Ces petits pays, méconnus et traînant une mauvaise réputation, ont pourtant beaucoup à offrir pour ceux voulant sortir des sentiers battus et se dépayser: rencontres, plage, volcans et lac de cratère
Du 10 au 23 février 2019
2 semaines
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HOLA CHICOS Y BIENVENIDOS A HONDURAS !

À la frontière, les premières affiches concernant le nouveau coronavirus sont bien visibles. Les douaniers sont masqués et montrent qu'ils prennent le problème au sérieux, en tout cas bien plus qu'en France j'ai l'impression. Pour avoir le tampon de sortie je dois payer une taxe. On est au Nicaragua alors payer en Cordobas me semble logique. Mais non, seuls les dollars sont acceptés. On m’envoie dans un bar à la recherche d'un type qui peut me faire le change. En réalité l’agent de la migration me dirige vers un de ses potes… Je sens que je vais me taper un taux de change bien dégueulasse ! Pas du tout. Je perds dans l'affaire à peine 0,30 € par rapport au change officiel. Je récupère mon passeport et 500 mètres plus loin, j’arrive au guichet hondurien. Je paye cette fois-ci une taxe d'entrée, elle aussi en dollar, et me voilà de nouveau au Honduras plusieurs mois après ma première courte incursion.

Aujourd'hui pas de grosse étape au programme : San Marcos de Colon à moins de 15 km. Évidemment, le collectivo se retrouve très rapidement blindé. Pour sortir de la zone frontalière, il faut montrer pattes blanches. Traduction : un contrôle d'identité effectué par des flics intimidants armés de fusils mitrailleurs. Tout le monde y a droit sauf le gringo tout palot à l'arrière qui a juste droit à un "bienvenido" de la part des flics. La ville n'est pas franchement un incontournable du pays, et il n'y a pas de touristes. Par sécurité, les bus ne circulant pas le soir et la nuit, il n'y a plus aucun départ pour aujourd'hui. La quête de l’hôtel où dormir tourne vite court. Vu l'offre hôtelière, 3 hôtels dans des états pas vraiment neufs, je choisis le premier qui offre le luxe de fournir un ventilateur bancal.

Comme ses voisins du Salvador et du Guatemala, le Honduras n'est pas vraiment connu pour être un pays calme. Il suffit de taper son nom sur Youtube pour tomber sur ce qui se fait de pire en termes d'insécurité. Mais je ne n'y crois pas, en tout cas pas à ce point. En me baladant dans la ville, je n'ai pas ressenti d'hostilité mais quelques regards curieux.

Je repère une petite butte un peu excentrée du centre-ville. Arrivé à mi-chemin, deux gros chiens me barrent la route en me grognant dessus. Pas envie de prendre le risque de me faire bouffer, je contourne la rue pour arriver plus haut. Je me pose sur les marches pour profiter des derniers rayons du soleil. Le paysage laisse paraître trois éléments : des palmiers dans les rues, des montagnes recouvertes de végétation et les toits en tôle du centre -ville. Une petite tienda tenue par le Clint Eastwood local fait office de seul lieu de vie de toute la rue. Bottes de cowboy aux pieds et chapeau vissé sur la tête, il a l'air surpris de me voir ici.

À la nuit tombante, je rentre à l’hôtel. Je remarque que je suis juste en face d’un marché labyrinthique sous des dizaines de tôles. Avant de dormir, j'ai droit certainement au pire poulet depuis le début du voyage, une sorte de truc en plastique à peine mangeable et qui se désagrège dans l'assiette. Je prie pour ne pas passer la nuit dans les toilettes, frappé par une intoxication alimentaire bien vénère. Surtout que demain j'ai encore quelques heures de bus pour atteindre ma prochaine étape. Suspense…

Ouf tout va bien ! Départ pour El Salvador, avec une pause de quelques jours au bord du Golfe de Fonseca. Comme d'habitude, le bus part du centre presque complet. Avant même de sortir de la ville, il se remplit tellement qu'il n'y a plus de places. Le truc cool ici, c'est que si c'est une personne âgée ou une femme enceinte qui se retrouve debout, les gens se lèvent tout en sachant qu'ils vont passer les deux prochaines heures dans l'allée. J'arrive à San Lorenzo, petite ville en bord de mangrove. Des Honduriens rencontrés à León m'en ont dit le plus grand bien. Seulement en descendant, assez interloqué de me voir, un groupe vient à ma rencontre pour me demander ce que je fais ici et si je ne suis pas perdu. Vu la mine qu'ils tirent quand je dis que je suis là de mon plein gré, je comprends vite que l'idée n'était pas si bonne. À une heure de bus il y a un petit village perdu où des lanchas attendent pour traverser un petit bras de mer jusqu'à la Isla del Tigre. Je change mes plans et je file direct vers l'île ! Super sympa, ils m'embarquent à l'arrière de leur pick-up pour me déposer à l'arrêt du bus. 300 mètres plus tard, ils me font descendre… Les latinos et leur engouement pour la marche m’épateront toujours !

Un bus scolaire passe, puis deux, puis trois... Toujours rien. Un quatrième passe alors que l’ayudante crie "Coyolito". C'est le signal ! Je lui fais signe. Le gars descend en trombe, choppe mon sac, le balance à l'intérieur, me pousse vers l'échelle pour que je l'attrape afin de me hisser à l'intérieur et monte à son tour. Tout ça en moins de 4 secondes, encore mieux qu'en F1. À l'intérieur c'est le grand luxe. Même si la chaleur est étouffante, pas loin de 40 degrés, j'ai une banquette pour moi tout seul et pour la première fois depuis plus d'un mois. Je peux enfin fermer les yeux sans être comprimé. Avant d'arriver à Coyolito, la vue est incroyable : le bleu perçant de l'eau, la végétation tantôt verte tantôt jaune cramé et la Isla del Tigre avec sa forme parfaitement conique. L'île est un volcan éteint depuis bien longtemps, recouverte de forêts avec à son sommet ce qui semble être un phare et des antennes. Un sentier part d'un village pour y monter et la vue doit être assez magique.

La traversée en lancha coûte 0,60 € et prend moins de cinq minutes. Les gilets de sauvetage sont "obligatoires", ce qui signifie ici qu'il faut en avoir un… mais être assis dessus pour rendre le siège plus confortable, ça passe aussi. Vu le nombre de touristes dans le pays et encore plus dans ce coin isolé, il n'y a que des locaux rentrant chez eux dans cette vétuste embarcation. Le capitaine porte un maillot de l'équipe de France et, comme qui ne tente rien n'a rien, je l'aborde en français. L'essai ne fut pas probant mais je m'en tire avec un compliment : "T'es comme M'Bappé". Mais oui exactement ! Enfin si on enlève le fait que je cours moins vite, que je suis bien moins riche et un peu plus vieux… Effectivement le compte y est !

Il me dit qu'il peut m’emmener à un hôtel bien placé, pas cher et avec un restaurant donnant sur la plage. À peine débarqué, je me retrouve devant un hôtel. L ’endroit est assez bruyant avec le mini port à proximité. Dans la chambre, des lézards restent immobiles sur les murs. Pour 10€, en lisière de la jungle et à 50 mètres de la mer, je n'hésite pas longtemps.

Avant de prendre mes quartiers, je me pose sur la terrasse, et observe la vie quotidienne des gens vivant sur cette île coupée un peu du reste du monde. À chaque arrivée c'est la même scène qui se joue devant mes yeux. Les deux hommes composant l'équipage sautent à l'eau pour guider correctement la lancha jusqu'au ponton de fortune en évitant qu'elle ne rentre en collision avec les autres déjà stationnées. Puis à peine le pied posé sur la terre ferme, c'est une nuée de chauffeurs de tuk-tuk qui se jettent sur les nouveaux arrivants. Mais les embarcations ne servent pas exclusivement à transporter les personnes. Les vivres et les matériaux ont droit au même traitement.

