HOLA CHICOS Y BIENVENIDOS A HONDURAS !
À la frontière, les premières affiches concernant le nouveau coronavirus sont bien visibles. Les douaniers sont masqués et montrent qu'ils prennent le problème au sérieux, en tout cas bien plus qu'en France j'ai l'impression. Pour avoir le tampon de sortie je dois payer une taxe. On est au Nicaragua alors payer en Cordobas me semble logique. Mais non, seuls les dollars sont acceptés. On m’envoie dans un bar à la recherche d'un type qui peut me faire le change. En réalité l’agent de la migration me dirige vers un de ses potes… Je sens que je vais me taper un taux de change bien dégueulasse ! Pas du tout. Je perds dans l'affaire à peine 0,30 € par rapport au change officiel. Je récupère mon passeport et 500 mètres plus loin, j’arrive au guichet hondurien. Je paye cette fois-ci une taxe d'entrée, elle aussi en dollar, et me voilà de nouveau au Honduras plusieurs mois après ma première courte incursion.
Aujourd'hui pas de grosse étape au programme : San Marcos de Colon à moins de 15 km. Évidemment, le collectivo se retrouve très rapidement blindé. Pour sortir de la zone frontalière, il faut montrer pattes blanches. Traduction : un contrôle d'identité effectué par des flics intimidants armés de fusils mitrailleurs. Tout le monde y a droit sauf le gringo tout palot à l'arrière qui a juste droit à un "bienvenido" de la part des flics. La ville n'est pas franchement un incontournable du pays, et il n'y a pas de touristes. Par sécurité, les bus ne circulant pas le soir et la nuit, il n'y a plus aucun départ pour aujourd'hui. La quête de l’hôtel où dormir tourne vite court. Vu l'offre hôtelière, 3 hôtels dans des états pas vraiment neufs, je choisis le premier qui offre le luxe de fournir un ventilateur bancal.
Comme ses voisins du Salvador et du Guatemala, le Honduras n'est pas vraiment connu pour être un pays calme. Il suffit de taper son nom sur Youtube pour tomber sur ce qui se fait de pire en termes d'insécurité. Mais je ne n'y crois pas, en tout cas pas à ce point. En me baladant dans la ville, je n'ai pas ressenti d'hostilité mais quelques regards curieux.
Je repère une petite butte un peu excentrée du centre-ville. Arrivé à mi-chemin, deux gros chiens me barrent la route en me grognant dessus. Pas envie de prendre le risque de me faire bouffer, je contourne la rue pour arriver plus haut. Je me pose sur les marches pour profiter des derniers rayons du soleil. Le paysage laisse paraître trois éléments : des palmiers dans les rues, des montagnes recouvertes de végétation et les toits en tôle du centre -ville. Une petite tienda tenue par le Clint Eastwood local fait office de seul lieu de vie de toute la rue. Bottes de cowboy aux pieds et chapeau vissé sur la tête, il a l'air surpris de me voir ici.
À la nuit tombante, je rentre à l’hôtel. Je remarque que je suis juste en face d’un marché labyrinthique sous des dizaines de tôles. Avant de dormir, j'ai droit certainement au pire poulet depuis le début du voyage, une sorte de truc en plastique à peine mangeable et qui se désagrège dans l'assiette. Je prie pour ne pas passer la nuit dans les toilettes, frappé par une intoxication alimentaire bien vénère. Surtout que demain j'ai encore quelques heures de bus pour atteindre ma prochaine étape. Suspense…
Ouf tout va bien ! Départ pour El Salvador, avec une pause de quelques jours au bord du Golfe de Fonseca. Comme d'habitude, le bus part du centre presque complet. Avant même de sortir de la ville, il se remplit tellement qu'il n'y a plus de places. Le truc cool ici, c'est que si c'est une personne âgée ou une femme enceinte qui se retrouve debout, les gens se lèvent tout en sachant qu'ils vont passer les deux prochaines heures dans l'allée. J'arrive à San Lorenzo, petite ville en bord de mangrove. Des Honduriens rencontrés à León m'en ont dit le plus grand bien. Seulement en descendant, assez interloqué de me voir, un groupe vient à ma rencontre pour me demander ce que je fais ici et si je ne suis pas perdu. Vu la mine qu'ils tirent quand je dis que je suis là de mon plein gré, je comprends vite que l'idée n'était pas si bonne. À une heure de bus il y a un petit village perdu où des lanchas attendent pour traverser un petit bras de mer jusqu'à la Isla del Tigre. Je change mes plans et je file direct vers l'île ! Super sympa, ils m'embarquent à l'arrière de leur pick-up pour me déposer à l'arrêt du bus. 300 mètres plus tard, ils me font descendre… Les latinos et leur engouement pour la marche m’épateront toujours !
