de réfléchir, il faut que je prenne mon bus et j'irai dans un poste de police une fois arrivé là-bas pour que mon assurance fonctionne. Du coup je suis un peu trop énervé pour dormir.

Pucón est surnommée la "Petite Suisse Chilienne" vu que les maisons / chalets ressemblent plutôt à ceux que l'on connaît dans les Alpes. C'est franchement agréable de se balader dans les rues. Ici contrairement à un grand nombre de villes sud-américaines, tout est propre, la qualité de l'air semble bonne et aucun papier ne traîne par terre. C'est une véritable bouffée d'oxygène après les quelques jours à Puerto Montt. Mais je n'ai pas franchement le temps de flâner, il faut que je trouve un commissariat pour "déposer plainte". Une fois face aux flics, je dois remplir un formulaire mais si je veux une attestation de dépôt de plainte, je dois retourner à Puerto Montt car eux seuls sont autorisés à m'en délivrer un. Il existe une solution alternative bien que plus complexe. La "Notaria", sorte de bureau administratif délivrant des documents officiels, peut me rédiger un document faisant foi. J'y vais et comme en France, il faut attendre des plombes pour que mon tour arrive. Même avec un océan de séparation, l'administration reste l'administration !

Enfin je peux exposer mon problème mais ici personne ne rédige de documents. C'est à moi de l'écrire de façon non manuscrite puis de le rapporter afin qu'il soit certifié. Le challenge qui s'offre à moi est le suivant : j'ai 20 minutes pour trouver un cyber-café, rédiger la lettre et la rapporter car on est vendredi soir et les bureaux ne rouvriront pas avant lundi. Je sors en trombe et j'en trouve rapidement un trois rues plus loin. 20 minutes plus tard, je suis de nouveau devant mon interlocuteur qui me dit de repasser lundi pour normalement récupérer le document certifié. Je suis donc bloqué ici jusqu'à lundi alors que j'avais prévu de repartir le dimanche soir afin de profiter de mes derniers jours un peu plus au nord. J'ai l'impression d'avoir vécu l'épreuve de "la maison qui rend fou" dans les 12 travaux d'Astérix…

Pucón, donc. Après cette arrivée mouvementée je me balade dans la petite ville. Ici fini les panneaux d'alerte tsunami, on a droit à la direction à suivre en cas d'évacuation si une éruption se produit. C'est aussi le point de départ vers le très renommé et dangereux volcan Villarica. Ce volcan en activité est classé comme le plus dangereux du Chili. Il est possible de faire une excursion via une des très nombreuses agences en ville. Le tour permet de grimper jusqu'au sommet, en crampons vu la neige sur les pentes, et une fois en haut, s’avancer vers le cratère en espérant pouvoir apercevoir le lac de lave au fond. Je me renseigne et les agences demandent 115 € pour la journée. Je vais passer mon tour. Je peux comprendre qu'il faille payer un guide et un transport mais pour être dans un groupe de 15 personnes, le prix est exagéré.

Je me dirige vers le port qui normalement offre une vue sur le volcan. Lorsque je suis arrivé celui-ci était complètement couvert, mais à présent les quelques nuages restants ne gênent en rien la vue. Les rayons du soleil couchant embellissent même l'ensemble. En zoomant, j'aperçois de la fumée blanche s'échappant du cratère. J'avais vu des photos où les lueurs rougeâtres de la lave étaient visibles pendant la nuit, mais ce soir-là rien du tout.

Le lendemain, à défaut d'aller en haut du volcan, je décide de rejoindre un mirador sur son flanc. Le seul souci c'est qu'il faut trouver un moyen de s'y rendre vu qu'il n'y a aucun bus ou collectivo qui font le trajet. Peut être que Uber fonctionne par ici. Et bingo, il y a une seule voiture dans toute la ville. J'entre les coordonnées et 15 minutes plus tard, je suis dans le bolide en direction du volcan. Le chauffeur me dit qu'il ne pourra pas me laisser au parking où commence le sentier vu le mauvais état de la route mais environ deux kilomètres avant. Lorsque l'on arrive à cet endroit, les creux empêchent bien la voiture de passer. Il faudrait un 4x4 pour les franchir. Je ne suis pas à 2 km près et de toute façon j'ai pas mal de temps devant moi. La marche jusqu'au mirador n'a vraiment rien de difficile, peu de dénivelé et de distance. En moins de deux heures, je suis au bout du chemin, juste en dessous du cône volcanique. Je me tiens sur des roches aussi tranchantes que des lames de rasoir. Quand je lève la tête, je vois cette fumée blanchâtre qui s’élève du cratère et s’envole directement dans le ciel.