Avec en fond de la musique latino s'échappant de la petite échoppe jouxtant la terrasse, c'est une mini société qui interagit sur cette minuscule plage : l'épicier qui vient chercher sa commande auparavant acheminée en bus et complètement écrasée par le voyage, le maçon qui décharge une lancha remplie de parpaings pour monter un mur juste à côté du ponton, des femmes faisant leur lessive, des enfants jouant et sautant dans les minuscules vagues, le pêcheur qui mouline, les anciens sirotant une bière sur un autre ponton ou encore un équipage faisant la révision du moteur directement sur l'eau.

Je prends ensuite la direction de la seule ville de l'île. J'ai l'impression qu’ici, tout le monde peut peindre sa maison de la couleur qu'il veut, sans se concerter avec ses voisins, ce qui donne parfois des mélanges détonants mais aussi un charme certain. Quasiment aucune voiture ne circule sur la seule route qui fait le tour de l ’île. Les tuk-tuk pullulent et sont un moyen de transport facile, rapide et peu onéreux.

Le principal lieu aménagé est la promenade d'Amapala, totalement déserte en cette fin d'après-midi. À son extrémité se trouve un poste douanier. Des capitaines de lanchas peuvent faire la traversée jusqu’à Potosi au Nicaragua mais aussi vers La Unión juste en face au Salvador. C'est une option vraiment intéressante parce que ça m'éviterait de refaire le même trajet en sens inverse en reprenant plusieurs bus dans quelques jours pour arriver au Salvador. Sans compter que par la même occasion, j’économiserai une journée de voyage. Je demande des renseignements aux marins présents et il n'y a pas de problèmes pour faire le voyage. Ah si, il y en a quand même un... Que l'on soit un, deux ou six le prix est fixe. Donc comme le trajet revient à environ 200 € pour la proposition la moins onéreuse, c'est compliqué d'envisager cette option alors que je suis seul. Tant pis, j'aurai donc droit à la journée habituelle de transport en bus pour moins de 10 balles.

En quittant la capitainerie, une affiche attire mon intention - "QUE ES EL CORONAVIRUS ?". Même au fin fond du Honduras, on commence à en parler. Plus les jours passent, moins cette histoire sent bon...

Le lendemain matin départ à 7h, pour monter tout en haut de l'île et éviter les grosses chaleurs de la journée. Je saute dans le premier tuk-tuk que je croise et me voilà devant le petit hameau d'où part le sentier. C'est plutôt bizarre, j'ai toujours eu l'impression que quand je partais en rando mon sac était bien plus lourd qu'aujourd'hui. En réalité, j'ai complètement oublié de prendre mes provisions et mes bouteilles d'eau avant de partir. Retour en ville, histoire de ne pas tomber en hypoglycémie ou déshydration pendant l'ascension. À 8h tapantes, je fais le premier pas vers le sommet. Ça n'a pas l'air d'être une marche très difficile. Il doit y avoir environ 5 km pour quelques 900 mètres de dénivelé donc je pense arriver là-haut dans deux petites heures.

Après seulement quelques minutes, j'entends des cris d'enfants venant d'une cabane en bois. C’est l'école du village et tous les niveaux semblent mélangés. Ma curiosité de prof me pousse à aller voir d'un peu plus près et rencontrer le maître. Il a seulement 22 ans, enseigne depuis moins d’un an et me fait part des difficultés qu'il rencontre.

Outre le fait que certains jours les mômes sont pénibles, pour ne pas dire complètement chiants, il insiste sur le manque de moyens matériels. Entre la porte qui ne ferme qu'avec un cadenas, le toit en tôle transformant la pièce en four lorsque la chaleur est étouffante et les moustiquaires toutes déchirées aux fenêtres, il y a de quoi resté pantois… Travailler dans ces conditions doit être un véritable calvaire, pour lui, mais surtout pour ses élèves. D'ailleurs ces derniers semblent aussi interloqués que ravis de voir un gringo dans leur salle. Et c'est un florilège de question "Tu viens de France, mais c'est loin ?" - " Comment on dit ça en français ?" - etc... C'est assez inattendu comme rencontre mais tellement agréable de retrouver rapidement quelques mini repères. En moins de 10 minutes il est possible de voir dans une classe, que l'on soit sur une île hondurienne ou au fin fond du Poitou, que les élèves sont les mêmes : les meneurs avec leurs airs espiègles, ceux qui s'en fichent, les timides silencieux alors que les plus audacieux demandent si l ’on peut prendre des photos ensemble. Il y a quand même une différence notable avec nos écoles : les affiches sur les murs parlent ouvertement de Dieu et de religion.

Retour à la rando après cette pause pédagogique. La première partie grimpe légèrement. Je suis une piste sableuse jusqu'à atteindre l'entrée d'une première forêt, ce qui est une bonne nouvelle car le soleil est déjà plutôt agressif. Je ne suis pas encore assez haut pour avoir une vue dégagée sur le golfe et les îles voisines. Je rattrape une famille qui grimpe elle aussi tout en haut. Ce sont les gardiens du sommet. Ils y travaillent pour l ’entreprise qui possèdent les antennes installées là-bas et sont chargés de vérifier si tout se passe bien. Le fils est déjà là-haut depuis plus d’une semaine et aujourd'hui c'est le jour de la visite familiale, après quoi le père restera en haut à son tour pour une dizaine de jours. « Même si ce n'est pas la joie pour la vie de famille, ce travail est bien payé et permet de faire bien mieux vivre sa famille », dixit le père. Par rapport à son ancien travail de chauffeur de tuktuk, il gagne deux fois mieux sa vie.

La pente se fait progressivement plus raide jusqu'à arriver à un endroit dégagé où un mirador a été "aménagé". Avec le système D, on peut faire des choses vraiment inattendues. Il suffit juste de monter un siège de bus, de le caler à l'ombre face à la mer pour profiter bien plus confortablement de cette vue absolument grandiose. Je pense que c'est le mirador le plus atypique que j'ai pu voir jusqu'à maintenant. Le paysage devant mes yeux permet de voir à droite le Honduras et à gauche une île et le volcan Conchagua, tous deux situés au Salvador.

Je reprends la montée pendant une quarantaine de minutes jusqu'à arriver de l'autre côté du volcan. D’ici j'ai une vue sur la partie de l'île où je loge et sur le village de Coyolito au pied du Zacate Grande d'où partent les lanchas. Arrivé en haut je reçois un accueil peu chaleureux et extrêmement agressif de la part d'un gros chien sorti de nulle part. Il faut l'intervention d'un gamin pour que le chien ne me saute pas dessus…

C’est tremblant que je me dirige vers deux hommes qui font la sieste dans des hamacs. Ils ont choisi l'emplacement parfait pour profiter des meilleurs paysages qu'offre ce sommet volcanique. Ils sont ici depuis 3 jours pour se ressourcer en lisant la bible. L'un est un homme d'église et l'autre juste quelqu'un qui avait besoin de partir pour dormir apparemment. La conversation arrive sur le sujet de prédilection des latinos : pas le football mais bien la foi! J'essaye d'esquiver au maximum le sujet car je sature d’entendre les mêmes arguments sur le monde fait par Dieu. Plus par politesse que par envie, je participe quand même. Je sais que dans ces pays, la religion est l'une des choses les plus importantes dans la vie quotidienne mais je ne suis jamais tombé sur quelqu'un qui a essayé de me "convertir" ou qui a critiqué mon choix de ne pas croire. En tout cas c'est apparemment béni et protégé par la grâce de Dieu que j'entame la descente. Il est midi passé, et la chaleur est maintenant bien écrasante.