Un bus scolaire passe, puis deux, puis trois... Toujours rien. Un quatrième passe alors que l’ayudante crie "Coyolito". C'est le signal ! Je lui fais signe. Le gars descend en trombe, choppe mon sac, le balance à l'intérieur, me pousse vers l'échelle pour que je l'attrape afin de me hisser à l'intérieur et monte à son tour. Tout ça en moins de 4 secondes, encore mieux qu'en F1. À l'intérieur c'est le grand luxe. Même si la chaleur est étouffante, pas loin de 40 degrés, j'ai une banquette pour moi tout seul et pour la première fois depuis plus d'un mois. Je peux enfin fermer les yeux sans être comprimé. Avant d'arriver à Coyolito, la vue est incroyable : le bleu perçant de l'eau, la végétation tantôt verte tantôt jaune cramé et la Isla del Tigre avec sa forme parfaitement conique. L'île est un volcan éteint depuis bien longtemps, recouverte de forêts avec à son sommet ce qui semble être un phare et des antennes. Un sentier part d'un village pour y monter et la vue doit être assez magique.
La traversée en lancha coûte 0,60 € et prend moins de cinq minutes. Les gilets de sauvetage sont "obligatoires", ce qui signifie ici qu'il faut en avoir un… mais être assis dessus pour rendre le siège plus confortable, ça passe aussi. Vu le nombre de touristes dans le pays et encore plus dans ce coin isolé, il n'y a que des locaux rentrant chez eux dans cette vétuste embarcation. Le capitaine porte un maillot de l'équipe de France et, comme qui ne tente rien n'a rien, je l'aborde en français. L'essai ne fut pas probant mais je m'en tire avec un compliment : "T'es comme M'Bappé". Mais oui exactement ! Enfin si on enlève le fait que je cours moins vite, que je suis bien moins riche et un peu plus vieux… Effectivement le compte y est !
Il me dit qu'il peut m’emmener à un hôtel bien placé, pas cher et avec un restaurant donnant sur la plage. À peine débarqué, je me retrouve devant un hôtel. L ’endroit est assez bruyant avec le mini port à proximité. Dans la chambre, des lézards restent immobiles sur les murs. Pour 10€, en lisière de la jungle et à 50 mètres de la mer, je n'hésite pas longtemps.
Avant de prendre mes quartiers, je me pose sur la terrasse, et observe la vie quotidienne des gens vivant sur cette île coupée un peu du reste du monde. À chaque arrivée c'est la même scène qui se joue devant mes yeux. Les deux hommes composant l'équipage sautent à l'eau pour guider correctement la lancha jusqu'au ponton de fortune en évitant qu'elle ne rentre en collision avec les autres déjà stationnées. Puis à peine le pied posé sur la terre ferme, c'est une nuée de chauffeurs de tuk-tuk qui se jettent sur les nouveaux arrivants. Mais les embarcations ne servent pas exclusivement à transporter les personnes. Les vivres et les matériaux ont droit au même traitement.
Avec en fond de la musique latino s'échappant de la petite échoppe jouxtant la terrasse, c'est une mini société qui interagit sur cette minuscule plage : l'épicier qui vient chercher sa commande auparavant acheminée en bus et complètement écrasée par le voyage, le maçon qui décharge une lancha remplie de parpaings pour monter un mur juste à côté du ponton, des femmes faisant leur lessive, des enfants jouant et sautant dans les minuscules vagues, le pêcheur qui mouline, les anciens sirotant une bière sur un autre ponton ou encore un équipage faisant la révision du moteur directement sur l'eau.