Ce qui me marque le plus est le nombre colossal de lézards qu'il y a sur le sentier. Je pense en avoir vu au moins 200. Les lézards sont de la même espèce mais n'ont pas le même aspect en fonction de la zone où ils vivent. Dans la forêt ils sont de couleur verdâtre alors que dans les zones plus découvertes, leurs couleurs varient entre le gris et le marron, couleurs des roches volcaniques recouvrant le sol. Ce camouflage sert à se cacher le mieux possible d'éventuels prédateurs. C'est un bon exemple de la sélection naturelle qui change de ceux que l'on a l'habitude de voir. Je vais pouvoir m'en servir dans mes cours lorsque je vais aborder les mécanismes de l'évolution. Eh qui a dit que les profs même en vacances ne pensent pas à leurs élèves ?

Depuis le parking, impossible de commander un Uber, aucune voiture n'étant disponible. Je vais réessayer le stop. Durant toute la descente sur la piste caillouteuse, je croise seulement cinq voitures. Comme il n'y a qu'une douzaine de kilomètres pour revenir à Pucon, il n’a rien d'insurmontable. Je me dis d'ailleurs que vu ma réussite actuelle, c'est de cette façon que je vais retourner jusqu'au centre-ville. En chemin je rencontre Patrick, neurologue autrichien parlant parfaitement français, qui est dans la même situation que moi. Il a loué une chambre dans une maison dans les bois tenu par une artiste chilienne juste à l'entrée du parc national. L'endroit est rêvé, pas de bruit, juste la forêt et réveil tous les matins avec vue sur le Villarica. Pour retourner en ville, nous décidons de marcher tout en continuant le stop, sait-on jamais. Moins de quinze secondes après, la première voiture que l’on croise s'arrête et nous laisse à quelques centaines de mètres de l'entrée de la ville, nous épargnant 8 km de marche. Nous nous séparons, lui va aller se reposer vu qu'il veut faire l'excursion jusqu'à sommet le lendemain alors que je vais pour ma part me poser à la "plage".

De retour à l'auberge, trois personnes sont dans la salle commune : Carolina, une Chilienne de Santiago, et un couple d'Argentins de Bariloche, ville juste de l'autre côté des Andes. L'ambiance est plutôt sympa et leurs accents pas toujours évidents à comprendre mais on décide d'aller dans un bar prendre quelques bières et des Piscola, la boisson populaire au Chili. Le Pisco seul ça le fait mais mélanger avec du coca c'est plutôt moyen. Après quelques verres mon espagnol semble parfait, ou du moins tout le monde me comprend sans problème. C'est sûrement ça le secret pour apprendre une langue étrangère : l'alcool sans aucune modération !

Il y a une cascade dans la forêt qui vaut le coup d’œil selon le propriétaire de l'auberge. Le Salto del Claro est à 8 km de Pucón mais par chance Luna et Carlos y vont aussi et me proposent de venir avec eux. C'est assez galère de s'y rendre vu qu'il n'y a pas vraiment d'indications sur le chemin et que le GPS ne visualise pas vraiment la route. Finalement, on arrive à un parking avec une petite cabane. L'entrée pour la cascade est payante et des gars veillent au grain. Pas sûr que ça soit vraiment légal mais comme la cascade est sur leurs terres, ils exigent un droit de passage. Le chemin qui descend jusqu'à la rivière est bien casse-gueule, et même avec des rambardes en bois c'est difficile de ne pas glisser. Finalement en bas, le lit de la rivière s’agrandi. L'eau qui tombe de plus de 70 mètres fait un vacarme assourdissant. On est vraiment minuscule à côté. Des rochers glissants mènent jusqu'à la chute et il n'y a rien pour se rattraper. Le moindre faux pas et c'est la douche d'eau glacée assurée. Des gens se baignent, mais même pas en rêve je rentre là-dedans pour risquer l'hypothermie.

On remonte la rivière jusqu’à retrouver la pente inclinée qui ramène au parking. Les deux Argentins s'arrêtent net. Ils s'assoient et sortent un petit sac. C'est le moment de la pause maté, un rituel dont personne ne peut échapper. Je n'en avais jamais goûté et le résultat est sans appel : c'est trop amer. Même avec du sucre, le goût ne passe pas. Il paraît que l'on s'y habitue. Des colibris viennent butiner les fleurs autour de nous. C'est fou comment ces petites bestioles volantes bougent et se stabilisent pour récolter le nectar des fleurs. Essayer d’en prendre un en photo est un véritable cauchemar vu leur vitesse pour passer d'une fleur à l'autre.