Je passe l'après-midi à Playa Negra pour profiter de l'eau chaude, de la nourriture locale bourrative et des bières à moins d'un euro. Étendu dans un hamac sur la terrasse d ’un restaurant, j’entends les gamins du coin jouer au foot sur la plage. Si l'on ouvre le dictionnaire à la page de "Paradis Terrestre", je pense que l'endroit illustrerait parfaitement bien la définition. Avec ma peau, je me baigne évidemment en t-shirt pour ne pas ressortir de la même couleur qu’un homard…

Lorsque je quitte l'île en direction du Salvador, je prévois de m'arrêter passer la nuit à Nacaome, une petite ville qui d'après certains guides est superbe. Pour y accéder, j'ai dû prendre pas loin de 4 bus pour parcourir les 60 km me séparant de celle-ci… Là-bas c'est la déception. C'est vrai que la place est sympa mais il paraît que la ville est un véritable bijou colonial. Du coup… où sont passés les bâtisses, l'architecture et les couleurs vives propres à ces villages ? Pour tout dire, l’attraction principale du centre-ville est la sculpture d'une… pastèque géante de la taille d'un lampadaire. Changement de programme! Je vais rejoindre El Salvador ce soir en espérant ne pas trop galérer pour passer la frontière et rester bloqué vu que les bus s'arrêtent à peine la nuit tombée.

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HOLA CHICOS Y BIENVENIDOS A EL SALVADOR !

Signifiant littéralement "Le Sauveur" en référence au Christ, on sait d'ores et déjà que ce n'est pas ici que la foi et la ferveur vont redescendre d'un cran comparé aux derniers pays traversés. De Nacaome, je monte dans un bus pour "El Amatillo" pour être déposé à 100 mètres de la frontière. Étrangement, il n'y a personne dans ce bâtiment bleu et blanc. Les formalités de sortie se font en moins de 2 minutes et j'en profite pour échanger mes derniers lempiras à un taux de change plutôt très favorable. Il y a un pont d ’environ 250 mètres qui enjambe une rivière séparant les deux bâtiments migratoires. Comme toujours, des vélos -taxis attendent. Je suis le seul à marcher dans la zone.

Le bâtiment salvadorien est lui aussi peint avec les mêmes couleurs que le précédent. Si on n’est pas super calé en drapeau, le combo Nicaragua-Honduras-El Salvador-Guatemala peut faire mal à la tête. Un stand avec du personnel médical équipé pour prendre la température m’accueille. C'est la première fois que je vois un bâtiment où tout le monde est masqué. Tant mieux, au moins ça signifie qu'il prenne la menace vraiment au sérieux. De toutes les frontières d'Amérique Centrale, c'est ici que j'ai eu droit à une longue série de questions concernant mes destinations, mes éventuels symptômes ou encore mes vaccinations.

Je quitte le poste en passant devant un garde qui me sourit et me salue chaleureusement. Je vais le voir pour lui demander des renseignements pour rejoindre la ville de La Unión. Je dois prendre un tuk-tuk jusqu'à un carrefour, et de là attendre qu'un bus passe. Le prix du tuk -tuk c'est 2 $ et à partir de 3 $ c'est de "l'arnaque". Il m'accompagne pour me montrer où en prendre un et surtout pour bien faire comprendre au chauffeur le prix qu'il doit me demander. Je ne suis pas du genre à penser que le premier contact dans un pays conditionne tout, mais il faut avouer que ça fait un bien fou. C'est d'ailleurs un peu déroutant de voir un gars aussi lourdement armé être si aimable, sans aucune attente en retour.

Sur la route en sens inverse, il y a plus de 4 km de bouchon constitué seulement de camions. Le passage d'un camion prend au minimum 15 minutes si tout va bien, alors je compatis avec les chauffeurs. Dans le bus, j'ai de l'espace et je peux être plus à mon aise qu'habituellement. En milieu d'après-midi, après 5 bus et un tuk tuk me voilà à La Unión. Le décor est planté : c'est l'armée qui patrouille dans le centre-ville et sur la place principale. D'ailleurs en descendant, quatre jeunes sont interpellés et fouillés par les militaires pour voir s'ils appartiennent à un gang ou s'ils sont armés… Bonjour l’ambiance !

Le Salvador est connu pour être, avec ses voisins proches, l'un des pays les plus dangereux du continent. Entre les maras, la corruption et des régions pratiquement interdites aux étrangers … si on lit les nouvelles ça ne met pas en confiance pour aller y faire un petit tour. Voyageant depuis quelques temps déjà, j'ai compris que les titres racoleurs à la BFMTV ou les documentaires sensationnels qui pullulent sur YouTube ne sont pas vraiment fiables. Aller voir par soi -même est donc la meilleure option. Depuis 6 mois, le nouveau président élu a décidé de déployer l'armée dans les villes et régions impactées pour faire baisser la criminalité. En à peine quelques mois, les homicides auraient chuté de 40%. Très largement en tête des pays au taux d'homicide pour 100 000 habitants, limiter le Salvador à sa seule violence serait très réducteur. En rédigeant cette partie, après avoir quitté le pays, j'espère arriver à retranscrire les côtés marquants, positifs et négatifs, du mieux possible pour casser cette image violente qui colle à la peau de ce pays et en occulte les autres aspects.

La Unión, tout à l'Est du pays, constitue l'un des principaux ports d'où partent les lanchas pour se rendre au Honduras ou au Nicaragua. C'est une ville peu visitée et les seuls touristes sont soit des locaux, soit des voyageurs en transit vers les pays voisins. Le volcan Conchagua qui domine la ville, offre un panorama sur tout le Pacifique, le golfe et la Isla del Tigre que je connais bien maintenant. Je décide de ne pas y aller car j'ai déjà eu l'occasion de voir ces paysages et surtout il faut passer par une excursion pour monter en haut car la campagne autour est le théâtre d'opérations policières.

La propriétaire de ma guest-house me conseille d'aller faire un tour sur la jetée où se trouve le phare. La place principale n'a rien de particulier par rapport à d'autres villes de la région et même l'église ne se distingue pas. Un marché géant y est installé et les premiers vendeurs commencent à plier bagage en laissant tous les invendus à même le sol, faisant la joie de certains chiens et chats des rues. En allant vers le phare, je passe devant une remorque de camion avec une terrasse installée devant. C'est le Burger King le plus improbable que j'ai vu ! En n'ayant rien dans le ventre depuis ce matin, je me sens obligé de tester. Il ne faut pas se fier à la remorque, qui fait penser à une vieille baraque à frite abandonnée sur une aire d’autoroute miteuse, ça reste un Burger King mais avec des roulettes. Seules les toilettes et les lavabos sont un peu différents : une cabane en bois au fond du terrain et un énorme seau rempli d'eau pour se laver les mains.

En allant vers le phare, je longe le front de mer qui est parfois totalement découvert mais aussi souvent caché car des maisons sont construites directement au bord de l'eau. La vue depuis l'intérieur doit être sympa mais en cas de tempêtes, vu l'état général des bâtiments, les piloris assez fins qui les supportent ont plutôt intérêt à être bien résistants. Malgré ça, l'ambiance carte postale est totale entre le bleu de l'océan, le vert de la végétation mêlée aux palmiers et les couleurs vives des petites barques de pêcheurs qui attendent sagement que la nuit passe pour de nouveau jeter les filets au large. En arrière -plan, baigné par les derniers de rayons de soleil de la journée, le Conchagua veille.

La zone a été aménagée et une bonne quinzaine de restaurants sont implantés. Même pas dix secondes après mon entrée, telle une nuée de vautours, les rabatteurs de tous les restaurants se jettent sur moi. A des années lumières de la cuisine locale, le choix ici se partage entre des restos chinois, des burgers ou des pizzerias. Je monte au sommet du phare et là… des gamins partout. Ça court, ça hurle, ça tombe dans les marches et au final ça pleure. La vue depuis le phare n'apporte rien de plus que celles qu'offre le littoral.

Le lendemain, le propriétaire de la guest-house me dépose au "terminal", qui ressemble plutôt une aire de stockage de bus. Quand l'un d'eux s'apprête à partir, tous les gars autour se mettent à hurler la destination. Je pars pour San Miguel, dans l'idée de grimper sur le volcan du même nom situé un peu plus au sud. Actif, pas très haut, avec un diamètre de plus de 800 mètres pour son cratère crachant de la fumée, ça s’annonce prometteur.