Je prends ensuite la direction de la seule ville de l'île. J'ai l'impression qu’ici, tout le monde peut peindre sa maison de la couleur qu'il veut, sans se concerter avec ses voisins, ce qui donne parfois des mélanges détonants mais aussi un charme certain. Quasiment aucune voiture ne circule sur la seule route qui fait le tour de l ’île. Les tuk-tuk pullulent et sont un moyen de transport facile, rapide et peu onéreux.
Le principal lieu aménagé est la promenade d'Amapala, totalement déserte en cette fin d'après-midi. À son extrémité se trouve un poste douanier. Des capitaines de lanchas peuvent faire la traversée jusqu’à Potosi au Nicaragua mais aussi vers La Unión juste en face au Salvador. C'est une option vraiment intéressante parce que ça m'éviterait de refaire le même trajet en sens inverse en reprenant plusieurs bus dans quelques jours pour arriver au Salvador. Sans compter que par la même occasion, j’économiserai une journée de voyage. Je demande des renseignements aux marins présents et il n'y a pas de problèmes pour faire le voyage. Ah si, il y en a quand même un... Que l'on soit un, deux ou six le prix est fixe. Donc comme le trajet revient à environ 200 € pour la proposition la moins onéreuse, c'est compliqué d'envisager cette option alors que je suis seul. Tant pis, j'aurai donc droit à la journée habituelle de transport en bus pour moins de 10 balles.
En quittant la capitainerie, une affiche attire mon intention - "QUE ES EL CORONAVIRUS ?". Même au fin fond du Honduras, on commence à en parler. Plus les jours passent, moins cette histoire sent bon...
Le lendemain matin départ à 7h, pour monter tout en haut de l'île et éviter les grosses chaleurs de la journée. Je saute dans le premier tuk-tuk que je croise et me voilà devant le petit hameau d'où part le sentier. C'est plutôt bizarre, j'ai toujours eu l'impression que quand je partais en rando mon sac était bien plus lourd qu'aujourd'hui. En réalité, j'ai complètement oublié de prendre mes provisions et mes bouteilles d'eau avant de partir. Retour en ville, histoire de ne pas tomber en hypoglycémie ou déshydration pendant l'ascension. À 8h tapantes, je fais le premier pas vers le sommet. Ça n'a pas l'air d'être une marche très difficile. Il doit y avoir environ 5 km pour quelques 900 mètres de dénivelé donc je pense arriver là-haut dans deux petites heures.
Après seulement quelques minutes, j'entends des cris d'enfants venant d'une cabane en bois. C’est l'école du village et tous les niveaux semblent mélangés. Ma curiosité de prof me pousse à aller voir d'un peu plus près et rencontrer le maître. Il a seulement 22 ans, enseigne depuis moins d’un an et me fait part des difficultés qu'il rencontre.
Outre le fait que certains jours les mômes sont pénibles, pour ne pas dire complètement chiants, il insiste sur le manque de moyens matériels. Entre la porte qui ne ferme qu'avec un cadenas, le toit en tôle transformant la pièce en four lorsque la chaleur est étouffante et les moustiquaires toutes déchirées aux fenêtres, il y a de quoi resté pantois… Travailler dans ces conditions doit être un véritable calvaire, pour lui, mais surtout pour ses élèves. D'ailleurs ces derniers semblent aussi interloqués que ravis de voir un gringo dans leur salle. Et c'est un florilège de question "Tu viens de France, mais c'est loin ?" - " Comment on dit ça en français ?" - etc... C'est assez inattendu comme rencontre mais tellement agréable de retrouver rapidement quelques mini repères. En moins de 10 minutes il est possible de voir dans une classe, que l'on soit sur une île hondurienne ou au fin fond du Poitou, que les élèves sont les mêmes : les meneurs avec leurs airs espiègles, ceux qui s'en fichent, les timides silencieux alors que les plus audacieux demandent si l ’on peut prendre des photos ensemble. Il y a quand même une différence notable avec nos écoles : les affiches sur les murs parlent ouvertement de Dieu et de religion.