Au retour, je ne peux m'empêcher, dans un esprit totalement provocateur, de leur demander ce qu'ils pensent du match France - Argentine de la dernière coupe du monde. Le verdict est sans appel : le traumatisme est encore bien présent ! Ils me laissent à une intersection à moins d'une heure de marche de l'auberge et s'en vont de l'autre coté en direction de l'Argentine. De retour à l'auberge je retrouve Carolina qui se prépare à retourner à Santiago le soir même en bus de nuit. Pour ma part, je pars normalement à Temuco le lendemain matin, enfin si j'ai réussi à récupérer ce misérable bout de papier.

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Mission de récupération achevée avec succès. JE L'AI ! Je peux donc partir dans la journée pour Temuco, l'une des grandes villes du centre-sud du pays et à seulement 2 h de bus. La ville n'a rien d'enchantant mais le gars chez qui je loge m'a conseillé d'aller dans un parc sur les hauteurs pour avoir un panorama plutôt sympa. Il est à 6 km de là et comme il fera nuit dans deux heures, y aller à pied semble compromis. Je commande donc un Uber qui me met en garde ! Le parc en question est dangereux en fin d'après-midi et la nuit. A l'entrée même son de cloche de la part du gardien : attention aux ladrones qui sévissent ici. Je commence à connaître la musique, de toute façon en Amérique latine tout est dangereux selon les locaux. Je me demande parfois s’ils ne me prennent pas juste pour un gros boulet.

En haut du parc il y a plusieurs belvédères et des sentiers partant vers le haut en direction d'antennes. Un petit chemin s'enfonce dans les bois pour déboucher sur une plate-forme donnant directement sur le centre-ville. Des jeunes sont là et vu que les "LL" sont remplacés par "CH" quand ils parlent, je devine leurs origines argentines. Le plus intrigant c'est quand même la fille qui parle de cette façon avec un accent allemand à couper au couteau. On blablate un peu et qu'est-ce qui peut bien se passer en compagnie d'Argentins ? Invitation à la pause matée bien sûr ! Finalement vraiment aimables et souriants ces ladrones...

Je ne suis pas venu à Temuco pour la ville mais pour les parcs situés un peu à l'est qui sont parmi les plus réputés de la région, notamment le Parc Conguillío. Le problème c'est qu'il n'y a que très peu de transports pour y aller et que le stop ne fonctionne que de façon aléatoire dans le coin. Je me paye donc le luxe de louer une voiture. Ça coûte une blinde et c'est beaucoup moins dans l'esprit que j'aime du road trip en Amérique du Sud mais au moins j'aurai une liberté totale et ne perdrai pas des heures à attendre un hypothétique bus ou sur le bord d’une route !

Direction le parc et rapidement après être sorti de la ville, le dôme enneigé du volcan Llaima devient visible. Il est impressionnant et massif et contraste avec les alentours relativement plats. Il y a plusieurs secteurs dans le parc mais la balade jusqu'au mirador de la Sierra attire les foules.

Avant d'y arriver je m'arrête à la laguna del Arcoiris, littéralement arc-en-ciel en espagnol. Je ne vais pas faire de dessin parce que les photos parlent d'elles-mêmes mais je n'ai jamais vu une couleur d'eau ainsi. C'est quasiment un miroir teinté d'un bleu parfait où seuls quelques troncs morts dépassent tandis que d'autres reposent au fond. Le lac a été créé suite à une éruption qui a déclenché de vastes coulées de lave qui ont piégé l'eau à cet endroit. Seul le ruissellement des eaux de pluie et la fonte des neiges viennent alimenter l'endroit. Comme l'eau passe par des terrains d'origine volcanique, elle est filtrée et arrive purifiée à destination, d’où sa transparence exceptionnelle.

Pour en faire le tour, il faut marcher directement sur les anciennes coulées au milieu d’un paysage de désolation. Il n'y a que des pierres sombres aux arrêtes coupantes. C'est comme si je marchais sur une autre planète. Autant dire que rien n'a survécu lors des coulées. Pourtant au milieu, un arbre a réussi à pousser. Il est tout seul, sans absolument sans rien autour, parfaite illustration que la nature arrive constamment à retrouver un nouvel élan après une catastrophe. Comme le dirait le professeur Malcolm : « La vie trouve toujours un chemin ».