Arrivé en ville, pas d'office de tourisme ou de bureau d'informations. Quelqu’un me conseille de demander aux flics qui eux devraient savoir. Je me dirige donc vers le commissariat pour avoir des infos, trouver un guide ou au moins savoir où aller pour organiser tout ça. C'est avec une certaine déception que j'apprends qu'il n'est pas possible d'y aller car en plus du guide il faut se payer une escorte policière pour être en sécurité. Pour ne rien arranger, en ce moment c'est mort de chez mort car il n'y a pas d'effectifs disponibles. Apparemment ça sera plus simple d'organiser ça depuis San Salvador avec une agence.

Je change de plan, encore une fois, et je prends la direction de El Cuco. Même si ce sont des plages parmi les plus fréquentées du pays, elles sont suffisamment vastes pour que chacun se trouve un coin de tranquillité. El Cuco est une toute petite ville et seul le front de mer est animé avec son alignement de bars, restos et écoles de surf. Ici les vagues sont vraiment grosses et quand un bateau est mis à l'eau, le départ peut parfois être délicat, à la limite du chavirage quand il prend mal une vague. D'ailleurs la priorité va aux bateaux et non aux baigneurs. Si tu es tranquille dans une zone depuis un moment et que l'un d'eux décide de partir juste à cet endroit là, on t'ordonne de dégager et si tu ne le fais pas, on t'engueule allègrement à l'aide de sifflets et mégaphones.

Pour retourner à San Miguel, il faut attendre un bus qui devait partir depuis 20 minutes mais qui est toujours stationné sur la place du village. Le chauffeur arrive, ouvre les portes pour que l'on s'installe et… rien du tout ! Il faut encore attendre de longues minutes car il est retourné s’attabler à la terrasse d'un bar. Les gens ont l'air, et c'est l'une des premières fois que je vois ça, passablement énervés. Le plus dérangeant dans tout ça, ce n'est pas l'attente mais l'odeur qui règne dans le bus. Je ne sais pas d'où ça vient mais ça devient irrespirable. C'est seulement, quand je vois la petite dame juste devant moi sortir une poche et manger un poisson à moitié cru et plus très frais, que je comprends que le trajet va être long. Rien que l'odeur me fait me sentir mal, alors manger ça… Grand respect à l'estomac de la mamie !

Un autre truc pénible dans ce bus bondé, c'est qu'il y a seulement deux sièges qui ne sont pas bien fixés. Et surtout, devinez qui est assis sur l'un des deux ? Au moindre chaos, il bouge et vibre tellement fort que les ondes créées parcourent tous les os de mon corps. Sans parler du bruit métallique ultra strident qui accompagne chaque chaos. Au moins avec les fenêtres ouvertes, l'odeur du poisson a disparu. Encore un retour de plage qui restera autant dans ma mémoire que dans mes narines ou mes vertèbres traumatisées. C'est quand même moins épique que l'incroyable retour de Las Peñitas mais je n'avais vraiment pas vu venir le coup du poisson. Chaque fois que je prends une journée ou une après-midi pour glandouiller au bord de la mer, il semble que ça doit irriter une puissance supérieure qui me le fait gentiment payer par la suite. Ou alors je

n’ai vraiment pas de bol…

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Départ matinal pour la capitale. Cette fois, c'est le grand luxe ! Je veux dire par là qu'il y a une place assise pour tout le monde et une clim. Si on fait une recherche rapide sur San Salvador, on ne peut pas dire que l'on débarque en territoire totalement paisible. Des Salvadoriens me disent qu’il suffit d'éviter le centre historique après une certaine heure et les barrios en périphérie pour que ça se passe sans soucis. Le bus s'arrête dans la ville de Soyapango qui est un des lieux les plus sensibles de la capitale. C'est une super idée d'avoir mis l'un des plus gros terminaux du pays dans la zone où on trouve le plus de gang. L’arrivée de nuit doit être super sympa !

Je débarque sous l'oeil encagoulé de militaires. Fusils d'assaut à la main, ils scrutent tous les nouveaux arrivants. S'ils portent une cagoule c'est pour éviter que des membres de gangs prennent en photo leurs visages, fassent des recherches et en exécutent un ou leurs familles. Ambiance…

J'ai à peine 10 dollars sur moi et les taxis demandent bien plus pour aller au centre. Après avoir essayé de négocier avec trois d'entre eux, je me résous à commander un Uber et attends en dehors du terminal. Me voyant seul à côté de l'entrée, un jeune couple vient vers moi pour me dire que c'est mieux de rentrer et d'attendre à l'intérieur. Ils ajoutent de surtout bien vérifier la plaque avant de monter. Ils restent avec moi jusqu'à l'arrivée du chauffeur. Ça semble un peu exagéré, mais ce dernier me confirmera que c'est la base pour être en sécurité ici. Il me déconseille également de me déplacer à pied et de prendre les bus lorsque la nuit est tombée. Par contre entre 5h et 8h du matin, pas de soucis pour aller dans le centre et les marchés, car comme il le dit si bien : "il n'y a que les gens honnêtes dehors à cette heure-là, les voyous sont soient endormis soient morts…"

J'ai réservé une chambre chez une famille dans la zona rosa, un quartier résidentiel avec des restos, les bureaux des grandes entreprises, leurs vigiles armés et des policiers à tous les coins de rue. C’est un quartier où il est possible de flâner à toutes heures du jour et de la nuit. Il ne faut pourtant pas trop s'en éloigner vu que juste à côté, il y a une "no gone zone" qu'aucun taxi ou transport ne traverse. Je dépose juste mes affaires et pars en bus vers le centre historique pour me dégourdir les jambes. Pour me rendre à l ’arrêt, je passe sur une passerelle qui enjambe la route en offrant une superbe vue sur le volcan San Salvador, qui domine toute la ville. Il n'a absolument pas la forme typique d'un volcan avec son pic qui se dresse vers le ciel. Mais si on fait l'effort de regarder plus attentivement, on peut voir que sa morphologie est la conséquence de sa « décapitation » lors d'une éruption passée.

Le bus arrive et m'emmène jusqu'à l'avenue principale que je remonte entièrement pour arriver dans le centre historique. Sur cette avenue il y a des dizaines et des dizaines de stands, une sorte de grand bazar où l’on trouve tout et n'importe quoi. Quelqu'un a besoin d'une balayette rose fluo pour les toilettes ? Le vendeur s'engage à faire profiter de la fameuse offre "une achetée et des écouteurs offerts". Comme dans tous les marchés d’Amérique Latine, il y a aussi beaucoup de marchands de nourriture, notamment fruits et légumes, mais les stands sont ambulants. Passant brouette en main, le vendeur crie à gorge déployée le prix pour attirer le badaud.

Au bout de l’avenue, l'imposante cathédrale fait face au palais de la présidence et du gouvernement. A part deux ou trois rues, le centre n'est pas spécialement beau, et ressemble à une ville avec une architecture triste et épurée. En ce milieu d'après-midi, il est assez animé. Ce qui est le plus marquant, c'est le contraste entre ce que j ’ai lu ou entendu et ce que j’ai sous les yeux. Je m'attendais à trouver des gens froids, nerveux ou sur la défensive se méfiant de tout, mais c'est plutôt le contraire. Ils ont l'air de profiter d'une balade en famille, poussette en main, sans montrer de signes de nervosité. C'est peut-être dû aussi à l'impressionnant dispositif de flics patrouillant et quadrillant toute la zone du centre historique.

Toujours sous la surveillance de plusieurs militaires encagoulés qui ne quittent pas du regard l'immense place centrale, je passe devant un type qui vend des journaux et remarque totalement par hasard qu'il y a un match de première division cet après -midi, dans la banlieue de San Salvador. Ce n'est plus vraiment un secret maintenant, mais j'aime bien aller voir des matchs dans les différents pays que je traverse pour m'imprégner de l'ambiance. Ni une ni deux, je saute dans un Uber en direction du stade du Santa Tecla FC.