Retour à la rando après cette pause pédagogique. La première partie grimpe légèrement. Je suis une piste sableuse jusqu'à atteindre l'entrée d'une première forêt, ce qui est une bonne nouvelle car le soleil est déjà plutôt agressif. Je ne suis pas encore assez haut pour avoir une vue dégagée sur le golfe et les îles voisines. Je rattrape une famille qui grimpe elle aussi tout en haut. Ce sont les gardiens du sommet. Ils y travaillent pour l ’entreprise qui possèdent les antennes installées là-bas et sont chargés de vérifier si tout se passe bien. Le fils est déjà là-haut depuis plus d’une semaine et aujourd'hui c'est le jour de la visite familiale, après quoi le père restera en haut à son tour pour une dizaine de jours. « Même si ce n'est pas la joie pour la vie de famille, ce travail est bien payé et permet de faire bien mieux vivre sa famille », dixit le père. Par rapport à son ancien travail de chauffeur de tuktuk, il gagne deux fois mieux sa vie.
La pente se fait progressivement plus raide jusqu'à arriver à un endroit dégagé où un mirador a été "aménagé". Avec le système D, on peut faire des choses vraiment inattendues. Il suffit juste de monter un siège de bus, de le caler à l'ombre face à la mer pour profiter bien plus confortablement de cette vue absolument grandiose. Je pense que c'est le mirador le plus atypique que j'ai pu voir jusqu'à maintenant. Le paysage devant mes yeux permet de voir à droite le Honduras et à gauche une île et le volcan Conchagua, tous deux situés au Salvador.
Je reprends la montée pendant une quarantaine de minutes jusqu'à arriver de l'autre côté du volcan. D’ici j'ai une vue sur la partie de l'île où je loge et sur le village de Coyolito au pied du Zacate Grande d'où partent les lanchas. Arrivé en haut je reçois un accueil peu chaleureux et extrêmement agressif de la part d'un gros chien sorti de nulle part. Il faut l'intervention d'un gamin pour que le chien ne me saute pas dessus…
C’est tremblant que je me dirige vers deux hommes qui font la sieste dans des hamacs. Ils ont choisi l'emplacement parfait pour profiter des meilleurs paysages qu'offre ce sommet volcanique. Ils sont ici depuis 3 jours pour se ressourcer en lisant la bible. L'un est un homme d'église et l'autre juste quelqu'un qui avait besoin de partir pour dormir apparemment. La conversation arrive sur le sujet de prédilection des latinos : pas le football mais bien la foi! J'essaye d'esquiver au maximum le sujet car je sature d’entendre les mêmes arguments sur le monde fait par Dieu. Plus par politesse que par envie, je participe quand même. Je sais que dans ces pays, la religion est l'une des choses les plus importantes dans la vie quotidienne mais je ne suis jamais tombé sur quelqu'un qui a essayé de me "convertir" ou qui a critiqué mon choix de ne pas croire. En tout cas c'est apparemment béni et protégé par la grâce de Dieu que j'entame la descente. Il est midi passé, et la chaleur est maintenant bien écrasante.
Je passe l'après-midi à Playa Negra pour profiter de l'eau chaude, de la nourriture locale bourrative et des bières à moins d'un euro. Étendu dans un hamac sur la terrasse d ’un restaurant, j’entends les gamins du coin jouer au foot sur la plage. Si l'on ouvre le dictionnaire à la page de "Paradis Terrestre", je pense que l'endroit illustrerait parfaitement bien la définition. Avec ma peau, je me baigne évidemment en t-shirt pour ne pas ressortir de la même couleur qu’un homard…
Lorsque je quitte l'île en direction du Salvador, je prévois de m'arrêter passer la nuit à Nacaome, une petite ville qui d'après certains guides est superbe. Pour y accéder, j'ai dû prendre pas loin de 4 bus pour parcourir les 60 km me séparant de celle-ci… Là-bas c'est la déception. C'est vrai que la place est sympa mais il paraît que la ville est un véritable bijou colonial. Du coup… où sont passés les bâtisses, l'architecture et les couleurs vives propres à ces villages ? Pour tout dire, l’attraction principale du centre-ville est la sculpture d'une… pastèque géante de la taille d'un lampadaire. Changement de programme! Je vais rejoindre El Salvador ce soir en espérant ne pas trop galérer pour passer la frontière et rester bloqué vu que les bus s'arrêtent à peine la nuit tombée.