Rapide passage à la laguna Verde qui n'a rien d'exceptionnel et qui n'est pas vraiment de couleur verte. Le plus intriguant sont les bombes volcaniques qui ont été crachées par le volcan et se sont dispersées tout autour. Certaines sont bien plus grandes qu'une voiture, ce qui laisse imaginer la puissance déployée lors de l’éruption pour envoyer ces blocs rocheux de plusieurs tonnes à des kilomètres du cratère.

La mise en bouche pour découvrir le parc terminé, il est temps de randonner un peu pour prendre de la hauteur et essayer de voir le volcan d'un peu plus haut. A partir du parking, il faut avancer dans les bois en longeant le lac jusqu'à arriver au début de la montée. Il faut environ deux heures en théorie pour arriver au mirador situé 700 m plus haut. Je croise un couple de Canadiens qui m'expliquent qu'au deuxième mirador il y a un petit sentier caché qui offre une meilleure vue ! Sympa l'information.

La montée est plutôt douce et j'alterne entre marche dans les bois et zones plus dégagées. La vue au premier mirador n’est pas super parce que je ne suis pas encore très haut et qu'elle ne laisse pas apparaître le volcan. Rapidement entre le premier et le deuxième mirador la végétation change et laisse place quasi exclusivement à des araucarias. Qu'est-ce que c'est que ce truc ? C'est un survivant de la préhistoire tout droit sorti du Jurassique. En déambulant au milieu, je m'attends presque à croiser un dinosaure au détour d'un chemin. D'ailleurs certains épisodes de "Sur la Terre des Dinosaures" ont été tournés ici. C'est cet arbre qui a donné son nom à la région de Temuco et c'est l'une des seules régions au monde où l'on peut les trouver. Un lieu qui a échappé au temps en soi. Mais alors à quoi ressemble cet arbre atypique ? Il faut imaginer le résultat d'un palmier et un conifère qui s'accouplent, puis imaginer de nouveau qu'une sorte de cactus vienne en rajouter une couche. Je ne pense pas pouvoir décrire mieux cette plante qu’avec cette métaphore d'orgie végétale facile à visualiser.

J'arrive au second mirador et le volcan commence à se dessiner. Je cherche le sentier caché des Canadiens mais il l'est tellement qu'il m'est impossible de le trouver. Tant pis, je continue l'ascension pour arriver sur une crête. D'un côté le volcan et son lac légèrement obstrués par la végétation et de l'autre des montagnes avec des falaises abruptes seulement couvertes par les araucarias. J'aperçois le mirador qui se situe encore à quelques encablures. À ma grande surprise, je n'ai croisé qu'une dizaine de personnes pendant tout le temps que j'ai passé sur le sentier. Arrivé au mirador, la vue est vraiment incroyable ! Les couleurs s'entremêlent et l'on se croirait sur la palette d'un artiste en train de peindre une toile. Entre la réflexion du soleil dans le bleu du ciel et du lac, le blanc de la neige au sommet et le vert de la végétation, je me tiens littéralement devant la carte postale parfaite. Je reste un moment posé ici à juste profiter du paysage. Je suis en admiration totale devant le Llaima.

En redescendant, j'aperçois une ombre qui me passe dessus. En levant la tête je vois que c'est un condor des Andes, le plus gros volatile aérien qui existe. Je tente la photo et je suis plutôt content du résultat. Je mets quiconque au défi d'en prendre une sachant que le piaf vole vite, est loin et que mon appareil pas exceptionnel a du mal à faire la mise au point quand le zoom est à fond. Au moins, c'est largement mieux que la fois en Patagonie où j'ai tenté la même expérience pour avoir au final une photo avec une masse noire floue…

Selon les croyances mapuches, le Llaima (et les esprits qui l’habitent) est associé au Mal alors que le Villarica à quelques dizaines de kilomètres est associé au Bien. Le Llaima est un volcan actif de forme conique quasi parfaite mais de faible altitude puisqu'il ne culmine « seulement » qu’à 3 125 mètres. Il est en réalité composé de deux sommets qui présentent de temps à autre quelques fumerolles. Il y a un petit glacier permanent sur ces flancs ce qui permet d'installer une station de ski qui ne fonctionne cependant que pendant l'hiver austral. Considéré comme très actif, avec environ 23 éruptions durant le XXème siècle, il est d'autant plus surveillé car le parc est l'un des plus visité du pays. En 2010, à la suite du séisme il présente une activité anormale laissant supposer un éruption explosive préoccupante, qui à ce jour n'est toujours pas arrivée.