Je demande à un flic où se trouve le guichet et il fait signe à un gars sur le trottoir pour qu'il vienne me vendre une entrée. 3 dollars pour un match de première division, c'est plutôt très honnête même si le match risque de ne pas être génial. Il n'y a pas grand monde, mais tous ont un maillot, une écharpe ou un accessoire permettant de reconnaître l'équipe qu'ils supportent. Je m'installe dans un coin pas très loin des ultras locaux, eux -mêmes à côté des ultras de l'équipe adverse. Mais ici pas de comportement de débiles, ils se contentent juste de chanter, jouer du tambour ou du tuba. Dire que je détonne ici est un euphémisme.

Mon voyage pourrait avoir pour nom « Volcans et Football » vu qu’aujourd’hui j’assiste à un match dans le sixième pays différent. Après le Guatemala, l’Argentine, le Paraguay, la Bolivie et le Nicaragua, je fais la connaissance du football salvadorien ! Fort de mon expérience au Nicaragua, je n'attendais pas grand-chose de ce match mais il faut avouer qu’il est plutôt plaisant à suivre. Techniquement ce n'est pas la folie mais au moins les joueurs se donnent et l'ambiance est détendue. Apparemment l'autre équipe de la capitale a une atmosphère un peu plus caliente dans les tribunes lors de ses matchs. La rencontre se termine alors que la nuit est tombée et le seul moyen pour rentrer c'est de prendre le bus. Deux hommes, rencontrés à la sortie du stade, prennent eux -aussi le bus vers le centre. Il m’indiquent où je dois descendre. Heureusement qu'ils sont là car sinon, Dieu seul sait où j'aurai pu me retrouver…

Le programme de mon second jour à San Salvador est la visite du parc du Boqueron, au sommet du volcan de San Salvador. Il faut que je retourne à côté du stade pour prendre un autre bus qui grimpe jusqu'au parc. Dans le premier bus, un gars monte avec des pneus de vélo autour du cou et me propose d'en acheter. Devant mon refus il me propose, ce qu'il me jure d'être une véritable Rolex pour 15 dollars… La marque suisse doit être fière d'avoir des commerciaux aussi convaincants. Je refuse encore mais comme mon accent se remarque, il veut me parler pour pratiquer son anglais. Ça fait des semaines que je n'ai pas lâché un seul mot dans la langue de Shakespeare, alors dans ma tête c'est carrément le chaos. Je réfléchis en français, traduis en espagnol avant de parler dans une troisième langue. Il n'a vraiment pas tiré le bon numéro…

Tant qu'à faire, j'en profite pour lui demander où se trouve le bus pour monter. On est repassé à l'espagnol car on a bien vu que ni l'un ni l'autre ne sommes efficace. On aurait dit deux mecs saouls essayant de communiquer. Il n'a aucune idée d'où peut partir le bus, mais la femme assise à côté de moi monte justement là-haut. Il y a deux façons d'y accéder, un bus classique ou alors une sorte de camion où l’on grimpe à l'arrière debout tout le trajet en s'agrippant aux barreaux de la remorque. Je teste ce nouveau moyen de transport. Comme il fait déjà chaud, au moins le vent se fera sentir pendant que l'on roule. On est environ 25 à l'arrière mais il y a suffisamment de place pour tout le monde sans être trop comprimé. Juste avant d'entamer la montée, le camion s'arrête pour que deux militaires lourdement armés s'accrochent au camion, un pied dedans, un dehors, avec la main jamais très loin de l'arme.

À l'entrée du parc, des coatis se chargent de l’accueil. Comme en Argentine, ils vérifient s'ils ne peuvent pas chiper un ou deux trucs à grignoter dans nos sacs. Dans le parc, il est possible de faire une petite balade sur les rebords du cratère jusqu'à arriver à un mirador où l'on a une vue sur l'immense bouche, autrefois bien plus dangereuse. Ce volcan possède la particularité d'avoir un cratère dans le cratère. A l'intérieur, un tout petit cône, surnommé le Boqueroncito s'est formé lors de la dernière éruption en 1917.

Des guides proposent leur service pour descendre au fond du cratère car il n ’est pas évident de trouver le sentier sur les pentes abruptes. Pour survivre et ramener un peu d'argent chez soit ils doivent être polyvalent et vendent aussi du miel. Je ne suis pas tenté de descendre pour voir un minuscule cône. Je me dirige vers la station avec les antennes que j'ai repérée un peu plus loin sur la crête. C'est en fait un resto qui offre un superbe point de vue.

Lors de la descente vers San Salvador je m'arrête à mi-chemin dans une zone aménagée où un bar offre une vue incroyable sur la capitale. San Salvador est au premier plan, avec au loin le lac Ilopango, une immense caldeira formée suite à l'effondrement d'un volcan. Au fond se dresse l'imposant San Vicente, qui n'a visiblement pas encore explosé. Le parc Boqueron n'est pas un incontournable sauf pour avoir une vue sur la vallée et la ville. Un nouveau camion passe, s'arrête pour que je saute à l'arrière. Cette fois il n'y a plus de place, et c'est un pied dedans un pied dehors et avec les cheveux au vent que je retourne à San Salvador.

4

Au Salvador, il y a deux endroits vraiment très touristiques : la côte nord-ouest, très prisée des surfeurs et le complexe volcanique près de Santa Ana. Cette ville accueille quelques touristes de passage dans le pays, grand maximum seulement quelques dizaines. Au terminal de San Salvador il y a plusieurs bus qui partent toutes les heures et vont jusqu'à Santa Ana en empruntant 6 ou 7 routes différentes. J’en choisis un au hasard et, avec beaucoup de chance, je monte dans celui qui fait le trajet entre les deux villes sans s'arrêter.

Je débarque dans un immense marché qui me rappelle le terminal chaotique de León. Vu l'étroitesse de la rue, entre les stands et les bus slalomant entre eux, il y a à peine la place pour que les passants puissent circuler. Je vais devoir être vigilant pour ne pas me prendre un coup de rétro en marchant. Pour la première fois depuis mon arrivée dans le pays je suis en "zone sécurisée" selon le gouvernement français car la carte à disposition place Santa Ana et tout l'ouest en jaune et non plus en orange comme la partie orientale du pays.

En marchant à peine 150 m au milieu de tout ce chaos, je tombe nez à nez avec l'hôtel que j'avais repéré sur Internet. Après une négociation très brève, j'ai la chambre pour 11 $ la nuit. C'est vrai que la zone est bruyante et il est plutôt difficile de s'y repérer une fois à l'intérieur mais je suis à moins de trois minutes des bus. Avant que je parte en balade le proprio me met en garde de ne pas rentrer à pied dans le coin après 22h. Le mieux c'est de prendre soit un taxi soit un Uber. Et c'est le plus naturellement du monde qu'il me répond « Je vais être franc avec toi, ici on est sur le territoire d'un gang mais avec les patrouilles de ces derniers mois on ne les voit quasiment plus, même la nuit. Mais bon, on ne sait jamais … ». Certes, ça pourrait faire dresser les cheveux sur la tête mais je rappelle que la chambre est à 11$ ! Au moins, me voilà prévenu !

Tout près de Santa Ana se trouve le lac de Coatepeque, une immense caldeira contenant un lac. Elle se serait formée il y a environ 60 à 70 000 ans à la suite d'une série d'explosions. Pour y aller c'est simple, un bus part du marché et il suffit d'attendre d'arriver au bord du lac pour descendre quand bon nous semble. Vu depuis le bord de l'eau, le lac ne paraît pas impressionnant même si les rebords laissent deviner que l'on est sur les vestiges d'un édifice gigantesque. Certaines années, grâce à des algues et des micro-organismes, le lac change de couleur pour devenir bleu azur. Pas pour aujourd’hui en tout cas ! Sur la rive, des hôtels et des restaurants sur pilotis sont sortis de terre comme des champignons et avancent leurs terrasses sur l'eau. Ces activités permettent à la population locale de vivre du tourisme.

Même si à première vue, le lieu paraît calme et idyllique, la réalité est un peu différente. L'endroit ressemble plus à une base de loisir qu'à un lieu pour se ressourcer. Plusieurs gros bateaux proposent de faire des tours sur le lac et sont accompagnés par une dizaine de jet-ski faisant des va et vient incessants. Les nombreuses enceintes des restaurants, Amérique Latine oblige, crachent du reggaeton en veux-tu en voilà. Malgré tout ça, le cadre reste quand même extra mais la meilleure vue pour profiter du paysage se trouve tout en haut. Sur le bord de la route, des restaurants ont aussi émergé. Heureusement, on trouve aussi sur les rives du lac, quelques plages calmes où des bateaux de pêcheurs très colorés mouillent en attendant leur prochaine sortie pour remonter les ressources et approvisionner les restaurants. D'ailleurs dans celui où je me suis arrêté, il est possible de choisir soi -même le poisson si les bateaux reviennent tout juste de la pêche. Je propose au serveur le prochain concept : louer une canne au client pour qu’il remonte ce qu’il devra manger !

Pour accéder au mirador, il me faut une heure de marche. Avec pas loin de 40 degrés, je mets un peu de temps pour me motiver et lancer la machine. La solution de facilité serait d'attendre que le bus repasse en sens inverse, mais les horaires sont plutôt fluctuants. Je préfère marcher plutôt que d'attendre un éventuel bus. Je dois admettre que j'ai plutôt bien senti le coup car cinq minutes après avoir commencé à marcher, une voiture s'arrête à ma hauteur et me fait signe de monter. Me voilà donc une nouvelle fois à l'arrière d'un pick -up, à l'air libre avec une vue sur le lac qui se dégage au fur à mesure du trajet.

Vers la moitié de la montée, on passe devant une zone dégagée où aucun arbre n'obstrue la vue et je demande au chauffeur de me laisser ici. Après cet arrêt imprévu, je dois donc me taper la deuxième partie de la montée, toujours sous un soleil de plomb. Moins de 100 mètres après être reparti, une autre voiture s'arrête et, sans aucun mot, le chauffeur m’invite en me faisant signe en montrant l'arrière de son pick-up. C'est tellement cool de voir qu'ici les gens s'entraident et viennent en aide même à un parfait inconnu qui n ’a rien demandé. Ça me change du stop dans le sud du Chili où parfois les gens passaient sans même me regarder. Ici, aucune tentative de stop, deux voitures passent et les deux s'arrêtent … 100 % d'efficacité.

Arrivé en haut, et toujours sans un mot, le cowboy derrière le volant me serre la main. Au mirador, les bars se succèdent sur quelques centaines de mètres. Tout est en bois, à moitié dans le vide et offre une vue imprenable sur le lac. La fin d'après-midi permet d'avoir une luminosité et des contrastes qui embellissent les couleurs du paysage. Dans le bar, je remarque qu'en guise de déco, le proprio a accroché plusieurs plaques d'immatriculation dont des salvadoriennes. Elles sont aux couleurs du drapeau du pays et ce sont les plus belles que j'ai pu voir jusqu'à maintenant. Dans certains pays que j'ai traversé depuis le début du voyage, j'ai essayé de me procurer des plaques à ramener en guise de souvenir, mais mis à part au Panama, toutes mes tentatives se sont soldées par un échec ou un abandon. J'essaye d'obtenir des infos sur le moyen de m'en procurer une et, sans le savoir, cette recherche m’amènera à vivre une petite "quête" qui deviendra l’une des situations les plus savoureuses et imprévisibles de mon voyage.

Le trajet pour rentrer dure plus longtemps que je ne le pensais, et c'est à la nuit tombée que j'arrive. A cette latitude, la nuit tombe vers 18h30 et la vie dans la rue s'arrête en même temps que l'obscurité s'installe. À 19h30, il n'y a presque plus personne dans les rues, et seules quelques voitures circulent encore. Pour rentrer jusqu'à l ’hôtel, je dois traverser le marché. Tout est fermé et seules des bâches entourées de gros scotch protègent les marchandises. Ici et là, des chiens errants cherchent des restes à grignoter accompagnés par une ou deux silhouettes qui déambulent dans le noir quasi total. L'éclairage ne fonctionnant pas, même s'il n'est pas tard, l'ambiance est déjà pesante.

Même lieu mais monde complètement différent : la fourmilière géante la journée devient un désert austère une fois la nuit tombée. La seule source de lumière provient d'un garage entrouvert, d'où s'échappent des chants religieux entrecoupés par les cris d ’un pasteur possédé qui incite ses fidèles à croire en la puissance divine. Je comprends maintenant pourquoi le gérant m'a déconseillé de rentrer à pied après 22h. Une embrouille ou une rencontre malheureuse et on est totalement seul pour s'en extraire. Avec un vigile qui couvre sept rues, il vaut mieux être au bon endroit au bon moment.

Le complexe volcanique qui attire tous les touristes dans la région est composé de trois volcans qu'il est possible de grimper. Il n’y a que peu de départs chaque jour car la visite doit se faire obligatoirement avec un guide et une escorte armée. Du coup un seul bus part tôt le matin en mettant deux heures pour parcourir les 30 kilomètres jusqu’au parc. Il faut payer 6$ qui serviront à rémunérer entre autres le garde qui nous accompagne. Aujourd'hui, c’est l'ascension du Santa Ana, appelé aussi Ilamatepec en langue nahuatl, qui est programmée. Pour l'Izalco, moins populaire et plus difficile, les départs ont lieu seulement les weekends. À 10h du matin tout le monde se regroupe devant le sentier en attendant l ’arrivée du garde. Je sais bien que l'habit ne fait pas le moine, mais en le voyant débarquer, je ne suis pas totalement persuadé que ma sécurité soit plus assurée. On peut clairement voir qu'il n'a aucune envie d’être là. Pendant la marche, il sera loin derrière le groupe et s'arrêtera à mi-chemin en attendant que tout le monde redescende.

On doit être une douzaine de nationalités représentées et l'ascension ne se passe pas idéalement pour tout le monde. Randonner en tong représente sûrement un challenge et les guides font remarquer à trois Américains que ça risque d’être compliqué. Après seulement 25 minutes de marche, le terrain devient accidenté et les deux premiers abandonnent laissant le plus bruyant, continuer seul. On progresse rapidement sur le chemin qui s'élève progressivement et, même si localement certains passages sont un peu plus abrupts que d'autres, ce n'est pas vraiment difficile.

L'ascension continue jusqu'à un mirador, alternant passages boisés et paysages lunaires où seuls quelques agaves à sortent de terre pour se développer sur ce terrain inhospitalier . À ce stade, le groupe est totalement dispersé et l'un des guides ne souhaite pas que l'on passe devant lui pour des "raisons de sécurité". À partir de maintenant on avance par petits groupes avant que le guide nous lâche finalement pour attendre une autre partie.

Au fur et à mesure, l'Izalco et le Cerro Verde se découvrent. Ces deux volcans se sont formés directement sur le flanc du Santa Ana. Les trois volcans sont indirectement connus dans le monde entier, et presque tout le monde les a déjà aperçus de près ou de loin dans la littérature car ils ont inspiré les trois volcans de l'astéroïde B-612 où s'ennuie le Petit Prince. Ce n'est pas un hasard car la femme d'Antoine de Saint-Exupéry est salvadorienne. Elle est née et a passé son enfance dans un village au pied de l'Izalco. Bien qu'ils soient très proches, ils ne se ressemblent en rien car le Cerro Verde est recouvert de végétation alors que l'Izalco est totalement dénudé laissant apparaître les roches le composant.

Ayant connu sa dernière éruption dans les années 60, la végétation n'a pas encore pu reprendre possession de ses flancs. Avec cette teinte froide et sombre, il possède un air de la Montagne du Destin, le repère de Sauron. C'est d'ailleurs le plus jeune volcan du Salvador car il s'est formé en 1770. Étant extrêmement actif entre 1770 et 1958 et proche du Pacifique, il gagna le surnom de "Faro del Pacifico" car les marins pouvaient l'apercevoir en mer depuis de très longues distances. D'ailleurs lors de sa dernière éruption un nouveau cratère s'est créé et a menacé un village juste en dessous. Les habitants ont érigé une statue de la Vierge pour protéger leur village et comme par miracle la dernière coulée de lave s'arrêta au pied de la statue. Vrai ou pas ? En tout cas, c'est ce que raconte la légende.