De retour à la voiture, il me reste un dernier arrêt à effectuer. Un tout petit lac qui prend 30 minutes pour en faire le tour. Il offre une autre vue du volcan et permet de profiter du coucher de soleil sur ses flancs. J'ai entre temps pris 4 auto-stoppeurs que j'ai dispatchés sur le chemin. Il en reste deux avec moi quand j'arrive au lac. Ils doivent rentrer à Temuco ce soir mais plus aucun bus ne part du parc. Du coup ils me demandent si je peux les déposer à l'embranchement de la route principale à 40 km de là. Ok ça marche mais je leur explique que je veux d'abord faire le tour du lac. Assez gonflés, ils demandent de me dépêcher. Ils me disent plusieurs fois de ne pas en faire le tour. Pardon ? Je ne suis pas un taxi personnel alors ni une ni deux je les envoie bouler ailleurs ! Le karma sûrement… tu veux être sympa et tu tombes sur des relous.

Je fais vite le tour de ce petit lac. Il n’y a personne et je dérange juste quelques aigles en train d’observer le sol depuis une branche d’arbre à la recherche de leur prochain repas. La forêt est épaisse mais de temps en temps les arbres disparaissent et laissent entrevoir l’imposante silhouette du Llaima baignée dans la lumière de la fin d’après-midi. Quand je reviens à la voiture, les deux auto-stoppeurs ne sont plus là, ils ont surement trouver un nouveau conducteur à ennuyer…

La nuit tombe, je n'ai pas de réseau, je suis au milieu d'un chemin en terre et je ne sais pas où aller pour trouver une ville où dormir. Je trouve un hôtel en ligne à deux heures de route et non loin d'un autre parc que j'avais envie de visiter avant de partir. Arrivé devant "l'hôtel", bonne surprise que de voir que c'est une famille qui habite les lieux et qu'il n'y a plus d'hôtel depuis un moment… En appelant le numéro la femme m'explique qu'effectivement elle a déménagé depuis un mois et demi et qu'elle n'a pas eu le temps d'enlever son annonce du site.

Du coup je fais la tournée des autres hôtels pour trouver une solution de repli à 22h. J'en trouve finalement un qui coûte le double de ce que je comptais mettre mais entre ça et la perspective de passer la nuit dans la voiture tout crado et frigorifié, mon choix s'est vite décanté.

8

Dernier jour avant un retour le soir-même à Santiago. Avant d'aller dans la réserve de Malalcahuello, l'office de tourisme m'informe qu'il y a une cascade sympa à voir à une dizaine de kilomètres. Elle est normalement accessible gratuitement mais le propriétaire du terrain juste devant en a décidé autrement. Il a donc fait installer une clôture afin d'en empêcher l'accès… Sauf si l'on paye l'équivalent de 3 €. Dans ce cas, le portail s'ouvrira comme par magie (de l’argent) ! J'ai l'impression que c'est un phénomène assez courant au Chili, en une quinzaine de jours c'est la troisième fois que je rencontre ce phénomène. Ça ne sert à rien de bosser, suffit d’acheter un portail et le mettre devant un site touristique pour gagner sa vie.

Une fois rentré, j'aperçois l'eau tomber après seulement quelques minutes de marche. La cascade Alaska n'est pas la plus impressionnante mais reste sympa à observer notamment si l'on s'aventure sur les rochers à ses pieds. Le filet d'eau n'est pas très important et même quand on regarde la rivière, il ne doit pas y avoir plus de 20 cm de profondeur.

Départ maintenant pour le parc et le volcan en son centre : le Lonquimay. Il est possible de faire de longues randos sur une journée, plusieurs jours et gravir son sommet. Comme le temps me manque car je dois rendre la voiture à Temuco à 18 h, je décide de faire la balade pour atteindre le cratère Navidad. Cela ne paraît pas bien compliquée comme expédition, 3 km aller pour à peine 110 mètres de dénivelé. Finger in the nose donc. Depuis le parc il est possible de voir tous les volcans proches, dont le Llaima, mais il y a aussi un mirador plus loin qui offre une meilleure vue. Je m'engage pour y aller mais la route devient de plus en plus sableuse et gravillonneuse. Ce qui devait arriver arriva. Je reste bloqué, avec les roues ensevelies. La voiture que j'ai pu voir au loin faire une marche arrière sur près de 400 mètres aurait peut-être dû me mettre la puce à l'oreille. Cerise sur le gâteau, le vent souffle super fort et des nuages de sable se forment et fouettent mon visage. Je ne suis pas encore prêt pour m'engager sur le Dakar! Une fois dégagé de ce mauvais pas, j'abandonne l'idée des miradors pour aller finalement qu'au cratère.