J'ai la chance de n'être accompagné que de trois autres personnes lorsque j'arrive sur les lèvres de l'immense cratère en moins de deux heures. De nombreuses fumerolles crachent dans l'atmosphère une grosse quantité de dioxyde de soufre. Elles surgissent des entrailles du volcan et disparaissent en ne laissant que des trainées jaune-orangées sur les rebords de la caldeira. On se cache le nez pour atténuer l'odeur d’œuf pourri qui nous entoure, mais grâce au vent qui balaye le sommet, elle se dissipe vite. Les émanations de soufre via les fumerolles traduisent l'activité du volcan et nous ne pouvons rester qu'une demi-heure en haut à cause de la toxicité du gaz. Même si le Santa Ana n'est plus très actif, il est surveillé en raison de sa dangerosité car lors de son dernier réveil en 2005, il provoqua une coulée de boue dévastatrice et éjecta des blocs de la taille d'une voiture.

On continue le long de la crête jusqu'à ce que l'œil du volcan apparaisse. Le lac d'acide est d'une incroyable couleur bleu jade scintillante et occupe le fond d'un cratère au centre d’un ensemble de quatre anneaux, quatre caldeiras, s'étant formées lors de phases explosives. À 2381 m, au sommet du plus haut volcan du pays, le paysage est sensationnel. Avec la roche rouge s'accumulant sur les bords, la couleur étincelante de l'eau, les dépôts jaune vif de soufre et la superbe vue à 360° sur le Pacifique et le lac Coatepeque, c'est difficile d'imaginer un lieu aussi merveilleusement photogénique. Plusieurs Salvadoriens immortalisent l'instant en déployant le drapeau national et en posant fièrement en photo devant le paysage.

La descente est super facile, si on n’a pas de tongs évidemment, et en moins d'une heure je me retrouve au point de départ. Il me suffit d'attendre un bus pour retourner à Santa Ana mais aucune idée de l'heure à laquelle il doit passer. En demandant au proprio d'un hôtel à côté, à un guide et à un habitant, j'ai droit à trois horaires différents. C'est avec plein d'espoir que j'attends celui qui devrait être là dans 15 minutes. Comme la journée a été vraiment parfaite, cela ne se produira pas. Je reste à attendre avec seulement quatre autres personnes, et même si tout le monde parle espagnol, c'est la foire aux accents. Entre l'italien, l'allemand, l'anglais et le français, c'est un joyeux mélange. Il nous faut attendre pas loin de deux heures avant d'entendre un moteur et d’enfin apercevoir un bus, très coloré comme d'habitude, sortir d'un virage sur cette route de montagne sinueuse.

5

Pour mes deux derniers jours au Salvador, je vais me concentrer sur les alentours de Santa Ana. Le premier endroit que je veux voir est Joya de Cerén, un site archéologique maya. Cette petite cité est surnommée la Pompéi d'Amérique car comme pour la cité romaine, elle a été détruite et ensevelie lors d'une éruption du volcan Loma Caldera vers 535.

Pas de chance pour moi, c’est fermé. J’en profite pour aller au marché et m’acheter de quoi manger et remplacer mon câble de chargeur. Mes fidèles chaussures, que j’ai déjà dû faire rafistoler au Paraguay et au Chili, sont maintenant dans un état lamentable : trouées, les coutures arrachées et une semelle qui se décolle un peu plus chaque jour, la fin semble proche. Plus qu’un mois de voyage alors j’espère pouvoir les faire tenir jusqu’à mon retour. Pas le choix, je dois trouver un cordonnier pour le sauvetage de la dernière chance. Dans ce labyrinthe, j’arrive devant une petite cabane en bois remplie de chaussures empilées les unes sur les autres. Je sors mes Van’s et les pose sur le comptoir. Après les avoir examiné minutieusement, il m’annonce d'un air grave que vu le travail, je risque de devoir payer cher… avant de m’annoncer la somme de 7 $ ! Je suis soulagé, pas du prix, mais de savoir qu’elles sont toujours réparables. En fin d’après-midi, elles sont prêtes et quasiment « comme neuves ». Il a réalisé un véritable travail d’orfèvre et comme il n’a pas de monnaie, je veux lui laisser le billet de 10 $. Il refuse et fait le tour des cabanes voisines avant de revenir avec la somme exacte pour me rendre la monnaie.

Il y a d'autres ruines Maya, à une dizaine de kilomètres dans la petite ville de Chalchuapa. Avec la chaleur du début d'après-midi, le bus devient un vrai four et le trajet se transforme en un véritable enfer. Heureusement cela ne dure qu'une vingtaine de minutes et une fois arrivé je me mets en marche pour trouver l'entrée. Dans une rue, des dizaines de stands sont dressés, et tous vendent des article "artisanaux", mais j'ai l'impression que pas mal de trucs sur les échoppes sont plutôt du bon vieux "Made in China".

Tazumal a été un complexe important qui selon toute vraisemblance fut une des plus grandes villes de cette partie de Mésoamérique. Comparativement aux immense ruines et cités que l'on peut visiter au Mexique, le site est assez petit. En son centre une pyramide se dresse et constitue le principal attrait du lieu. Même si elle a été le théâtre d'une rénovation, il est impossible de s'en approcher et encore moins de monter dessus, et c'est tant mieux. A part les deux palmiers à l'entrée, l'absence de végétation donne un air un peu artificiel au lieu. Après avoir vu Tikal et Copan, ce site n'a rien de véritablement impressionnant mais a au moins le mérite de me donner un avant-goût et me préparer pour la découverte du Yucatán et de ses ruines mayas.

Une fois rentré, j'en profite pour me mettre en quête de la tant recherchée plaque d'immatriculation que j'ai évoquée précédemment. Et surtout la rencontre avec un personnage local connu de tous : El Seco.

Je n'ai absolument aucune idée par où commencer. Je demande, à tout hasard, au proprio de l'hôtel s'il a une piste et il me répond qu'il y a peut-être un endroit où je peux trouver mon bonheur. Il me suffit de descendre de deux rues puis tourner à gauche et dans huit rues, je devrais arriver à une pharmacie où il est possible d'en trouver une. Euh… une pharmacie ? Est-ce que je me suis trompé en m'exprimant, parce que je me vois mal arriver là -bas et demander s'ils ont une plaque… Il persévère et insiste pour que j'aille voir. C'est plutôt septique, mais en suivant ses indications, que je me mets en marche. Je constate par la même occasion, que le marché est en réalité bien plus grand que ce que j'ai pu voir car il continue encore pendant plusieurs rues. Dans la pharmacie, c'est en effet une découverte assez étonnante car effectivement on y vend aussi bien des médicaments que tout un tas de vieux bouts de ferraille. En fait la pharmacie partage le même local qu'une ferraillerie. La personne vendant des sirops a l'air aussi étonnée que moi de me voir et j'explique péniblement l'objet de ma venue. Ce que je retiens dans sa réponse, c'est qu'il faut que je trouve un dénommé «El Seco» un peu plus bas dans la rue. Elle m'indique une sorte de hall où je devrais le trouver. S’il ne s’y trouve pas, je devrais alors demander aux gens car il est connu pour avoir la bougeotte.

La première étape à présent terminée, j'entre dans le hall d'une habitation et je me fais remarquer par les trois personnes attablées, bière à la main, à l'intérieur. C'est reparti pour une explication, mais je ne pense pas être pas au bon endroit car rien ne laisse présager qu'il y ait quoi que ce soit à vendre ici. Quand je finis de parler, un des trois s'exclame « El Seco ». Je suis donc bien sur la bonne piste. Après le partage d’une bière avec eux, je continue de descendre la rue. Je vais finir par sortir de la ville, mais après quelques centaines de mètres, j'arrive devant une sorte de bric-à-brac avec du multimédia étalé sur le trottoir. Il y a un homme à l'intérieur qui bricole et je lui demande s’il s'appelle « El Seco ». Son surnom lui colle parfaitement à la peau. Il est grand, très mince avec un visage anguleux orné d’une épaisse moustache. Je reçois comme unique réponse un « ça dépend, qui le demande? » plutôt froid. Je m'imagine alors être un personnage de film en plein milieu d’une quête, vu l’enchaînement de situations et de personnes rencontrées durant la dernière demi-heure. En espérant que c'est la dernière fois, j'explique mon problème. Je vois dans son regard baignant dans l'ombre de son chapeau de cow-boy bien trop grand, comme une révélation.