Changement radical de décor par rapport au Llaima. Hier, il faisait chaud et la végétation était plus ou moins dense. Ici pas un arbre ou un buisson. Rien, le néant. Seulement du sable noir à perte de vue où il est difficile de s'orienter correctement. Heureusement des piquets alignés forment un semblant de chemin à suivre. Ça descend plutôt bien au début et marcher dans le sable permet de se laisser porter. Le vent continue de souffler fort et il faut que je sois habillé comme en hiver pour garder une température corporelle confortable. Je continue encore et toujours de descendre mais il va bien falloir remonter à un moment. Je commence à sentir que mon "Finger in the nose" était peut-être un peu présomptueux. Et en effet… la montée arrive. Toujours 110 m de dénivelé oui mais sur 300 m de distance et pour couronner le tout dans du sable. Pour résumer devant moi il y a une pente bien raide, un vent qui m’envoie du sable au visage et quand je fais deux pas, je recule aussitôt d'un. Cela ne va pas être de tout repos…

Petit à petit la vue se dégage et je peux apercevoir de façon beaucoup plus nette le Tolhuaca, un autre volcan massif à une dizaine de kilomètres au nord. Il m'aura fallu un bon quart d'heure pour venir à bout de cette montée mais le résultat valait l'effort. Devant moi se dresse le Lonquimay avec un trou béant rougeâtre au premier plan. Un véritable gouffre donnant directement sur l'intérieur de la planète. Le cratère tient son nom du jour de sa formation car il est apparu le 25 décembre 1998. Pas très profond, environ une bonne trentaine de mètres tout au plus, descendre au fond est vraiment quelque chose à faire. Juste devant moi, il y a un trou de plusieurs mètres de diamètre qui plonge directement dans les entrailles du volcan. S'il devait se remettre en éruption, je serai aux premières loges pour assister à un spectacle aussi intense que dangereux.

Avant de repartir je monte sur la crête surplombant le cratère. De là-haut, il semble gigantesque, comme si c'était la bouche des enfers. Le vent ne s'est toujours pas calmé et je me fais ballotter violemment pendant la descente si bien que je suis limite obligé de me mettre à quatre pattes pour ne pas basculer soit sur le flanc du volcan soit dans le cratère. C'est totalement ridicule et avec une grâce discutable mais sans aucune égratignure que je redescends jusque dans la vallée sableuse en contrebas. Hier j'avais l'impression d'être sur la lune lorsque je foulais le champ de lave, aujourd'hui c'est comme si j'avais marché sur Mars. Si vous hésitez, un billet pour l'espace coûte des millions de dollars alors qu'un vol pour le Chili moins de 800. Ça peut faire réfléchir !

Retour à Temuco sous des trombes d'eau. J'ai quand même eu du bol sur les trois dernières semaines de n'avoir connu réellement que 2 jours de pluie. La voiture est rendue mais le bus pour Santiago ne part que dans 5 h. Je passe devant un cybercafé, et comme j'ai des bulletins scolaires à remplir, c'est le moment de faire la tâche la plus épanouissante dans la vie d'un prof... Un message d’erreur apparaît sur l’écran fatigué du vieil ordinateur. Victoire ! Me connecter depuis l'étranger est impossible pour des raisons de sécurité. Je suis sauvé, pour le moment. Huit heures de trajet de nuit confortablement installé, ça passe quand même tout seul. Je ne reste qu'une journée à Santiago, une ville que je connais déjà un peu sauf les musées qui étaient systématiquement fermés lors de mes passages. Je visite le musée des Droits de l'Homme et celui d'Histoire Naturelle. Le premier parle du coup d'état mené par Augusto Pinochet, sa dictature militaire et sa chute. Très intéressant et prenant aux tripes.

L'autre montre les différents habitats du Chili et les êtres les peuplant. Avec un pays de 4500 km du nord au sud, il y a de quoi montrer. Fin du périple et retour tranquille, rien à voir avec le voyage sans fin de l'aller. Quoiqu’un vol de 13 h ça ne fait quand même pas que du bien à l'organisme, surtout quand ton voisin décide qu'il a droit à son siège et à un bout du tien. Mais avec une escale à Madrid et une tortilla en guise de petit déjeuner, je peux affirmer que la pilule passe beaucoup mieux !