Il a peut-être ça quelque part mais avant de chercher la plaque, il veut savoir combien je suis prêt à mettre. Je n'en ai strictement aucune idée mais on arrive à un arrangement pour 15 dollars, ce que je trouve plutôt honnête. La même sur internet, coûte au minimum dans les 70 €. Je vais revenir dans une dizaine de minutes et il devrait avoir eu le temps de retrouver la plaque dans tout le bordel autour de lui. Il faut dire que dans son local des pneus, de vieilles télés toutes démontées, des magnétoscopes, des cadres et des roues de vélo ou de scooter jonchent le sol et côtoient une quantité incroyable de pièces détachées de voitures occupant le reste de l'espace. En fait il fait de la récup, répare et revend tout un tas de matériel pour vivre. Ça a l'air de très bien marcher car quand je reviens de nouvelles pièces ont fait leur apparition sur le trottoir et il est en train de les examiner pour savoir s ’il peut en tirer un bon prix.

Il me tend le précieux sésame, et même si la plaque n'est pas en parfait état car elle est gondolée, je ressens une grande satisfaction d'avoir réussi à mettre la main dessus. Je me demande où il l'avait planqué mais, ce n'est qu'en recroisant les trois hommes dans le hall plus haut dans la rue que j'aurai ma réponse. Ils m'interpellent pour me dire qu'ils ont vu El Seco, clé en main passer dans une petite rue voisine. Ce n'est peut-être qu'une coïncidence mais il se peut que ce soir, une voiture soit orpheline d'une de ses plaques métalliques. Au final je m'en fiche pas mal et je lui donne les billets. Je conçois qu'à lire l'histoire n'est pas folle, mais à vivre ce fut un vrai régal, avec plusieurs rencontres atypiques. J'ai en même temps visité un peu Santa Ana, sans voir évidemment les lieux les plus dignes d ’intérêt, mais au moins j'ai pu croiser et discuter avec des gens, ultra sympathiques, prêts à m'aider dont je n'aurais même pas imaginé l'existence le matin même. Tout ceci me conforte encore plus dans l'idée que je me faisais des Salvadoriens en général.

Le lendemain pour mon dernier jour je décide de me faire une journée tranquille en parcourant une petite partie de la célèbre route des fleurs. C'est l'une des plus grandes routes touristiques du Salvador et traverse plusieurs villages coloniaux pour arriver jusqu'à Ataco, petite ville très célèbre pour ses fresques et ses rue colorées. Je décide de faire la route dans le sens inverse et je commence donc par Ataco. Comme d'habitude il faut prendre plusieurs bus pour arriver à destination. Cette petite ville présente toutes les caractéristiques coloniales que l'on peut voir dans la majorité des villes d'Amérique latine. Les rues pavées mènent à une place où se trouve une église immaculée toute blanche, le tout baigné dans un cadre naturel typique de l'Amérique Centrale entre montagnes et végétation luxuriante. Pour mieux voir le village je décide de monter jusqu'au Mirador de la Cruz, offrant une vue sur toute la région. D'en haut, la ville est construite au fond d'une cuvette et le Chingo apparaît en arrière-plan, comme protecteur de la ville.

Mais le principal attrait sont les fresques plus colorées les unes que les autres que l'on retrouve parsemées dans les quatre coins de la ville. Entre celles qui représentent une scène de l'héritage historique de la région du temps des Mayas, d'autres célébrant un jumelage entre le Salvador et la Corée du Sud ou les citations, toutes mélangent les couleurs parfaitement et donnent une unicité aux différentes rues proches du centre historique. Comme des images valent mieux que milles mots, je laisse les photos parler pour moi.

Il y a aussi un atelier tenu par deux frères très connus et originaires du coin. Ils ont créé et développé un style et un art que l’on retrouve aussi bien sur des tableaux que sur des fresques plus grandes. Les personnages que l'on voit sur toutes les œuvres sont des Memitas, une figure féminine représentant selon eux la femme salvadorienne avec un visage rond et des yeux en demi-lune. C'est vrai que c'est très beau et en rentrant dans leur atelier où sont exposées les peintures, on en prend vraiment plein les yeux (pas en demi-lune cette fois). C'est une véritable tempête de couleurs. Mais les tarifs sont aussi à la hauteur des œuvres et je ne veux pas prendre le risque d'en acheter une que je devrais ramener dans mon sac à dos. Avec encore un mois de voyage restant au Mexique où je vais sûrement faire pas mal de kilomètres en bus, je crains que l'ensemble s’abîme. Crainte encore plus forte pour mon vol retour où, connaissant la légendaire douceur de certains bagagistes aux aéroports, je suis presque sûr que la toile n'arrivera pas en un seul morceau à Paris.

Après cette halte, je reprends la route jusqu'au deuxième village de la route, Apaneca. Bien plus petit qu'Ataco, il présente les mêmes caractéristiques entre ses rues pavées, ses maisons colorées, les fresques plus modestes et son église également parfaitement blanche. Je repère sur mon appli GPS un chemin qui mène à une croix en haut d'un petit sommet dominant le village. Je croise dans la dernière rue du village, au moins 70 personnes occupées à trier, mettre dans d'énormes sacs en toile et charger des grains de café dans un camion. Dans cette chaîne humaine, chacun à un rôle à jouer et c'est avec rapidité que le camion se remplit totalement. On est en pleine zone cafetière et c'est d'ailleurs la ressource principale du village.

Je m'enfonce de plus en plus dans la forêt. Par alternance, la végétation se raréfie et laisse entrevoir le village en contrebas dans une cuvette entourée par les sommets. Quelques minutes plus tard j'arrive à un embranchement. Le chemin ne se sépare pas en deux mais en quatre. Je regarde mon GPS et, évidemment, il m'indique que je suis au milieu de nulle part et non pas sur un sentier. Après en avoir suivi un au hasard, sans succès, je fais demi-tour. Avec ce détour, je n'ai plus d'eau et pas moyen de trouver un coin d'ombre pour me protéger du soleil brûlant de l’après-midi. C’est l’heure de rentrer et il faut que je reprenne un bus pour Santa Ana. Ayant un vol le lendemain matin de bonne heure à San Salvador, je ne peux me permettre de rater les derniers bus partant en fin d'après-midi.

À San Salvador, je trouve une petite chambre dans un hôtel juste en face du Parlement. Vu la situation géographique je me dis que je vais avoir droit (enfin) à un bon hôtel, mais ce fut un des pires. De toute façon je ne compte pas m'y attarder et je sors dès le début de soirée pour voir si l'ambiance est différente de celle que j'avais pu voir quelques jours auparavant. Ce soir c'est très animé, avec quelques scènes ou des musiciens se produisent, des artistes de rue et des jeunes jouant au foot sur les places. Le tout bien évidemment sous l’œil très vigilant des forces de l'ordre et des militaires qui quadrillent encore plus la zone.

Le Salvador c'est fini pour moi et ce ne fut pas seulement une surprise, mais un véritable coup de cœur. Avec toutes les informations négatives qui nous parviennent à nous autres Européens, pas facile de ne pas avoir d’appréhension. Mais les Salvadoriens sont vraiment d'une gentillesse incroyable, et me font penser aux Paraguayens. Peut -être que lorsque que l'on est un touriste dans un pays peu visité, les gens sont plus accueillants et prêts à aider bien plus facilement. Je ne me suis jamais senti en insécurité et s’il y a un doute, il suffit de demander aux locaux. Même si ce pays a un problème récurrent de violence, j'invite tout le monde aimant voyager hors des destinations touristiques à aller y faire un tour pour découvrir ses paysages et surtout ses gens.